Une observation attentive s`impose

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L’épilepsie à l’âge avancé
Une observation
attentive s’impose
Plus de la moitié des cas d’épilepsie apparaissent chez les personnes
âgées. Les infirmières peuvent contribuer de manière décisive à reconnaître
cette maladie généralement traitée avec succès.
Texte: Julia Franke / Photos: Deutsches Epilepsiemuseum Kork
La vieille dame parraissait confuse. Elle
tripotait sans arrêt ses vêtements et demanda soudain une saucisse au curry –
alors qu’elle était connue comme végétarienne convaincue. Elle ne réagit pas
aux commentaires étonnés. Quelque
chose n’allait pas.
La chance l’a servie dans la malchance:
l’infirmière qui s’occupait d’elle appela
un médecin en lui faisant part de ses
suspicions. Un EEG vient confirmer les
soupçons: il s’agissait effectivement
d’un état épileptique, une attaque épileptique durable.
«Plus de la moitié
des épilepsies débutent
après 65 ans.»
Cette histoire est en partie fictive, mais
réaliste – et arrive plus souvent qu’on
ne le croit. Chez les personnes âgées
en particulier, un état épileptique survient assez souvent sans convulsions,
c’est-à-dire sans les crampes caractéristiques que nous associons à une crise. Mais même si la crise ne survient
pas de manière dramatique, un état
épileptique non convulsif est une urgence qui doit être prise au sérieux.
Des personnes qui ne bénéficient pas
d’un accompagnement de qualité ont
déjà été hospitalisées en psychiatrie.
Et même dans les soins aigus il peut
arriver que l’apparition d’une nouvel-
le épilepsie soit ignorée ou mal interprétée.
Des images d’orage ou de court-circuit
dans le cerveau représentent assez bien
ce qui se passe lors d’une crise d’épilepsie: des cellules nerveuses se déchargent
de manière incontrôlée, ce qui dérange
le fonctionnement du cerveau. Généralement on ne parle d’épilepsie qu’après
deux crises survenues à un intervalle de
plus de 24 heures sans déclencheur
connu.
Des crises difficiles à identifier
La dame dont il a été question ci-dessus avait probablement des crises légères avant son status. Mais s’il n’y a
pas d’observateur attentif présent, ces
crises demeurent invisibles. Chez les
personnes âgées, les crises focales avec
des troubles de la conscience sont les
plus fréquentes. Les personnes concernées semblent alors lointaines et comme en transe. Parfois elles effectuent
des mouvements involontaires. Ces automatismes touchent souvent le visage
ou les bras, il s’agit par exemple de clignements, de mastication ou de tripotage des vêtements. Des déclarations
inadéquates ou des questions stéréotypées – comme demander une saucisse au curry – font également partie
de la crise. Celle-ci est d’autant plus difficile à déceler lorsque de tels automatismes n’apparaissent pas. La plupart
du temps, la crise disparaît au bout de
deux minutes et la personne concernée
est à nouveau lucide, sans souvenir de
ce qui s’est passé.
Comme ce retour à la réalité peut durer
jusqu’à 24 heures chez les personnes
âgées, il est possible de confondre épilepsie et démence. Si personne ne remarque la crise et l’interprète correctement, les proches ou les soignants
perçoivent avant tout la confusion et les
trous de mémoire plus fréquents et les
interprètent de manière erronée.
Le risque de se tromper est d’autant plus
grand lorsqu’on est en présence d’autres
maladies, telles que troubles du rythme
cardiaque ou diabète. Même les neurologues ont parfois de la peine, en cas de
chute, à attribuer celle-ci à une crise épileptique ou à une syncope. Lorsque des
paralysies surviennent ou s’aggravent
chez un patient après un AVC, on suppose généralement qu’un second AVC
est survenu, alors que c’est peut-être
l’épilepsie qui est en cause.
A l’âge avancé, les crises d’épilepsie
peuvent être toniques-cloniques, elles
sont connues sous le terme de «Grand
mal» avec chute, crampes, morsure de la
langue et convulsions. Mais ces crises,
que même un profane sait reconnaître,
ne se produisent que pour un quart des
patients épileptiques âgés. Cela est dû
au fait que l’épilepsie chez les personnes
âgées est la plupart du temps focale,
L’auteur
Julia Franke, Dr. phil., est secrétaire
générale de la Ligue suisse contre
l’épilepsie. Contact: [email protected]
www.sbk-asi.ch >Epilepsie >Gériatrie >Rôle infirmier
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c’est-à-dire que seule une partie du cerveau est touchée. Le «court-circuit» ne
touche que rarement l’ensemble du cerveau, produisant alors les crampes et
convulsions que l’on connaît.
Plus fréquent que chez les enfants
Des cas isolés? Pas du tout. Beaucoup de
gens pensent que l’épilepsie est une maladie qui touche avant tout les enfants et
les jeunes. Mais depuis que nous devenons de plus en plus âgés, l’épilepsie
devient elle aussi une maladie de la
vieillesse: actuellement, l’épilepsie sur-
«Chez les personnes
plus âgées, les crises
d’épilepsie surviennent
souvent sans crampes.»
vient plus souvent après 65 ans qu’au
cours des 20 premières années. L’épilepsie figure en troisième place des maladies du système nerveux à l’âge avancé,
après la démence et les accidents vasculaires cérébraux. Chez près de 150 personnes de plus de 75 ans sur 100 000,
l’épilepsie se déclare après 75 ans.
Dans un cas sur deux, des problèmes
d’irrigation du cerveau sont en cause.
Blessures à la tête, tumeurs cérébrales,
maladies de la démence, abus d’alcool
ou de médicaments ou encore inflammations sont d’autres causes possibles.
Il se peut aussi que certaines personnes
âgées réagissent à des médicaments par
des crises – il faudrait y songer lorsque
les patients prennent des antibiotiques,
des antiarythmiques, des neuroleptiques, certains cytostatiques, du Tramadol, de l’aminophylline, des anthelmintiques et en cas d’anesthésie. En outre,
la cause demeure inconnue pour une
partie des cas.
Un électroencéphalogramme (EEG) est
utile pour établir le diagnostic. Celui-ci
n’est toutefois sûr que lorsque l’activité
cérébrale pendant une crise peut être
observée sur une longue durée. Des observations précises au moment de la crise, par exemple par des soignants, sont
d’une grande utilité. Avec l’accord du
Le plus connu des saints patrons des épileptiques est Saint-Valentin, lui-même atteint
de la maladie.
Ligue contre l‘épilepsie
Recherche, aide, information
Depuis 1931, la Ligue suisse contre
l’épilepsie apporte son soutien aux professionnels et aux personnes concernées dans toute la Suisse. La section
suisse est également membre de la
Ligue internationale contre l’épilepsie
(International League Against Epilepsy
ILAE). L’objectif de ces ligues est d’améliorer durablement le quotidien des personnes concernées par l’épilepsie et
leur situation au sein de la société.
La Ligue contre l’épilepsie cherche à
promouvoir la recherche par un prix
ainsi que par sa revue spécialisée, elle
répond aux questions de professionnels et de profanes et organise régulièrement des manifestations sur le thème de l’épilepsie dans toute la Suisse.
Elle s’efforce également d’informer le
public au sujet de l’épilepsie et contribue à réduire les préjugés.
Vous trouverez de plus amples informations
sur l’épilepsie et la Ligue suisse contre l’épilepsie sur www.epi.ch. Des publications peuvent y être téléchargées ou commandées.
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Aspects historiques
Diète et
trépanation
En Suisse, quelque 70 000 personnes,
dont environ 15 000 enfants, sont atteintes d’épilepsie, une maladie neurologique chronique. Deux tiers de ces
personnes peuvent être soignées par
voie médicamenteuse. Pour un tiers
d’entre elles, l’épilepsie est difficile à
traiter.
Les tentatives de traiter les crises d’épilepsie et l’épilepsie
remontent à la nuit
des temps. La médecine a tout d’abord
tenté de soigner la
maladie par la diététique, avec des règles alimentaires
strictes et une gymnastique thérapeutique. Au Moyen Age, on recourut également aux prières, au jeûne, aux sacrifices, aux pèlerinages et à l’exorcisme.
L’oxyde de zinc, le nitrate d’argent, le
mercure, le bismuth et l’étain étaient
également utilisés. Au 19ème siècle, le
brome et le phenobarbital étaient considérés comme anti-épileptiques.
L’intervention chirurgicale n’est pas
non plus une invention des temps modernes. Des trépanations étaient déjà
effectuées occasionnellement sur des
malades épileptiques. L’ouverture artificielle de la boîte crânienne devait
permettre aux démons de la maladie,
aux vapeurs toxiques ou aux «substances malades» de s’échapper. A
l’époque du Troisième Reich, l’épilepsie fut considérée (à tort) comme héréditaire par des médecins obsédés par la
purification de la race.
Il y a eu de nombreux épileptiques
célèbres – Socrate, César, Napoléon et
Dostoïevski, van Gogh, Lénine ainsi
que l’actrice Margot Hemingway. Le
thème de l’épilepsie revient ainsi régulièrement dans la littérature et dans
des représentations artistiques de différentes époques.
(ul)
Source: www.epilepsiemuseum.com
patient, des proches ou des soignants
peuvent éventuellement essayer de filmer une crise avec leur portable.
Médicaments utiles – en général
Une bonne nouvelle maintenant: à l’âge
avancé, l’épilepsie généralement peut être
bien soignée. La plupart des nombreux
antiépileptiques disponibles permettent
de stopper les crises. Cependant, trouver
le bon médicament reste un défi, car
beaucoup de personnes concernées doivent lutter contre les effets secondaires.
Comme le métabolisme fonctionne plus
lentement avec l’âge, la moitié de la dose
généralement administrée aux jeunes
adultes suffit.
Il s’agit également de tenir compte des interactions lorsque les patients prennent
plusieurs médicaments, ce qui est généralement le cas chez les personnes âgées.
«L’épilepsie peut être
confondue avec une
démence, et les crises
avec un AVC.»
Dans des cas extrêmes, une intoxication
ou une perte d’efficacité peut survenir.
Un exemple particulièrement délicat est
l’interaction entre d’ «anciens» antiépileptiques tels que la phenytoïne ou la
carbamazepine avec l’anticoagulant Marcoumar: comme ces produits se repoussent mutuellement lors de la fixation des
protéines dans le flux sanguin, l’effet de
cette combinaison est imprévisible et
donc dangereuse. C’est là une des raisons
pour lesquelles ces anciennes substances
ne sont plus que rarement prescrites.
Mais il existe également de nouvelles
substances que les médecins ne recommandent pas aux patients, par exemple
l’Oxcarpazepine. De nouveaux médicaments sont bien tolérés, tels que la Lamotrigine ou le Lévétiracetam.
Même si personne n’apprécie de devoir
prendre pour le restant de ses jours plusieurs médicaments (supplémentaires),
c’est souvent un moindre mal pour des
personnes âgées souffrant d’épilepsie.
C’est très probablement leur seule chance de ne plus avoir de crises.
Les crises ne sont pas seulement effrayantes, mais également dangereuses:
en dehors de l’état épileptique mentionné au début de cet article, une épilepsie
non traitée implique toujours un risque
accru de chutes qui peuvent occasionner, chez des personnes âgées, des blessures ou des fractures osseuses aux conséquences lourdes. A l’inverse, à trop
haute dose, les médicaments peuvent
être source d’une démarche incertaine,
ce qui accroît à nouveau le risque de
chute. Une raison de plus d’augmenter
lentement et avec précaution les médicaments.
Dosage important
La prise régulière des médicaments
constitue un autre défi. Les dosettes, qui
permettent aux patients de voir immédiatement si elles ont déjà pris leurs
pilules, ne sont pas utiles uniquement
pour les personnes distraites ou démentes. Une personne concernée raconte qu’elle était devenue un peu plus
souple avec ses médicaments au bout
d’un moment, parce qu’elle se sentait
bien. Peu de temps après, elle est tombée «comme un arbre mort» sur la route
et n’a plus osé sortir de chez elle pendant quelque temps.
Si le choix et le dosage des médicaments
a été judicieux et que la personne
concernée les prend régulièrement,
l’épilepsie n’affecte que peu la qualité
de vie. Les seniors actifs peuvent continuer à voyager et pratiquer du sport si la
planification est adéquate. Les personnes autonomes peuvent continuer à
vivre comme avant – pour autant qu’elles aient de la chance et soient entourées
d’observateurs attentifs, même après
une crise d’épilepsie.
Checklist
Suspicion d’épilepsie
à l‘âge avancé
• Des signes avant-coureurs de
la crise ou de l’épisode ont-ils
été observés?
• Description de la crise, dans
la mesure du possible
• La crise/l’épisode est-elle/il survenue/u plus d’une d’une fois?
• Troubles du rythme cardiaque?
• Diabète?
• Démence?
• Autres maladies?
• Médicaments?
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Gestion des crises d’épilepsie
«Garder son calme»
Pour être en mesure de distinguer l’épilepsie d’autres maladies, des formations
complémentaires spécifiques sont nécessaires. Deux collaboratrices de l’EMS de
Zollikon parlent de leurs expériences.
Texte et photo: Urs Lüthi
Lorsqu’on est confronté pour la première fois à une crise d’épilepsie, on risque
d’être stressé ou paniqué. Et c’est le
contraire qui doit se passer. Tabe Ramadani, aide-soignante à l’EMS de Zollikon,
en a fait l’expérience et a suivi l’an dernier une formation complémentaire proposée par la Ligue suisse contre l’épilepsie. Elle affirme qu’il est essentiel de
garder son calme. Aux premiers symptômes, il faut coucher la personne concernée sur un lit, un canapé ou sur le sol.
Il s’agit ensuite d’éliminer tous les objets
dangereux, par exemple des ciseaux et
enlever les lunettes. La tête doit être protégée par des coussins et la personne doit
être positionnée sur le côté de manière
stable. Cela permet d’assurer que les
voies respiratoires sont libres et que la salive ou les vomissures ne pénètrent pas
dans la trachée et les poumons.
Différentes formes
Les crises d’épilepsie peuvent se manifester de différentes façons – par des
mouvements (contractions, tremblements, rigidification de la musculature),
des troubles sensoriels (picotements,
engourdissements, impressions auditives ou visuelles), des signes végétatifs
(p.ex. rougeur du visage, lèvres bleues,
salivation, manifestations intestinales,
énurésie) ou des modifications psychiques (peur, troubles de la mémoire,
perte de conscience). Ces manifestations sont souvent combinées – par
exemple rigidité, contractions, salivation et perte de conscience lorsque survient le «Grand mal».
La crise la plus longue à laquelle a assisté Tabe Ramadani a duré 20 minutes. Il
ne faut pas s’éloigner lors d’une crise, ditelle: «il peut par exemple arriver que la
personne concernée se morde la langue».
Souvent l’entourage essaie avec les
Tabe Ramadani a de l’expérience avec les personnes souffrant d’épilepsie.
meilleures intentions du monde de glisser un objet entre les dents de la personne en crise afin d’éviter qu’elle ne se
morde la langue. Mais en règle générale
cela ne marche pas et les dégâts sont plus
importants que les bienfaits.
Empêcher les chutes
Actuellement, l’EMS accueille un résident
avec un diagnostic d’épilepsie dans chacune de ses deux unités, tous deux
stables et avec une médication appropriée. «Pour assurer la sécurité des résidents souffrant d’épilepsie, les mêmes directives que pour les résidents à risque de
chute sont valables» explique Sonja Baumann, responsable des soins à l’EMS de
Zollikon. Il faut des auxiliaires de marche,
de bonnes chaussures et un lit positionné
le plus bas possible. La contention physique n’est pas utilisée. Quant aux pantalons anti-chute, ils sont mal-aimés et souvent refusés par les résidents.
Sonja Baumann s’engage pour que les
soignants dans les institutions de longue
durée utilisent des instruments permettant de faire la distinction entre les pertes
de conscience liées à l’épilepsie et celles
liées à d’autres maladies. Elle sait d’expérience que l’épilepsie à l’âge avancé est
généralement sous-estimée. En cas de
suspicion, un diagnostic clair est indispensable. En effet, des crises d’épilepsie
peuvent passer inaperçues chez les personnes âgées, par exemple lorsque quelqu’un paraît «simplement» absent à
table. La distinction avec les symptômes
d’une dépression, de démence ou juste
un «mauvais jour» est très difficile.
Le traitement des personnes âgées avec
des antiépileptiques est souvent efficace,
mais exigeant: «C’est pourquoi il est important que les médicaments soient préparés par des infirmières diplômées et
administrés à heure précise en leur présence». Les résidents concernés de l’EMS
ne sont pas atteints sur le plan cognitif,
ce qui leur permet de comprendre pourquoi ils doivent prendre des médicaments».
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