Michel Le Royer a joué à la fois de chance et de malchance. Il plaisait et avait peut-être moins
besoin de se battre que les autres pour réussir. "J'étais un bel insecte qui s'est brûlé à plusieurs
lampes. Je n'ai pas toujours poussé les bonnes portes, ni fait les bons choix." C'est ainsi qu'il
refusa de donner la réplique à Anouk Aimée dans Lola de Jacques Demy. Il écouta les conseils
de ceux qui lui disaient que le réalisateur n'était pas connu et repoussa ainsi son désir premier de
démissionner lorsque la Comédie-Française lui refusa un congé pour aller tourner à Nantes. "Je
me suis dégonflé", avoue-t-il, lucide.
Une trop grande facilité pour séduire ne fait pas une carrière. Il ne regrette rien de ses choix bons
ou mauvais. Ce qui compte, c'est le chemin et le sien fut digne.
"Vie de fou"
En 2013, il souhaite être un passeur et donne des cours d'art dramatique à Lyon où il vit depuis
quelques années avec sa compagne. Il veut transmettre ce qu'il a reçu de ses maîtres, Madame
Dussane et Georges Le Roy, une tradition qui se perdra si l'on n'y prend pas garde. "J'ai pris du
recul sur cette vie de fou. Je ne pourrais plus vivre à Paris. Lorsque je suis dans le TGV et que
l'on annonce Lyon Part-Dieu, soudain je me sens mieux." Il a conservé pour ses escales
parisiennes son appartement de Levallois-Perret, cette ville dont il fut longtemps l'adjoint au
maire Patrick Balkany, chargé de la culture. "J'aurais voulu renommer la fonction, en maire-ajoint
chargé des beaux-arts, mais le préfet des Hauts-de-Seine n'a jamais voulu, c'était paraît-il trop
compliqué."
Michel a attrapé le virus de la politique dès l'enfance en 1944, en Normandie d'où il est originaire.
Le général de Gaulle le conduit à l'UDR, puis il gagne les instances du RPR fondé par Jacques
Chirac qu'il appelait Patron. C'est lui, Michel Le Royer, qui déclama lors de la création du parti en
1976, les vers d'Éluard :
"Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté"
Depuis il a rendu sa carte, ne croit pas au retour de Nicolas Sarkozy, mais se souvient du jeune
homme de 19 ans travailleur et bouillonnant d'idées qu'il était. "Il tenait tête aux barons gaullistes,
Guena, Messmer et consorts." Il se souvient avoir cité en parlant de lui ce passage de Ruy Blas :
"Cet homme sera grand.
Oui, s'il a le temps d'être."
Nicolas Sarkozy s'en souvient-il ?
Michel Le Royer sera cet été en Avignon pour un hommage à Gérard Philipe qui le dirigea avec
Jeanne Moreau dans La Nouvelle Mandragore en 1953 au TNP. Dandy et homme fidèle, c'est
peut-être Henry de Montherlant qui le définit le mieux, lorsqu'un jour le cherchant lors d'une
répétition de La Reine morte, il dit : "Mais où est ce petit paysan qui aurait pu être un petit prince
?"
Par JEAN-NOËL MIRANDE
(*) Au théâtre du Marais, 37, rue Volta, Paris 3e