HISTOIRE DU PEUPLE D’ISRAËL
PAR ERNEST RENAN
TOME CINQUIÈME
PARIS - 1893
LIVRE IX. — AUTONOMIE JUIVE.
I. - Principat de Simon. — II. - Dernières épreuves. L'épopée macchabaïque. — III. -
L'apocalypse d'Hénoch. — IV. - Jean Hyrcan. — V. - Pharisiens et Sadducéens. — VI.
- Les Esséniens. — VII. - Avant-goût du christianisme. — VIII. - Le judaïsme en Égypte.
IX. - La sibylle juive. — X. - Les doux posséderont la terre. — XI. — Aristobule Ier,
Alexandre Jannée.XII. - Apogée de l'État juif. — XIII. - Le règne des Pharisiens,
Alexandra. — XIV. - Fin des Asmonéens, Conquête romaine. — XV. - L'Ecclésiaste.
LIVRE X. — LE PEUPLE JUIF SOUS LA DOMINATION ROMAINE.
I. - Pompée, César, Cassius, Marc-Antoine. — II. - Antigone-Mattathiah. — III. -
Diffusion des Juifs dans le monde entier. La Diaspora . — IV. - Propagande juive. — V.
- Hérode. Extermination des derniers Asmonéens. — VI. - Splendeur profane. Le
nouveau Salomon.VII. - Reconstruction du temple. — VIII. - Fin d'Hérode. IX. -
La Judée province romaine. — X. - Les scribes Hillel et Schammaï. — XI. - L'école juive
d'Alexandrie. Le livre de la sagesse. — XII. - L'immortalité de l'âme chez les Juifs. —
XIII. - Philon. — XIV. - Le logos. — XV. - La vie contemplative. — XVI. - L'agada. Les
fraudes. Crédulité. XVII. - Progrès des idées messianiques. Le cercle de Jésus.
XVIII. - Finito libro sit laus et gloria Christo.
LIVRE IX. — AUTONOMIE JUIVE
CHAPITRE PREMIER. — PRINCIPAT DE SIMON.
Nous avons vu Jonathan l'Asmonéen arriver au rôle de chef de parti très
important sans toutefois conquérir les insignes de la souveraineté. Il y fut
probablement parvenu sans le guet-apens il tomba et la captivité qui mit
bientôt fin à ses jours. Ce fut son frère Simon qui réalisa, au bout de près de
trente ans de luttes, le but poursuivi par l'ambition des fils de Mattathiah.
Il était convenu dans le parti que Simon, à qui l'on accordait un don supérieur de
prudence et d'esprit de gouvernement, prendrait la place de son frère, si celui-ci
venait à disparaître. La position de Simon était une des plus difficiles qu'on pût
imaginer, et un gouvernement sérieux qui eût voulu le perdre l'aurait pu sans
difficulté. Mais, nous l'avons déjà dit, il n'y avait plus de Syrie. Tryphon était un
vrai bandit ; par une cruauté abominable, il se débarrassa de son enfant-roi et se
mit en sa place. L'argent lui manquait ; ses troupes étaient hésitantes. Ce qu'il y
avait de plus dangereux pour Israël, c'était la haine des populations voisines de
la Palestine, qui croyaient le moment venu d'exterminer le peuple qu'elles
détestaient.
Simon rassembla la rousie et montra beaucoup de sagesse. Proclamé
souverain pontife par la nation, son premier acte fut de faire occuper
militairement Joppé, dont l'annexion à la Judée était si incertaine. Tryphon allait
et venait dans le nord de la Palestine, traînant avec lui son malheureux
prisonnier. Simon l'arrêta, par une marche habile, à Hadida. Il exigeait une
rançon de cent talents et les deux fils du prisonnier comme otages. Simon était
persuadé de la duplicité de Tryphon ; mais il y aurait eu quelque chose de dur à
ne pas tout essayer pour sauver son frère. Il paya, donna les otages ; ce qui
n'empêcha pas Tryphon de garder Jonathan et de menacer Jérusalem. Les
Hiérosolymites poussaient vivement le blocus d'Akra ; les vivres manquaient
dans la ville syrienne ; elle envoya réclamer le secours du roi de Syrie. Tryphon
expédia de la cavalerie, qui réussit mal. Il tourna ensuite vers la Cœlésyrie. En
traversant le pays de Galaad, il fit tuer et enterrer Jonathan ; puis il regagna
Antioche.
Simon fit rechercher le cadavre de son frère et le déposa à Modin, près des corps
de Mattathiah et de Juda Macchabée. La pensée d'un grand monument qui
recouvrirait tous ces morts illustres était déjà dans son esprit. L'exécution n'eut
lieu que plus tard.
Démétrius II vivait toujours. Simon s'adressa à lui comme au souverain légitime
de la Syrie, dont il se reconnaissait encore le vassal. Démétrius répondit par une
lettre qui équivalait à une charte d'indépendance :
L
E
ROI
D
ÉMÉTRIOS
À
S
IMON,
GRAND-PRÊTRE ET AMI DES ROIS, AINSI
QU'AUX ANCIENS ET À LA NATION DES
J
UIFS, SALUT
.
Nous avons reçu la couronne d'or et le rameau de palmier
1
que vous
nous avez envoyés. Nous sommes prêts à conclure avec vous une
grande paix et à écrire aux agents du fisc de vous tenir pour quittes de
toutes vos contributions. Et tout ce que nous avons fait pour vous
reste valable, et les fortifications que vous avez bâties, qu'elles soient
à vous. Nous vous remettons toutes les erreurs et fautes que vous
avez pu commettre jusqu'au jour d'aujourd'hui ; et la couronne que
vous devez et tout autre tribut qui était à percevoir à rusalem, qu'il
ne soit plus perçu. Et si quelques-uns d'entre vous sont propres à être
enrôlés dans notre garde, qu'ils soient enrôlés, et que la paix soit entre
nous.
L'année 470 des Séleucides
(an 143 et 142 avant J.-C.)
fut ainsi considérée par les
Juifs comme l'an 1 de leur indépendance
2
.
Il fut décidé que les actes publics ou privés seraient datés ainsi : L'année..., sous
Simon, grand prêtre, stratège et higoumène des Juifs
3
. Simon battit monnaie
4
ou plutôt on battit monnaie sous son principat. Les beaux sicles ou demi-sicles
d'argent portant : Jérusalem la Sainte ; sicle d'Israël, sont de ce temps. Ce sont
des sicles de ville libre, et l'ère qui s'y trouve semble bien être celle de la liberté
de Jérusalem
5
. Plus tard, pendant la grande révolte juive, on surfrappa à son
nom des monnaies romaines. Il était devenu le fondateur de la dynastie
nationale, et c'est son nom que l'on voulut inscrire, quand l'esprit national se
réveilla, sur les pièces desties à un usage religieux
6
.
L'influence romaine fut certainement pour beaucoup dans cet événement
considérable. L'idée de s'appuyer sur cette puissance toujours grandissante, en
opposition avec les Séleucides, devait venir naturellement, et, quoique les idées
que les Juifs se faisaient des Romains fussent encore des plus naïves
7
, Simon
chercha sans aucun doute de l'appui chez ceux que tout lui indiquait comme
hostiles à ses adversaires
8
. Les Romains, d'un autre côté, se prêtèrent volontiers
à des tractations qui les engageaient peu et ils n'avaient à donner que ce qui
ne leur appartenait pas. Il y eut donc des négociations, qui plus tard furent
transformées en traités réguliers et titres officiels
9
. Puis l'on rapporta
1
Les cadeaux d'or se faisaient sous forme de couronnes ou de palmes que l'on
convertissait ensuite en numéraire.
2
Comparez Justin, XXXVI, 1, 10 ; III, 9.
3
I Macchabées, XIII, 42 ; Josèphe, Ant., XIII,
VI
, 6.
4
I Macchabées, XV, 6, qui aurait sa valeur, même quand la lettre d'Antiochus Sidétès
serait fausse.
5
Merzbacher, dans le journal de Sallet, 1878, p. 292-319 ; Madden, Jew. coin. (nouv.
édit.), p. 65-67. L'aspect antique de ces pièces écarte l'hypothèse de quelques savants
qui voudraient les rapporter au temps de la première révolte. V. Schürer, t. I, p. 635 et
suiv. ; t. II, p. 192 et suiv.
6
Origines du christianisme, t. VI, p. 203 et suiv. Ceux qui voient dans ce nom une
désignation d'un personnage du temps de la révolte font comme celui qui viendrait
demander à un cabinet de médailles des monnaies de Robespierre, de Gambetta.
7
I Macchabées, ch. VIII.
8
Amicitia Romanorum petita, primi omnium ex orientalibus libertatem acceperunt, facile
tune Romanis de alieno largientibus. Justin, XXXVI,
III
, 9.
9
I Macchabées, XIV, 16 et suiv., 24, 40. Ce qui est rapporté I Macchabées, XV, 15-24,
est certainement faux. Les singulières ressemblances de Josèphe, XIV, VIII, 5 (sous
Hyrcan II) avec ce que le premier livre des Macchabées place sous Simon (V. Schürer, II,
p. 199-200) ne sont pas faites pour inspirer beaucoup de confiance dans tout ce qui
rétrospectivement aux temps de Juda Macchabée et de Jonathan ce qui n'était
vrai que du temps de Simon. Il y eut sûrement vers ce temps des Juifs à Rome ;
car un singulier renseignement nous a été gardé sur leur propagande indiscrète
et le mauvais accueil qu'on y fit
1
.
Les sept ou huit années du principat de Simon
(143-135)
, malgré la guerre dont
nous parlerons bientôt, furent prospères. Les apostats, les tièdes furent
soigneusement écartés
2
; les anavim furent protégés
3
. Les places fortes furent
remises en état et bien approvisionnées. Le temple fut embelli et le mobilier
sacré enrichi
4
. Gézer et Joppé vinrent arrondir le petit domaine juif. Gézer
surtout eut dès lors beaucoup d'importance ; on en fit une ville toute juive
5
, et
Simon s'y construisit une maison. Quand on prenait une de ces villes autrefois
païennes, on en chassait les habitants, on purifiait les maisons il y avait
quelque signe idolâtrique ; puis on entrait en chantant des hymnes et des
bénédictions. On remplaçait la population expulsée par des observateurs de la
Loi. A Gézer, on poussa le scrupule jusqu'à poser sur les routes des inscriptions
marquant le point jusqu'où l'on pouvait aller le jour du sabbat
6
.
Enfin l'Akra maudite tomba. Il y avait près de trente ans que les Juifs pieux
voyaient se dresser à côté de leur ville cette odieuse citadelle, qui représentait la
domination de l'étranger et servait d'asile à tout ce qu'ils haïssaient. Le système
de blocus inauguré par Jonathan porta ses fruits. On mourait de faim entre ces
hauts murs ; on ne pouvait se ravitailler d'aucun côté. Les gens d'Akra
demandèrent à capituler ; ce à quoi Simon consentit. Tous furent chassés ; on fit
les purifications voulues ; puis la population orthodoxe prit possession de la
place, en chantant des psaumes, au son des cinnors, des cymbales et des
nebels, en portant des palmes à la main, le 23 iyyar de l'an 442. Ce jour fut
pendant quelque temps un jour de fête nationale
7
.
Les textes anciens ne disent nullement que Simon fit raser la citadelle d'Akra ; ils
disent plutôt le contraire
8
. Akra devint citadelle juive, après avoir été citadelle
syrienne. Les constructions syriennes restèrent la base des constructions assez
fortes qui couvrirent toujours depuis la colline occidentale
9
. Simon fortifia la
colline opposée, et s'y fit bâtir une demeure, pour lui et les siens, près de
l'enceinte sacrée. Quand il vit que son fils Jean était devenu un homme, il lui
donna le commandement des troupes et l'établit à Gézer. Aucun païen, ni aucun
Juif helléniste, ayant trempé dans les coupables entreprises d'Antiochus
concerne ces relations diplomatiques. Ni les historiens macchabaïques, ni Josèphe ne
travaillèrent sur des pièces.
1
Valère Maxime, I,
III
, 2 : Idem [prietor Hispalus] Judæos, qui Sabazi Jovis [Jova-
Sabaoth] cultu Romanos inficere mores conati erant, repetere domos suas coegit. Cf.
Schürer, I, p. 200 ; II, p. 505-506.
2
I Macchabées, XIV, 14.
3
I Macchabées, XIV, 14.
4
I Macchabées, XIV, 15.
5
Cf. Strabon, p. 759.
6
Clermont-Ganneau, Acad. des Inscr., Comptes rendus, 1874, p. 201 ; Schürer, I, p.
194-195, note (texte résumant).
7
I Macchabées, XIII, 49-52 (cf. XIV, 7, 36-37) ; Megillath Taanith, § 5, Derenbourg,
Pal., p. 67.
8
I Macchabées, XIII, 50. Si on devait la détruire, pourquoi la purifier ? Tout ce que dit
Josèphe, Ant., XIII,
VI
, 6, est un conte puéril. Le passage I Macchabées, XIV, 37 (tide
l'inscription), est décisif. Cf. XV, 28.
9
Robinson, Palästina, t. II, p. 17, 25, 110-114.
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