Aurore Reynaud (Doctorante en Architecture 1ère année) Laboratoire : UMR CNRS 7218 LAVUE 3-15 quai Panhard et Levassor 75013 Paris Mail : [email protected] Université : Paris Ouest Nanterre La Défense ED 395 Directeur de thèse : Yankel Fijalkow Co-directeur : François Gruson La difficile patrimonialisation de l’architecture sociale du XXème siècle Mots-clés: Patrimoine, habitation, muséification , réhabilitation Nombre de mots : 4642 I) Entre bâtiment habiter et bâtiment musée : le cas des grands ensembles Une des grandes caractéristiques de l’architecture de l’habitat du XX siècle, ce sont ces grands ensembles, ces barres, et ces tours de logement sociaux, qui parsèment le paysage urbain de nos villes. Ces bâtiments, sont un peu les « mal aimés de l’histoire de l’architecture et de l’urbanisme » (Gautier, 2008)1 En mal de reconnaissance, ils sont pourtant le symbole d’une époque où le logement à évolué (Lagueux, 1996)2, et une réponse au manque de logements (Buttler et Noisette, 1982 )3. Enormément d’innovations ont vu le jour, tant au niveau des matériaux utilisés, que de leur mise en œuvre. Tous les logements sont équipés d’eau courante, de chauffage central, d’ascenseur, etc. Ces progrès, permettent une nette amélioration des conditions de vie. Plus que le logement, c’est aussi la manière d’habiter qui a évolué. Bien souvent, autour de ces logements on trouve en pied d’immeuble des associations, des commerces, ou encore un séchoir collectif en sous-sol, parfois même une école au cœur du grand ensemble (Flamand, 2001)4. Dans un certain nombre de bâtiments, la notion de collectif prend alors toute son importance. L’architecture du XXème siècle est un véritable laboratoire du logement (Ragot, 2009)5. Et les plus grands noms de l’architecture ont signé ces projets de tours et de barres : Fernand Pouillon, Le Corbusier, Jean Renaudie, Paul Chemetov, etc. A la fin du XXème siècle, et au début du XXIème siècle cette architecture de grand ensemble connait une vague de démolition. Tout cela, alors même que la France manque cruellement de logements. La démolition est alors vue comme une solution en réponse aux problèmes liés aux grands ensembles. L’ANRU (Agence Nationale de Rénovation Urbaine), créée en 2004, va mettre en place un certain nombre de « rénovation urbaine » : une démolition des grands ensembles suivie de reconstructions moins denses (Deboulet et Lelévrier, 2014) 6. Néanmoins à partir de la fin des années 1990 les destructions diminuent, pour laisser doucement place à un processus de patrimonialisation. Est alors mis en cause le coût financier des démolitions reconstruction, la contrainte des déplacements de population, mais aussi l’intérêt architectural et social que pourraient avoir ces bâtiments. Ainsi, un certain nombre de programmes de recherche commence à s’intéresser à ce patrimoine un peu oublié (Puca, Docomomo, Ministère de la Culture, Label Patrimoine du XXème siècle, etc). A partir de là, de nombreux articles, colloques, mais aussi ouvrages, et expositions, vont traiter de la question du patrimoine du XXème siècle, et plus particulièrement de l’habitat collectif jusque la laissé de côté. (1) (2) (3) (4) (5) (6) Gautier Jean, préface dans « Faut-il protéger Les Grands Ensembles », Comité des grands prix nationaux de l’architecture, ministère de la Culture et de la Communication direction de l’Architecture et du Patrimoine, 2008 Maurice Lagueux, « Pourquoi désespère-t-on de l’architecture du XXème siècle ? », les classiques des sciences sociales, 1996. Rémy Buttler et Patrice Noisette, « Le logement social en France 1815-1981 : de la cité ouvrière au grand ensemble », Fondations, 1982 Jean-Paul Flamand, « Loger le peuple : essai sur l'histoire du logement social en France », La Découverte, 2001 Gilles Ragot, « utopies réalisées un autre regard sur l’architecture du XXème siècle », Somogy Edition d’Art 2009 Agnès Deboulet et Christine Lelévrier, « Rénovation urbaine en Europe », presse universitaire de Rennes », 2014 1 « Les Logements sociaux sont un patrimoine Français, témoins des évolutions de la politique de la ville.» (Amougou, 2006)7 a) Habiter un monument La majorité des grands ensembles, ne seront probablement jamais classés, protégés, ou même reconnus. Néanmoins doucement de plus en plus de bâtiments sortent de l’anonymat. Mais, il ne faut pas oublier qu’avant d’être des œuvres architecturales, ils sont des habitations. La question est donc de savoir, comment habite-t-on cette architecture du XXème siècle, encore récente, parfois vétuste et lentement reconnu ? La notion d’habiter ne se réduit pas seulement à un lieu, un abri : « Au-delà de sa dimension matérielle, la maison regroupe plusieurs fonctions nécessaires à tout individu. Tout d’abord l’abri qui permet à la fois de garantir le confort la salubrité et l’intimité. Mais c’est aussi le lieu d’activités, le théâtre de la famille et de la sociabilité » (Nony, 2011)8. L’habitat fait référence à l’individuel, au collectif, aux espaces privés publics, à l’appropriation, à une histoire commune. , mais aussi à la vie sociale. La notion de vie et de logement s’entremêle mais : « le vivre subsume le loger » (Dauge , 2007)9. Tout cela est très bien illustré dans l’ouvrage de Denis La Mache « L’art d’habiter les grands ensembles». Dans son ouvrage il enquête sur les relations sociales notamment la cohabitation des gens dans un quartier Hlm. « Ainsi comprendre l’acte d’habiter revient à comprendre comment, saisissant la matière brute du logement et puisant dans les forces de leur existence, des individus fabriquent pour les investir des espaces de lieux » (La Mache, 2005)10. Néanmoins la façon d’habiter ces grands ensembles a évolué depuis leur création. Initialement, ils ont pour « spécificité de faire cohabiter des catégories qui d’ordinaire, ne voisinent que dans les statistiques » (Chamboredon et Lemaire, 1970) 11.Mais très rapidement les classes moyennes de la population ont boudé ce type de logement. En cause l’éloignement de certains grands ensembles, des difficultés d’adaptation a la vie collective mais aussi l’envie de devenir propriétaire, de quitter les quartiers et acheter une maison (Kaufmann, 2013)12. Aujourd’hui suite à la patrimonialisation de certains monuments un phénomène de gentrification se produit. La Cité Radieuse de Firminy où de Marseille en sont de parfaits exemples La patrimonialisation des grands ensembles aurait tendance à évincer les classes populaires, au profit d’un phénomène de distinction propre aux couches sociales cultivées, et un regroupement de l’intelligentsia (Bertier, Marchal, Stébé, 2014)13. (7) (8) (9) (10) (11) (12) (13) Emmanuel Amougou « les grands ensemble un patrimoine paradoxal », l’Harmattan, 2006 Isabelle Nony, « Anthropologie du Domicile », Manières d’habiter : et évolution des pratiques professionnelles dans différents champs du (travail) social Qu’est-ce que le domicile ? , Séminaire du Centre de recherche et d’études en action sociale, 23 juin 2011 Yves Dauge, « Appel contre la démolition- reconstruction dans les quartiers Libération », nov-déc 2007 Denis La Mache, « l’art d’habiter un grand ensemble HLM », Logique sociales, L’Harmattan 2005 Jean Claude Chamboredon et Madeleine Lemaire, « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », In : revue Française de sociologie, 1970, p5 Vincent Kaufmann, « Un modèle en perte de vitesse », Le Temps, juin 2013 Marc Bertier et Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, « La patrimonialisation contre la ségrégation: le cas des grands ensembles français », Métro politiques, 16/05/2014 2 b) Réinterroger la notion de patrimoine Le « monument moderne » ce « nouveau patrimoine » est au cœur de nombreux débats. En effet, le patrimoine du XXème siècle, réinterroge profondément la notion même de patrimoine. Doit-on, peut-on classer ce patrimoine, encore si jeune ? Les termes « patrimoine », et « monument historique » sont apparus après la Révolution Française .Néanmoins, pendant de nombreuses années le « patrimoine » est assimilé à : « ce qui est transmis à une personne, à une collectivité par les ancêtres, les générations précédentes.» (Rey, 1992)14. En 1964 avec notamment la Charte de Venise la notion de patrimoine évolue: « chargée d’un message spirituel du passé, les œuvres monumentales des peuples demeurent dans la vie présente le témoignage vivant de leur tradition séculaire. »15Dans son ouvrage « L’allégorie du patrimoine »16, Françoise Choay, a mis en relation l’histoire, l’architecture et la sociologie. Elle associe les notions de patrimoine à des notions de mémoire, d’identité, d’usages sociaux, de reconnaissance, etc. La dimension symbolique et humaine du patrimoine est alors mise en avant, « On ne s’intéresse plus aux objets mais aux sujets et aux usages sociaux du patrimoine » (Amougou, 2004) 17. Certains grands ensembles, en plus de leurs qualités architecturales, possèdent bien souvent un patrimoine mémoriel, social, important. Bien entendu, toute l’architecture du XXème siècle ne doit pas être conservée et protégée. Se trouve alors la difficulté des critères de classement et protection. Doiventils être simplement esthétiques et architecturaux ? La notion de mémoire et de patrimoine culturel ne doivent-ils pas être pris en considération ? Aujourd’hui seulement 2,5% des bâtiments protégés au titre des Monuments Historiques datent du XXème siècle. « Sur ces 2,5%, 40% concernent des réalisations antérieures à 1914 et moins de 10% portent sur des constructions postérieures à 1945 » (Barré, 2006)18. Plus que le patrimoine du XXème siècle c’est l’architecture sociale qui pose question. Ce sont ces tours ces barres, cette architecture controversés, stigmatisés qui sont les plus en danger (Cailliau, Kiseleva, 2012)19. Ce sont aussi des bâtiments habités, ou parfois la notion de patrimoine n’est pas partagée par ceux qui y vivent au quotidien (Bossuet, 2005)20. La production architecturale du XXème soufre avant tout d’un manque de reconnaissance et de légitimité du grand public. « Le XXe siècle doit refonder les valeurs patrimoniales. (…)Hormis quelques grands projets de la puissance publique, le patrimoine du quotidien, le patrimoine social et le petit patrimoine deviennent prégnants. (…)Ce qui accède le plus naturellement au patrimoine est ce qui n’a plus d’usage, et plus encore ce qui n’en a jamais eu de fonctionnel. Le meilleur exemple étant, selon moi, celui de ces bâtiments d’un seul niveau à 35 mètres de hauteur sous plafond, je veux parler des cathédrales. On pourrait aussi ajouter que c’est aussi ce qui n’a plus d’âge. Il faut laisser vieillir les contemporains d’aujourd’hui pour qu’il devienne patrimoine visible » (Barré, 206)21. (14) (15) (16) (17) (18) (19) (20) (21) Alain Rey (Dir), « Le Robert, dictionnaire historique de la langue française », Paris, Le Robert, 1992, p1452 II congrès international des architectes et des techniques des monuments historiques, Charte de Venise, 1964 Françoise Choay, « l’allégorie du patrimoine », Seuil, la couleur des idées, 2007 Emmanuel Amougou, « La Question patrimoniale : de la patrimonialisation à l'examen des situations concrètes », L’Harmattan, Paris, 2004, p187 François Barré, « Architectures et patrimoine du XXème siècle, de l’indifférence a la reconnaissance », colloque : Architecture du XXème siècle et politiques patrimoniales publiques, St Nazaire, 2006 Agnès Cailliau et Tatiana Kiseleva (de DOCOMOMO France), « Soldes d’été du patrimoine architectural du XXème siècle », D’a, 22/07/2012 Luc Bossuet, « Habiter le patrimoine au quotidien, selon quelles conceptions et pour quels usages ?, Presses universitaires de Rennes », 2005 François, Barré, « Architectures et patrimoine du XXème siècle, de l’indifférence a la reconnaissance », colloque : Architecture du XXème siècle et politiques patrimoniales publiques, St Nazaire, 2006 3 c) Conséquences sociales, financières, et architecturales, de la patrimonialisation Pour contrecarrer le manque de légitimité et de reconnaissance de ce « nouveau patrimoine ». L’Etat a mis en place en 1999 « le Label Patrimoine du XXème siècle ». A cela s’ajoute d’autres initiatives comme : Patrimoine 21, Docomomo, Casamémoire, etc. A cela s’ajoute le classement ou l’inscription au titre des Monuments Historique qui reste encore rare pour les bâtiments du XXème siècle. Actuellement nous sommes encore loin d’un inventaire systématique de l’œuvre architecturale du XXème siècle, particulièrement dans le logement collectif, et l’hébergement (Dauge, 2007)22. Mais quelques monuments prennent leurs places dans le patrimoine Français. Cette reconnaissance change doucement la vision que le grand public peut avoir de ces mal aimés (Kaddour, 2013)23. « Mais si l’on peut parler d’amorce de patrimonialisation, cela ne se traduit guère au plan institutionnel : trois immeubles HLM protégés au titre des monuments historiques une ZPPAUP (Firminy Vert), et 44 ensembles sociaux d’après-guerre labélisé patrimoine du XXème siècle » (Veschambre , 2013)24. Chaque type de protection engendre des conséquences plus ou moins invasives pour les bâtiments et pour ses occupants. Quels sont donc les enjeux et les contraintes de la patrimonialisation de l’architecture du XXème siècle ? Quelles sont les conséquences sur le bâtiment lui-même et son architecture, mais aussi les répercussions sur les habitants et les bailleurs sociaux ? d) De la patrimonialisation a la muséification Dans notre travail l‘attention va être portée d’avantage sur l’habitant que sur l’œuvre architecturale. Nous allons comprendre, décrypter, analyser, les conséquences, de différents types de patrimonialisation : protection, inscription, label. Le but étant de trouver (si il y en a un) quel est le juste milieu entre la patrimonialisation et la muséification. Jusqu’où peut-on aller dans une réhabilitation respectueuse du bâtiment et de son histoire, sans pour autant porter préjudice aux habitants ? La protection ne doit pas être vécue comme une contrainte pour les occupants. Néanmoins sont-ils prêts à accepter et comprendre les répercussions d’habiter un monument ? « Condamner en bloc le grand ensemble est aussi incohérent que de vouloir figer des sites inscrits en politique de la Ville dont les disfonctionnements architecturaux et urbains sont avérés » (Renaud, Vignaud, 2007)25. Dans une deuxième partie de cette article la question de la patrimonialisation est traiter a partir d’un exemple concret : L’Unité d’Habitation de Firminy de Le Corbusier. A terme l’objectif de notre travail de thèse est d’étudier et comparer différents types de « protection » à savoir la protection au titre de Monuments Historique et le Label Patrimoine du XXème siècle. Pour cela nous allons prendre un panel d’opérations aux contextes et enjeux différentes : La Cité Radieuse de Firminy et la Cité de Refuge à Paris. Ces deux bâtiments ont des localisations, histoires, vocations, très différents. Néanmoins, l’un comme l’autre ont bénéficié d’une protection au titre des monuments historique, qui date déjà de quelques années. Cela permet un certain recul, et nous permet de comprendre les conséquences de la patrimonialisation à l’échelle du temps. Dans un deuxième temps, nous nous intéresserons à des bâtiments qui bénéficient depuis peu du Label Patrimoine du XXème siècle : centre Jeanne Hachette de Renaudie à Ivry et l’Arlequin de George Loiseau et de Jean Tribel à Villeneuve de Grenoble, ou encore Les Orgues de Flandre de Martin Schulz Van Treeck à Paris, le quartier Pablo Picasso de Emile Aillaud à Nanterre, etc. Ce type de protection n’a aucune valeur juridique, elle a pour vocation de faire (22) (23) (24) (25) Yves Dauge, « Appel contre la démolition- reconstruction dans les quartiers Libération, nov-déc 2007 Rachid Kaddour, « Quand le grand ensemble devient patrimoine », UNION-DCR, 2013 V.Veschambre (professeur à l’ENSA de Lyon, RIVES-UMR CNRS EVS), « Un nouveau regard sur les grands ensembles ? », Urbanisme N°388, printemps 2013, p33 Dominique Renaud et Philippe Vignaud, « Grands ensembles œuvre contre ouvrage ? », Chronique de la rénovation urbaine, Urbanisme N°357, nov-déc 2007, p30 4 connaitre le bâtiment au grand public, et d’améliorer son image. Quels sont alors les enjeux de ce type de protection ? Y-a-t-il de réelles répercussions pour les habitants, et pour l’image du bâtiment ? Il sera alors pertinent de faire une comparaison entre ces deux types de protections aux antipodes : une inscription aux Monument Historique très invasive au niveau législation, et réglementation, et un label sans conséquences concrètes. Cette comparaison permettra de comprendre les avantages et inconvénients de ces deux types de protection, et la réaction des habitants. Enfin, ce travail pose la question même de la nécessité de patrimonialiser cette architecture. En effet, peut-on appliquer la même législation, dans le cadre d’une réhabilitation entre un « bâtiment musée », et un «bâtiment habité». Enfin, l’état, les institutions, sont-ils prêts, financièrement, à patrimonialiser ces grands ensemble ? Les bailleurs sociaux ont-ils les moyens financiers nécessaires à la conservation et à la protection de ce patrimoine ? Où la gentrification va-elle être l’aboutissement de ce phénomène ? II) Comment vit-on aujourd’hui dans un monument protégé ? (L’exemple de l’Unité d’Habitation de Firminy) Pour ce travail sur l’Unité d’Habitation de Firminy de Le Corbusier, nous avons choisi d’interroger les habitants et anciens habitants, pour être au plus près des problématiques de ce site. Ces interviews se sont déroulées entre novembre 2013 et mai 2014. Avant ces entretiens nous avions préparé des questions types à poser aux habitants à partir de diverses lectures sur le sujet. Sur place, il s’est cependant avéré qu’elles ne correspondaient pas forcément aux problématiques du site. L’Unité d’Habitation de Firminy est le dernier des cinq prototypes de « cités jardins verticales » (Marseille, Nantes, Rezé, Berlin et Briey en Forêt) de le Corbusier, mais aussi la plus grande avec ces 414 logements. A l’origine elle faisait partie d’un ensemble plus vaste avec non seulement l’église, le stade, la piscine et la maison de la culture, mais surtout trois autres Unités d’Habitations. L’Unité d’Habitation serra construite entre 1965 et 1967. Sur les trois Unités d’Habitations prévues une seule a été construite. Chacune d’elle devait pouvoir accueillir 2 000 habitants dans 414 appartements, avec des dimensions imposantes de 131m de longueur par 21m de large et 50m de haut. Ici le chantier sera délégué en 1965 à André Wogenscky. Il achèvera le chantier et c’est à lui que l’on doit les couleurs bleues blanches rouges de la façade. En effet les coloris de la face ne sont pas le choix de Le Corbusier. Actuellement ce sont les façades, la toitures, l'école à l'intérieur de l'immeuble qui sont classer au titre des Monuments Historiques par arrêté du 9/10/1993 .Le hall d'entrée, et l'appartement témoin sont classés par arrêté du 24/09/2010. Plus que de travailler sur l’architecture même du bâtiment et sur le Corbusier dans notre étude nous allons approfondir la question de la vie aujourd’hui, dans ce bâtiment classer et habiter. Quelles sont les répercutions des mesures des classements et de protection pour les habitants et les bailleur sociaux. a) Vendre partiellement, pour réhabiliter partiellement L’Unité d’Habitation de Firminy a subi deux gros bouleversements, qui l’ont fait évoluer : la fermeture de l’école en 1998, mais surtout la fermeture d’une partie de l’immeuble dans les années 1980, en raison de la mauvaise réputation de l’Unité d’Habitation et du déclin de la ville de Firminy. Ainsi, un certain nombre de familles sont parties sans être remplacées. La mairie estime alors que le regroupement permettrait de réduire les déficits de fonctionnement. La fermeture et réouverture en 2004 de toute une aile de l’Unité d’Habitation, a eu certaines conséquences Le bailleur social a du vendre une partie des logements pour financer la réhabilitation partielle du bâtiment .Il faut bien comprendre que la réhabilitation d’un monument classer est généralement très couteuse, et ceux pour différents raisons : dans un premier temps il y a un gros travail de recherche sur les matériaux la structure, etc. Enormément 5 de recherches doivent aussi être faites dans les archives, tout cela pour réhabiliter au mieux le bâtiment dans son état d’origine. Le projet doit aussi être suivi par un Architecte des Monuments Historiques, et dans le cas de bâtiment de Le Corbusier la fondation Le Corbusier prend généralement part au projet. A tout cela s’ajoute les couts liées a l’adaptabilité du bâtiment aux besoins, confort, et normes actuelles. Suite à la vente d’une partie des appartements l’Unité d’Habitation a été divisé en deux sur la hauteur. Ainsi, les habitants parlent souvent du joint de dilatation qui sépare les propriétaires des locataires. Il y a très peu de propriétaires (une dizaine d’appartements) qui habitent actuellement dans l’immeuble, la majorité ont mis en location leur bien. Il n’y a que six adhérents à l’association des propriétaires de l’Unité d’Habitation de Firminy le Modulor. Beaucoup d’appartements ont été achetés pour des questions de placement notamment avec la Loi Malraux. Aujourd’hui six ans après on trouve énormément d’appartements en vente. « On arrive à la fin de la défiscalisation Loi Malraux et tout cela, en tout cas nous notre proprio l’a acheté pour défiscaliser pas pour y habiter, et nous on va signer la vente finale, on est en accession à la propriété, on la signe à partir du moment où c’est défiscaliser pour lui. » 26 La vente d’une partie des logements peut donc faire craindre un phénomène de gentrification important. En effet le cas de l’Unité d’Habitation de Marseille en est un bon exemple aujourd’hui entièrement habité pas des propriétaires principalement issus de classes sociales cultivées et de l’intelligentsia Européenne (artistes, professeurs, politiques, etc.) Ce phénomène pose la question de savoir si l’on doit en arriver à vendre des logements sociaux, pour correctement conserver notre patrimoine architectural ? b) Des logements inadaptés à la vie du XXIème siècle. Lors des entretiens, les habitants ont soulevé des problèmes architecturaux et techniques liés au bâtiment. Ici nous parlerons des appartements de la partie locataire en OPH (Office Public de l’habitat), car la partie propriétaire a bénéficié de travaux de réhabilitations importants et souvent assez bien réalisés. La première chose qui saute aux yeux lors des visites des appartements, c’est la taille du séjour cuisine entrée qui a la même taille pour un T2 et un T4 et n’excède pas 20 m2 (hors escalier). Les habitants doivent donc se montrer rusés et ingénieux, particulièrement quand ils ont une grande famille Ci-dessous la cuisine d’un T2, et celle d’un T4, qui sont de la même dimension. Il est complexe d’y intégrer l’électroménager du XXIème siècle (machine à laver, lave-vaisselle, grand frigo...). « Le Corbusier n’avait pas prévu l’emplacement du lave-vaisselle, qui n’existait pas à l’époque, ni du réfrigérateur, remplacé par une glacière ! »27 Ci dessous la salle de bain d’un T2 et d’un T3 qui est dans les deux cas de petite taille. Dans le T3 la salle de bain devrait pouvoir accueillir une machine à laver (selon le guide). Il n’y a pas d’arrivée d’eau et l’espace dédié derrière la porte n’est pas adapté si l’on veut conserver un passage confortable .Une autre contrainte est la largeur des portes dans l’espace nuit, seulement 61 cm. Cela devient vite contraignant pour faire entrer ou sortir des meubles. L’aménagement intérieur des appartements est difficile notamment dans les chambres d’enfants tout en longueur. (26) (27) David, proprietaire a l’Unite d’Habitation de Firminy Le Corbusier, entretien novembre 2013 Dr, L’appart mode le de Le Corbusier !, Cote Sud, Avril/ Mai 2007 6 Cuisine T2 Salle de bain T3 Cuisine T5 Salle de bain T4 « Un des enjeux (de la réhabilitation) porte sur l’adaptation de ce parc de logements aux usages et à leurs évolutions. Dans ce domaine, les travaux récents ou les chantiers à venir portent sur : - Le redimensionnement des pièces : les chambres offrent une marge de manœuvre à ce niveau, mais les salons-séjour posent un problème difficile à résoudre. D’une taille bien inférieure aux surfaces courantes de nos jours (la demande porte aujourd’hui sur une pièce à vivre de 25 m 2 au moins), ces espaces sont limités par la structure même du bâtiment. Les regroupements d’appartements, qui se justifient malgré la grande diversité des logements imaginés par Le Corbusier. » 28 Certains travaux ont été faits depuis 2000 dans le bâtiment mais ils restent très minimes et concernent très peu d’appartements (seulement 34 ont étés entièrement réhabilités). Les parties communes et les façades ont été refaites, les habitants ont passé des mois sous les bâches et cela a été très difficile à vivre. Certains, nous ont même confié avoir dû déménager le temps des travaux. c) Touristes et habitants : deux mondes qui se côtoient sans forcément se comprendre. Lors de notre dernière visite sur le site de Firminy nous avons assisté à une soirée dédiée aux habitants et organisée par les habitants : «Dans le Hall de l’Unité d’Habitation le mardi 6 mai à partir de 17h15, Forum avec les habitants de l’Unité d’Habitation, les guides du Site Le Corbusier sur le thème : Vivre dans un monument historique / Expliquer un monument historique. »29 Lors de cette soirée les habitants ont mis en avant les points positifs et négatifs d’habiter dans un monument habité et visité. Leurs réactions ont été particulièrement intéressantes. Même si beaucoup des habitants présents à la soirée ont mis en avant leur fierté d’habiter ici, certain points négatifs sont (28) (29) Patrimoine 21 réseaux d’acteurs pour réhabiliter le bâti du XXème siècle, actes du séminaire des 4 et 5 décembre 2012, à Firminy Philippon David et Kohl Brigitte habitants de l’Unité d’Habitation de Fimriny , extrait du dossier de presse : «Chaque fenêtre défend son paysage » 7 ressortis : les gens qui prennent en photo les habitants sans leur demander, qui ne disent pas bonjour, qui prennent tous les ascenseurs pour les visites, qui traînent constamment dans les couloirs, qui se garent n’importe comment etc. Les habitants ont alors demandé aux guides présents ce soir-là, de veiller à les faire passer avant les touristes, de leur laisser les ascenseurs et de demander aux touristes de respecter les lieux, car ce n’est pas juste un décor, un musée, c’est avant tout un lieu de vie. Les habitants ont une fois de plus remis en cause le fait que pour eux les touristes ont plus de droit que les habitants, et qu’ils accèdent à des lieux comme l’école et le toit terrasse, qui leur sont inaccessibles. A- Quelques fois, manque de respect de certains touristes qui oublient qu’ils visitent un lieu habité, fréquenté par des familles des enfants. Sentiment de visite d’un lieu figé qui ne prête pas attention à l’environnement (touriste en train d’uriner sur le terrain dernière sans se soucier de personne autour de lui, vers les bancs.) - Nuisances sonores pendant les visites à l’UH, venant des cars qui laissent leur moteur tourner pendant tout le long de la visite. - Visites intempestives de touristes qui se baladent dans l’immeuble. - Accrochage entre médiateur culturels et habitants qui voient d’un mauvais œil notre venue sur leur de vie. - État des lieux des escaliers centraux catastrophiques. d) Le toit terrasse et l’école fermée aux habitants Une des particularités de cette Unité d’Habitation est l’école sur le toit en « plein ciel ». L’école s’étend sur 3000 m 2 sur trois niveaux dont deux couverts. On y trouve initialement huit salles de classes autonomes ainsi qu’une salle de cinéma, de vastes ateliers et cinq cours de récréation ainsi qu’un théâtre en plein air et une pataugeoire. Cela s’arrête brutalement en 1998 quand l’école est fermée. En effet celle-ci ne répond plus aux normes en vigueur, les réglementations se durcissant d’année en année. La mairie se trouve alors dans l’obligation de fermer l’école sur le toit. Les parents d’élèves ont « occupé » l’école durant des mois, en vain, l’école ferme. Aujourd’hui, 14 ans après sa fermeture en 1998, l’école renaît doucement. La moitié a été réouverte et accueille des étudiants en Master de l’Université Stéphanoise Jean-Monnet. Plus précisément : une section internationale universitaire en rapport avec le patrimoine. C’est la ville de Firminy qui a proposé gracieusement à l’université de St Etienne ces locaux. Néanmoins aucun aménagement n’a été fait, il reste donc des sanitaires et meubles d’enfants, les étudiants se partagent un unique sanitaire pour adultes. Le personnel nous a aussi avoué souffrir du mauvais fonctionnement des ascenseurs. De plus, les étudiants ne profitent pas des terrasses sur le toit qui leur sont interdites. 8 « Même si les étudiants nouvellement installés bénéficient d’un lieu unique, cette évolution des usages n’a pour autant pas été simple : en terme d’aménagements (avec par exemple des sanitaires conçus à l’origine pour être à la taille des enfants) ou en termes d’adaptabilité des nouveaux occupants aux spécificités du bâtiment (comme la réglementation immeuble de grande hauteur). » 30 Les habitants sont contents de voir que doucement les choses évoluent, et que le dernier étage reprend vie même s’ils se sentent encore mis de côté. Ce qui révolte les habitants est qu’ils ne peuvent avoir accès au toit sans faire la visite de l’immeuble avec un guide. La raison mise en avant par le bailleur est que les gardes corps du toi terrasse ne sont plus aux normes, mais la façade étant classée ont ne peut ni changer ni déplacer les gardes corps. Un exemple typique des la difficultés d’associer protection patrimoniale et réglementation actuelles. « Oui maintenant c’est des étudiants. Ce n’est pas de l’architecture, c’est je sais plus quoi. L’autre jour j’en ai croisé un dans l’ascenseur, et je lui disais : ben vous vous avez le droit d’y aller sur le toit, pas nous ! (…) En août j’ai fait la visite de mon immeuble, parce qu’il y a des endroits auxquels je ne peux pas accéder (...). Le toit on y été déjà monté une fois, mais on n’avait pas pu y rester longtemps. Du coup, comme c’était nous, il nous a fait visiter des trucs que normalement il ne fait pas visiter. Denis y était à l’école quand il été petit. Du coup, on se disait, cet immeuble si on avait accès au toit comme à Marseille. »31 Les habitants ont des projets plein la tête en ce qui concerne l’ancienne école, ils nous parlent de crèche, d’annexe de la mairie, de services, d’un espace pour les associations, d’un médecin... Ils aimeraient voir ce toit revivre, en relation avec l’Unité d’Habitation. Seule la création d’un musée ne fait pas l’unanimité, l’église et de la maison de la culture qui accueillent déjà des expositions. Créer un troisième lieu de visite, mettrait de côté les habitants qui veulent d’abord habiter ce lieu, et non le visiter. « Ca serai quand même bien qu’a un moment donné il y ai des volontaires qui se disent : bon cet espace là-haut il y a une partie pour la Fac, c’est bien, l’autre partie certains voudraient en faire un musée. Je trouve ça nul, et effectivement il faudrait refaire un lieu de vie. Une annexe de la mairie, effectivement une crèche là haut ce serait un supère projet. » 32 Cour et couloir de l’école (30) (31) (32) Patrimoine 21 réseaux d’acteurs pour réhabiliter le bâti du XXème siècle, actes du séminaire des 4 et 5 décembre 2012 à Firminy Marions locataire à l’Unité d’Habitation de Firminy Le Corbusier, entretien mai 2014 Brigitte, locataire à l’Unité d’Habitation de Firminy Le Corbusier, entretien novembre 2013 9 Conclusion : Je suis convaincue que le classement et le labellisation de certains grands ensembles est essentiel. Néanmoins, il faut veiller à ce que cela ne se révèle pas pénalisant pour les habitants. Le classement au titre de Monument Historique ne doit pas être vécu comme une contrainte. Il ne doit pas empêcher une vie décente et agréable dans le bâtiment. D’un autre coté la Labellisation n’engendre aucune conséquence juridique face à la réhabilitation, elle est en quelque sorte symbolique d’un gage de production architectural à protéger. Il serait donc important de savoir s’il pourrait exister un juste milieu entre ces deux types de reconnaissances ? Le classement au titre des Monument Historique d’un bâtiment rend les démarches de réhabilitation et de conservation plus complexes. Mais doit-on en arriver à vendre une partie du parc de logements social français pour subvenir aux dépenses engendrées par la réhabilitation de certains édifices ? Il faut donc faire attention lorsque l’on classe un bâtiment ; se demander si on aura les capacités techniques et financières d’assurer une vie confortable aux habitants tout en conservant le bâtiment selon les volontés des monuments historiques. De plus, les règles qu’imposent ce classement nous paraissent peu adaptées aux monuments habités. La loi du 31 décembre 1913 relative aux Monuments Historiques manque d’un côté social, d’un côté humain qui mettrait en avant la manière d’habiter plus que l’architecture. Il serait donc nécessaire de mettre en place des mesures qui prennent davantage en considération l’habitant. «La vie est plus importante que l’architecture» Oscar Niemeyer Dessins des élèves de CP de l’école Jayol sur le thème «Le Corbusier Firminy vert» travail réalisé lors d’un projet d’action culturelle mené par leurs institutrice Chantal Reynaud en 2006. (Source : toutes les photos dans cette articles sont des photos personnelles) 10