Costa Rica : développement social et ajustement hétérodoxe LEONARDO GARNIER, REBECA GRYNSPAN, ROBERTO HIDALGO, GUILLERMO MONGE, ET JUAN DIEGO TREJOS Comment le Costa Rica, un petit pays à revenu faible-intermédiaire, dont l’économie correspond au modèle du capitalisme périphérique, a-t-il réussi à atteindre des indicateurs sociaux proches de ceux d’une nation industrialisée?1 Telle est la question essentielle à laquelle nous tenterons de répondre dans ce chapitre. Situé sur l’isthme de l’Amérique centrale, avec une superficie de 51 000 km2 et une population de 3 millions d’habitants, le Costa Rica est l’un des plus petits pays de l’hémisphère occidental. Il possède deux écosystèmes : un haut plateau (la Meseta central), qui représente 15 % du territoire national, regroupe les deux tiers de la population et constitue le cœur de l’économie du pays, et les régions côtières. Le Costa Rica progresse rapidement sur la voie de l’économie urbaine. Toutefois, la moitié de sa population vit encore à la campagne et un quart de la population active travaille dans l’agriculture. Ce pays est également réputé pour son homogénéité culturelle, sa stabilité politique et ses traditions démocratiques, ainsi que pour sa constitution qui stipule qu’il n’aura pas d’armée. Les services sociaux sont une tradition de longue date pour l’État costaricien, dont la politique sociale remonte aux années 40, époque à laquelle elle couvrait toutefois principalement les questions d’ordre juridique et se limitait aux salariés et à leur famille. Les indicateurs du progrès social Plusieurs décennies de croissance stable Entre 1950 et 1990, le revenu par habitant a plus que doublé, l’espérance de vie à la naissance a augmenté de 20 ans, et la durée moyenne de la scolarité s’est allongée de plus de deux ans (voir tableau 12.1). Entre 1950 et 1990, le taux de mortalité infantile a reculé 84 % et l’analphabétisme, de 67 % . Les autres indicateurs, qui ne sont disponibles que depuis 1960, révèlent des progrès similaires. La malnutrition a diminué de 71 % ; quant à la pauvreté, elle est passée de 50 % des familles en 1960, à 20 % en 1990. Selon les indicateurs du développement humain établis par le PNUD, le niveau de développement humain du Costa Rica est passé de moyen à élevé dans les années 80 (PNUD, 1994) (voir tableau 12.1). La Costa Rica et les autres pays La comparaison des indicateurs du développement et du niveau de vie du Costa Rica avec ceux de pays économiquement plus avancés met en lumière plusieurs facteurs. En 1992, le taux de mortalité infantile était de 14 pour mille au Costa Rica, comparé à 13 pour mille dans les pays industrialisés; le taux de mortalité était de 16 pour mille pour les enfants de moins de 5 ans, contre 15 pour mille dans les pays industrialisés (PNUD, 1994) ; l'espérance de vie à la naissance était de 76 ans au Costa Rica – niveau égal ou supérieur à celui des pays industrialisés. Le taux d'alphabétisation des adultes, qui est de 99 % dans les pays les plus avancés, atteint 93 % au Costa Rica (UNICEF, 1994) (voir tableau 12.2). La réussite du Costa Rica est encore plus éclatante lorsqu’on compare ces chiffres avec ceux d’autres pays d'Amérique centrale présentant des caractéristiques géographiques et un système économique similaires. Dans ces pays, l'espérance de vie est de 65 ans, la mortalité infantile de plus de 52 pour mille, et le taux d'alphabétisation des adultes de 66 % à peine (voir tableau 12.2). 1 En outre, une comparaison entre 94 pays en développement révèle qu'à la fin des années 80, seuls deux pays (Cuba et Singapour) avaient une mortalité des moins de 5 ans inférieure à celle du Costa Rica, aucun ne le dépassait pour ce qui est de l’espérance de vie à la naissance, et quatre seulement (Argentine, Chili, Cuba et la Trinité-et-Tobago) avaient un taux d'alphabétisation des adultes supérieur, sachant que tous les pays qui dépassaient le Costa Rica avaient un revenu par habitant supérieur au sien (Trejos, 1991). Comment cela a-t-il été possible ? La fin de cette introduction examine un certain nombre de caractéristiques de la politique et de la société costariciennes. La section suivante propose une interprétation pour chaque étape de développement identifiée dans le présent chapitre. La section finale s’intéresse aux fondements économiques des politiques sociales du Costa Rica et s’achève sur les perspectives de durabilité du modèle social costaricien pour les 40 années à venir, notamment en ce qui concerne les aspects institutionnels, financiers et socio-politiques. A partir de 1948 et ce, durant 30 ans, l’État devient le moteur du développement social en adoptant de nouveaux rôles socio-économiques, et en créant la plupart des institutions actuelles. La junte qui prend le pouvoir au bout d'un an et demi de guerre civile, sous la houlette de José Figueres, un exploitant agricole, entame un processus de transformation rapide2. Figueres fournit à la fois le cadre de développement national et l’impulsion politique nécessaires pour mener à bien ces changements radicaux. Ses politiques sociales sont reprises par le Partido Liberación Nacional (ci-après, PLN), parti politique créé sous son impulsion par les vainqueurs de la guerre civile de 1948. Les administrations successives du PLN jouent un rôle instrumental dans les changements que connaît la société costaricienne à partir des années 50 ;3 les événements politiques et les luttes entre les différentes forces sociales du pays y contribuent (Rovira, 1982). Figueres, deux fois Président du Costa Rica, joue un rôle de premier plan au sein du PLN et constitue la force agissante de ces changements. En l’espace de trois décennies, la fonction publique passe de 6 % à 20 % environ de la maind'œuvre. L’efficacité de l’État s’explique par trois facteurs. Premièrement, une séparation claire entre les pouvoirs (exécutif, législatif et judiciaire). Deuxièmement, la large représentation des divers groupes sociaux au sein des institutions de l’État. Et, troisièmement, les efforts déployés avec une relative efficacité pour moderniser l’État et améliorer les compétences professionnelles des fonctionnaires publics (Garnier et Hidalgo, 1991). L'élaboration du système politique suit les principes démocratiques. L'abolition de l'armée permet au Costa Rica d'éviter les régimes autoritaires et l'ingérence des élites militaires sur un terrain politique essentiellement démocratique, situation courante dans la région et qui constitue une entrave à la stabilité politique et au développement social. Qui plus est, les ressources publiques qui auraient été allouées aux forces armées sont désormais disponibles pour financer les programmes sociaux 4. Le système politique est également renforcé par «la machine électorale la plus libre et la plus équitable du monde » (Ameringer, 1982), ce qui signifie que depuis 1948, chaque gouvernement a accédé au pouvoir par des élections populaires et qu’il y a eu une alternance des partis au pouvoir. Depuis plusieurs dizaines d’années, la participation électorale avoisine les 80 % . Les réformes économiques accélèrent l'expansion et la diversification de la structure de production du Costa Rica, grâce à un certain nombre de mesures telles que la nationalisation et le renforcement du système bancaire national (qui facilite l'accès général au crédit), le développement de l'infrastructure, essentiel pour la modernisation de l’économie, et le lancement de politiques sociales dynamiques favorisant l’épanouissement des ressources humaines. Depuis une quarantaine d’années, le taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) est de l'ordre de 5 % par année, un véritable record pour la région latino-américaine. (Rama, 1994 : 12) Ce processus de changement radical dans le domaine social jette les bases d'un modèle de développement social unique. Ce modèle recèle de nombreuses clés pour expliquer le contraste frappant entre la production économique modeste du Costa Rica et son niveau de développement social élevé. Dans le modèle costaricien, le développement social, interprété comme un 2 processus qui doit être encouragé par la politique tant sociale qu’économique, est perçu comme un préalable plutôt que comme un résultat de la croissance économique (Garnier et Hidalgo, 1991). Les différentes phases de l’application de la politique sociale Durant les trois décennies qui suivent la révolution de 1948, la politique économique est guidée par une philosophie qui bat en brèche l'idée selon laquelle le développement social est simplement le résultat de la croissance économique et le considère, au contraire, comme un préalable de la croissance économique. Qui plus est, le développement social devient l'élément clé du développement en soi. La politique sociale commence, dans une certaine mesure, à assumer les fonctions de la politique économique, les données sur les facteurs sociaux servant à orienter l'allocation des ressources nationales et à assurer un financement adéquat aux programmes de développement social. Près de 45 % des dépenses publiques totales sont allouées au secteur social. Durant cette période, la politique sociale va de pair avec une politique visant à accroître le salaire réel. C’est ainsi que le salaire minimum réel progresse annuellement de 2,1 % entre 1950 et 1969, et de 0,8 % entre 1970 et 1980. Les dépenses publiques sont complétées par des fonds privés, ce qui permet une amélioration rapide du niveau de vie. La politique des salaires constitue un instrument particulièrement efficace dans la lutte contre la pauvreté, d’autant plus que les salariés représentent un pourcentage très élevé de la main-d'œuvre nationale, qui continue à augmenter (du fait de l’accroissement élevé de la population, néanmoins légèrement inférieur à la moyenne régionale). Simultanément, le pourcentage de la population travaillant dans le secteur agricole diminue régulièrement (voir tableau 12.1), de même que la part de l’agriculture dans la production nationale (voir tableau 12.3). C’est dans les zones rurales que l'augmentation des salaires a l’effet le plus marquant sur le revenu des groupes les plus démunis. En outre, l'expansion des services publics dans les zones rurales entraîne une forte mobilité sociale vers le haut, du fait, notamment, d’un accès élargi à l'éducation, au logement, à l'électricité, au téléphone et à l'eau potable (voir tableau 12.1). Ces changements, parmi d'autres, expliquent que le développement social ait été possible à la campagne, malgré la forte concentration des terres que connaît le Costa Rica, à l'instar de nombreux autres pays latino-américains. Dans les communautés rurales costariciennes, une inégalité économique coexiste avec des niveaux élevés d'égalité culturelle et sociale, comme en témoigne par exemple le fait que les enfants des travailleurs agricoles fréquentent les mêmes écoles et dispensaires que la majorité des enfants des propriétaires des fermes qui emploient leurs pères. Depuis les années 50, cette politique des salaires est également considérée comme une incitation à améliorer la productivité de la main-d'œuvre, c’est-à-dire comme un moyen de parvenir à la modernisation et à l'industrialisation. Dès 1949, Figueres déclare que l'expérience a montré que « partout dans le monde, et surtout en Amérique latine, à moins qu'une pression ne soit exercée pour une augmentation des salaires journaliers – soit par des travailleurs organisés soit par des gouvernements progressistes – les nations tendent à adopter des méthodes de travail inefficaces, qui ne permettent qu'à une minorité de parvenir au bien-être, grâce au travail d'une majorité ». 5 La pauvreté (comprise ici dans le sens de faiblesse de revenu) a reculé à tel point qu'elle ne touche plus que 20 % des familles costariciennes à la fin des années 70, contre 50 % en 1960. L'inégalité de la répartition des revenus familiaux diminue également (Fields, 1980) . La classe moyenne connaît un essor rapide ; au milieu des années 70, elle représente une proportion de la population au moins deux fois plus élevée qu’en 1950, et pratiquement le quart de la population active vers 1980. En outre, le pourcentage de la population correspondant aux groupes ruraux à faible revenu ainsi qu’aux revenus supérieurs diminue, modifiant ainsi la structure de la société costaricienne (voir tableau 12.4). 3 L’augmentation considérable de la population souligne encore plus l’ampleur de l'amélioration du niveau de vie durant cette période. La population a été multipliée par 2,5, avec des taux de croissance élevés au regard du reste du monde. Le taux de croissance naturelle était de 26 pour mille dans les années 50, époque à laquelle les taux de natalité et de mortalité étaient déjà très élevés, pour atteindre un maximum de 38 pour mille au début des années 60 (voir tableau 12.5)6. La croissance démographique amorce une baisse spectaculaire dans les années 60, puis redescend au niveau des années 50 dans les années 70, tandis que la transition démographique se rapproche du scénario actuel – taux de natalité modérés7 et taux de mortalité faibles (voir tableau 12.5). Les victoires remportées par le Costa Rica dans son combat contre la pauvreté sont d'autant plus remarquables si l’on considère que 67 % de la population vivait à la campagne en 1950 et 57 % en 1980 (voir tableau 12.5). En raison de leur faible densité démographique et de leur infrastructure sociale limitée, les zones rurales posent en effet davantage de problèmes dans la lutte contre la pauvreté que les zones urbaines. Un autre progrès est également enregistré entre 1950 et 1980 : la concentration grandissante des services sociaux dans les zones urbaines pour répondre aux besoins des habitants dont le nombre triple durant cette période. L'engagement du gouvernement dans le domaine social se traduit par une augmentation régulière et marquée des dépenses allouées aux programmes sociaux durant les années 50, 60 et 70, par rapport aux dépenses publiques globales aussi bien qu’au PIB. Les dépenses sociales passent de 9 % du PIB en 1950 à 24 % en 1980 (voir tableau 12.8). Si les ressources financières nécessaires à ce progrès social peuvent être mobilisées, c’est grâce à l’essor de l’économie nationale, étayé par la croissance de l'économie mondiale, la possibilité de mobiliser des investissements étrangers abondants pour l’infrastructure économique et sociale, les contributions de la société civile aux programmes sociaux du gouvernement8, et le faible niveau des dépenses non productives (l'armée a été abolie en 1948). Ainsi, le financement de la politique sociale n’est pas incompatible avec la croissance économique ; en fait, ces deux politiques se sont révélées complémentaires. Les politiques sociales mises en œuvre ces trente dernières années correspondent à deux phases distinctes, que nous allons examiner ci-après. 1948 à 1969 : le développement social La première phase couvre les deux décennies qui suivent la guerre civile de 1948, et se caractérise par une politique sociale visant à améliorer les conditions de vie des Costariciens et à élargir la classe moyenne. Tandis que durant les années 40, cette politique se concentrait surtout sur les salariés et leur famille, c'est désormais toute la population qui est concernée. Il s'agit de faire en sorte qu’elle bénéficie du développement et qu’elle y soit étroitement associée. Sur le plan économique, cette phase coïncide avec l'application du modèle de la substitution des productions locales aux importations, visant à encourager l'industrialisation dans le cadre d'un marché régional. Le taux annuel moyen d'augmentation de la production est alors de 7 %, et la production par habitant augmente de 3,3 % par an. La couverture des politiques sociales s’élargit considérablement. C'est alors que s’établissent les fondements du système national de santé qui prendra forme dans le courant de la décennie suivante. La généralisation des soins de santé est inscrite dans la Constitution tandis que s’amorce un processus de modernisation et d'expansion des services hospitaliers. Dès sa création, l'école de médecine collabore étroitement avec les hôpitaux nationaux et crée la base institutionnelle qui permettra de former les professionnels nécessaires à l’élargissement des services de santé du pays. De plus, les salariés ayant un revenu intermédiaire à élevé sont désormais inclus dans le système de sécurité sociale obligatoire (y compris l'assurance maladie), ce qui permet de renforcer et d’élargir sa base financière, et de parvenir à une augmentation annuelle de 8 % des dépenses de santé par habitant (Rosero, 1985). Grâce à ces changements, le 4 pourcentage de la population couvert par la sécurité sociale passe à 39 % en 1970, contre 8 % en 1950 (voir tableau 12.6). Le premier programme de santé communautaire du Costa Rica est lancé au début des années 60. Il atteint une couverture maximale de 17 zones réparties dans l’ensemble du pays. Ce programme s’articule autour d’unités mobiles composées de personnel médical et de spécialistes de la santé qui dispensent des soins médicaux et des conseils de santé aux communautés, tout en encadrant les comités sanitaires locaux. Durant la même période, une campagne anti-paludique est menée avec succès. Les campagnes de vaccination sont suspendues au milieu des années 60, cédant la place à des programmes de vaccination permanents et généralisée (Miranda, 1994). Durant les années 50 et 60, c’est surtout l’éducation qui connaît une expansion rapide. Tout au long de son histoire, le Gouvernement costaricien s’est employé à renforcer le système éducatif. En 1869, il instaure l'école primaire gratuite et obligatoire. L'Université du Costa Rica est fermée à la fin du 19e siècle par la Loi générale sur l'éducation publique, afin que l’État puisse consacrer davantage de ressources à l’expansion du système d'enseignement primaire et secondaire. Au début du 20e siècle, le degré d’instruction demeure cependant faible : le taux d’analphabétisme des adultes est de 55 % en 1910, et le taux de scolarisation primaire de 50 % pour les enfants de 7 à 14 ans (Mata et Rosero, 1988). La part du budget national consacrée à l’éducation passe d’environ 10 % au début du siècle, à 15 % entre 1930 et 1950, ce qui explique qu’en 1940, le taux d’analphabétisme tombe à environ 25 %. Après la guerre civile, les dépenses d'éducation par habitant augmentent considérablement, du fait notamment de l'accroissement du PNB par habitant, de l’augmentation de la part du budget national par rapport au PNB, et de la progression des dépenses publiques consacrées à l'éducation. Le taux de scolarisation primaire qui dépasse 90 % en 1960 atteint 100 % à la fin de la décennie. Le taux d'abandons scolaires est de 7 % à peine en 1960 dans l’enseignement primaire (voir tableau 12.7). L'accès à l'enseignement secondaire demeure toutefois relativement limité, avec un taux de scolarisation secondaire de 24 % en 1970, contre 15 % en 1960. Ces progrès sont imputables à une augmentation de 9 % par an des dépenses publiques réelles par habitant allouées à l'éducation (Rosero, 1985). Des institutions gouvernementales axées principalement sur les plus démunis sont créées. Un programme de construction de logements et de crédit subventionné est lancé en faveur des milieux à revenu moyen et faible (1954). Un autre programme ambitieux est mis sur pied afin de redistribuer des terres aux familles rurales qui en sont privées (1962). Le gouvernement établit également une institution spécialisée, chargée de l'approvisionnement en eau potable à l’échelon national (1961), ainsi qu’une autre institution chargée de la formation de la main-d'œuvre spécialisée (1965). Outre les interventions dans le domaine de la santé et de l'éducation (voir tableaux 12.6 et 12.7), des améliorations sont enregistrées dans les conditions de vie et l'accès aux services de base, tels que l'eau et l’électricité. Entre 1950 et 1970, le pourcentage de la population ayant accès à l'eau courante passe de 53 à 75 % ; disposant de toilettes ou de latrines, de 48 à 86 % (voir tableau 12.6), et disposant de l'électricité, de 40 à 65 % (voir tableau 12.1). Les années 70 : l’expansion de la couverture des programmes sociaux Les années 70 ouvrent la deuxième phase de l’application des politiques sociales. Sur le plan économique, le modèle de substitution de productions locales aux importations se révèle clairement obsolète; la crise de la dette porte un coup fatal à la situation économique, déjà gravement touchée par la crise énergétique. Toutefois, durant la deuxième moitié de la décennie, la flambée du prix du café permet à l'économie de connaître un taux d’expansion raisonnable – 5,6 % par an et 2,7 % par habitant – moins rapide toutefois que durant la première phase. Au début de cette décennie, la direction politique du pays prend conscience que 20 années de développement social n'ont pas suffi à couvrir l’ensemble de la population, notamment en ce qui concerne les habitants des zones les plus reculées, qui sont aussi les plus pauvres. Un 5 changement qualitatif est introduit dans la politique sociale afin de remédier à cette situation. Tout en poursuivant l'expansion des programmes nationaux, le gouvernement entame également une politique de dépenses sociales ciblée sur des régions particulières (Trejos, 1991). Cette réforme est entamée durant la troisième administration de José Figueres (1970-1974), sous le slogan de « guerre contre la pauvreté ». En 1971, l’Instituto Mixto de Ayuda Social (Institut mixte d'aide sociale – IMAS) est créé pour s'attaquer directement aux problèmes de la pauvreté. Le Fondo de Desarollo Social y Asignaciones Familiares (Fonds de développement social et d'allocations familiales – FODESAF), instauré en 1975, vient compléter l'IMAS, avec pour tâche de financer des programmes d’aide aux démunis. Ainsi, le ciblage des dépenses ne se fait pas aux dépens de la classe moyenne, comme l'ont suggéré certains organismes internationaux, et comme cela fut effectivement le cas dans d'autres pays, notamment au Chili (Raczinsky, 1994). Environ 1,5 % du PIB est alloué au FODESAF, qui, depuis 1975, a versé près d'un milliard de dollars à des programmes sélectifs visant à compléter les politiques sociales à vocation universelle. Durant cette période, le FODESAF réussit à mettre sur pied des programmes de soins de santé primaires et à les étendre à l'ensemble de la population, ainsi qu’à renforcer les programmes nutritionnels destinés aux enfants d'âge préscolaire et primaire. Les programmes nutritionnels viennent compléter les programmes officiels de lutte contre la pauvreté. L’effet le plus marquant de la politique menée par le gouvernement pour améliorer la nutrition est l’augmentation des salaires. Il est intéressant de constater que durant la période de progrès social des années 70, aucune amélioration de l'apport nutritionnel n’est enregistrée. Entre 1966 et 1978, la consommation de calories n'augmente que de 7 % dans les zones rurales et régresse de 16 % dans les zones urbaines (Mata et Rosero, 1988). Ces chiffres attestent bien que la relation entre nutrition et santé ne passe pas seulement par les disponibilités alimentaires mais aussi par la disponibilité d'une gamme élargie de services de santé (Drèze et Sen 1989). Le FODESAF précède d’une dizaine d’années les fonds d'urgence pour les investissements sociaux et les fonds d'investissement social qui se développent au milieu des années 80. De plus, il s'en distingue à plusieurs égards; par exemple, le FODESAF est financé par des recettes provenant de taxes spécifiques qui restent relativement stables au fil du temps et ne concurrencent pas les ressources allouées aux programmes à vocation universelle. Une autre pratique différencie le FODESAF : il confie ses ressources aux institutions gouvernementales en place, ce qui lui permet d'éviter la répétition inutile d'efforts et le gaspillage qui peuvent se produire lorsque l'État crée une infrastructure sociale qui dépasse ses capacités administratives (Trejos et al., 1994a). La généralisation des soins de santé et de la sécurité sociale se poursuit pendant cette période (voir tableau 12.6). En 1975, la couverture de l'assurance maladie garantie par la Caja Costarricense de Seguro Social (Caisse costaricienne de sécurité sociale, ci-après CCSS) est élargie aux travailleurs non salariés souhaitant adhérer au programme à leur propre compte; en outre, la CCSS commence à offrir aux indigents des soins gratuits subventionnés par l'État. Un véritable système national de soins de santé est établi conformément aux lignes directrices relatives au premier Plan national de santé, lancé en 1970. Tous les hôpitaux et dispensaires publics sont réunis au sein d'un système unifié, administré par la CCSS, et sont modernisés et élargis de façon à offrir l’infrastructure nécessaire à l’application efficace du mandat de généralisation des services de santé du pays. Afin de garantir le financement du système de santé national, un système de cotisations sociales est instauré pour financer la CCSS (Miranda, 1994) (voir plus bas sous « Financement des dépenses sociales »). Les soins de santé primaires font un énorme bond en avant. En 1973, le programme de santé rurale voit le jour et, en 1976, c’est au tour du programme de santé communautaire. Tous deux disposent d'équipes de base formées de médecins et de personnels de santé auxiliaires affiliés aux centres de santé dans l'ensemble du pays, assurant également des visites à domicile dans les communautés. Ces programmes comportent des activités telles que vaccinations, distributions de lait au femmes enceintes à faible revenu, planification familiale, construction de latrines et assainissement du milieu (Miranda, 1994). 6 A la fin des années 70, le programme de santé rurale couvre 60 % de la population rurale et le programme de santé communautaire, 60 % de la population urbaine (Miranda, 1994). Les centres de santé sont établis en fonction de critères géographiques, la priorité étant accordée aux communautés les plus pauvres. Ces programmes permettent en outre à ces populations d’être intégrées dans le système national de santé par un système d'aiguillage vers les services médicaux des dispensaires et hôpitaux de la CCSS . Ces programmes ont un impact considérable car ils réduisent non seulement la mortalité infantile, mais également le fossé entre les zones les plus pauvres et les plus prospères. Il est très intéressant de constater que durant les années 70, les cantons disposant d'une couverture de santé rurale et communautaire de 75 % ou plus enregistrent une chute de la mortalité infantile, qui passe de 80 à 17 pour mille, alors que dans les cantons où cette couverture est pratiquement inexistante, cette baisse n'est que de 49 à 21 pour mille pour la même période. Le succès des programmes de soins de santé primaires se reflète dans la réduction relative de certaines composantes des coûts des programmes de santé thérapeutique. En fait, la densité des lits d'hôpitaux passe de 5 pour mille en 1950 à 3 pour mille en 1980, ce qui s’explique par la diminution du nombre d’hospitalisations. Dans les années 70, des informations épidémiologiques commencent à être utilisées systématiquement comme critères pour les décisions prises en matière de santé publique (Pfeffermann et Griffin, 1989). La notification obligatoire des causes des maladies et des décès est instaurée dans tout le pays et devient une source de renseignements fiables. Un système élaboré d'information nutritionnelle est également mis sur pied. C’est au cours des années 70 que le Costa Rica enregistre les progrès les plus spectaculaires en matière de santé. L'espérance de vie augmente de 8 ans environ ; cette augmentation s’explique surtout par la régression du taux de mortalité infantile – 70 % en une seule décennie – pour atteindre 20 pour mille en 1980. Il semble qu'il s'agisse d'un record mondial absolu, d'autant plus impressionnant quand on sait que la mortalité infantile était déjà relativement faible au début des années 70 (Drèze et Sen, 1989). Ainsi, durant les années 70, le Costa Rica se démarque de la tendance régionale à une faible réduction de la mortalité infantile et, d’un seul bond, passe d'un taux typique de pays en développement à un taux de pays développé. Il se démarque aussi d'une autre tendance régionale : les différences marquées entre les taux de mortalité des différents groupes socio-économiques (Rosero, 1985). La réduction de la mortalité infantile enregistrée pendant les années 70 serait due au développement des soins de santé primaires (41 %), à l'expansion des soins secondaires9 (32 %), au progrès socio-économique global (22 % ) et à la baisse de la fécondité (5 % ) (Rosero, 1985)10. C’est également au cours des années 70 que le système de l'enseignement secondaire se développe dans les zones rurales. Le taux de fréquentation secondaire passe de 24 % en 1970 à 61 % en 1980 (voir tableau 12.7). On peut donc dire que c'est au cours de cette décennie que le Costa Rica parvient à ouvrir l’enseignement secondaire à la majorité des enfants. Crise, ajustement et compensation sociale Les années 80 débutent par une crise économique sans précédent. Cette crise, qui dure trois ans (1980 à 1982), interrompt le processus de développement en cours. La production réelle enregistre un recul cumulatif de 9 %, les salaires réels perdent près de 40 % de leur pouvoir d'achat, et les taux de chômage et de sous-emploi doublent. Cette progression de la pauvreté affecte un tiers des familles costariciennes. Les ressources réelles allouées aux institutions gouvernementales déclinent. Entre 1980 et 1982, les dépenses sociales régressent de 18 % par an; les dépenses publiques totales de 9 % par an et le PIB de 5 % par an. Dans la pratique, cette situation se traduit par une baisse qualitative aussi bien que quantitative des services sociaux (Sanguinetty, 1988a, 1988b; Banque mondiale, 1990). Toutefois, le PLN reprend le pouvoir en 1982 et entame un processus de stabilisation non conventionnel. L'équilibre macro-économique est restauré. Simultanément, des politiques sont 7 mises en œuvre pour aider les plus pauvres et accroître la demande intérieure, en vue de relancer la production, de réduire la détérioration des salaires réels et d'améliorer la situation globale de l'emploi. A la fin de cette période, plusieurs programmes en faveur des pauvres sont établis dans le cadre du Plan de Compensación Social (Plan de compensation sociale). Ce plan permet de mobiliser des ressources étrangères et nationales pour financer un programme d'aide alimentaire temporaire, un programme de subvention à l’emploi et d'autres programmes destinés à encourager la production dans les milieux les plus démunis. Ces programmes d'incitation à la production portent simultanément sur le secteur non structuré de l'économie urbaine (crédit et formation) et sur le secteur des petites exploitations agricoles (crédits et denrées alimentaires). Des mécanismes d'indexation des salaires sont également introduits afin de juguler la récession et un Plan de Salvamento de Empresas (Plan de sauvetage des entreprises) est lancé, aux fins notamment de protéger les emplois (Villasuso, 1992). Ces mesures permettent d’inverser la tendance à la paupérisation, de stabiliser l'économie et d'améliorer les salaires réels et l'emploi. Ce processus de stabilisation vise à maintenir les emplois du secteur public et à réduire le déficit fiscal, non seulement en réduisant les dépenses mais aussi en accroissant les recettes fiscales. Grâce à cette initiative, le gouvernement est en mesure d'apporter un soutien financier à ses institutions sociales dans divers secteurs : santé (surtout CCSS), formation professionnelle [Instituto Nacional de Aprendizaje –INA (Institut national d’apprentissage) ], et aide aux plus démunis (FODESAF). Le renforcement de ces institutions s’accompagne d’une amélioration de l'efficacité des institutions publiques. Ainsi, la politique sociale ne subit pas de bouleversement majeur conceptuel ou pratique (Trejos, 1991). Le PLN reste au pouvoir jusqu'à la fin des années 80. Les politiques économiques sont orientées vers le changement structurel et, tout particulièrement, sur le renforcement du secteur des exportations, notamment par des incitations à la vente de produits non traditionnels en dehors de l'Amérique centrale. Le gouvernement poursuit en outre ses efforts visant à améliorer l'efficacité des institutions sociales. Durant cette période, qui se caractérise par la participation active du secteur privé, deux programmes en faveur des démunis sont lancés. Le premier, Bono Familiar para la Vivienda (Bon de logement familial – BFV), prévoit un crédit subventionné à long terme pour la construction d’habitations à loyer modéré. Des institutions financières, privées et publiques, sont chargées de superviser les projets et de sélectionner les bénéficiaires, la construction proprement dite étant confiée à des entreprises privées. Le deuxième, Programa de Informática Educativa (Programme informatique scolaire – PIE), vise à améliorer la qualité de l'enseignement primaire et à réduire les écarts entre les différents groupes de revenus. Son exécution est confiée à une fondation privée, établie spécialement à cette fin (Fonseca, 1991). Dans le domaine de l'emploi, les subventions à l'emploi sont réactivées suivant une procédure plus traditionnelle et le ministère du Travail lance un programme de crédit destiné aux micro-entreprises du secteur non structuré (Trejos et al., 1994b). Comme en témoigne la reprise amorcée en 1983, les dépenses sociales représentent un volet important des politiques d'ajustement mises en œuvre durant les années 80 ; ces dépenses augmentent en effet de 12,4 % par an jusqu'en 1986, dépassant alors les niveaux de 1980 en termes réels aussi bien qu'en pourcentage des dépenses publiques globales. Les dépenses publiques restent stables en termes réels – avec une progression moyenne de 3,8 % par an – jusqu’en 1989, année où des mesures énergiques sont prises pour rétablir l'équilibre fiscal. Durant cette période, l'économie connaît une progression annuelle de plus de 4 % . Les niveaux de pauvreté relative demeurent pratiquement inchangés grâce à l'assainissement du marché de l'emploi et malgré une politique salariale restrictive qui entraîne un léger recul des salaires réels (Trejos et al., 1994b). Compte tenu du régime de compensations qui prévaut alors, les résultats globaux peuvent être considérés comme satisfaisants. Malgré la gravité de la crise, l'augmentation temporaire de la pauvreté et la réduction marquée des ressources allouées aux institutions publiques, les indicateurs sociaux ne se détériorent pas et la plupart continuent même à s'améliorer, moins rapidement toutefois (voir tableau 12.1). 8 Le Costa Rica fait véritablement office de pionnier en Amérique latine en ce sens qu’il est le premier pays de la région à s’être préoccupé du coût social de l'ajustement. C’est ainsi qu’il a réussi à appliquer des mesures d'ajustement et de stabilisation à grande échelle sans déclencher les réactions populaires violentes qu’ont connu d'autres pays comme l'Argentine, le Brésil, la République dominicaine et le Venezuela. Bien que l’importance accordée par le Gouvernement costaricien aux prestations sociales puisse être considérée comme un pas en arrière dans l'évolution de la politique sociale, une telle attitude était inévitable vu l'ampleur de la crise et ses répercussions sociales. Le concept de « compensation » appliqué au Costa Rica est lui aussi peu conventionnel. L’État costaricien avait en effet un objectif double : atténuer les symptômes les plus aigus de la crise tout en soutenant des politiques orientées vers l'ajustement structurel nécessaire et vers une répartition aussi équitable que possible du coût social de cet ajustement, ce en veillant à préserver les institutions publiques chargées d’appliquer la politique sociale (Garnier et Hidalgo, 1991). Cet état de fait a été reconnu par plusieurs organismes internationaux, notamment l'OIT (PREALC, 1990), qui a fait remarquer que : La crise des années 80 démontre clairement l'importance de plusieurs institutions publiques qui différencient le Costa Rica des autres pays de la région, et lui a permis de mettre en œuvre une stabilisation profonde et rapide de l’économie, avec un minimum de coût social. Ce coût a été réparti équitablement entre les principaux groupes sociaux du pays. L’État a énormément investi dans l'éducation, les soins de santé, le logement, l'emploi et la sécurité sociale. Toutefois, contrairement aux indicateurs sociaux, la structure sociale a subi des modifications significatives et pas toujours pour le mieux. L'expansion de la classe moyenne et des groupes urbains à faible revenu s'est arrêtée brutalement (voir tableau 12.4). La classe moyenne – en particulier les cadres et les ouvriers spécialisés – a vu son pouvoir d'achat s'effondrer (PREALC, 1990). Ce groupe semble s'être fragmenté tandis que l’écart par rapport au groupe à revenu élevé s'élargissait. Dans les groupes à faible revenu, le ralentissement économique a entraîné un accroissement de la pauvreté, temporairement du moins (Sauma et Trejos, 1990). Les groupes à faible revenu des zones rurales ont été les grands perdants de l'urbanisation et de la modernisation. Pour ces groupes, l'appauvrissement temporaire est venu s’ajouter à la pauvreté structurelle qui touchait déjà nombre de leurs membres. Dans les zones urbaines, le revenu du quart le plus pauvre de la population a diminué de 25 % entre 1980 et 1988, tandis que le revenu des 10 % les plus riches augmentait de 4 % (ECLAC, 1994). Les couches à revenu élevé ont continué à croître, entraînant une augmentation de la concentration de revenu et de biens et une diminution de la mobilité verticale. Les politiques mises en œuvre aux fins de modifier la structure de production nationale en allouant de généreuses subventions aux exportateurs de produits non traditionnels peuvent, à l’instar d’autres mesures de soutien, engendrer de nouveaux modèles de richesse qui, du fait de leur ampleur et de leur nature ostentatoire, ne correspondent pas forcément aux schémas traditionnels. Il semblerait que les groupes se trouvant au sommet de la pyramide sociale soient en train de se distancier du reste de la société, dans un «divorce» sans précédent qui pourrait aller jusqu’à compromettre le développement social. L’application temporaire de méthodes traditionnelles Les années 90 débutent avec l'arrivée au pouvoir du principal adversaire du PLN. Ce parti adopte une approche néolibérale qui, sur le plan économique, se traduit par une accélération des réformes structurelles. Les politiques sociales sont alors considérées comme secondaires par rapport aux politiques économiques. De plus en plus, les programmes d’aide sociale deviennent un moyen de lutter contre la pauvreté, tandis que le secteur privé joue un rôle grandissant dans les services sociaux. 9 Sur le plan macro-économique, l'ancienne pratique qui consistait à appliquer des politiques d'ajustement graduelles est abandonnée, ce qui entraîne une détérioration de l'équilibre fiscal et extérieur, et l’introduction de mesures de stabilisation « de choc », débouchant sur un ralentissement de la croissance et une progression de la pauvreté. Une enquête sur les ménages révèle que le pourcentage de familles pauvres est passé de 20 % en 1990 à 24 % en 1991, pour retomber à 22 % en 1992. En termes absolus, ces pourcentages signifient qu'environ 20 000 familles, soit quelque 100 000 personnes, sont devenues pauvres en l’espace de deux ans (Trejos et al., 1994a). Sur le plan institutionnel, l'accent est mis sur la réduction de la machine de l'État et non pas sur une amélioration de l'efficacité et de la qualité de ses services. Cette approche est renforcée par la préoccupation d'équilibrer le budget fiscal. Les coupes ainsi effectuées dans les ressources allouées aux institutions sociales se soldent par une détérioration de leurs services, notamment pour les programmes de soins de santé primaires, de nutrition et de logement. Qui plus est, l’État privilégie les transferts de fonds aux pauvres plutôt que la prestation de services, tout en réduisant la part du budget global allouée aux plus démunis. Un bon d’alimentation (Bono Alimentario) est institué. Le Bono Familiar para la Vivienda n’est plus un crédit subventionné mais un don. Une allocation « rentrée scolaire » (Bono Escolar) est instaurée pour permettre aux familles démunies de payer les uniformes et les fournitures scolaires de leurs enfants. Toutes ces mesures font partie d’une approche nouvelle dans l'expérience costaricienne, à savoir que les dépenses sociales devraient être destinées exclusivement aux pauvres. Des ressources pour le développement social L’ampleur et l’évolution des dépenses sociales En 1992, les dépenses allouées aux programmes sociaux représentaient 19 % du PIB et 44 % des dépenses publiques totales. Les dépenses par habitant étaient de 390 dollars des États-Unis. 11 Le rôle de l'État dans le financement des programmes sociaux s'est accru durant les trois décennies qui ont précédé la crise de 1980. L’augmentation des dépenses sociales publiques pendant les années 50 et 60 s’explique non seulement par un accroissement des dépenses publiques globales mais aussi par la part croissante du budget global allouée au secteur social. Cette augmentation des dépenses sociales a été partiellement financée par les ressources qu’a permis de dégager l'abolition de l'armée en 1948. 12 Dans les années 70, l’augmentation des dépenses publiques sociales a été proportionnelle à celle des dépenses publiques globales (voir tableau 12.8). La part du budget consacrée à l'éducation a augmenté pendant les trois décennies évoquées plus haut. Les dépenses de santé ont affiché une baisse relative au cours des années 50, avant de connaître une progression aussi rapide que celle des dépenses publiques totales (voir tableau 12.8). Les statistiques des années 80 illustrent l'impact de la crise et des mesures d'ajustement. Globalement, les chiffres correspondant au secteur public sont en baisse et représentent une part moins importante du PIB, malgré les efforts déployés pour sauvegarder le budget social. La part de la santé reste inchangée et celle de l'éducation diminue (voir tableau 12.8). Une baisse spectaculaire des dépenses publiques sociales est enregistrée durant la crise du début des années 80, en termes réels aussi bien que par rapport au PIB et aux dépenses publiques globales. La reprise débute en 1983. Les dépenses sociales augmentent de 12,4 % par an jusqu'en 1986, dépassant alors le niveau de 1980, en termes de dépenses réelles et de dépenses publiques globales. Cette augmentation reste stable en termes réels jusqu'en 1989, année où des mesures vigoureuses sont prises pour équilibrer le budget. A en juger par l'augmentation enregistrée à partir de 1983, il semblerait que les dépenses sociales aient joué un rôle important dans les politiques d'ajustement du début des années 80. En 1990 toutefois, cette tendance s'interrompt. Dans un contexte de croissance économique, le gouvernement commence alors à appliquer des 10 mesures d'ajustement fiscal rigoureuses, qui ont un effet disproportionné sur les dépenses sociales. Fin 1992, le niveau des dépenses sociales par habitant a baissé de 20 % par rapport à 1980 (voir tableau 12.9). Une ventilation par secteur des dépenses sociales par habitant révèle que les postes de la santé et de l'éducation ont diminué de 20 % entre 1980 et 1992, tandis que la sécurité sociale diminuait de 24 %. Le recul marqué des dépenses consacrées à l'enseignement secondaire (gravement affecté par une couverture insuffisante) et au programme de sécurité sociale en faveur des groupes les plus vulnérables est particulièrement préoccupant. La baisse des dépenses de santé touche alors principalement les soins de santé primaires. Cette situation pourrait expliquer la résurgence, à la fin des années 80, de plusieurs maladies déjà éradiquées et qui auraient pu être évitées par des campagnes de vaccination ou des programmes d'assainissement du milieu. En revanche, les programmes de logement ont été épargnés durant les années 80, grâce aux subventions directes, notamment le programme de « bons de logement familial » (voir tableau 12.10). Les services privés dans le domaine de la santé et de l'éducation Les données relatives aux services privés sont très rares. Pour ce qui est de la santé, on sait que la CCSS couvre la quasi-totalité des dépenses d’hospitalisation du pays (96 % en 1991). Une étude réalisée en 1988 (Kleysen, 1988) révèle que les dépenses privées consacrées aux soins de santé représentaient 25 % des dépenses publiques dans ce secteur. La Encuesta Nacional de Ingresos y Gastos (Enquête nationale sur les revenus et dépenses), menée en 1988, donne des chiffres similaires et montre que 23 % de toutes les dépenses de santé étaient couvertes par des sources privées (Sáenz et León,1992). Il n'existe aucune étude sur les dépenses privées dans le secteur de l'éducation. Seuls 8 % des centres pédagogiques du pays sont privés, soit 6 % des effectifs scolaires totaux. La couverture privée la plus étendue se situe au niveau préscolaire, avec 11 % des effectifs totaux. La nature progressive des dépenses sociales Depuis 1980, il semble que la part des dépenses sociales allouée aux démunis soit proportionnelle à leur nombre relatif dans la société. Le tableau 12.10, qui présente les estimations de dépenses sociales pour le cinquième le plus pauvre de la population, témoigne des limitations de la politique sociale. Les subventions viennent essentiellement des programmes généralisés d'éducation et de santé, et représentent un revenu en espèces équivalant à 80 % du revenu autonome moyen que reçoivent les pauvres. Si les programmes de lutte contre la pauvreté – en particulier les bons de logement familial – n'ont pas réellement accru la part de dépenses sociales allouée aux démunis, ils ont au moins eu le mérite de l’empêcher de diminuer (Trejos, 1990; Taylor-Dormond, 1991). Les dépenses publiques de santé ont connu une augmentation progressive. En 1986, 46 % du montant total des subventions allouées au titre des programmes de soins de santé étaient destinés aux zones rurales et 54 % aux zones urbaines, ce qui dénote une légère tendance à favoriser les zones rurales qui représentaient alors 48 % de la population totale. Cette tendance est encore plus marquée pour les services de santé préventive, avec 60 % et, pour les services médicothérapeutiques, 52 % des dépenses allouées aux zones rurales (Rodríguez, 1986). Les trois quarts des familles qui ont bénéficié de ces services font partie des 60 % les plus pauvres de la population, et un quart seulement, des deux cinquièmes les plus riches. Le cinquième le plus pauvre représente 28 % des familles bénéficiant des services de santé gouvernementaux, et le quart le plus riche, 11 % seulement. Les 20 % des familles les plus pauvres du pays bénéficient de 22 % des soins médico-ambulatoires, 28 % des soins de médecine préventive et hospitaliers, et 39 % des services alimentaires et nutritionnels. Cette répartition des dépenses a pour effet d’encourager la redistribution, comme en témoigne le fait 11 que les 10 % les plus pauvres de la population ont reçu 17 % des subventions, contre 9 % pour les 10 % les plus riches (Rodriguez, 1986). Contrairement à la situation qui prévaut pour les dépenses publiques dans le secteur de la santé, les dépenses privées sont clairement en baisse. Une ventilation de la répartition des dépenses de soins de santé par classe sociale révèle que le cinquième le plus riche de la population bénéficie de plus de la moitié de ces dépenses, contre 4 % seulement pour le cinquième le plus pauvre. Ce contraste est particulièrement marqué dans les services de diagnostic et les services spécialisés, où le cinquième le plus pauvre de la population représente moins de 2 % des dépenses privées, contre 80 % pour le cinquième le plus riche (Sáenz et León, 1992). Dans le secteur de l'éducation, la hausse des dépenses publiques a, elle aussi, été progressive. Dans le secteur de l'enseignement primaire, les 40 % les plus pauvres de la population ont bénéficié de 57 % des dépenses publiques allouées à ce secteur, contre 21 % pour les 40 % les plus riches. Au niveau de l'enseignement supérieur, la répartition des dépenses est relativement progressive, la part de dépenses correspondant aux 40 % les plus pauvres étant légèrement supérieure à celle qui correspond aux 40 % les riches (Sauma et Trejos, 1990). En revanche, l'éducation privée en général se révèle très exclusive. Au niveau de l’enseignement primaire et supérieur, elle s'adresse généralement aux revenus les plus élevés. Le prix de l'éducation privée a connu une augmentation rapide durant les années 80. Depuis quelques années, un nouveau type d'établissement scolaire est en train de se développer : des écoles gérées comme des entreprises, contrairement aux institutions pédagogiques religieuses traditionnelles à but non lucratif (Trejos et al., 1994a). Le financement des dépenses sociales13 Les recettes fiscales constituent les trois quarts des ressources financières allouées aux dépenses sociales, et les impôts directs environ la moitié (voir tableau 12.11). Cette catégorie d'impôts ayant tendance à être progressive, on pourrait faire valoir que la base financière des dépenses sociales accentue l'effet redistributif des programmes sociaux de l'État, ou du moins qu’elle ne l'inverse pas. Cette structure diffère de celle du gouvernement central, qui dépend dans une plus large mesure des impôts indirects. La contribution majeure des impôts directs aux dépenses sociales est due pour l’essentiel aux charges sociales prélevées dans les secteurs de la santé et de la sécurité sociale. Cela ressort plus clairement lorsqu’on compare le financement global du secteur social avec celui de l'éducation : ce dernier dépend presque exclusivement des ressources allouées par le gouvernement central, reflétant ainsi sa structure financière. Le tableau 12.11 montre le rôle que jouent les cotisations sociales dans le financement global, en particulier dans le secteur de la santé. En 1970, les cotisations sociales qui ont servi à financer la CCSS représentaient environ un tiers des ressources totales du secteur de la santé; en 1980, le taux était de 50 % et de 69 % en 1990. (Güendel et Trejos, 1994). En réalité, c’est ce type d'impôts, impopulaire au Costa Rica en raison de l’effet potentiellement négatif qu’il peut avoir sur le marché du travail et sur la concurrence, qui a permis de développer et de consolider le secteur de la santé. On pourrait même dire que c'est ce type de financement qui, durant les années 70, a permis de transformer le secteur de la santé en un véritable système de santé national, et de le mettre à l’abri de la crise économique des années 80. Globalement, le secteur social est excédentaire, affirmation qu’il convient toutefois de nuancer, sachant que les deux secteurs les plus importants et qui mobilisent le plus de ressources – la santé et l'éducation – sont déficitaires. D'autre part, malgré des excédents considérables, la sécurité sociale comporte des systèmes de retraite particuliers pour différents groupes de fonctionnaires, qui créent des déséquilibres dans les comptes publics. Faute de mesures de redressement, ces déficits conjugués pourraient bientôt compromettre la viabilité de l’ensemble des dépenses sociales. 12 Le rôle de la coopération internationale 14 Depuis le début des années 50, la coopération technique et financière internationale joue un rôle clé dans les efforts déployés par le Costa Rica pour moderniser la société et établir un réseau moderne d'institutions publiques. Les chiffres fournis pas l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) montrent que le montant net des ressources extérieures affectées au Costa Rica entre 1970 et 1992 s’élevait à 3 413 milliards de dollars, ce qui équivaut pratiquement à sa dette extérieure actuelle. Soixante-dix-huit pour cent de ces ressources ont été obtenues à partir de 1981, c'est-à-dire pendant la crise financière. On notera toutefois que la percée de l'éducation et la transition de la santé ont, pour l’essentiel, eu lieu durant les années 70. L’afflux de ressources étrangères a effectivement joué un rôle important durant la crise économique des années 80. Entre 1970 et 1980, l'aide représentait 1,4 % du PIB, contre 4,5 % entre 1981 et 1992. Toutefois, cette augmentation ne correspondait pas à la dette extérieure qui, dans les années 80, représentait 120 % du PIB du Costa Rica et lui avait fait perdre sa capacité d'emprunt. Cette situation s'explique plutôt par une augmentation des dons, qui constituaient plus de la moitié du montant total de l'aide extérieure versé entre 1981 et 1992. Plus de 60 % de ces dons provenaient du Gouvernement des États-Unis, sous la forme de contributions exceptionnelles versées par ce pays au titre d’une stratégie géopolitique axée sur l'Amérique centrale. Il faut savoir qu’en raison de la guerre civile qui sévissait au Nicaragua dans les années 80, les États-Unis avaient tout intérêt à soutenir la stabilité socio-politique du Costa Rica pendant la crise économique. (Rovira, 1989) La majeure partie des ressources étrangères versées au Costa Rica dans les années 80 était destinée à stabiliser la balance des paiements ce qui, sur le plan social, permit au Costa Rica de se prémunir contre les pressions en faveur d’une compression des dépenses sociales durant la crise économique. Les chiffres de la Banque centrale révèlent l'ampleur de l’aide économique extérieure dans les secteurs de la santé, de l'éducation et du logement entre 1970 et 1980 : 328 millions de dollars, soit 16 % du montant total des crédits extérieurs pour cette période. Entre 1981 et 1992, l’aide extérieure à ces secteurs a chuté à 14 millions de dollars, ce qui représente 4,4 % seulement des crédits extérieurs. Au-delà de son aspect quantitatif, l'aide extérieure allouée au secteur social a joué un rôle déterminant en permettant aux responsables politiques et aux experts techniques costariciens qui avaient conçu et orchestré la politique sociale, de découvrir les pratiques sociales d’autres régions du globe. Les enseignements à tirer et les perspectives d'avenir Le mode de développement qu’a connu le Costa Rica à partir des années 50 est né de la fracture politique causée par la guerre civile de 1948, qui eut un effet catalytique sur les particularités historiques de ce pays favorables à la protection sociale générale, à savoir : son homogénéité socioculturelle, son régime démocratique libéral, la pénurie relative de main-d'œuvre limitant les inégalités dans la structure socio-économique, et sa longue tradition de protection sociale assurée par l'État, notamment la généralisation de l’éducation de base, décidée il y a plus de cent ans, alors que le Costa Rica était encore essentiellement rural, dominé par les petits paysans. Entre 1948 et la fin des années 70, plusieurs processus ont favorisé sa croissance socio-économique. Dans son programme d'action, le parti arrivé au pouvoir à la fin des années 40 concevait la modernisation de la protection sociale et de l'économie comme deux faces d'une même médaille. L’armée fut abolie afin de faire bénéficier les services sociaux de son budget et d’éliminer une source d'instabilité politique. Dans un contexte de croissance économique, la structure de production a été modernisée, restant néanmoins caractéristique d'une économie capitaliste périphérique. L'appareil institutionnel s'est modernisé dans le sens d'un État providence complexe, au sein duquel la politique sociale jouait un rôle préférentiel. La participation 13 communautaire s'est accrue pour résoudre les problèmes collectifs, souvent en partenariat avec le gouvernement. Enfin, un large consensus national s’est dégagé autour d'un projet politique de base. Cette expérience nationale nous offre, à maints égards, des enseignements utiles. Au Costa Rica, l’État, dans le cadre de sa politique sociale, garantissait l’accès de la majorité des citoyens aux prestations directes de services sociaux tels que l'éducation, la santé, le logement ou l'assainissement du milieu. Ces services ont été complétés par des moyens plus sophistiqués tels que technologie de pointe, médecine institutionnalisée ou formation d’une main-d'œuvre qualifiée, qui ont également contribué à faciliter l’intégration du Costa Rica dans les marchés internationaux. Parallèlement, les groupes les plus vulnérables ont bénéficié de deux politiques qui ont eu la particularité d'être lancées dans des périodes de croissance, lorsque les recettes augmentent, et non pas dans des périodes d'ajustement, au cours desquelles les dépenses publiques ont tendance à diminuer. De plus, ces politiques avaient pour but d’intégrer les groupes sociaux cibles dans les politiques sociales généralisées, dont ils avaient été exclus jusque-là. En ce sens, les programmes sociaux sont venus compléter et non pas remplacer les politiques économiques. La politique sociale a démontré qu'elle pouvait promouvoir le développement humain, non seulement en période de croissance économique, mais également dans la période de crise et d'ajustement des années 80. Malgré la détérioration des finances publiques, les institutions sociales ont comblé l’écart entre des compensations sociales faibles et restreintes, et des compensations véritablement efficaces et élargies. La politique sociale a donc créé des conditions sociales, politiques et économiques qui ont accéléré la reprise économique. L'expérience du Costa Rica a également révélé qu’un pays n’a pas besoin de revenus élevés mais plutôt de niveaux croissants de ressources et d’une volonté politique de les consacrer à des objectifs à rendement social élevé. La croissance économique n'a pas été le seul moyen de transférer des ressources vers les programmes sociaux. La redistribution des dépenses au sein de l'État a, par exemple, joué un rôle capital, tout comme la participation accrue de l’État à l'économie. Cela vaut également pour les domaines où la thèse de l'inefficacité congénitale du secteur public ne peut pas être confirmée par les faits. La prestation de services, assurée presque exclusivement par l’État, s’est avérée très efficace en termes de résultats. Au lieu d'incorporer les mécanismes du marché pour atteindre l’efficacité, c'est le mécanisme du « vote » (Hirschman, 1977) qui a été choisi , ainsi que la responsabilisation que permet le système électoral. Actuellement, le Costa Rica traverse une période de transition vers un autre mode de développement, dont les caractéristiques restent à définir. Une tâche essentielle attend le Costa Rica pendant la période à venir : la réforme du modèle de développement social, afin de conserver et d’élargir ses résultats. Il est vrai que le succès de cette réforme dépendra des progrès globaux accomplis par le pays dans le domaine économique et politique, mais il est vrai également qu'elle peut être entreprise immédiatement et que son aboutissement influencera l'orientation générale du développement national. Il est possible d'améliorer l'efficacité des dépenses sociales. Plusieurs mécanismes sont susceptibles d’être utiles à cet égard, notamment : le renforcement du contrôle de l’État sur les programmes sociaux, afin de donner des directives plus claires aux organismes du secteur social et d'améliorer leur coordination; la fermeture ou la restructuration de certains programmes et institutions; la participation communautaire, afin d’exercer des pressions sur les institutions dans le sens d’une plus grande efficacité; la mise à profit des progrès technologiques mondiaux, afin d'améliorer la qualité et la couverture des services et de réduire les coûts; l’introduction de réformes fiscales plus efficaces et progressives; l’amélioration des directives d'admissibilité pour les programmes sélectifs, afin que tous les ayants droit puissent en bénéficier. Les transformations que le Costa Rica encourage actuellement dans le domaine social tendent précisément dans cette direction. 14 1 Le PIB par habitant du Costa Rica est similaire au PIB moyen de la région latino-américaine, et inférieur d’un tiers environ à celui des pays en développement possédant un indicateur du développement humain supérieur (IDH) (Voir tableau 12.2). 2 La guerre, qui a fait 2 000 victimes, a éclaté dans un climat d'insécurité causé par la mise en évidence de la corruption qui régnait au sein du gouvernement et des fraudes électorales. 3 Le PLN et l'opposition dirigent le pays à tour de rôle tous les 4 ans, sauf à deux occasions, l’une au cours des années 70 et l'autre, pendant les années 80 – lorsque le PLN obtient deux mandats consécutifs. Le PLN garde donc constamment le contrôle de l'Assemblée législative jusqu'en 1990, ce qui lui permet de poursuivre les politiques de Figueres. 4 L'absence de forces armées permet également d'économiser sur d'autres types de coûts. Le Costa Rica a trouvé des solutions institutionnelles à la plupart de ses conflits sociaux, réduisant ainsi les coûts que représentent de tels conflits pour les citoyens et les milieux d'affaires (Garnier et Hidalgo, 1991). 5 Allocution radiodiffusée de José Figueres, président de la Junta Fundadora de la Segunda República (Junte fondatrice de la Seconde République), 2 novembre 1949 (Figueres, 1986). 6 Ce chiffre élevé, rarement atteint ailleurs, a peut-être été influencé par l'amélioration des statistiques de l’état civil mais traduit aussi une réduction du taux de mortalité et une augmentation du taux de fécondité résultant de l’amélioration de la santé maternelle (Gómez, 1994). 7 Les taux de natalité sont restés modérément élevés malgré une baisse considérable de la fécondité, ce qui s’explique par l'augmentation du nombre de femmes en âge de procréer dû au taux élevé de croissance démographique enregistré dans les années 60. 8 Nous nous référons ici aux contributions volontaires des associations de voisinage à différents types de programmes de santé et d'éducation au sein de leur communauté, telles que dons de terrains et de matériaux de construction ou mise à disposition de main-d'œuvre pour la construction d'écoles, de nouvelles classes ou de centres de santé ou encore, dons de denrées alimentaires et mobilisation de volontaires pour participer à des programmes de repas scolaires. Bien qu'aucune étude ne permette de quantifier ces contributions, il est évident qu'elles ont été importantes et qu'à l'époque, elles ont eu un effet synergique sur les ressources publiques attribuées à ces communautés. 9 Si l'on considère que les soins primaires ont permis d’améliorer l'accès des populations aux soins secondaires, on peut en déduire un effet indirect des soins primaires sur la réduction de la mortalité infantile, qui pourrait s'ajouter à l'effet direct calculé dans la présente étude. 10 Malgré la baisse spectaculaire du taux de fécondité, passé de 7,6 enfants en 1960 à 3,4 à la fin des années 70, des variations importantes subsistent selon le statut socio-économique de la mère. Des données de 1993 révèlent que le taux de fécondité des mères ayant la situation socio-économique la plus précaire était supérieur de 33 % à celui des mères ayant une situation socio-économique moyenne et de 87 % à celui des mères ayant la situation socioéconomique la plus favorable (Achio, 1994). Ces différences favorisent des taux de croissance démographique élevés au sein des populations pauvres. La fécondité accrue des couches les plus pauvres de la population contribue à expliquer l'effet limité de la chute globale des taux de fécondité sur le recul de la mortalité infantile. 11 Il est très difficile d’estimer avec précision les tendances des dépenses publiques dans le domaine social. Le tableau 12.9 essaie de retracer l'évolution de ces dépenses en se fondant sur les sources les plus fiables disponibles, malgré les limitations évidentes de telles données. 12 Les dépenses militaires des pays d'Amérique latine et des Caraïbes tendent à être très élevées. Dans un groupe de 24 pays de la région, elles représentaient plus de 3 % du PIB (1990-91) pour la moitié des pays considérés, y compris quatre des sept pays d'Amérique centrale. Qui plus est, les dépenses militaires dépassaient de 30 % les dépenses de santé et d'éducation dans 15 de ces pays, et dans 9 (dont 4 se trouvent en Amérique centrale), ce chiffre dépassait 60 % (PNUD, 1994). 13 Étant donné la nature complexe de l'appareil étatique, qui suppose un grand nombre de transferts intersectoriels, il est difficile de récapituler les dépenses et de retrouver la composition du financement. Les estimations du tableau 12.11 reposent sur l'hypothèse selon laquelle les transferts de fonds du gouvernement central vers les institutions chargées de la mise en œuvre des programmes sociaux reflètent la même structure de revenus que celle du gouvernement central. Avec les méthodes de calcul appliquées, le crédit ne figure pas en tant que revenu, mais en tant que financement du déficit, et n'apparaît donc pas en tant que revenu du capital. 14 Les statistiques à ce sujet ont été fournies par ATD Consultores (1994). 15