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Enquête sur le vécu des patients bipolaires 19
Dans l’ouvrage de référence sur les troubles de l’hu-
meur et le trouble bipolaire, Goodwin et Jamison [1] résu-
ment le pronostic du trouble bipolaire en soulignant que
sur le plan des manifestations cliniques, seul un tiers des
patients atteint la rémission complète, tandis qu’un sur
cinq présente des manifestations de la maladie de façon
constante, et la moitié n’est pas indemne de symptôme.
Sur le plan du fonctionnement social, les auteurs considè-
rent que seuls 30 % des patients ont une récupération fonc-
tionnelle complète, tandis que 30 % présentent un véritable
handicap social, 40 % présentant un handicap plus modéré
mais réel.
La persistance de symptômes dits résiduels, après l’ob-
tention d’une rémission de la dépression ou de la manie,
constitue un autre enjeu thérapeutique majeur. En
témoigne l’étude naturaliste prospective STEP-BD
(Systematic Treatment Enhancement Program for Bipolar
Disorder) portant sur 1 500 patients, où durant le suivi de
deux ans, 58 % seulement des patients sont en rémission, et
49 % ont récidivé, le risque de récidive étant accru en pré-
sence de symptômes résiduels [10].
Le moment du diagnostic
Parmi les marges de progression dont on dispose pour amélio-
rer la prise en charge des patients souffrant de troubles bipo-
laires, une diminution du retard au diagnostic est l’une des
plus importantes. Dans l’étude ECHO, la quasi totalité des
patients a consulté au moins une fois avant l’établissement du
diagnostic de trouble bipolaire, pour des symptômes du
registre bipolaire : trouble du sommeil, anxiété, troubles
dépressifs, fatigue, troubles du comportement (Fig. 1)
L’acteur-clé du diagnostic reste le psychiatre : dans la
majorité des cas, le psychiatre est l’intervenant de santé
qui a posé le diagnostic, alors que 74 % des patients étaient
déjà suivis par un médecin généraliste au moment du dia-
gnostic, le diagnostic étant souvent posé à l’occasion de la
première hospitalisation.
Le trouble bipolaire est un trouble qui se manifeste
tôt : dans l’enquête ECHO, l’âge moyen des premières
manifestations du trouble est de 25 ans, l’âge moyen au
moment du diagnostic est de 30 ans, coïncidant souvent
avec une hospitalisation (schéma de la diapositive 18). On
peut également relever que près de 40 % de sujets avaient
présenté une symptomatologie avant 18 ans, le diagnostic
ayant été porté avant 18 ans chez 15 % des sujets. Ces don-
nées sont cohérentes avec celles de l’étude euro-
péenne [8,9], dans laquelle 33 % des patients avaient
présenté leurs premiers symptômes avant 20 ans ; les
chiffres nord-américains [4] montrent, même, que les pre-
miers symptômes apparaissaient avant 20 ans chez 50 % des
patients.
L’enquête ECHO [4] souligne un point essentiel : malgré
une communication importante dans le grand public autour
leurs amis (44 %), ou de leur famille (36 %). Si l’ensemble
des patients disent avoir au moins un interlocuteur pour
parler de leurs troubles, il s’agit essentiellement de profes-
sionnels de santé (95 %), et encore trop rarement de la
famille (43 %) ou des amis (52 %).
Ces données sont en accord avec celles de l’étude euro-
péenne [8,9], où les patients notaient majoritairement un
impact notable de la maladie sur leur vie passée ou
actuelle, et relevaient fréquemment des interférences de
la maladie avec leurs relations familiales, amicales, conju-
gales, professionnelles, le trouble bipolaire ayant, pour 30
à 40 % d’entre eux, constitué un handicap pour leur car-
rière professionnelle.
Le devenir fonctionnel doit être in fi ne notre préoccu-
pation majeure. Ainsi, dans Tohen et al. [11] objectivaient
ce retentissement social, en montrant que 2 ans après une
première hospitalisation pour manie, si la grande majorité
des patients (98 %) étaient en rémission syndromique, et
une large proportion étaient en rémission symptomatique
(72 %), seuls 43 % étaient en rémission fonctionnelle.
Le vécu de la maladie
D’une manière générale, les sujets bipolaires ont conscience
de la chronicité de la maladie. La majorité d’entre eux
pensent que les troubles bipolaires peuvent être soignés
(61 %) et qu’ils sont maîtrisables (68 %). Mais une majorité
également a peur de la rechute (69 %) et ressent la néces-
sité d’efforts permanents pour contrôler la maladie (64 %).
Même si les patients étaient considérés par leur théra-
peute comme en phase d’euthymie pour être inclus dans
l’enquête, ils se sentent mal stabilisés dans 42 % des cas,
avec une symptomatologie résiduelle surtout dépressive
(31 %), mais aussi qualifi ée « d’agitation » (11 %) ou proche
de « l’agitation » (10 %). En conséquence, l’acceptation de
la maladie est diffi cile ; et 56 % des patients seulement se
sentent personnellement bipolaires, 10 % ne se sentant pas
bipolaires, et 33 % variant d’opinion selon les jours.
Ceci fait écho aux résultats des fameuses études de
l’équipe de Judd [5,6], ayant suivi des patients bipolaires I
et II durant plus de 10 ans, avec des agendas de l’humeur
renseignés de façon hebdomadaire, et qui montrent que les
patients passent près de la moitié de leur temps avec des
symptômes, le plus souvent dépressifs (32 %, dont 24 % sub-
syndromiques et 8 % en épisode dépressif majeur). De plus,
les patients changent de statut thymique en moyenne 6 fois
dans l’année, et changent 3 fois par an au moins de pola-
rité. En dehors des épisodes dépressifs et maniaques francs,
visibles, persistent souvent des symptômes : dépression,
fatigue, manque d’énergie ou au contraire agitation, exci-
tation. Tout ceci a nécessairement un retentissement sur
leur fonctionnement social, professionnel et familial, et
ce, dès lors qu’existent des symptômes thymiques, qu’ils
soient dépressifs ou maniaques.