Une nouvelle stratégie thérapeutique de l’incontinence urinaire
d’effort a récemment été envisagée par plusieurs équipes [48, 55,
58, 59]. Son objectif est d'augmenter le nombre de fibres musculai-
res sphinctériennes fonctionnelles par une injection de cellules pré-
curseur musculaire (cpm) extraites de muscles périphériques. Cette
approche thérapeutique a été largement inspirée par les découvertes
réalisées dans le cadre de la recherche sur les myopathies généti-
quement déterminées. Ces travaux ont permis de mieux comprend-
re le mécanisme de la régénération des muscles striés squelettiques
et la nature des cellules - les cellules précurseur musculaire - impli-
quées dans ce processus; il a été établi que l’injection de cpm sai-
nes pouvait non seulement modifier le profil génétique des muscles
dystrophiques en fusionnant avec les fibres déficientes [34, 35],
mais aussi augmenter leurs capacités contractiles [1]. L’injection de
cpm est alors apparue comme un traitement prometteur pour de
nombreuses myopathies génétiquement déterminées ou acquises,
au premier rang desquelles figure l’insuffisance cardiaque [21, 32].
Un programme de recherche, développé à l'hôpital Henri Mondor
depuis 1998, a eu pour objectif de mettre au point les bases anato-
miques et biologiques du traitement de l’insuffisance sphinctérien-
ne par greffe de cpm. Le but de cet article est de décrire l’état actuel
des connaissances sur la régénération musculaire et la thérapie cel-
lulaire des myopathies, puis d’exposer la démarche que nous avons
entreprise pour développer la thérapie cellulaire de l'insuffisance
sphinctérienne. Nous avons essentiellement considéré une double
problématique : celle de la biologie de greffe intramusculaire de
cpm, et les spécificités histopathologiques de l’insuffisance sphinc-
térienne, c'est-à-dire la dénervation chronique et la fibrose.
ETAT ACTUEL DES CONNAISSANCES SUR LA
REGENERATION DES MUSCLES STRIES SQUELETTIQUES
ET DU SPHINCTER STRIE URETRAL (Figure 1)
Les muscles striés squelettiques sont composés de fibres multinu-
clées ayant chacune un récepteur cholinergique unique connecté à
une terminaison nerveuse. Après avoir été lésées, les fibres muscu-
laires peuvent régénérer à partir de cellules présentes entre leur
membrane plasmique et la lame basale: les cellules satellites. Une
fibre du muscle Flexor brevis de rat possède environ 3 cellules
satellites et sur une coupe transversale d’un muscle, 4 à 6% des
noyaux associés aux fibres musculaires sont des noyaux de cellules
satellites [6]. En cas de dommage musculaire, les cellules satellites
s’activent et sont alors nommées myoblastes; ces cellules prolifè-
rent puis fusionnent avec les fibres lésées ou bien forment de nou-
velles fibres musculaires multinucléés. Il s’agit là du schéma clas-
sique de la régénération musculaire. La recherche effectuée au
cours des dix dernières années a apporté des éléments nouveaux sur
l’origine et la diversité des cellules satellites ainsi que sur l’impli-
cation possible d’autres types de cellules dans la régénération mus-
culaire, l’ensemble de ces cellules pouvant être regroupé sous le
terme de cellules précurseur musculaire (cpm). Ces découvertes ont
eu des implications majeures pour le développement des thérapies
cellulaires des pathologies musculaires.
Il a été montré qu’il existait une grande diversité parmi les cellules
satellites [14, 23, 37, 45]. Ces différences ont été notées entre mus-
cles ayant des fonctions différentes [37] mais aussi entre cellules
satellites d'une même fibre musculaire [23]. Par exemple, les cellu-
les satellites des muscles de type I (fonctionnant en mode aérobie et
ayant la capacité de développer une activité tonique prolongée)
auraient des capacités de régénération inférieures à celles des mus-
cles de type II (fibres anaérobiques rapidement fatigables) [45].
MISE AU POINT Progrès en Urologie (2004), 14, 93-99
Thérapie cellulaire de l’insuffisance sphinctérienne urétrale par
autogreffe de cellules précurseur musculaire
René YIOU (1, 2), Laurent ZINI (1, 3), Constant LECOEUR (1), Jacques BISERTE (3), Claude ABBOU (1),
Antony ATALA (2), Dominique CHOPIN (1)
(1) Service d’Urologie, Centre de Recherches Chirurgicales, CHU Henri Mondor, Créteil, France,
(2) Laboratory of Tissue Engineering and Cellular Therapeutics, Harvard Medical School, Children’s Hospital, Boston, USA,
(3) Service d’Urologie, CHRU de Lille, France
RESUME
Cet article a pour objectifs de faire le point sur les thérapies cellulaires des maladies musculaires et de décrire la
démarche que nous avons adoptée pour développer le traitement de l’insuffisance sphinctérienne urétrale par auto-
greffe de cellules précurseur musculaire (cpm). Nos travaux se sont déroulés en plusieurs étapes successives com-
prenant : 1) l’étude comparative des mécanismes cellulaires de régénération des muscles striés squelettiques et du
sphincter strié urétral et la mise au point d'une méthode d'extraction de cpm ; 2) la création d'un modèle animal de
lésion sphinctérienne reproduisant les lésions de dénervation chronique et de fibrose responsables de l’insuffisance
sphinctérienne chez l’homme ; 3) une étude de la biologie de greffe intra sphinctérienne de cpm extraites de muscles
périphériques en prenant en considération les interactions entre ces cellules et le système nerveux périphérique.
Mots clés : Insuffisance sphinctérienne, régénération, cellule satellite, thérapie cellulaire.
93
Manuscrit reçu : juillet 2003 2003, accepté : novembre 2003
Adresse pour correspondance : Dr. R. Yiou, Service d’Urologie, CHU Henri Mondor, 51,
avenue du Maréchal de Lattre de Tassigny, 94010 Créteil.
Ref : YIOU R., ZINI L., LECOEUR C., BISERTE J., ABBOU C.C., ATALA A., CHOPIN
D., Prog. Urol., 2004, 14, 93-99
Ceci est à prendre en compte dans la physiopathologie de l’inconti-
nence urinaire si l’on admet que les fibres musculaires sphincté-
riennes de l’homme sont de type I [22]. Par ailleurs, toutes les cel-
lules satellites n’ont pas le même comportement in vitro, certaines
d’entre elles fusionnant après une phase de prolifération plus ou
moins courte alors que d’autres pourraient constituer une réserve de
cellules souches myogéniques restant à un stade indifférencié [23].
Enfin, les cellules satellites ne sont pas les seules cellules impli-
quées dans la régénération musculaire. Ferrari et al. ont montré que
des cellules souches médullaires sont recrutées lorsque un muscle
est lésé et participent à la formation de nouvelles fibres [15]. La
contribution effective de ce recrutement à la régénération musculai-
re n’est pas clairement définie, mais pourrait jouer un rôle crucial
en cas de pathologie musculaire chronique. GUSSONI a récemment
rapporté le cas exceptionnel d'un homme ayant eu une greffe de
moelle osseuse à la naissance en raison d’une aplasie médullaire et
chez qui il a été découvert, à l’adolescence et à l’occasion de chu-
tes à répétition, une myopathie de Duchenne de Boulogne [18].
Cette maladie musculaire étant habituellement létale (ou extrême-
ment invalidante) à l’âge à laquelle elle a été découverte, il est pro-
bable que la greffe de moelle osseuse ait protégé les muscles du
receveur, en plus de traiter l’aplasie.
Le sphincter strié urétral est un muscle à part dont les capacités
régénératives sont mal connues et doivent être analysées en tenant
compte de ses origines embryologiques. En effet, il est classique-
ment admis que les fibres musculaires squelettiques et les cellules
satellites proviennent de myoblastes embryonnaires issus de la par-
tie dorsale des somites et qui colonisent les membres avant le
18ème jour post-coïtal chez la souris [38]. La majorité de ces myo-
blastes primitifs fusionnent pour former les premières fibres alors
qu’une minorité d’entre eux restent dans un état quiescent pour for-
mer la population de cellules satellites responsables de la régénéra-
tion musculaire à l’âge adulte. Selon BORIRAKCHANYAVAT [7], les
fibres musculaires du sphincter strié urétral ont une origine embryo-
logique différente: elles résulteraient de la transdifférenciation des
cellules musculaires lisses urétrales en fibres striées et par consé-
quent, proviendraient du mesoderme splanchnique et non des somi-
tes. Bien que peu documenté dans le sphincter, ce phénomène de
transdiferenciation muscle lisse/strié a été décrit à plusieurs reprises
dans l’œsophage [26, 36] et dans le sphincter de l’iris [51] où un
agencement similaire de fibres musculaires lisses et striées est pré-
sent. Cette originalité embryologique a plusieurs implications. Elle
pourrait expliquer l’innervation du sphincter strié de type végétatif
- et donc tout à fait inhabituel pour un muscle strié - que certains
auteurs ont observé [29], la transdifferenciation ayant entraîné un
glissement de l’innervation initialement destinée aux fibres lisses
vers des fibres striées.
Mais ces caractéristiques embryologiques posent avant tout la ques-
tion des capacités régénératives du sphincter strié urétral, car selon
la théorie classique, les cellules responsables de la régénération
musculaire à l’âge adulte sont étroitement liées aux cellules de la
myogenèse embryonnaire, et les cellules musculaires lisses de l’ap-
pareil urinaire post natal n’ont aucune tendance spontanée à former
des fibres striées in vitro ou in vivo.
L'autre caractéristique embryologique posant la question de l’exis-
tence de cellules satellites dans le sphincter strié urétral est son
développement tardif en comparaison des muscles environnants,
aussi bien chez l'homme [8] que chez le rat [7]. Par exemple, il a été
montré chez le rat que les premières fibres musculaires striées
sphinctériennes apparaissent un peu avant la naissance [7], bien
après la migration des myoblastes embryonnaires à l'origine des fib-
res musculaires et de leurs cellules satellites.
Jusqu'à présent, peu d’auteurs ont cherché à établir les capacités
régénératives du sphincter strié urétral. CORVIN a isolé et cultivé des
cellules provenant de sphincters striés humains et montré qu’elles
formaient des fibres se contractant avec une stimulation chimique,
mais cette étude n’a pas confirmé l’expression de marqueurs spéci-
fiques des muscles striés [10]. Nous avons récemment réalisé une
étude de la régénération sphinctérienne chez le rat et la souris en
utilisant la technique des fibres isolées [56]. Des cellules satellites
sphinctériennes ont pu être identifiées par leur expression d’un mar-
queur spécifique (Pax7); elles expriment en quelques heures des
gènes de différenciation myogénique (Myf5, MyoD) et forment
après quelques jours des fibres musculaires spontanément contrac-
tiles et exprimant des marqueurs de muscle strié. Sur une coupe his-
tologique de sphincter, les cellules Pax7+ sont repérables et, après
injection d’une substance myotoxique ayant pour effet de détruire
rapidement toutes les fibres musculaires (Notexine), prolifèrent
puis fusionnent pour reformer de nouvelles fibres aboutissant à une
régénération ad integrum en 3 semaines. Ainsi, bien qu’ayant une
origine embryologique différente de celle des muscles squelet-
tiques, le sphincter strié urétral dispose à l’âge adulte d’un pro-
gramme de différenciation myogénique standard impliquant l’acti-
vation de cellules satellites intrinsèques.
Ces résultats ont des conséquences importantes. Ils remettent en
cause les théories classiques sur l’origine embryologique des cellu-
les satellites, et vont dans le sens des travaux récents de DEANGE-
LIS qui a démontré l’existence de progéniteurs musculaires dans le
système vasculaire et suggéré que certaines cellules satellites puis-
sent dériver de cellules endothéliales [11]. Selon ces auteurs, la
myogenèse embryonnaire et la régénération musculaire adulte
pourraient ainsi être deux phénomènes indépendants, l’un sous
contrôle des somites et l’autre du système vasculaire. En raison de
ces origines embryologiques particulières, le sphincter urétral cons-
titue un modèle tout à fait original pour l’étude des cellules satelli-
tes.
Mais ces résultats permettent avant tout de fournir une explication
biologique à certains types d’insuffisance sphinctérienne post trau-
matique qui peuvent désormais être interprétés comme une incapa-
cité des cellules satellites sphinctériennes à assurer une régénéra-
tion efficace. Les raisons de cette défaillance restent à déterminer
en fonction de l’étiologie, mais la mise en évidence d’un processus
de régénération myogénique standard apporte de nouvelles per-
spectives de traitement de l’insuffisance sphinctérienne. Ceux-ci
pourraient être basés sur l’injection intra sphinctérienne de facteurs
de croissance connus pour stimuler électivement les cellules satel-
lites ou bien le transfert de cellules satellites périphériques vers le
sphincter urétral. A cette fin, nous avons précédemment montré à
l’aide d’un modèle de lésion sphinctérienne transitoire que des cel-
lules satellites provenant de muscles périphériques pouvaient s’in-
tégrer aux fibres sphinctériennes en cours de régénération [55].
PROBLEMATIQUE GENERALE DE LA GREFFE
DE CELLULES PRECURSEUR MUSCULAIRE
Il a été démontré que la majorité des cpm injectées dans un muscle
disparaissent au cours de la première heure, par ischémie, puis
secondairement, vers la dixième heure, en raison de la réaction
inflammatoire qu’elles engendrent [4, 44]. Au total, moins de 3%
des cpm ont un réel potentiel myogénique in vivo, alors qu’in vitro,
R. Yiou et coll., Progrès en Urologie (2004), 14, 93-99
94
la grande majorité fusionne pour former de nouvelles fibres muscu-
laires. Plusieurs moyens ont été proposés pour favoriser la prise de
la greffe. K
INOSHITA
a proposé l’utilisation d’immunosuppresseurs
ou le conditionnement du muscle receveur par une lésion préalable
pour favoriser la fusion rapide des cpm avec les fibres en cours de
régénération [27]. P
OUZET
a montré que les résultats de la greffe de
cpm étaient proportionnels au nombre de cellules injectées [40].
Q
UET
a proposé d’enrichir la proportion de cellules myogéniques en
éliminant les fibroblastes musculaires par une phase de preplating,
et en transfectant les cellules afin qu’elles sécrètent une substance
anti-inflammatoire [44]. B
EAUCHAMPS
[4] a cherché à définir les
caractéristiques des cpm qui survivent à l’injection. Ils ont ainsi
montré que ces cellules ont des caractéristiques de cellules souches,
se divisant lentement en culture mais proliférant rapidement après
greffe. Dans une autre étude [3], ces auteurs ont montré qu’un faible
pourcentage de cellules satellites n’exprimait pas de marqueurs de
différenciation myogénique et ont évoqué que cette sous-population
puisse représenter les cellules souches musculaires. J
ACKSON
[25] a
utilisé une méthode de sélection cellulaire par cytofluorimétrie
(Fluorescence Activated Cell Sorter) et coloration nucléaire
(Hoechst 33342) pour identifier, dans les muscles striés, une popu-
lation de cellules ayant les mêmes caractéristiques physiques que les
cellules souches hématopoïétiques de la moelle osseuse [17] : les
cellules SP (Side Population). Ces cellules ont un transporteur mem-
branaire MDR (Multidrug Resistance Protein) qui leur confère la
capacité de rejeter le colorant Hoechst 33342. Les cellules SP mus-
culaires et médullaires expriment des marqueurs communs tels que
sca-1. En revanche, les marqueurs c-kit, CD-43 et CD-45 ne sont
exprimés que par les cellules SP médullaires [19]. Les cellules SP
musculaires et médullaires ont des propriétés de cellules souches
multipotentes ; en particulier, les cellules SP musculaires sont capa-
bles de repeupler le compartiment hématopoïétique d’une souris
irradiée de manière létale [25], tout en gardant la mémoire de leur
origine [9]. Pour G
USSONI
[19], les cellules SP musculaires et médul-
laires peuvent convertir un nombre significatif de fibres musculaires
de la souris mdx lorsqu’elles sont injectées par voie intra-veineuse.
J
ACKSON
[24] a montré que les cellules SP médullaires peuvent se
différencier en cardiomyocytes et en cellules endothéliales dans un
modèle d’ischémie myocardique. Il est remarquable, dans chacune
de ces études, qu’à peine un millier de cellules injecté par voie
intraveineuse ait suffit pour obtenir des résultats significatifs.
Il existe donc, dans les muscles squelettiques, une population de cel-
lules myogéniques - les cellules souches musculaires SP - résistan-
tes à l’ischémie, proliférant lentement in vitro et rapidement in vivo,
et capables de participer efficacement au processus de régénération
d’un muscle lésé lorsqu’elles sont injectées localement ou par voie
intraveineuse. La nature exacte de ces cellules n’est pas encore clai-
rement établie. Il pourrait s'agir de : 1) la sous-population de cellu-
les satellites n’exprimant pas les marqueurs de différenciation mus-
culaire décrite par B
EAUCHAMPS
[3] et Petersen [39] ; 2) de cellules
associées aux capillaires [5] ; 3) de cellules souches mésenchyma-
teuses présentes dans le tissu conjonctif des muscles [2]. La mise au
point d’une méthode d’extraction de cpm ayant des caractéristiques
de cellules SP est, d’après les connaissances acquises en biologie
musculaire fondamentale, un enjeu capital pour le développement de
la thérapie cellulaire de l’insuffisance sphinctérienne.
Nous avons utilisé la technique de culture ultra-sélective de cellu-
les satellites sur fibres musculaires isolées pour caractériser la
diversité des cellules satellites (Figure 2). Une étude immunohisto-
chimique a révélé que certaines cellules satellites expriment des
marqueurs de cellules souches musculaires tel que sca-1. Ces cellu-
les prolifèrent en culture avec des milieux usuels. Nous avons mon-
tré que 5-10% des cellules obtenues avec cette technique ont les
caractéristiques cytofluorimétriques de cellules souches SP décrites
par GUSSONI [19]. Ainsi, nous pouvons affirmer qu’une partie au
moins des cellules souches musculaires appartient au compartiment
des cellules satellites, celles-ci pouvant être obtenues par une tech-
nique de culture d’explants de fibres musculaires.
Enfin, l’utilisation d’autres sources de cellules différenciables en
tissu musculaire a pu être envisagée pour le traitement des myopa-
thies. YOUNG [60] et PYE [43] ont montré que la peau contenait des
cellules souches différentiables en tissus musculaire, osseux, carti-
lagineux et capables de convertir des fibres musculaires de la sou-
ris mdx. La possibilité d’utiliser des cellules de la peau pour relan-
cer un processus de régénération sphinctérienne apparaît comme
une alternative séduisante en raison de la simplicité du prélèvement.
PROBLEMATIQUE DE LA GREFFE DE CELLULES
PRECURSEUR MUSCULAIRE POUR LE TRAITEMENT DE
L’INSUFFISANCE SPHINCTERIENNE
Les principales études sur la biologie de greffe de cpm ont été réali-
sées chez la souris mdx, qui représente le modèle murin de la myo-
R. Yiou et coll., Progrès en Urologie (2004), 14, 93-99
95
Figure 1. Origine embryologique et régénération des muscles striés
squelettiques.
A : Les muscles striés squelettiques sont composés de fibres multinu-
clées qui peuvent régénérer grâce aux cellules satellites présentes
sous leur membrane basale. L’origine embryologique des muscles et
de leurs cellules satellites est classiquement attribuée aux myoblas-
tes primitifs issus de la partie dorsale des somites, mais des travaux
récents ont suggéré que les cellules satellites pouvaient aussi dévirer
du système vasculaire embryonnaire. A l’âge adulte, toutes les cellu-
les satellites ne sont pas au même stade de maturation, certaines
d’entre elles étant déjà génétiquement engagées dans un processus
myogéniques (rouge) alors que d’autres pourraient constituer une
réserve de cellules souches multipotentes (vert). B : Après une lésion
musculaire, les cellules satellites sont activées et prolifèrent puis
fusionnent (C) pour former de nouvelles fibres musculaires multinu-
cléés (D). D’autres cellules pourraient participer au processus de
régénération musculaire à l’âge adulte (C), telles que les cellules sou-
ches médullaires, des cellules du système vasculaire ou présentes
dans le tissu conjonctif. La contribution exacte de recrutement n’est
pas encore clairement définie.
pathie de Duchenne de Boulogne. Cette pathologie est responsable
de cycles de dégénérescence-régénération musculaire continus
s’expliquant par une délétion du gène de la dystrophine qui entraî-
ne une fragilisation de la membrane des fibres. Chaque contraction
musculaire aboutit ainsi à une destruction de fibres musculaires
avec activation perpétuelle des cellules satellites aboutissant à un
épuisement progressif des réserves [23]. Les terminaisons nerveu-
ses ne sont pas affectées par ce processus [49]. Des cpm saines
(dystrophine+) injectées au cours d’un cycle de régénération mus-
culaire peuvent s’incorporer aux fibres en cours de formation et
apportent ainsi le gène de la dystrophine manquant.
L’altération musculaire responsable de l’insuffisance sphinctérien-
ne est différente et probablement plus stable, sans cycle de dégéné-
rescence-régénération. Des études histopathologiques et électro-
physiologiques ont mis en évidence, dans les muscles périnéaux et
les organes pelviens de femmes incontinentes, des anomalies neuro-
musculaires mal définies mais associant vraisemblablement et à
divers degrés, une dénervation chronique [16, 22], une altération
primaire des fibres musculaires avec fibrose [13, 22] et une dégra-
dation des tissus conjonctifs [20, 50]. SNOOKS a démontré par une
étude électrophysiologique que l’accouchement traumatique, qui
représente un des principaux facteurs de risque de l’incontinence
urinaire, est responsable d’une dénervation des muscles du périnée
[47]. PARKS a très clairement mis en évidence une atteinte de type
neuropathique prédominante dans le sphincter anal en cas d’incon-
tinence fécale [33]. PRAT-PRADAL a mis en évidence des lésions
mixtes neuropathique et/ou myopathiques dans le sphincter de fem-
mes incontinentes [41]. Nous avons étudié les altérations histolo-
giques présentes dans les muscles du périnée d’une souris transgé-
nique présentant un trouble de la statique pelvienne [54]. Des
lésions myopathiques localisées à certains muscles ont été obser-
vées sans qu’il soit possible d’éliminer formellement une participa-
tion neurogène.
La capacité des cpm musculaires à se développer et former des fib-
res musculaires fonctionnelles dans un contexte de dénervation
chronique n’a encore jamais été évaluée. Il a été suggéré, par des
études in vitro, que les cellules satellites en cours de maturation
sécrètent des facteurs de croissance nerveuse [31], mais ceci n’a
encore jamais été démontré in vivo. Or, l’état d’innervation est un
facteur décisif dans le processus de régénération des muscles striés
squelettiques, car il conditionne l’activation des cellules satellites
[28], la maturation des myofibres régénérées [12] et enfin leur pro-
priété contractile [52].
La restitution de la fonction d’un muscle à la fois dénervé et fibro-
sé et sans processus actif de dégénérescence/régénération constitue
la principale originalité de cette approche thérapeutique par auto
greffe de cpm.
CREATION DE MODELE DE LESION SPHINCTERIENNE ET
RESULTATS PRELIMINAIRES D’AUTOGREFFE DE CELLU-
LES PRECURSEUR MUSCLAIRE
Plusieurs auteurs ont tenté de développer chez un quadrupède une
lésion sphinctérienne reproduisant les anomalies histopatholo-
giques de l’insuffisance sphinctérienne. SIEVERT a reproduit un
accouchement prolongé en gonflant un ballonnet dans le vagin de
rates [46]. LEE a réalisé une dénervation sphinctérienne par section
franche du nerf sciatique [30], mais cette lésion n’est pas, selon
nous, très représentative d’une lésion de dénervation périnéale par
étirement. Nous avons pris parti de faire une lésion sphinctérienne
par électrocoagulation au bistouri électrique chez le rat mâle, repro-
duisant une lésion iatrogène chirurgicale, pour évaluer l’autogreffe
de cpm [58]. Bien que cette lésion ne soit pas à l’origine de la plu-
part des incontinences rencontrées, elle entraîne une destruction
totale et irréversible des fibres musculaires, des terminaisons ner-
veuses et des cellules satellites sphinctériennes, si bien qu’après une
phase inflammatoire, une fibrose irréversible se développe sans
aucun signe de régénération [58]. Elle représente en quelque sorte
la pire lésion musculaire qu’un muscle puisse subir.
Nous avons injecté des cellules satellites obtenues d’un muscle de
la patte par la technique des fibres isolées dans le sphincter préala-
blement lésé du même animal (Figure 3). Les cellules injectées ont
été infectées par un adénovirus porteur du gène de la β-galactosi-
dase afin de pouvoir suivre leur évolution in vivo. Elles se diffé-
renciaient dans le sphincter lésé en fibres musculaires multinu-
cléées co-exprimant la b-galactosidase et des marqueurs de diffé-
renciation myogénique terminale (Figure 3). Ces fibres musculaires
avaient des récepteurs à l’acétylcholine connectés à des terminai-
sons nerveuses, l’ensemble pouvant être considéré comme des uni-
tés motrices. La fonction sphinctérienne a été étudiée en combinant
un bilan urodynamique (mesure du Leak Point Pressure in situ)
avec et sans stimulation électrique des pédicules neurovasculaires
du sphincter strié urétral. L’électrocoagulation d’un hémi sphincter
entraînait une perte définitive de la contraction de l’hemisphincter
lésé et une incapacité du sphincter à maintenir une augmentation de
pression vésicale. L’injection de cpm permettait la restitution de
41% de la valeur sphinctérienne normale en un mois. Ces résultats
histologiques et fonctionnels démontrent que des cpm injectées
peuvent avoir une action trophique sur le système nerveux périphé-
rique qui en retour interagit avec les cellules musculaires en déve-
loppement pour restituer des unités motrices. Ils montrent aussi que
les cpm peuvent se développer dans un contexte de fibrose. La per-
sistance des fibres à plus long terme n’a pas pu être établie dans
notre étude car l’expression de la s-galactosidase induite par une
infection adénovirale est transitoire. YOKOYAMA a utilisé un vecteur
rétroviral donnant une expression stable pour montrer que les cel-
lules injectées persistaient au delà de 3 mois [59]. La même équipe
a aussi montré que la période critique d’une greffe de cpm était
comprise dans les dix premiers jours, date après laquelle, le nomb-
re de fibres n’évoluaient plus [39].
FUTURES DIRECTIONS ET PERSPECTIVES
Une étude de la biologie de greffe cellulaire intra-sphinctérienne est
désormais nécessaire chez le gros animal afin de déterminer le nom-
bre de cellules à injecter pour reconstruire un volume sphinctérien
cliniquement significatif. Cette étude devra aussi s’attacher à mett-
re en évidence le type histologique des fibres musculaires résultant
de la différenciation des cpm. La restitution d’un sphincter physio-
logique implique une certaine plasticité des cpm, c'est-à-dire une
capacité à former des fibres de type I ayant une activité tonique
basale. S’il est bien établi que la greffe de cpm peut améliorer la
force de contraction maximale électrostimulée d’un muscle sque-
lettique détruit (contraction tétanique) [53], il reste à déterminer si
le tonus basal du muscle est aussi modifié. Autrement dit, doit on
attendre de la greffe de cpm une simple augmentation du gain de
retenue ou bien une amélioration du tonus permanent ? La création
d’un modèle animal d’insuffisance sphinctérienne chez la truie
pourrait permettre de répondre à ces questions en raison des simili-
tudes morphologiques entre le sphincter de cet animal et celui de
l’homme (manuscrit en préparation).
R. Yiou et coll., Progrès en Urologie (2004), 14, 93-99
96
Il n’est pas impossible que certains artifices soient nécessaires pour
augmenter le volume musculaire généré. Une injection combinée de
cpm et d’autres types de cellules, telles que des cellules endothélia-
les ou des cellules souches nerveuses [57], pourrait favoriser l’an-
giogenèse ou la régénération nerveuse. Par ailleurs, l’utilisation de
matrices extracellulaires présentées sous forme de gels ou de ban-
delettes biodégradables contenant des facteurs de croissance pour-
rait aussi être envisagée.
En cas de résultats concluants chez le gros animal, la place de la
thérapie cellulaire parmi les traitements actuels de l’incontinence
urinaire devra être définie précisément. Plusieurs applications peu-
vent être envisagées. Chez les femmes souffrant d’incontinence uri-
naire par insuffisance sphinctérienne ou hyper mobilité vésico-uré-
trale, l’injection de cpm pourrait agir en renforçant la tonicité du
sphincter ou des tissus musculo-aponévrotiques para-urétraux. Elle
serait indiquée en complément d’une rééducation pelvienne. En
fonction du gain réel obtenu sur la tonicité sphinctérienne, la greffe
de cpm pourrait être, dans certains cas, une alternative à l’implan-
tation d’un sphincter artificiel, voire à la mise en place d’une ban-
delette sous urétrale, dans la mesure où les cellules suspendues dans
un faible volume seraient à priori injectées sans anesthésie.
Une attention particulière mérite d’être retenue concernant les
lésions sphinctériennes causées par la radiothérapie car il a été éta-
bli chez l’animal que la destruction préalable du muscle par irradia-
tion augmentait considérablement la prise d’une greffe de cpm, pour
des raisons encore non clairement élucidées [53]. Dans la situation
particulière d’une insuffisance sphinctérienne post- radiothérapie,
les traitements sont souvent décevants et difficiles, et l’autogreffe de
cpm pourrait trouver une place de choix. Chez l’homme, l’injection
de cpm apparaît comme un traitement prometteur de l’insuffisance
R. Yiou et coll., Progrès en Urologie (2004), 14, 93-99
97
Figure 2. Culture de cellules satellites (cellules précurseur musculai-
re) à partir de fibres isolées.
A : Aspect d’une fibre musculaire de souris en immuno-fluorescence
après triple marquage des noyaux (DAPI, bleu), des cellules souches
musculaires (sca-1, fluorescéine, vert) et cellules satellites différen-
ciées (desmine, Texas Red, rouge). Certaines cellules satellites expri-
ment des marqueurs de cellules souches tels que sca-1 (flèche blan-
che) alors que d’autres n’expriment que la desmine (flèches rouge).
B : Après 2 jours en culture, des cellules satellites sca-1+ se divisent
au contact des fibres natives puis s’en détachent (C). D : Au 7ème
jour, les cellules satellites qui ont proliféré sont arrivées à confluence
et commencent à fusionner. E : L’analyse par FACS (Fluorescence
Activated Cell Sorter) des cellules obtenues au 7ème jour montre la
présence de cellules ayant des caractéristiques de cellules souches SP
(Side Population) se différenciant du reste des cellules (cellules MP
pour Main Population) par leur faible émission de fluorescence. F :
Au 10ème jour, les cellules satellites ont formé des myotubes matures
exprimant a-actinine 2 (fluorescéine, vert). Grossissement initial:
Figure 3. Injection de cellules satellites (cellules précurseur muscu-
laire) autologues dans un modèle de lésion sphinctérienne chez le rat
: mise en évidence de la formation d’unités motrices.
A: Les cellules satellites peuvent être infectées par un adénovirus
codant pour le gène de la
β
β
-galactosidase. B : Les cellules satellites
infectées se différencient in vitro en myotubes colorés en bleu après
incubation avec le substrat de la
β
β
-galactosidase (solution de X-Gal).
C, D, E, F : Injection de cellules satellites autologues infectées par un
adénovirus
β
β
-galactosidase dans un sphincter urétral de rat préala-
blement lésé par électrocoagulation. Trente jours après la greffe, les
cellules injectées ont formé des fibres musculaires
β
β
-galactosidase+
(C). D, E: Mise en évidence, sur cette même coupe, de la formation
d’unités motrices (flèches blanches) caractérisées par des fibres mus-
culaires
β
β
-galactosidase+ avec une plaque motrice (D, bungarotoxi-
ne, vert) connectée a une terminaison nerveuse (E, anti PGP9.5,
Texas Red, rouge). F : Les trois plaques motrices des figures D et E
(flèches blanches) sont montrées à plus fort grossissement. Grossis-
sement initial: X10 [A, B, C, D, E] et X40 [F].
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