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apparaît d’emblée comme un Polonais assez violemment antirusse - solide tradition bien
antérieure à l’ère bolchevique - pour éprouver envers le Reich des sympathies que la
discrétion des auteurs voile à peine: germanophone, il est présenté comme « hostile aux
nazis » mais surtout comme un des clercs les plus hostiles à toute résistance à l’occupant (p.
43 sq., jusqu’à 59, p. 89, etc.); on doute de son antinazisme en apprenant que, face à la
barbarie allemande qui frappait jusqu’aux salésiens de sa paroisse, il consacra ses efforts, avec
succès, « à convaincre la plupart » de ses amis « du Rosaire Vivant » - organisation secrète
sur laquelle on aimerait en apprendre davantage - « de ne pas rejoindre la lutte clandestine »:
« prier était la seule chose à faire » (p. 56-57), aurait-il alors jugé - sérénité qui ne régit
assurément pas ses relations orageuses avec le monde russe. Il aurait aimé les juifs, en ce pays
dont l’Eglise conduisait la toute-puissante coalition antisémite, sous la houlette du primat
Hlond (p. 32 sq.), un des protagonistes essentiels de l’orientation pro-allemande - francophobe
autant que russophobe - de la politique polonaise d’avant 1939.
Du descriptif embrouillé d’un hypothétique philosémitisme ressortent des éléments
antagoniques avec cette thèse: Karol Wojtyla ne porta jamais secours à un juif (p. 57) pendant
la guerre - comme la quasi totalité de ses pairs il est vrai; il aurait eu depuis son enfance
nombre d’« amis juifs », mention très vague, plus vague que les actes. Car ce philosémite
présumé a canonisé Kolbe, « personnage complexe » peut-être, mais surtout antisémite
notoire; son caprice entêté de sanctification catholique du camp d’Auschwitz ne le classe pas
parmi les amis des juifs, au jugement des principaux intéressés (p. 194-195).
De la guerre allemande contre l’URSS il attendait, comme ses supérieurs hiérarchiques,
qu’elle liquidât le communisme et permît au « peuple russe » de « retrouver la voie du
christianisme » (p. 57). Le livre évoque à plusieurs reprises cette antique obsession de rendre
la Russie au catholicisme romain. Mais on mesure mal dans cette hantise d’apparence
purement anti-rouge la vieille mission que les Habsbourg avaient assignée au Vatican, via
l’uniatisme, qu’il conduisit depuis la fin du XIXè siècle également sous la houlette des
Hohenzollern, et qu’il poursuivit après 1917-1918 avec le Reich allemand, créant notamment
des organismes dominés par l’Institut oriental et son Russicum, instruments idéologiques
(renseignement militaire inclus) de la reconquête future ou rêvée.
De même perçoit-on souvent l’influence germanique déterminante dans la promotion de ce
Polonais. Il y a cependant, les archives françaises l’attestent, bien autre chose dans cette
affaire que la commune adhésion, indéniable, à l’intégrisme et à la revanche contre Vatican II
(p. 93 sq.). Nul ne contestera le tableau, correctement fait à la fin de l’ouvrage, d’un
intégrisme culturel nourri d’une impressionnante misogynie sexuelle (p. 341 sq.). Mais c’est
ailleurs, sur les frontières - les auteurs le suggèrent avec une discrétion excessive -, que se
joua l’alliance qui fit Wojtyla pape. En dépit de ce qui est dit ici des « persécutions » contre
l’Eglise polonaise, et du « martyre » enduré par Wyszynski pour préserver les « droits » de
l’Eglise bafoués « par le pouvoir stalinien » (p. 79), c’est à la simple non-reconnaissance des
frontières polonaises de 1945, exigée par Pie XII de tout l’épiscopat polonais, que Wyszynski,
primat successeur de Hlond, dut ses ennuis, notamment son emprisonnement en septembre
1953.
La demande de pardon... aux Allemands, rédigée en 1964 par l’épiscopat polonais sous la
pression de Wojtyla, nous oriente sur des voies familières: le « refus commun du nationalisme
et [la] volonté d’assurer la défense des valeurs de l’Europe contre le communisme » auraient
réuni le prélat polonais et l’épiscopat allemand (p. 94-95). De l’idylle polono-austro-
allemande qui se concrétisa en 1978 dans l’élection de Wojtyla on a presque exclusivement
retenu les aspects anticommunistes; or, elle s’est évidemment conformée au vieux principe
romain défendu bec et ongles depuis 1918: un prélat polonais n’est acceptable pour la Curie
que lorsqu’il ne fait pas un préalable du respect intangible des frontières de son Etat établi sur
les dépouilles d’une Allemagne vaincue i. C’est la seule base susceptible de fonder le soutien