Orthèses de marche du blessé médullaire T12-L3 : quelle utilisation à long terme ? S. Piatek : MKDE - CMUDD, P. Renard : MKDE CdS - CMUDD Contexte : Rares sont les patients paraplégiques accueillis au Centre Médico-Universitaire Daniel Douady (C.M.U.D.D.) qui refusent, à priori, l’essai de marche appareillée proposé par les rééducateurs. Il est même fréquent que leur demande devance cette proposition. Il est communément admis que l’indication d’appareillage qui fait suite à un bilan précis de l’état général du patient, de son niveau lésionnel, et plus particulièrement de ses capacités motrices et de sa motivation peut permettre : • de participer au processus de deuil • d’entretenir, voire d’améliorer la condition physique • de réduire la situation de handicap en augmentant la capacité de circulation vers des espaces inaccessibles au fauteuil roulant Etant entendu qu’il est nécessaire de s’appuyer sur une recherche bibliographique qui reste à faire pour étayer ces affirmations, nous nous sommes cependant référés à : « L’appareillage de marche des paraplégiques : recommandations de bonne pratique en médecine de rééducation, à l’issue de la réunion scientifique de L’A.F.I.G.A.P. du 28/05/99 », disponibles dans le compte-rendu de réunion A.F.I.G.A.P. 1999. Suite à ce constat, nous nous sommes posés la question de l’utilisation de cet appareillage à long terme: • que reste-t-il de l’intérêt du patient pour l’appareillage une fois le processus de deuil suffisamment avancé ? • avec les années, existe-t-il toujours une incidence de l’utilisation de l’appareillage sur la condition physique ? • existe-t-il des utilisations fonctionnelles de la marche appareillée ? et avons décidé de mener une enquête auprès de nos anciens patients. Questions posées : Utilisez-vous toujours vos orthèses de marche ? Avec le recul, que pensez-vous de l’utilité de la prescription initiale d’appareillage ? Identification de la population cible : Afin de constituer un groupe le plus homogène possible, nous avons choisi de n’inclure dans notre enquête que les patients présentant une paraplégie d’origine traumatique avec bilan orthopédique satisfaisant. Nous nous sommes intéressés aux indications d’appareillage dans notre pratique : • • • L3 sain : si le patient a un bon état général et s’il est motivé, on ne se pose pas la question de l’indication, la marche est possible grâce à la présence du quadriceps. Les patients dont le niveau est supérieur à T10 sont rarement appareillés dans notre centre. Nous considérons donc un intervalle T10 – L3 à l’intérieur duquel l’indication d’appareillage est discutée. Dans cet intervalle, nous avons choisi d’exclure tout patient présentant une atteinte du tronc, réduisant ainsi les biais liés aux dépenses énergétiques importantes, aux troubles de la statique et de l’équilibration. L’intervalle identifié correspond donc à T12 sain – L3 complet (moteur), Asia A à C. Les biais : Nous n’avons pas exclu du groupe les critères de non appareillage, à savoir : • L’âge des patients et leur condition physique générale • Les troubles sensitifs et douloureux • L’importance du traumatisme rachidien initial et du matériel d’ostéosynthèse s’il est toujours présent • L’évaluation des muscles abdominaux : difficulté d’affirmer l’intégrité des myotomes thoraciques inférieurs dans la mesure où l’évaluation musculaire type testing des abdominaux cotés à 5 suppose la présence des fléchisseurs de hanche. • Le manque de motivation, de participation des patients La méthode : Le dossier patient étant informatisé dans notre établissement depuis le 1er janvier 1999, nous avons extrait à partir de cette date, la liste de tous les patients hospitalisés dont le diagnostic principal ou secondaire contenait le terme « paraplégie », qu’ils aient été admis en phase initiale, suite à une chirurgie d’escarre ou pour tout autre motif. Nous avons exclu de la liste les patients dont la paraplégie avait moins d’un an d’ancienneté afin de ne pas interroger : • ceux qui n’étaient pas encore appareillés • ceux dont l’apprentissage de la marche appareillée n’était pas finalisé Nous avons ensuite classé la liste selon les étiologies afin d’exclure toute paraplégie non traumatique puis nous avons repéré les patients dont le niveau lésionnel se situait à l’intérieur de notre intervalle. Nous avons enfin effectué une recherche sur les dossiers médical et kiné des patients identifiés afin de noter : • état civil / âge / sexe • niveau lésionnel / Asia (A, B, C) • date de survenue de la paraplégie / date de sortie de notre établissement • motricité volontaire / involontaire • éventuelle confection d’appareillage / indication / type / date de livraison • bilan de marche à la sortie du centre L’entretien téléphonique : Il avait pour objectif de noter : • l’utilisation de l’appareillage (en permanence / jamais / parfois) • l’éventuel renouvellement / modifications • le cas échéant, le bilan de marche actuel • le ressenti du patient sur l’intérêt de l’appareillage (question ouverte). Résultats : Nb total de patients paraplégiques T12 sain L3 complet # T12 atteint( et >) L3 sain (et <) "Parésie" (quadriceps présent) Queue de cheval Paraplégie d'origine médicale Spina Bifida Monoplégie Paraplégie psychiatrique (hystérie) Amputation associée Récupération complète Décédés Durée d'utilisation des orthèses avant abandon 274 25 112 6 9,12% 40,88% 2,19% 62 22,63% 20 7,30% 20 7,30% 13 5 4,74% 1,82% 5 1,82% 3 1 2 1,09% 0,36% 0,73% T12 sain - L3 complet Nb de patients 25 Non appareillés 5 20% Appareillés : orthèses 20 80% cruro-pédieuses) Causes du non appareillage Surcharge pondérale 2 Age / Etat général 1 Douleurs neurologiques 1 Choix personnel: 1 refus de prolonger le séjour Nombre de patients appareillés joints par téléphone 16 Nombre de patients appareillés joints par téléphone Dans la 1ère année Dans la 2ème année Dans la 3ème année Dans la 4ème année Dans la 5ème année Total 10 16 4 3 1 0 2 63% Raisons évoquées pour abandonner l'appareillage Autonomie réduite 5 conséquences physique 5 (douleur, spasticité, escarres…) Autres moyens de verticalisation 4 plus confortables Accessibilité / environnement 2 Risque de chute 2 Vitesse de déplacement 1 Fatigue 1 Abandon de prise en charge 1 Durée d'utilisation des orthèses toujours portées depuis la sortie du centre 6 ans et plus 3 Moins de 2 ans 1 Moins d'un an 2 Fréquence Tous les jours 2 1 fois par semaine 4 Etait-il utile de prescrire un appareillage ? Nombre de patients appareillés joints par téléphone 16 Inutile 2 19% Accessoire 1 Utile 9 81% Indispensable 4 Inutile / Accessoire Utile / Indispensable Arguments avancés Indication mal posée (douleurs) Fauteuil moins contraignant Autre moyens de verticalisation plus pratique Entretien de la musculature dans l'attente d'une avancée de la recherche médicale Prendre conscience de la difficulté de marche pour mieux accepter le fauteuil Repérer ses limites Savoir que l'on peut toujours se mettre debout Etre au niveau des autres Conserver / améliorer l’activité de marche Accessibilité Verticalisation active Discussion : Le choix de l’intervalle T12 sain – L3 complet n’a pas pour objectif d’être en contact avec le plus grand nombre possible de patients paraplégiques mais de répondre à une interrogation concernant l’utilité de l’appareillage de marche à long terme pour des patients dont les conditions physiques semblent justifier sa prescription. Or 65% d’entre eux ont abandonné la marche appareillée à court ou moyen terme. Il ne faut pas pour autant remettre en question l’intérêt de la prescription d’orthèses de marche dans la mesure où : • 35% des patients interrogés continuent de les utiliser, 19% depuis plus de 6 ans, en permanence pour certains. • 70% des personnes ayant abandonné la marche appareillée considèrent que la prescription d’appareillage était utile, voire indispensable (concernant les 3 personnes ayant jugé cette prescription accessoire voire inutile, deux d’entre elles ont une paraplégie depuis plus de 10 ans, la troisième considère que l’indication était mal posée compte-tenu de douleurs importantes et persistantes). Les résultats de l’enquête confirment l’utilité de la marche appareillée dans l’avancée du processus de deuil. Par contre, une personne a abandonné ses orthèses après 5 ans car leur utilisation avait entraîné des flexum de hanches. Nous supposerons un défaut d’apprentissage de marche pour expliquer l’altération de la condition physique. Enfin, il semblerait que le port d’appareillage ne permette pas toujours de réduire la situation de handicap puisque 6 personnes (38% des personnes appareillées interrogées) lui opposent une difficulté augmentée en terme d’accessibilité et une autonomie réduite (tierce personne pour se mettre debout, mains occupées avec les cannes…). Conclusion : Malgré un abandon important des orthèses de marche chez le patient paraplégique T12 sain – L3 complet, nous avons vu qu’il ne fallait pas pour autant remettre en question sa prescription ; il reste cependant essentiel d’être attentif aux critères justifiant son indication (état général, motivation…). Cependant, au vu de cet abandon et dans un souci de maîtrise des dépenses de santé, nous souhaitons rappeler que l’A.F.I.G.A.P. recommande un test systématique de marche appareillée avec attelles provisoires. Il reste à déterminer le délai à partir duquel nous considérerons appropriée la confection d’un appareillage définitif et le type d’orthèses d’essai à produire.