128 Entrevue avec Robert Sévigny
INTERACTIONS Vol.4 no 1, printemps 2000
loin de m’imaginer, à ce moment-là, que Thérèse y serait jour secrétaire-générale adjointe.
Par ailleurs, les liens entre nos deux carrières sont probablement plus nombreux que ce que
je viens de vous en dire : nous nous sommes connus très jeunes et une bonne partie de nos
deux trajectoires personnelles touchent sans doute, elles aussi, cet implicite auquel je viens
de faire allusion.
L.M. Revenons à votre propre cheminement. Vous avez été l'un des premiers à vous
intéresser aux travaux de Carl Rogers. Votre manière d'être et de faire ne cadrait pas au
courant marxiste de l'époque en sociologie et vous sembliez ouvert aux approches
novatrices. L'approche rogérienne, tout comme votre personnalité, ont pu contribuer à cet
intérêt que vous avez manifesté face à la diversité. De ce fait, certains affirment qu'il n'est
pas surprenant que vous vous soyez naturellement ouvert à l'interculturel. Pourriez-vous
commenter cette perception que certains ont de vous.
R.S. Je ne reviens pas sur le rôle de ma propre expérience personnelle : il me semble bien
que l’approche rogérienne, je l’ai d’abord « adoptée » en fonction de ce que j’étais comme
personne. Mais il y avait plus ou autre chose qui m’attirait chez Rogers. Son modèle me
permettait plus facilement de faire des liens entre l'individu et la vie sociale. En même
temps, ici aussi, l’implicite jouait beaucoup, beaucoup plus que je ne le pensais à cette
époque. Cette approche « respirait » la société nord-américaine et la resituait dans sa culture
sans jamais en parler explicitement - contrairement à la psychanalyse et au marxisme qui
s'imposaient à cette époque. C’est surtout vers la fin de sa vie, que Rogers est devenu plus
sensibilisé à l'influence du contexte socioculturel sur son approche par son contact avec
plusieurs autres cultures. Il se rendait compte que l'actualisation de soi, telle qu'il l'avait
définie, était une notion nord-américaine. Il se rendait compte aussi que son approche faisait
abstraction des processus de pouvoir politique et qu’il rejoignait trop peu le monde de
l’action sociale et politique. Quand j’ai eu la chance et le plaisir de passer une année au
Center for the Study of the Person au début des années 80, ces thèmes ont souvent été au
cœur de nos échanges. Dès notre toute première rencontre, il m’avait longuement fait parler
de mes expériences d’intervention dans les milieux syndicaux, milieux qu’il se désolait de
ne jamais avoir pénétrés. Ce sont les mêmes préoccupations que je retrouvais chez Gay Lea
Swenson qui était mon sponsor au CSP. Gay incarnait l’approche rogérienne de ces années
80, mais elle n’avait jamais oublié le climat social et politique qu’elle avait connu comme
étudiante à Berkeley. C’est beaucoup à cause d’elle que j’ai eu la grâce de redevenir
participant à des workshops de style rogérien pendant deux mois et de pouvoir, par la suite,
réfléchir sur toutes les dimensions sociales, politiques et culturelles de l’approche
rogérienne.
J’ai le sentiment de beaucoup simplifier les choses quand je vous raconte mon année à la
Jolla chez Rogers. Avant, il y avait eu l’influence de Dollard Cormier, mes expériences
avec l’équipe du Centre de recherche en relations humaines - le premier groupe à introduire
la dynamique de groupe style T-Group au Québec, mes années avec le Centre d’étude et de
communication que j’avais fondé avec des collègues - dont certains sont à l’Université de
Sherbrooke, mes expériences d’intervention à l’Alcan et le stage au National Training
Laboratory de Bethel que j’ai effectué à l’instigation de cette compagnie, mon année avec
des collègues de l’ARIP à Paris - dont l’orientation était, pour la plupart, d’orientation