tants le nombre des chercheurs juifs [était] bien plus élevé que dans la vie
scientifique et culturelle en général »1.
König ne précisant pas cette constatation d'un point de vue quantitatif,
je renvoie à une étude de John Torrance sur « La naissance de la socio-
logie en Autriche 1885-1935 »2 dans laquelle ce dernier qualifie 15 des
38 sociologues autrichiens évoqués par lui de « juifs » : il
s'agit
d'Alfred
Adler, Friedrich Adler, Max Adler, Otto Bauer, Walther Eckstein, Eugen
Ehrlich, Rudolf Eisler, Sigmund Freud [!], Rudolf Goldscheid, Ludwig
Gumplowicz, Ludo Moritz Hartmann, Rudolf Hilferding, Wilhelm Jerusa-
lem, Hans Kelsen et Otto Neurath. Ce qui est problématique dans cette
ennumération, dans laquelle apparaissent quatre sociologues que j'ai
compté moi-même parmi les premiers sociologues allemands, c'est que
Torrance n'a pas défini son critère de
«
juif
».
Tout au plus renvoie-t-il à
une « famille juive », en indiquant cependant lui-même que certains
auteurs, comme Gumplowicz, Ehrlich ou Kelsen, se convertirent au chris-
tianisme. Ceci mis à part, je rejoins Torrance lorsqu'il écrit :
« On pourrait spéculer que la sociologie et la psychanalyse se ressemblaient en ce
qu'elles attiraient des intellectuels juifs qui avaient le goût de la recherche scienti-
fique et qui avaient besoin, à l'intérieur de l'identification externe générale avec la
culture humaniste allemande, d'une identité oppositionnelle plus intime, leur per-
mettant d'atteindre à travers une érudition critique un statut européen et donc
universel qui transcende le particularisme de l'élite allemande, surtout à partir du
moment où cette dernière devenait de plus en plus antisémite. »3
On rencontre cette idée d'une « identité oppositionnelle » des sociolo-
gues juifs également dans le tableau de König, qui tentait d'expliquer
« l'affinité particulière du chercheur juif avec la sociologie » à l'aide de la
situation sociale et culturelle des juifs dans les sociétés modernes. Partant
de la caractéristique « des juifs » comme d'un peuple paria, c'est-à-dire
d'un « peuple-hôte » discriminé et séparé du monde social environnant par
des rites, des formes et des faits, développée de manière détaillée par Max
Weber, König voit des liens étroits entre le judaïsme ainsi envisagé et le
choix de la sociologie. L' « émancipation juive » est selon König un événe-
ment parallèle à l'évolution et à la libéralisation de la société bourgeoise à
partir de l'État absolutiste, cette libéralisation de son côté étant « une des
conditions principales pour la naissance de la sociologie. [...] Les condi-
tions, qui présidèrent à une émancipation des juifs furent donc en grande
partie les mêmes que celles qui virent naître la société économique
moderne et, avec elle, la sociologie comme instrument de connaissance de
cette société »4.
1.
René König, op. cit., p. 123.
2.
John Torrance, « The Emergence of Sociology in Austria », in Archives
européennes
de socio-
logie,
vol. 17 (1976), p. 185-219.
3.
Ibid.,
p. 195.
4.
René König, op. cit., p. 128.