martIne WIndal26
liturgique 3 ». C’est un événement dont la presse a fait grand bruit, en
raison de la modication de la phrase du Notre Père qui concerne la
tentation 4. Mais il est une autre modication, qui, quant à elle, est passée
inaperçue : précisément celle de ce verset 19, 28, qui prend place dans
le récit de la Passion et de la mort du Christ, selon Jean, récit qui est lu
dans toutes les églises catholiques, le Vendredi Saint. Quelle est donc la
nature de cette modication ? Jusqu’à présent, les dèles entendaient :
« Après cela, sachant que désormais toutes choses étaient accomplies, et
pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : J’ai soif 5 ».
La nouvelle traduction liturgique qui vient de sortir étant la matrice
des futurs lectionnaires, ils entendront prochainement : « Après cela,
sachant que désormais tout était achevé pour que l’Écriture s’accom-
plisse jusqu’au bout, Jésus dit : j’ai soif ».
Peut-être faut-il s’y reprendre à deux fois avant de percevoir la
nuance, et il y a fort à parier que bien peu de dèles s’apercevront du
changement. Après tout, il n’y a guère tellement plus qu’une virgule de
différence… Mais toute la différence est bien dans la disparition de cette
frontière qui séparait deux propositions, dorénavant unies. Le sens de
la phrase en est complètement modié. Dans le premier cas, c’est pour
que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout que Jésus dit « J’ai soif ».
Dans le second, tout était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse
jusqu’au bout, et Jésus le sait. Ensuite, mais sans lien de causalité, il
dit « j’ai soif ».
Après avoir envisagé la question grammaticale, cette étude, qui sera
synchronique, s’attachera à envisager les mots choisis par Jean pour dire
et donner du sens à ce qui se passa à cette heure où le Christ mourut
sur la croix, tel que le texte le rapporte 6. Jean les a assurément agencés
selon une stratégie narrative consciente ou inconsciente ; il les a choisis
3. Éditions Mame.
4. Non plus : « Ne nous soumets pas à la tentation », mais « Ne nous laisse pas
entrer en tentation ».
5. Traduction liturgique actuelle de Jn 19, 28.
6. Nous nous intéresserons dans cette étude à ce que rapporte Jean, sans nous
interroger sur ce qui fut ou non la « réalité ». Toutefois, pour être complet, mentionnons
une thèse mettant en cause la réalité de cette parole du Christ « j’ai soif » : le Christ ne
l’aurait jamais prononcée. Il s’agit d’une thèse déjà proposée par h. SahlIn en 1952 (Bib
33 (1952), p. 53-66), puis par T. b
oman
dans Studia Theologica 17 (1963), p. 103-119,
et reprise notamment par X. léon-dufour, selon laquelle les interprétations diver-
gentes des quatre évangélistes des dernières paroles de Jésus en croix proviendraient
en réalité d’une source unique : « Selon Mt 27,47 = Mc 15,35, les soldats ont entendu
le Crucié appeler Elie, en araméen « Elia ta’ » (« Elie, viens »), alors que Jésus aurait
dit en hébreu « Eli atta’ » (« Mon Dieu, c’est toi »). Voir X. l
éon
-d
ufour
, Lecture
de l’évangile selon Jean, Tome IV l’heure de la glorication (chapitres 18-21), coll.
« Parole de Dieu », Editions du Seuil, Paris, 1996, p. 152.
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