Pratique des soins 54 K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 4/2016 L’épilepsie à l’âge avancé Une observation attentive s’impose Plus de la moitié des cas d’épilepsie apparaissent chez les personnes âgées. Les infirmières peuvent contribuer de manière décisive à reconnaître cette maladie généralement traitée avec succès. Texte: Julia Franke / Photos: Deutsches Epilepsiemuseum Kork La vieille dame parraissait confuse. Elle tripotait sans arrêt ses vêtements et demanda soudain une saucisse au curry – alors qu’elle était connue comme végétarienne convaincue. Elle ne réagit pas aux commentaires étonnés. Quelque chose n’allait pas. La chance l’a servie dans la malchance: l’infirmière qui s’occupait d’elle appela un médecin en lui faisant part de ses suspicions. Un EEG vient confirmer les soupçons: il s’agissait effectivement d’un état épileptique, une attaque épileptique durable. «Plus de la moitié des épilepsies débutent après 65 ans.» Cette histoire est en partie fictive, mais réaliste – et arrive plus souvent qu’on ne le croit. Chez les personnes âgées en particulier, un état épileptique survient assez souvent sans convulsions, c’est-à-dire sans les crampes caractéristiques que nous associons à une crise. Mais même si la crise ne survient pas de manière dramatique, un état épileptique non convulsif est une urgence qui doit être prise au sérieux. Des personnes qui ne bénéficient pas d’un accompagnement de qualité ont déjà été hospitalisées en psychiatrie. Et même dans les soins aigus il peut arriver que l’apparition d’une nouvel- le épilepsie soit ignorée ou mal interprétée. Des images d’orage ou de court-circuit dans le cerveau représentent assez bien ce qui se passe lors d’une crise d’épilepsie: des cellules nerveuses se déchargent de manière incontrôlée, ce qui dérange le fonctionnement du cerveau. Généralement on ne parle d’épilepsie qu’après deux crises survenues à un intervalle de plus de 24 heures sans déclencheur connu. Des crises difficiles à identifier La dame dont il a été question ci-dessus avait probablement des crises légères avant son status. Mais s’il n’y a pas d’observateur attentif présent, ces crises demeurent invisibles. Chez les personnes âgées, les crises focales avec des troubles de la conscience sont les plus fréquentes. Les personnes concernées semblent alors lointaines et comme en transe. Parfois elles effectuent des mouvements involontaires. Ces automatismes touchent souvent le visage ou les bras, il s’agit par exemple de clignements, de mastication ou de tripotage des vêtements. Des déclarations inadéquates ou des questions stéréotypées – comme demander une saucisse au curry – font également partie de la crise. Celle-ci est d’autant plus difficile à déceler lorsque de tels automatismes n’apparaissent pas. La plupart du temps, la crise disparaît au bout de deux minutes et la personne concernée est à nouveau lucide, sans souvenir de ce qui s’est passé. Comme ce retour à la réalité peut durer jusqu’à 24 heures chez les personnes âgées, il est possible de confondre épilepsie et démence. Si personne ne remarque la crise et l’interprète correctement, les proches ou les soignants perçoivent avant tout la confusion et les trous de mémoire plus fréquents et les interprètent de manière erronée. Le risque de se tromper est d’autant plus grand lorsqu’on est en présence d’autres maladies, telles que troubles du rythme cardiaque ou diabète. Même les neurologues ont parfois de la peine, en cas de chute, à attribuer celle-ci à une crise épileptique ou à une syncope. Lorsque des paralysies surviennent ou s’aggravent chez un patient après un AVC, on suppose généralement qu’un second AVC est survenu, alors que c’est peut-être l’épilepsie qui est en cause. A l’âge avancé, les crises d’épilepsie peuvent être toniques-cloniques, elles sont connues sous le terme de «Grand mal» avec chute, crampes, morsure de la langue et convulsions. Mais ces crises, que même un profane sait reconnaître, ne se produisent que pour un quart des patients épileptiques âgés. Cela est dû au fait que l’épilepsie chez les personnes âgées est la plupart du temps focale, L’auteur Julia Franke, Dr. phil., est secrétaire générale de la Ligue suisse contre l’épilepsie. Contact: [email protected] www.sbk-asi.ch >Epilepsie >Gériatrie >Rôle infirmier K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 4/2016 c’est-à-dire que seule une partie du cerveau est touchée. Le «court-circuit» ne touche que rarement l’ensemble du cerveau, produisant alors les crampes et convulsions que l’on connaît. Plus fréquent que chez les enfants Des cas isolés? Pas du tout. Beaucoup de gens pensent que l’épilepsie est une maladie qui touche avant tout les enfants et les jeunes. Mais depuis que nous devenons de plus en plus âgés, l’épilepsie devient elle aussi une maladie de la vieillesse: actuellement, l’épilepsie sur- «Chez les personnes plus âgées, les crises d’épilepsie surviennent souvent sans crampes.» vient plus souvent après 65 ans qu’au cours des 20 premières années. L’épilepsie figure en troisième place des maladies du système nerveux à l’âge avancé, après la démence et les accidents vasculaires cérébraux. Chez près de 150 personnes de plus de 75 ans sur 100 000, l’épilepsie se déclare après 75 ans. Dans un cas sur deux, des problèmes d’irrigation du cerveau sont en cause. Blessures à la tête, tumeurs cérébrales, maladies de la démence, abus d’alcool ou de médicaments ou encore inflammations sont d’autres causes possibles. Il se peut aussi que certaines personnes âgées réagissent à des médicaments par des crises – il faudrait y songer lorsque les patients prennent des antibiotiques, des antiarythmiques, des neuroleptiques, certains cytostatiques, du Tramadol, de l’aminophylline, des anthelmintiques et en cas d’anesthésie. En outre, la cause demeure inconnue pour une partie des cas. Un électroencéphalogramme (EEG) est utile pour établir le diagnostic. Celui-ci n’est toutefois sûr que lorsque l’activité cérébrale pendant une crise peut être observée sur une longue durée. Des observations précises au moment de la crise, par exemple par des soignants, sont d’une grande utilité. Avec l’accord du Le plus connu des saints patrons des épileptiques est Saint-Valentin, lui-même atteint de la maladie. Ligue contre l‘épilepsie Recherche, aide, information Depuis 1931, la Ligue suisse contre l’épilepsie apporte son soutien aux professionnels et aux personnes concernées dans toute la Suisse. La section suisse est également membre de la Ligue internationale contre l’épilepsie (International League Against Epilepsy ILAE). L’objectif de ces ligues est d’améliorer durablement le quotidien des personnes concernées par l’épilepsie et leur situation au sein de la société. La Ligue contre l’épilepsie cherche à promouvoir la recherche par un prix ainsi que par sa revue spécialisée, elle répond aux questions de professionnels et de profanes et organise régulièrement des manifestations sur le thème de l’épilepsie dans toute la Suisse. Elle s’efforce également d’informer le public au sujet de l’épilepsie et contribue à réduire les préjugés. Vous trouverez de plus amples informations sur l’épilepsie et la Ligue suisse contre l’épilepsie sur www.epi.ch. Des publications peuvent y être téléchargées ou commandées. 55 Pratique des soins 56 K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 4/2016 Aspects historiques Diète et trépanation En Suisse, quelque 70 000 personnes, dont environ 15 000 enfants, sont atteintes d’épilepsie, une maladie neurologique chronique. Deux tiers de ces personnes peuvent être soignées par voie médicamenteuse. Pour un tiers d’entre elles, l’épilepsie est difficile à traiter. Les tentatives de traiter les crises d’épilepsie et l’épilepsie remontent à la nuit des temps. La médecine a tout d’abord tenté de soigner la maladie par la diététique, avec des règles alimentaires strictes et une gymnastique thérapeutique. Au Moyen Age, on recourut également aux prières, au jeûne, aux sacrifices, aux pèlerinages et à l’exorcisme. L’oxyde de zinc, le nitrate d’argent, le mercure, le bismuth et l’étain étaient également utilisés. Au 19ème siècle, le brome et le phenobarbital étaient considérés comme anti-épileptiques. L’intervention chirurgicale n’est pas non plus une invention des temps modernes. Des trépanations étaient déjà effectuées occasionnellement sur des malades épileptiques. L’ouverture artificielle de la boîte crânienne devait permettre aux démons de la maladie, aux vapeurs toxiques ou aux «substances malades» de s’échapper. A l’époque du Troisième Reich, l’épilepsie fut considérée (à tort) comme héréditaire par des médecins obsédés par la purification de la race. Il y a eu de nombreux épileptiques célèbres – Socrate, César, Napoléon et Dostoïevski, van Gogh, Lénine ainsi que l’actrice Margot Hemingway. Le thème de l’épilepsie revient ainsi régulièrement dans la littérature et dans des représentations artistiques de différentes époques. (ul) Source: www.epilepsiemuseum.com patient, des proches ou des soignants peuvent éventuellement essayer de filmer une crise avec leur portable. Médicaments utiles – en général Une bonne nouvelle maintenant: à l’âge avancé, l’épilepsie généralement peut être bien soignée. La plupart des nombreux antiépileptiques disponibles permettent de stopper les crises. Cependant, trouver le bon médicament reste un défi, car beaucoup de personnes concernées doivent lutter contre les effets secondaires. Comme le métabolisme fonctionne plus lentement avec l’âge, la moitié de la dose généralement administrée aux jeunes adultes suffit. Il s’agit également de tenir compte des interactions lorsque les patients prennent plusieurs médicaments, ce qui est généralement le cas chez les personnes âgées. «L’épilepsie peut être confondue avec une démence, et les crises avec un AVC.» Dans des cas extrêmes, une intoxication ou une perte d’efficacité peut survenir. Un exemple particulièrement délicat est l’interaction entre d’ «anciens» antiépileptiques tels que la phenytoïne ou la carbamazepine avec l’anticoagulant Marcoumar: comme ces produits se repoussent mutuellement lors de la fixation des protéines dans le flux sanguin, l’effet de cette combinaison est imprévisible et donc dangereuse. C’est là une des raisons pour lesquelles ces anciennes substances ne sont plus que rarement prescrites. Mais il existe également de nouvelles substances que les médecins ne recommandent pas aux patients, par exemple l’Oxcarpazepine. De nouveaux médicaments sont bien tolérés, tels que la Lamotrigine ou le Lévétiracetam. Même si personne n’apprécie de devoir prendre pour le restant de ses jours plusieurs médicaments (supplémentaires), c’est souvent un moindre mal pour des personnes âgées souffrant d’épilepsie. C’est très probablement leur seule chance de ne plus avoir de crises. Les crises ne sont pas seulement effrayantes, mais également dangereuses: en dehors de l’état épileptique mentionné au début de cet article, une épilepsie non traitée implique toujours un risque accru de chutes qui peuvent occasionner, chez des personnes âgées, des blessures ou des fractures osseuses aux conséquences lourdes. A l’inverse, à trop haute dose, les médicaments peuvent être source d’une démarche incertaine, ce qui accroît à nouveau le risque de chute. Une raison de plus d’augmenter lentement et avec précaution les médicaments. Dosage important La prise régulière des médicaments constitue un autre défi. Les dosettes, qui permettent aux patients de voir immédiatement si elles ont déjà pris leurs pilules, ne sont pas utiles uniquement pour les personnes distraites ou démentes. Une personne concernée raconte qu’elle était devenue un peu plus souple avec ses médicaments au bout d’un moment, parce qu’elle se sentait bien. Peu de temps après, elle est tombée «comme un arbre mort» sur la route et n’a plus osé sortir de chez elle pendant quelque temps. Si le choix et le dosage des médicaments a été judicieux et que la personne concernée les prend régulièrement, l’épilepsie n’affecte que peu la qualité de vie. Les seniors actifs peuvent continuer à voyager et pratiquer du sport si la planification est adéquate. Les personnes autonomes peuvent continuer à vivre comme avant – pour autant qu’elles aient de la chance et soient entourées d’observateurs attentifs, même après une crise d’épilepsie. Checklist Suspicion d’épilepsie à l‘âge avancé • Des signes avant-coureurs de la crise ou de l’épisode ont-ils été observés? • Description de la crise, dans la mesure du possible • La crise/l’épisode est-elle/il survenue/u plus d’une d’une fois? • Troubles du rythme cardiaque? • Diabète? • Démence? • Autres maladies? • Médicaments? K r a n k e n p f l e g e I S o i n s i n f i r m i e r s I C u r e i n f e r m i e r i s t i c h e 4/2016 Gestion des crises d’épilepsie «Garder son calme» Pour être en mesure de distinguer l’épilepsie d’autres maladies, des formations complémentaires spécifiques sont nécessaires. Deux collaboratrices de l’EMS de Zollikon parlent de leurs expériences. Texte et photo: Urs Lüthi Lorsqu’on est confronté pour la première fois à une crise d’épilepsie, on risque d’être stressé ou paniqué. Et c’est le contraire qui doit se passer. Tabe Ramadani, aide-soignante à l’EMS de Zollikon, en a fait l’expérience et a suivi l’an dernier une formation complémentaire proposée par la Ligue suisse contre l’épilepsie. Elle affirme qu’il est essentiel de garder son calme. Aux premiers symptômes, il faut coucher la personne concernée sur un lit, un canapé ou sur le sol. Il s’agit ensuite d’éliminer tous les objets dangereux, par exemple des ciseaux et enlever les lunettes. La tête doit être protégée par des coussins et la personne doit être positionnée sur le côté de manière stable. Cela permet d’assurer que les voies respiratoires sont libres et que la salive ou les vomissures ne pénètrent pas dans la trachée et les poumons. Différentes formes Les crises d’épilepsie peuvent se manifester de différentes façons – par des mouvements (contractions, tremblements, rigidification de la musculature), des troubles sensoriels (picotements, engourdissements, impressions auditives ou visuelles), des signes végétatifs (p.ex. rougeur du visage, lèvres bleues, salivation, manifestations intestinales, énurésie) ou des modifications psychiques (peur, troubles de la mémoire, perte de conscience). Ces manifestations sont souvent combinées – par exemple rigidité, contractions, salivation et perte de conscience lorsque survient le «Grand mal». La crise la plus longue à laquelle a assisté Tabe Ramadani a duré 20 minutes. Il ne faut pas s’éloigner lors d’une crise, ditelle: «il peut par exemple arriver que la personne concernée se morde la langue». Souvent l’entourage essaie avec les Tabe Ramadani a de l’expérience avec les personnes souffrant d’épilepsie. meilleures intentions du monde de glisser un objet entre les dents de la personne en crise afin d’éviter qu’elle ne se morde la langue. Mais en règle générale cela ne marche pas et les dégâts sont plus importants que les bienfaits. Empêcher les chutes Actuellement, l’EMS accueille un résident avec un diagnostic d’épilepsie dans chacune de ses deux unités, tous deux stables et avec une médication appropriée. «Pour assurer la sécurité des résidents souffrant d’épilepsie, les mêmes directives que pour les résidents à risque de chute sont valables» explique Sonja Baumann, responsable des soins à l’EMS de Zollikon. Il faut des auxiliaires de marche, de bonnes chaussures et un lit positionné le plus bas possible. La contention physique n’est pas utilisée. Quant aux pantalons anti-chute, ils sont mal-aimés et souvent refusés par les résidents. Sonja Baumann s’engage pour que les soignants dans les institutions de longue durée utilisent des instruments permettant de faire la distinction entre les pertes de conscience liées à l’épilepsie et celles liées à d’autres maladies. Elle sait d’expérience que l’épilepsie à l’âge avancé est généralement sous-estimée. En cas de suspicion, un diagnostic clair est indispensable. En effet, des crises d’épilepsie peuvent passer inaperçues chez les personnes âgées, par exemple lorsque quelqu’un paraît «simplement» absent à table. La distinction avec les symptômes d’une dépression, de démence ou juste un «mauvais jour» est très difficile. Le traitement des personnes âgées avec des antiépileptiques est souvent efficace, mais exigeant: «C’est pourquoi il est important que les médicaments soient préparés par des infirmières diplômées et administrés à heure précise en leur présence». Les résidents concernés de l’EMS ne sont pas atteints sur le plan cognitif, ce qui leur permet de comprendre pourquoi ils doivent prendre des médicaments». 57