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Schedae, 2012, prépublication n° 1 (fascicule n° 1, p. 1 - 14)
http://www.unicaen.fr/services/puc/preprints/preprint0012012.pdf
Tout comme Marshall, Thorstein Veblen fait également référence à l’ambiance
économique dans son ouvrage Place of Science in Modern Civilisation (1915). Comme
l’exprime Julien (2005, 154), cette ambiance facilite la formation des idées et le partage
d’informations de sorte que les bonnes idées en circulation se multiplient ; les entrepreneurs
bien intégrés dans cet environnement sont libres de se les approprier. Veblen réfl échit
également aux actifs intangibles présents dans l’environnement, qui peuvent être utiles aux
entrepreneurs et aux grappes ou clusters, et qui sont susceptibles de stimuler l’innovation
et la performance des entreprises (Julien 2005, 154 ; Tremblay 2002, 1995).
John R. Commons aussi rejette le point de vue traditionnel de l’économie à propos de
l’entreprise individualiste et il souligne l’importance des apports institutionnels (Tremblay
2002 ; Julien 2005). Il reconnaît l’importance des normes s’inscrivant à titre de caractéristiques
dans un milieu donné et qui ont pour effet de faciliter l’activité économique et l’innovation
sur le territoire. Comme on est à même de le constater, tous ces éléments s’apparentent
de très près à la notion d’atmosphère industrielle d’Alfred Marshall, ici considérée comme
séminale pour la théorie des clusters ou grappes. Ces perspectives théoriques originales
auront été malencontreusement quasi oubliées pendant une grande partie du XX
e
siècle
jusqu’à leur redécouverte par les auteurs italiens étudiant les districts industriels de leur pays
(Garofoli 1985 ; Beccattini 1991 ; Brusco 1994 ; Benko et Lipietz 1992).
La théorie des clusters-grappes se concentre un peu plus sur l’innovation technologique
et la performance des entreprises, mais des travaux plus récents soulignent les compétences
et la main-d’œuvre à titre de dimension déterminante dans les processus d’innovation
technologique ou dans la création de nouveaux produits. La théorie des districts industriels a
l’avantage d’appuyer cette dimension et les tenants de la théorie des clusters y ont consacré
un peu plus d’attention ces dernières années.
Systèmes locaux de production et milieux innovateurs
Contrairement aux théories des districts industriels, les théories traitant des systèmes locaux
de production (Courlet 1994) ou des milieux innovateurs ne se limitent généralement pas
à un seul secteur comme le font les grappes industrielles et les districts industriels. De la
même façon, les systèmes locaux de production soulignent l’importance des relations
formelles et informelles pour la circulation de l’information, ce qui encourage en retour le
développement des compétences et de l’innovation. En effet, les échanges d’informations
jouent un rôle essentiel dans l’innovation et donc dans les milieux novateurs. La théorie des
milieux innovateurs développée par les chercheurs du GREMI (Groupe de recherche européen
sur les milieux innovateurs, université de Neufchâtel, Suisse ; voir Julien 2005 à ce sujet), met
l’accent sur l’aspect socioculturel plutôt que sur les compétences, bien que les compétences
et la main-d’œuvre apparaissent comme prépondérantes pour le développement des milieux
novateurs dans des territoires spécifi ques. Ces théories suggèrent aussi que les régions (à
différents niveaux géographiques) sont des actrices dynamiques et non pas des réceptrices
passives de l’activité économique, et que la proximité intensive des intervenants accroît leur
capacité d’apprentissage et donc les possibilités d’innovation (Veltz 1996).
Cependant, la théorie des milieux innovateurs du GREMI met l’accent sur les facteurs
socioculturels et elle a connu davantage de succès dans l’espace européen et francophone,
alors que les clusters focalisent sur les dimensions technologiques et la performance, dans
les études anglo-saxonnes. De plus, le souci de développer une typologie de la gouvernance
et de la proximité est plus présent chez les auteurs européens et francophones, alors que la
gouvernance et la proximité sont généralement considérées comme les bases institutionnelles
et organisationnelles des grappes industrielles (voir Gertler et Wolfe 2005).