TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE TOULOUSE N°1405626 ___________ RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ASSOCIATION LE COMITÉ ÉCOLOGIQUE ARIÉGEOIS et autres ___________ AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS M. Dominique Gilles Rapporteur ___________ Le tribunal administratif de Toulouse (6ème Chambre) M. Alain Daguerre de Hureaux Rapporteur public ___________ Audience du 19 avril 2017 Lecture du 3 mai 2017 ___________ 44-045-06-07 C+ Vu la procédure suivante : Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 novembre 2014 et le 9 septembre 2016, l’association Le comité écologique ariégeois, l’association Ligue pour la protection des oiseaux et l’association France nature environnement Midi-Pyrénées, représentées par Me Terrasse, avocat, demandent au tribunal : 1°) d’annuler l’arrêté du 22 septembre 2014 par lequel le préfet de l'Ariège a autorisé des tirs d’effarouchement de vautours fauves à titre expérimental sur le territoire de ce département pour une durée d’une année ; 2°) de mettre à la charge de l’Etat le paiement d’une somme de 2 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Elles soutiennent que : - l’arrêté du 22 septembre 2014 est insuffisamment motivé au regard des dispositions de la loi du 11 juillet 1978 alors qu’il accorde une dérogation sur le fondement du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement ; - en méconnaissance du b du 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, il n’est pas établi que les vautours fauves seraient à l’origine de prédation sur l’élevage, ni que ces attaques seraient suffisamment importantes pour justifier la délivrance d’une dérogation non plus qu’il existe une prolifération ou une présence inhabituelle de cette espèce protégée ; - l’arrêté du 22 septembre 2014 ne justifie pas que les trois conditions distinctes et cumulatives posées par le 4° de l’article L. 411-2 du code de l’environnement sont remplies ; N° 1405626 2 - il n’est pas établi l’absence d’autres solutions satisfaisantes alors que le préfet n’établit pas avoir recherché des solutions alternatives, notamment la mise en place d’un réseau de placettes d’équarrissage naturel ; - les tirs d’effarouchement autorisés dans 214 communes du département sont de nature à affecter l’état de conservation de cette espèce, qualifié de défavorable au niveau national comme mondial eu égard au nombre disproportionné de communes concernées au regard du caractère limité des signalements opérés, à l’absence de chiffres sur lesquels se fonderait cet arrêté, à la durée de cette mesure qui s’étend sur huit mois sans prise en compte des périodes de reproduction et de dépendances des juvéniles, au risque de perturbation d’autres espèces comme le percnoptère d’Egypte et le gypaète barbu et à l’impossibilité de contrôler les tirs d’effarouchement qui pourraient devenir des tirs de destruction ; - l’arrêté attaqué est entaché d’erreur manifeste d’appréciation, faute que la nécessité et l’efficacité de la mesure autorisée soient établies. Par un mémoire en défense, enregistrés le 30 avril 2015, le préfet de l'Ariège conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par l'association Le comité écologique ariégeois et autres ne sont pas fondés. Vu les autres pièces du dossier. Vu : - la directive 2009/147/CE du Parlement Européen et du conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvage ; - le code de l'environnement ; - le code de justice administrative. Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience. Ont été entendus au cours de l’audience publique : - le rapport de M. Gilles, - les conclusions de M. Daguerre de Hureaux, rapporteur public, - et les observations de M. Hourcade pour l’association France nature environnement. 1. Considérant que, par arrêté du 22 septembre 2014, le préfet de l’Ariège a autorisé les tirs d'effarouchement des vautours fauves sur le territoire de 214 des 331 communes de ce département et pour une durée d'un an ; que l’association Le comité écologique ariégeois, l’association Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) et l’association France nature environnement (FNE) Midi-Pyrénées demandent l’annulation de cet arrêté ; Sur les conclusions à fin d’annulation : 2. Considérant qu’aux termes de l'article 2 de la directive 2009/147/CE du Parlement Européen et du conseil du 30 novembre 2009 : « Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles. » ; qu’aux termes de l'article 5 de cette directive : « Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les N° 1405626 3 mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er et comportant notamment l'interdiction : (…) d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ». que l'article 9 de cette même directive prévoit que « 1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5, 6, 7 et 8 s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après : a) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publique, - dans l'intérêt de la sécurité aérienne,- pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux (…) » ; qu’il appartient aux autorités administratives nationales, sous le contrôle du juge, d’exercer les pouvoirs qui leur sont conférés par la loi en leur donnant, dans tous les cas où elle se trouve dans le champ d’application d’une règle communautaire, une interprétation qui soit conforme au droit communautaire ; 3. Considérant qu’aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : « Lorsqu'un intérêt scientifique particulier ou que les nécessités de la préservation du patrimoine biologique justifient la conservation d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées, sont interdits : 1° (…) la perturbation intentionnelle (…) d'animaux de ces espèces (...) » ; qu’aux termes de l'article L. 411-2 du même code : « Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (…) 4° La délivrance de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; (...) » ; qu’en vertu de ces dernières dispositions il est permis de déroger aux interdictions prévues aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 dès lors que sont remplies les trois conditions distinctes et cumulatives tenant, d’une part, à l’absence de solution alternative satisfaisante, d’autre part, à la condition de ne pas nuire au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle et, enfin, à la justification de la dérogation par l’un des motifs qu’il fixe ; 4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment des motifs exposés dans l’arrêté contesté ainsi que des termes mêmes de son mémoire, que le préfet de l’Ariège s’est fondé sur les seules dispositions du b) de l’article L. 411-2 précité selon lesquelles la dérogation à l’interdiction de perturbation volontaire est d’abord subordonnée à la prévention de dommages importants ; 5. Considérant que le préfet de l’Ariège se prévaut de l’étude réalisée par Mme Razin, spécialiste des vautours et des Pyrénées occidentales, selon laquelle le vautour fauve, alors même qu’il est un charognard, pourrait se nourrir de proies, notamment en cas de vêlage difficile, et « une éventuelle augmentation de la fréquence de ces comportements pourrait avoir été causée par des disettes artificiellement crées par des fermetures brutales et généralisées de charniers en Espagne. » ; que, par ailleurs, le rapport des services de l’office nationale de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) en Ariège recense dix constats concernant des vautours fauves en 2014 mettant en cause un total de onze bêtes alors que le nombre d’interventions n’était que de 1 en 2009, 2010 et 2011, 4 en 2012 et 5 et 2013, avec un total de vingt bêtes concernées sur la période courant de 2009 à 2013 ; que, toutefois, il n’est pas établi que, dans le département de l’Ariège et en particulier dans les 214 communes dans lesquelles l’arrêté autorise ces tirs d’effarouchement, un grand nombre de plaintes relatives à des attaques sur le bétail aurait été recensé ; qu’à ce titre, le rapport « Le Vautour fauve et les activités d'élevage » établi par la mission conjointe du N° 1405626 4 conseil général de l’environnement et du développement durable et du conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux en septembre 2014, à la demande du ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et du ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, chiffre pour les Pyrénées françaises les dommages à 54 en 2013 dont 34 pour les Pyrénées-Atlantiques alors qu’en 2010, il y avait eu 110 dommages dont 89 pour les Pyrénées-Atlantiques ; que la répartition communale des constats de dégâts imputables au vautour fauve pour la période courant de 2007 à 2014, qui figure en annexe de ce rapport et qui a été établie par l’ONCFS, fait apparaître que seules trois communes de l’Ariège ont été concernées par de tels dégâts avec un nombre de constats inférieurs pour chacune d’elle à trois alors que la mission constate p. 29 de son rapport que « le vautour fauve est un sujet dans les départements des Pyrénées-Atlantiques et des Hautes-Pyrénées, même si l’on compte en moyenne 8 dégâts par an dans ces départements » ; qu’en outre, ce même rapport fait le constat que si le vautour fauve peut intervenir à l’encontre d’animaux vivants, ceux-ci étaient « malades et affaiblis ou au moment de l’accouchement. » ; qu’enfin, la mission conjointe, après avoir examiné les différentes causes de mortalité des bovins et des ovins, relève p.40 de son rapport que « le Vautour fauve ne peut (…) objectivement être considéré comme un facteur significatif de mortalité du bétail et encore moins comme prédateur » alors que le rapport des services de l’ONCFS en Ariège souligne que l’implication des vautours fauves dans le décès des onze bêtes constaté en 2014 n’est pas établie, seul leur comportement comme charognard étant attesté ; que, dans ces conditions, la seule circonstance que le médecin, directeur du laboratoire vétérinaire départemental, a émis l’hypothèse selon laquelle des vautours ont pu s’attaquer le 7 et le 8 juin 2014 à des « brebis vivantes couchées, peut-être présumées débilitées ou mourantes par ces oiseaux », en en tuant une à chaque fois, ne suffit pas à établir l'existence d'une perturbation importante apportée par les vautours fauves aux activités agropastorales sur le territoire du département de l’Ariège ; 6. Considérant que, par suite, si le préfet de l’Ariège, en retenant la nécessité de prévenir des dommages importants à l’élevage, s'est fondé sur un motif qui est au nombre de ceux limitativement énumérés par l'article L. 411-2 du code de l'environnement, cette autorité a fait une inexacte application des dispositions du b) de cet article en estimant satisfaite la condition de dommages importants causés à l'élevage ; 7. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens soulevés au soutien des présentes conclusions, l’association Le comité écologique ariégeois et autres sont fondées à demander l’annulation de l’arrêté du préfet de l’Ariège du 22 septembre 2014 ; Sur les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : 8. Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. » ; 9. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l’Etat une somme globale de 1 500 euros au titre des frais exposés par l’association Le comité écologique ariégeois et autres et non compris dans les dépens ; N° 1405626 5 DECIDE: Article 1er : L’arrêté du préfet de l’Ariège du 22 septembre 2014 est annulé. Article 2 : L’Etat versera à l’association Le comité écologique ariégeois, à l’association Ligue pour la protection des oiseaux et à l’association France nature environnement Midi-Pyrénées une somme globale de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : Le présent jugement sera notifié à l’association Le comité écologique ariégeois, à l’association Ligue pour la protection des oiseaux, à l’association France nature environnement Midi-Pyrénées et au ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer. Copie en sera adressée au préfet de l'Ariège. Délibéré après l’audience du 19 avril 2017, à laquelle siégeaient : M. François de Saint-Exupéry de Castillon, président, M. Dominique Gilles, premier conseiller, M. Florian Jazeron, premier conseiller. Lu en audience publique le 3 mai 2017. Le rapporteur, Le président, Dominique GILLES François DE SAINT-EXUPERY DE CASTILLON La greffière, Aurore GROUSSET La République mande et ordonne au ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision. Pour expédition conforme : Le greffier en chef,