P. Jean Damascène est devenu mon ami et m’a fait connaître une paroisse des Russes émigrés qui
dépendait du patriarcat de Moscou [1]. Elle était très pauvre, installée dans un ancien garage, mais avait
de grandes icônes splendides, apportées par les émigrés. J’y ai découvert la liturgie de l’Église orthodoxe
russe, et j’ai été séduit. Je m’y suis lié d’amitié avec le théologien Vladimir Lossky, puis avec sa famille.
Le P. Daniélou avait commencé à enseigner à l’Institut catholique en 1944. Ce fut ma première initiation
aux Pères grecs, et c’était une lumineuse découverte. Le recteur était alors Mgr Jean Calvet, qui avait été
un disciple du P. Portal, l’œcuméniste des Conversations de Malines, lié à la fondation du monastère
d’Amay-Chevetogne. En janvier 1945 dans Paris libéré il décida d’organiser la première Semaine de Prière
pour l’unité dans l’église des Carmes (celle de l’Institut catholique).
J’aimais dessiner et peindre : le vice-recteur me demanda de réaliser l’affiche, ce qui me donna l’occasion
de réfléchir sur le sens de la prière pour l’unité. Le nouveau nonce à Paris, le futur Jean XXIII, avait été
invité à en célébrer l’ouverture, ce fut sa première sortie publique. Mgr Calvet avait également convié
Dom Lambert Beauduin, le bénédictin fondateur d’Amay-Chevetogne, à prendre la parole. Chaque jour
dans l’église une liturgie était célébrée dans un rite oriental différent. Autant de découvertes qui
m’ouvraient les yeux sur l’appel du Seigneur.
J’ai fait ma profession monastique au monastère de Chevetogne en 1947, et j’y ai été ordonné prêtre en
1950. Comme il ressort de ce récit, tout a été pour moi, du début à la fin, un don de la Providence à
travers des circonstances fortuites que je n’avais qu’à accueillir. J’en rends grâce à Dieu jour après jour.
Votre vocation pour l’œcuménisme s’est pleinement révélée au moment de Vatican II : vous avez
été très actif pour la rédaction du Décret sur l’œcuménisme et la naissance du Secrétariat pour
l’unité des chrétiens [2].Unitatis redintegratio a soulevé de grands espoirs, le texte a d’ailleurs
été voté dans un grand élan d’enthousiasme.
Pendant toute la durée de Vatican II, j’étais à Rome au Collège pontifical grec dont j’ai été successivement
préfet des études, vice-recteur puis recteur. J’étais en outre théologien interprète des observateurs non
catholiques (1962) et à partir de 1963 membre du Secrétariat pour l’unité des chrétiens.
Pour l’Église catholique au début des années soixante, l’œcuménisme c’était l’inconnu, la découverte,
avec ce que cela peut avoir d’exaltant ! mais il y avait aussi des inquiétudes. Certains groupes refusaient
absolument cette ouverture. Jean XXIII lui-même avait publié quelques mois avant l’ouverture du concile
une constitution apostolique, Veterum Sapientia (22 février 1962), qui marquait un vrai retour en arrière.
Au cours de la troisième session, encore, juste avant la proclamation d’Unitatis Redintegratio le 21
novembre, nous avons vécu au Secrétariat pour l’unité ce que l’on a appelé la « semaine noire ». Il y a
d’abord eu le 19 novembre un grave incident : la Curie a semblé l’emporter contre le Concile, le texte sur
la liberté religieuse a dû être retiré et refondu — ce qui, avec le recul du temps, n’a sans doute pas été
une mauvaise chose, dans la mesure où l’esprit du texte a pu être conservé, voire renforcé. Puis Paul VI
impose au chapitre III de la Constitution sur l’Église la fameuse Nota praevia qui semble restreindre la
collégialité épiscopale. Et voilà qu’il envoie, sub secreto, deux jours seulement avant sa proclamation, pas
moins de 40 amendements au texte sur l’unité des chrétiens ! Le cardinal Béa nous a alors chargés, Mgr
Willebrands, le père Duprey, le chanoine Thils et moi-même, de voir ceux qui pouvaient être intégrés dans
le texte. Nous avons finalement retenu 19 des 40 amendements proposés, et sommes parvenus à
préserver l’esprit du texte !
Que s’est-il donc passé durant les quelques mois qui séparaient Veterum Sapientia de
l’ouverture du concile ? Comment Jean XXIII a-t-il pu ainsi changer de regard ?
Jean XXIII venait d’un milieu conservateur, mais il était lié d’une grande amitié, depuis le début des
années vingt, avec le fondateur d’Amay-Chevetogne, Dom Lambert Beauduin, avec qui il avait des
contacts réguliers et qui l’a peu à peu convaincu de la nécessité de l’ouverture aux autres traditions
chrétiennes.
Il avait vécu à l’étranger dans les années trente, en Bulgarie, en Turquie : il avait rencontré d’autres