GéostratéGiques n° 31 • 2
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Complexités balkaniques
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réseaux de corruption au sein de l’État, dont les intérêts auraient été menacés par
les efforts de rationalisation. Bien au contraire, ils participaient eux aussi au laxisme
économique pour obtenir leur élection grâce au clientélisme.
Lourdeur de l’État et réseau de corruption
Depuis la création de la Grèce moderne, le principal instrument du clienté-
lisme fut l’embauche des « protégés » dans l’État. La manne venant de l’extérieur
depuis 1981 a permis de gonfler l’État, qui emploie actuellement plus d’un million
de personnes, le quart de la population active de la Grèce. La lourdeur d’un État
encombré de personnes de compétences et de motivations douteuses handicape
son fonctionnement. Aux problèmes liés à sa taille s’ajoute l’existence de réseaux
de corruption qui ont conduit à une « privatisation mafieuse » du secteur public.
La partie du secteur public qui fonctionne dans l’illégalité s’inscrit dans un système
plus large, avec des ramifications dans la presse, le monde des avocats, etc. Le syn-
dicalisme, qui emploie des méthodes souvent très musclées, constitue le bouclier de
ces structures face à tout effort de réforme.
Dans ces conditions, le secteur privé ne peut pas être sain. À la place de lutter
dans un milieu concurrentiel difficile, un grand nombre d’entreprises cherchent à
nouer des relations plus ou moins licites avec les services de l’État. L’importance des
flux monétaires qui viennent de l’étranger sous forme de subventions, emprunts,
etc. rend les entreprises encore plus dépendantes de l’État, qui gère leur distribution.
Un cercle vicieux s’établit ainsi entre le secteur public et le secteur privé : l’un pousse
l’autre dans la complicité et la corruption. Cette économie et cette société rongées de
l’intérieur ont pu continuer à fonctionner grâce à une protection européenne mul-
tiforme, qui s’exerce depuis plus de trois décennies. L’effet anesthésiant de cette pro-
tection a neutralisé tous les efforts, souvent courageux, pour combattre la décadence.
Il est ainsi injuste d’accuser l’ensemble de la classe politique grecque. Le pro-
cessus que nous venons d’évoquer a créé un « terrain de jeu » défavorable aux res-
ponsables politiques sérieux. Leurs appels et leurs efforts provoquaient des réactions
vigoureuses par les réseaux d’intérêts menacés, qui n’ont pas hésité à utiliser la vio-
lence pour les intimider. L’électorat n’a pas soutenu le sérieux et la responsabilité
politiques, puisque aucune conséquence du laxisme n’était visible avant 2009. Bien
au contraire, les électeurs participaient aussi à la « grande fête », financée par des
ressources fictives. Le plus souvent, il n’était même pas nécessaire d’intimider les
responsables politiques sérieux ; leur discours était discrédité par le décalage entre
leurs avertissements et la réalité constatée par les électeurs.