Forum Med Suisse 2010;10(5):80 80
curriculum
de prodiguer des soins de qualité à des patients d’ori-
gines diverses [4]. Bien que les CCT, dans l’acceptation
la plus récente de ce terme, soient souvent associées de
manière étroite à l’approche centrée sur la personne,
certaines de ces compétences sont néanmoins spéci-
fiques à la prise en charge des patients issus de la
migration [5–7]. On y intègre bien entendu d’autres
dimensions de la diversité également connues pour in-
fluencer la santé et les comportements ayant trait à la
santé et aux soins, notamment le genre, l’âge, le statut
social, les handicaps ou l’orientation sexuelle [8].
Contexte historique récent
Le domaine de l’ethnopsychiatrie est à l’origine de la
prise de conscience des problématiques liant migration
et santé. Georges Devereux au milieu du XXesiècle en
France ou plus récemment Tobie Nathan ont, parmi
d’autres, largement participé àl’élaboration des
concepts les plus importants [9].
La reconnaissance de la nécessité d’enseigner les CCT
en Suisse se développe au début du millénaire et est à
mettre en parallèle à la mise sur pied par l’Office fédé-
ral de la santé publique de la première stratégie «Mi-
gration et Santé» de 2002 à 2007. Des travaux scienti-
fiques en lien avec la politique des drogues et la
migration ont permis d’élaborer les premiers concepts
nécessaires à cet enseignement [10, 11].
La Croix-Rouge Suisse (CRS) s’est inté-
ressée à cette problématique dès la fin
des années 90. Les formations mises en
place concernaient alors en premier lieu
des infirmières et des infirmiers, soit di-
rectement dans les hôpitaux, soit dans le
cadre de la formation professionnelle ou continue. A ce
jour, la CRS a formé près de 5000 professionnels de
santé lors de 360 journées de cours. Elle s’est égale-
ment investie dans la conception et le développement
de nombreux modules. Ces modules ont pour but d’ai-
der les professionnels de santé à être mieux conscients
des déterminants qui interfèrent avec leur perception.
Ce savoir-être doit leur permettre d’appréhender et
d’interpréter correctement la situation de l’autre (cf.
www.transkulturelle-kompetenz.ch).
Le concept de la compétence transculturelle s’est ainsi
répandu de manière importante dans le monde infir-
mier avec néanmoins des réticences initiales du même
ordre que celles rencontrées à l’heure actuelle auprès
des médecins. Plus récemment, des initiatives comme
celles de Migrant-Friendly Hospitals (MFH) ont permis
d’élaborer des stratégies au niveau européen (Décla-
ration d’Amsterdam en 2004) [12] et de faire tache
d’huile auprès de réseaux et d’associations suisses tels
que les Health Promoting Hospitals (HPH) et H+[13].
Les policliniques des Universités de Lausanne [14] et de
Genève [15] ont mis en place dès 2000 des cursus de
formation postgraduée et continue en compétences cli-
niques transculturelles. Depuis 2004, des cours ont
également été introduits dans la formation prégraduée.
Pourquoi acquérir des compétences
cliniques transculturelles?
Nous illustrerons les divers contenus théoriques évo-
qués au moyen d’une vignette clinique en plusieurs
parties.
M. Fonza (nom fictif) est un patient de 57 ans, origi-
naire de Lecce en Italie. Arrivé en Suisse en 1970, il
est divorcé depuis plus de 15 ans et père de trois en-
fants de 30, 27 et 26 ans. Il se présente pour être suivi
àlaconsultation générale de la Policlinique Médicale
Universitaire de Lausanne, son médecin traitant ayant
pris sa retraite.
Lors de la première consultation, une fibrillation auri-
culaire chronique et un syndrome métabolique sévère
sont retenus comme diagnostics principaux. M. Fonza
souffre également d’un syndrome d’apnée du sommeil
et d’une broncho-pneumopathie obstructive sur taba-
gisme chronique. Son médecin relève par ailleurs une
consommation d’alcool àrisque et des signes évoca-
teurs d’un état dépressif chronique.
Comme nous l’avons largement développé dans le pre-
mier article de cette série, l’état de santé de la popula-
tion migrante est globalement moins bon que celui des
Suisses. Que faire dans ces circonstances pour amélio-
rer la qualité de la prise en charge des patients mi-
grants ou d’origine étrangère et de fait participer àla
diminution des disparités en termes de santé?
L’ approche doit être large. Différents
facteurs tels que les conditions prémi-
gratoires, les circonstances de la migra-
tion, les conditions sociales et le niveau
d’intégration une fois en Suisse, les
contraintes légales imposées et l’atti-
tude générale de la société d’accueil vis-
à-vis des migrants sont autant de déterminants de la
santé sur lesquels il semble possible d’agir malgré
toutes les difficultés que cela représente [16]. Qu’en est-
il de la prise en charge médicale?
Le médecin de M. Fonza lui propose une consultation
spécialisée en diabétologie et effectue une intervention
brève àpropos de la problématique d’alcool.
L’évolution est néanmoins défavorable avec une péjo-
ration des valeurs d’hémoglobine glyquée et la persis-
tance d’un état dépressif moyen avec poursuite d’une
consommation d’alcool àrisque.
Les barrières d’accès àdes soins de qualité sont nom-
breuses et se situent àdifférents niveaux. Schémati-
quement, on peut relever des barrières au niveau des
patients, des soignants et du système de soins. Le
tableau 1 présume quelques-unes de ces barrières.
Si l’on additionne l’ensemble de cesbarrières, on se re-
trouve dans un systèmeoùl’accessibilité àdes soins de
qualité est compromise. L’ acquisition des CCT permet
de limiter les barrières liées au soignant et en partie au
système. L’ acquisition pour le patient de compétences
en santé peut lui permettre de réduire les barrières qui
lui sont propres. La figure 1A xpermet de visualiser
ces difficultés et la figure 1B xpermet de mieux com-
prendre l’intérêt de l’acquisition des CCT.
Lesbarrières d’accès à
des soins de qualité sont
nombreuses et se situent
àdifférents niveaux