Revue des sciences religieuses
87/1 | 2013
Varia
L’exposition missionnaire de 1925. Une
affirmation de la puissance de l’Église catholique
Érick Cakpo
Édition électronique
URL : http://rsr.revues.org/1294
DOI : 10.4000/rsr.1294
ISSN : 2259-0285
Éditeur
Faculté de théologie catholique de
Strasbourg
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2013
Pagination : 41-59
ISSN : 0035-2217
Référence électronique
Érick Cakpo, « L’exposition missionnaire de 1925. Une afrmation de la puissance de l’Église
catholique », Revue des sciences religieuses [En ligne], 87/1 | 2013, mis en ligne le 01 janvier 2015,
consulté le 02 octobre 2016. URL : http://rsr.revues.org/1294 ; DOI : 10.4000/rsr.1294
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© RSR
L’EXPOSITION MISSIONNAIRE DE 1925
Une affirmation de la puissance de l’Église catholique
Durant l’Année Sainte de 1925 eut lieu dans les jardins du Vatican
la plus grande exposition missionnaire jamais organisée par l’Église
catholique. Cet événement sans précédent dans l’histoire de l’Église a
peu intéressé la recherche si bien qu’il n’a fait, sauf erreur, l’objet
d’aucun livre qui lui est dûment consacré. Les articles sur le sujet, par
ailleurs peu nombreux, s’intéressent rarement à la question des moti-
vations de l’événement1. Et pourtant, l’importance de cette exposition
dépasse la seule exhibition d’objets tant elle tend, dans un contexte
particulier d’après guerre et de sécularisation (I), à affirmer la toute-
puissance de l’Église catholique. Les objectifs et les moyens (II)
déployés, à l’instar des expositions internationales alors en vogue, ne
sont pas sans confirmer la volonté de montrer que l’Église, à l’inverse
du contexte européen, est en pleine expansion et sait s’adapter à la
modernité. Mais dans quelle mesure? Tout en reprenant certains
aspects des expositions internationales coloniales, celle du Vatican
entend rompre notamment avec les pratiques des exhibitions ethnolo-
giques (III).
La présente contribution paraît doublement opportune. À l’heure
où l’on peut difficilement imaginer la mission chrétienne dans un
1. L.ZERBINI de l’Université de LyonII a consacré plusieurs articles à cette expo-
sition abordant notamment les rapports des Européens aux objets exposés : «De l’ex-
position vaticane au musée missionnaire ethnologique du Latran», dans Une
appropriation du monde. Mission et missions, XIXe-XXesiècles, sous la direction de
Claude Prudhomme, Paris, Publisud, 2004; «Les expositions missionnaires, De
l’objet-document à l’objet-mémoire», dans La mission en textes et images XVI-
XXesiècles, sous la direction de Ch. Paisant, Paris, Karthala, 2004, p.273-290. On
peut également trouver, retracés de manière sommaire, certains aspects de l’exposi-
tion chez : M. Balard, Dahomey 1930 : Missions Catholiques et Culte Vodoun.
L’œuvre de Francis Aupiais (1877 – 1945), missionnaire et ethnographe, Paris, L’Har-
mattan, 1999; J-M.VASQUEZ, La cartographie missionnaire en Afrique, science, reli-
gion et conquête (1870-1930), Paris, Karthala, Coll. Hommes et Sociétés, 2011.
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mouvement unique, d’Europe vers les autres continents2, il s’avère
nécessaire de montrer en quoi l’exposition missionnaire de 1925
apparaît comme l’une des dernières tentatives de centralisation
romaine des missions3. Rendre compte des événements majeurs
passés étant l’apanage de l’histoire, nous avons jugé indispensable de
ne pas faire l’impasse sur cet événement de l’histoire «récente» des
missions catholiques en mettant au jour une documentation peu
exploitée4. Plus qu’un simple exposé, on adopte ici une position
critique qui tend à interroger le bien-fondé et les raisons de l’organi-
sation d’un tel événement par l’Église.
I.CONTEXTES DORGANISATION
À l’origine, la volonté d’un seul homme
À l’initiative de l’Exposition Missionnaire Vaticane de 1925 un seul
homme, le pape PieXI (1922-1939)5. Il nourrit le projet bien avant. Il
trouva un fidèle allié en la personne du Cardinal-Préfet de la Sacrée
Congrégation de la Propagande, Willem Marinus Van Rossum (1918-
1932). Ce dernier réunit dans un premier temps, pour consultation, tous
les Procureurs et Représentants des Instituts missionnaires en résidence
à Rome. Ensuite, la lettre du 24avril 1923 que le pape adressa au car-
dinal officialisa le projet. Elle constitue la charte canonique décrétant
l’exposition et conférant toute autorité au Préfet de la Propagande pour
la mise en place de l’événement6. Dès lors, un Comité directeur fut créé,
2. La mission connaît aujourd’hui le mouvement inverse (ou réciproque) du Sud
vers le Nord. On estime à plus de mille les prêtres fidei donum d’autres pays vivant
en France, dont la moitié sont engagés pleinement dans la pastorale des diocèses,
tandis que les prêtres français fidei donum sont moins de 170 en mission hors de
France. Voir le site de la Conférence des Évêques de France.
J. Varoqui estime d’ailleurs que l’œuvre évangélisatrice des Européens en
Afrique est dépassée. Voir J.VAROQUI, « La mission des Européens en Afrique est-elle
dépassée?», Revue des sciences religieuses 80 n°2 (2006), p.233-242.
3. Une dernière exposition missionnaire, de moindre envergure, prévue en 1940
et empêchée par la Seconde Guerre Mondiale aura finalement lieu en 1950. Elle eut
pour principal objectif de montrer l’art chrétien des pays de mission.
4. Le bulletin Les Missions Catholiques et différents documents des archives de
la Société des Missions Africaines constituent les principales sources.
5. On retrouve dans les documents plusieurs appellations pour l’exposition :
«Exposition Missionnaire Universelle», « Exposition Vaticane des Missions»,
«Exposition Missionnaire Vaticane»… La dernière dénomination, celle qui s’est
imposée, sera privilégiée ici.
6. Voici un extrait de la lettrequi jette les bases de l’événement : Statuimus ut
anno sancto MCMXXV cum in hanc Almam Urbem Ecclesiœ filii undique frequentis-
simi, ut Deo dante fore confidimus, pietatis causa confluent, Expositio ut aiunt,
Missionaria in Aedibus Vaticanis habeatur. «En l’an de grâce 1925, les fils de
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présidé par Mgr Francesco Marchetti-Selvaggiani et assisté de Messei-
gneurs Nogara, Pecorari, Pizzardo, Ercole, Ghezzi, Belvederi, Roncalli,
Mercati, du marquis Sacchetti et de Mgr Caccia Dominioni, Maître de
Chambre du pape. À ce comité fut adjoint un sous-comité, composé de
36 membres des différents Instituts missionnaires.
Pourquoi une telle volonté de Pie XI? Pour en comprendre les
raisons, il est nécessaire d’examiner sa conception des missions. Il est
considéré par l’historien André Rétif comme «le Pape des missions7»
et pour cause. Il développe une vraie politique missionnaire que le
Pensiero Missionario, organe missionnaire italien, résume en six prin-
cipales directives8: 1/ L’occupation effective et complète du territoire
à évangéliser, 2/ L’effort pour arriver à une plus grande collaboration
dans l’Église elle-même, et l’utilisation de toute coopération exté-
rieure possible, pourvu que ni l’intégrité de la doctrine, ni la hiérar-
chie n’en soient compromises, 3/ Une confiance des plus optimistes
qui tienne entièrement compte des bonnes dispositions et des qualités
des races, même les plus méprisées, 4/ Un esprit scientifique d’orga-
nisation et de méthode, non seulement dans l’apostolat lui-même,
mais aussi dans sa préparation, 5/ La recherche d’une apologétique
plus élevée pour le bien de l’Église et la défense générale de la foi,
6/ Une merveilleuse stratégie de lumière et d’amour envers les
centaines de millions d’âmes égarées par les fausses religions, les
schismes, l’Islam, le Bouddhisme, etc…., basée sur un triple élément :
a) une étude approfondie de leur histoire passée, b) une compréhen-
sion complète de leur condition présente et c) une préparation étendue
et précise (pratique, positive) pour l’avenir.
Il en résulte une véritable stratégie qui se révèlera de manière
probante dans l’action du papepar le principe suivant : donner une
impulsion à l’expansion de l’Église tout en rappelant son foyer
romain. C’est dans ce dessein qu’il développe les notions d’universa-
lité et de centralité que résume le terme de romanita9. Par rapport aux
l’Église, à cause de leur piété, afflueront de tous côtés et en grand nombre vers la
ville-mère. Par la grâce de Dieu, l’Exposition dite des Missions aura lieu dans la cité
du Vatican».
7. A.RÉTIF, «Le développement des jeunes Églises, 1914-1939», dans C.DELA-
CROIX (dir.), Histoire universelle des missions catholiques en 4 tomes, T.III : Les
missions contemporaines (1800-1957), Paris, Grund, 1958, p.128-168. Toutefois, il
faut souligner, avant PieXI, l’apport majeur de GrégoireXVI (1831-1846) et la stra-
tégie de LéonXIII (cf.C.PRUDHOMME, Stratégie missionnaire du Saint-Siège sous
LéonXIII, 1878-1903, centralisation romaine et défis culturels, Rome, École fran-
çaise de Rome, 1994). PieXI s’inscrit dans la continuité.
8. L.RIBOUD, «La politique missionnaire de sa Sainteté le pape PieXI », 1935,
Archives des Missions Etrangères de Paris, Code 1935/5-13, p.5-35.
9. Voir VASQUEZ, La cartographie missionnaire,p.322-323.
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missions, ce terme se décline en plusieurs manifestations : le transfert
à Rome de l’Œuvre de la Propagation de la Foi en 1923, l’institution
de la Journée Missionnaire Mondiale (1926), la construction en 1926
sur le Janicule – la rive droite du Tibre, au sud de la cité du Vatican –
du siège du Collège et de l’Université de la Propaganda Fide pour la
formation des jeunes séminaristes des pays de mission. Mais c’est
surtout l’exposition missionnaire de 1925 qui témoigne de cette
centralisation. Le but poursuivi à travers l’événement est clair et le
pape en donne lui-même la teneur : « Rassembler et exposer en cette
cité, capitale du monde, tout ce qui est propre à mettre en lumière la
nature et l’action des missions catholiques, les lieux où elles opèrent,
en un mot, tout ce qui s’y apparente10 ».
Un contexte particulier
L’organisation d’un événement de l’envergure de l’exposition
dans un contexte aussi particulier qu’est celui de l’année 1925 suffit à
justifier l’importance des missions catholiques aux yeux du pape.
Nous sortons à peine de la crise occasionnée par la Première Guerre
Mondiale. Les Instituts missionnaires à qui l’on a demandé l’organi-
sation interne de l’exposition, le rassemblement et l’acheminement
des objets vers Rome avaient ainsi des raisons valables d’apporter des
objections à la proposition du pape, tant leur situation financière était
précaire. Mais l’honneur de l’Église surpasse les considérations
économiques. Le père Bernard Sienne (OMI) estime que le pape a
voulu cette exposition «pour l’honneur de la sainte Église universelle,
dont les missionnaires et les Missions vont sans cesse élargissant
l’embrassement maternel, lui amenant progressivement tous les
peuples de la terre11 ». Mais pourquoi tenait-on tant à l’honneur de
l’Église à cette époque? Les années 1920 se situent dans ce que les
historiens appellent la troisième période de sécularisation qui se
concrétise en France, au début du siècle, par la loi de 1905 dite de
séparation des Églises et de l’État12. Cette crise, avec comme princi-
10. Allocution de PieXI du 29avril 1925, citée par VASQUEZ, La cartographie
missionnaire, p.323.
11. B.SIENNE, «Inauguration solennelle de l’Exposition Vaticane des Missions»,
Les Missions Catholiques, bulletin hebdomadaire de l’œuvre de la propagation de la
foi,n°2899 du 16janvier 1925, année 1925, p.26.
12. La sécularisation qui consiste à soustraire à l’influence des institutions reli-
gieuses des institutions, des fonctions, des biens connaît trois périodes : 1/ La
Réforme protestante, au XVIesiècle et dans les pays germaniques et anglo-saxons; 2/
La Révolution française, d’abord en France avec les Biens nationaux (1789) puis dans
toute l’Europe jusqu’en 1815; 3/ La fin du XIXesiècle. Voir notamment R.RÉMOND,
Religion et société en Europe. La sécularisation aux XIXeet XXesiècles (1789-2000),
Paris, Seuil, 2003, éd. rev. et mise à jour.
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