La femme dans le théâtre de Robert Poudérou

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Laëticia PERRAY
La femme
dans le théâtre
de Robert Poudérou
EL Espaces
Littéraires
La femme dans le théâtre
de Robert Poudérou
Espaces Littéraires
Collection fondée par Maguy Albet
Dernières parutions
Textes réunis et présentés par Michèle AQUIEN, L’érotisme
solaire de René Depestre, Éloge du réel merveilleux féminin,
2014.
Ghada EL-SAMROUT, L’itinéraire mystique dans l’œuvre de
Salah Stétié, 2014.
Fabrice BONARDI (dir.), Parfums de l’âme et autres feux
follets, 2013.
Ralph ALBANESE, Racine à l’école républicaine ou les enjeux
socio-politiques de la tragédie classique (1800-1950), 2013.
David MICHEL, Amélie Nothomb. L’écriture illimitée, 2013.
Nicole BERRY, John Cowper Powys, au-dessus de la terre
l’oiseau. Un homme dans son œuvre, 2013.
Magda IBRAHIM, Prière d’un petit enfant nègre de Guy
Tirolien. Un manifeste de la Négritude, 2013.
Fabrice BONARDI (dir.), Des nouvelles du désir, 2013.
Simone GOUGEAUD-ARNAUDEAU, Crébillon le Tragique,
2013.
Berkiz BERKSOY, Ahmet Hamdi Tanpınar, 2013.
Najib REDOUANE et Yvette BÉNAYOUN-SZMIDT, Le pari
poétique de Gérard Étienne, 2013.
Annie RICHARD, L’autofiction et les femmes. Un chemin vers
l’altruisme ?, 2013.
Calisto, La femme surréaliste : de la métaphore à la métonymie,
2013.
Claude FRIOUX, Le Chantier russe. Littérature, société et
politique. Tome 4 : Ecrits 1980-2012, 2013.
Muguraş CONSTANTINESCU, Pour une lecture critique des
traductions. Réflexions et pratiques, 2013.
Lidia COTEA, À la lisière de l’absence. L’Imaginaire du corps
chez Jean-Philippe Toussaint, Marie Redonnet et Éric
Chevillard, 2013.
André LUCRECE, Aimé Césaire. Liturgie et poésie charnelle,
2013.
Laëttitia PERR
RAY
La femmee dans le théâtre
de
d Robbert Po
oudérou
u
5
© L'HARMATTAN, 2014
5-7, rue de l'École-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.harmattan.fr
[email protected]
[email protected]
ISBN : 978-2-343-03460-7
EAN : 9782343034607
J’ai fait en quarante ans d’écriture de pièces
de théâtre et de radio-drames,
un parcours d’un ciel plombé (drames et tragédies)
à un ciel étoilé (comédies)
où la femme est figure de proue de la vie.
Robert Poudérou
Un jardin de femmes
« Une femme passe et notre nuit noire
n’est plus sans étoile. »
(R. POUDÉROU, Le Fou du clown)
Lisant les textes de Robert Poudérou, je fus frappée par
une évidence : cet auteur aime les femmes. Il leur écrit de
beaux rôles. Elles sont les personnages positifs de son
théâtre. Elles apaisent, protègent, raisonnent, luttent pour
la raison et la liberté mieux que les hommes, car pour
toutes, « aimer, c’est agir1. »
Aujourd’hui où elle étudie son œuvre, Laëticia Perray,
analyse leur place avec intelligence, rigueur et admiration.
Elle dit très joliment, à propos de Robert Poudérou, que le
« jardin de femmes » de son enfance lui a ouvert les yeux
sur la condition féminine, et nous savons l’importance de
ces premiers émois, ces premières relations pour tout être
humain.
Ce n’est certes pas lui, qui aurait dit, comme son
Montaigne2 : « Dieu que la femme me reste obscure ! » car
Robert Poudérou semble tout savoir, tout comprendre
d’elle. Il explore en effet à travers les femmes, toutes les
classes de la société, toutes les époques, tous les âges,
1
- Victor HUGO, Journal du 19 mai 1885.
- Parce que c’était lui, parce que c’était moi (édition des QuatreVents).
2
9
toutes les facettes de la condition féminine et pourrait
affirmer, parodiant Térence et Montaigne : « rien de ce qui
est féminin ne m’est étranger ».
Il va chercher ses héroïnes dans le passé, dans
l’Histoire, dans les villes, dans les campagnes, et même
dans la mythologie que le cinéma a créée3. Mais, qu’elle
soit servante comme la sensuelle métisse Sarajane4, ou la
naïve Rosalie 5 , professeure épanouie comme Hélène 6 ,
comédienne à l’âge de la maturité comme Sophie7, ou à
l’âge de la jeune première comme Agnès8, directrice du
personnel comme Jenny 9 la quarantenaire, journaliste
comme Armelle 10 , « mesnagère » 11 comme Françoise2,
femme de lettres comme Marie2, elles sont déterminées et
ne désespèrent pas de faire comprendre à l’homme égoïste,
qu’il a besoin d’elles.
Et c’est d’elles, le plus souvent qu’il apprend, comme
un enfant, à se connaître et découvrir le monde et à
changer la société close 12 dont Bergson se désolait en
société ouverte dont il rêvait. Laëticia Perray a donc raison
de dire que dans le théâtre de Robert Poudérou, elles
« redonnent naissance aux hommes en les arrachant à la
misère affective ».
Face à une tradition de souffrance et d’abnégation, les
femmes accomplissent la quête du bonheur qui passe par
3
- Quai des brumes de Marcel Carné, 1938.
- J’ai aimé vous regarder vivre (ALNA éditeur).
5
- Le Plaisir de l’amour (édition des Quatre-Vents).
6
- Pas deux comme elle (Art et Comédie).
7
- Le Plaisir de l’amour (édition des Quatre-Vents)
8
- Je suis un homme charmant (éditions L’Œil du Prince).
9
- Le Pool en eau. (éditions Crater)
10
- Je suis un homme charmant (op.cit.)
11
- Parce que c’était lui, parce que c’était moi (édition des QuatreVents).
12
- BERGSON Henri, Les Deux sources de la morale et de la religion
(PUF).
4
10
l’affirmation : « la femme vaut l’homme »4. Et pour que
lui, soit heureux, il faut qu’il trouve en chaque femme
« une femme soignante » comme une mère, « une femme
servante » qui lui soit dévouée, « une femme salace » pour
les jeux de l’amour, une « femme conductrice » pour
guider sa vie13 . Rares sont les femmes qui peuvent être
toutes ces femmes à la fois ? Pas dans le théâtre de Robert
Poudérou, cet incorrigible optimiste ! Elles y « tiennent au
chaud la tendresse »7, et sont des féministes sans fiel.
Mais diront ses lectrices : aux vertus qu’on exige de
cette femme syncrétique connaissez-vous beaucoup
d’hommes qui soient dignes d’être femme ? Ceux qui se
sont libérés avec elles des figures imposées par des
conventions imbéciles. Ceux qui ont accepté de lutter avec
elles et non contre elles.
Mais enfin, d’où ces femmes tirent-elles cette force,
cette énergie à vaincre les préjugés ? De l’amour. Celui
que chantent les romantiques, « un oiseau d’avant14 », un
oiseau de toujours, celui qui peut « rallumer les étoiles »
comme disait Nelly3.
Et c’est sans doute grâce à elles, que « le jardin des
femmes » peut se transformer en jardin d’Éden.
Danielle DUMAS
13
14
- Quatre personnages féminins du Fou du clown (Art et Comédie)
- Les Oiseaux d’avant (Avant-Scène théâtre N°983)
11
Introduction
Robert Poudérou est un dramaturge bien connu pour ses
pièces engagées sur le plan social 15 . Concerné par le
monde qui l'entoure, il s'efforce, dans ses textes, de lutter
contre toutes sortes d'injustices. Dans ses pièces, il a déjà
abordé des thèmes tels que la guerre d'Algérie, les
conditions de vie du peuple Rom ou encore l'immigration.
Ainsi, c'est tout naturellement qu'il s'est intéressé à la
place des femmes dans notre société. Son œuvre est
parsemée de personnages féminins de tous âges et de
toutes origines. Des femmes qui, bien qu'elles soient très
différentes, sont liées par le même combat : celui pour la
reconnaissance et l'émancipation.
Dans sa Dordogne natale, Robert Poudérou a grandi
dans un jardin de femmes, entouré de sa mère, ses grandmères et ses tantes. Ces dernières ne sont sans doute pas
étrangères au fait que le dramaturge porte tant d'attention
au sort réservé à la gent féminine. Et la situation en France,
pays plutôt rétrograde en matière de droits des femmes,
avait de quoi retenir son attention. Comment ne pas
prendre la plume, dans un état qui n'autorise le droit de
vote aux citoyennes qu'en 1944, un état où il faut attendre
1965, pour que les épouses aient le droit de travailler sans
l'accord préalable de leur mari. Dans les années 1970, les
femmes entament une lutte pour pouvoir disposer
librement de leur corps. Elle prend fin dix ans plus tard,
15
Le théâtre de Robert Poudérou, Guy Sabatier, L’Harmattan, Paris,
2013
13
suivie par bien d'autres pour tenter de se soustraire à la
domination brutale des hommes.
Certains, naturellement, embrassent leur cause, soit au
niveau politique, soit au niveau culturel. C'est le cas de
Robert Poudérou, qui grâce à sa langue sensible et
généreuse dresse des portraits de femmes fortes ou fragiles,
mais qui ne sont pas prêtes à capituler. Cependant, le
dramaturge ne s'arrête pas là. Plus que la militante, il
décrit les multiples facettes de la femme. Tous les
personnages féminins, rassemblés, forment une fresque
représentant l'essence même de la féminité. Dépassant la
simple approche féministe, il aborde aussi les relations au
corps et à l'âge, les rapports à la maternité et peint une
figure presque sacrée, une nouvelle Ève : innocente sans
être naïve, généreuse mais qui sait rester fidèle à ellemême. Contrairement aux hommes, qu'il représente
souvent comme des individus en fuite, ses pièces rendent
hommage aux femmes tenaces, refusant de subir la
situation qui leur est imposée.
Parfois politiquement incorrect, il n'hésite pas à mettre
en scène des personnages de prostituées, symbole, à la fois,
de sa lutte contre l'intolérance et de son amour pour les
caractères hors-normes. Comme il l'a fait avec le Festival
de la Mémoire des Humbles, festival de théâtre populaire
qu'il a créé en 1994, il prend parti pour les femmes que
l'on déconsidère, que l'on marginalise. Avec délicatesse, il
prête ses mots à toutes celles qui rejettent l'image
réductrice et abusive d'un modèle de perfection qui les
oppresse.
À travers plus d'une dizaine de pièces, Robert Poudérou,
fait son manifeste : il déclare à toutes les femmes l'estime
qu'il leur porte et que chacune d'elles mérite.
14
A. La muse
1. Un symbole de perfection physique
La figure majeure du personnage féminin, chez Robert
Poudérou, c'est la muse, que l'on retrouve dans presque
toutes ses pièces. La femme est élevée à une position
mystique. C'est une divinité à la sensualité exacerbée, dont
le corps et l'âme sont épris de passion, et ce à toutes les
époques de leur vie. Si tous les personnages ne sont pas, à
proprement parlé, cette figure, elle se retrouve très souvent
chez d'autres, comme en filigrane.
Quel que soit leur âge ou leur condition sociale, les
femmes qui traversent le théâtre de Robert Poudérou sont
séduisantes. Jeunes, elles sont des nymphes, au corps
parfait mais à l'esprit perfectible. Leurs silhouettes attisent
le regard des hommes qui tombent sous le charme de leurs
formes.
Dans La flamme au foyer16 deux femmes se disputent
un homme : Henri. Éva-Marie est une comédienne, dont la
plastique émerveille, au point qu'on l'observe, comme ce
vieux voisin qui "quand il a vu Éva-Marie les seins nus,
[…] a voulu la voir de plus près" (séquence 5). Lorsqu'
Élise, la femme de son amant (dont il lui avait caché
l'existence) fait irruption chez elle, elle s'efforce de le
retenir par la chair, grâce à "cette merveille architecturale
qu'est [son] corps." (séquence 8). La perfection physique
des deux rivales est sans faille. Elles en font chacune leur
meilleure arme, telles deux créatures idylliques,
inaccessibles au commun des mortels, mais luttant de
façon acharnée pour l'homme qu'elles se sont choisi.
16
Art & Comédie, Paris, 2003
15
Être humain désarmé face au combat de deux déesses,
Henri cède aux avances de l'une et de l'autre. Heureux
avec Éva-Marie, "cela ne l'a point empêché [un] matin de
refaire sombrer [Élise] dans le péché" (séquence 8),
profitant de l'absence de la comédienne. Au moment de la
confrontation avec ses deux amantes (confrontation mise
en place et orchestrée par les mensonges de l'épouse),
Henri se définit lui-même comme "un salaud" (séquence
8). Pourtant, l'auteur parait nous dire autre chose : Henri
"[les] aime… c'est tout" (séquence 8). Bien qu'il ait revêtu
l'habit du bourreau, il est aussi la victime. La beauté
parfaite des deux divinités semble le désarçonner.
L'admiration et le désir qu'il a de leurs corps le dépasse. Il
est comme maîtrisé par elles, par la toute-puissance de leur
vénusté, qui réveille en lui des pulsions presque animales.
Mais ce pouvoir exercé sur les hommes, par leur
volupté, les jeunes femmes ne l'utilisent pas seulement
lorsqu'elles doivent se battre pour l'un d'eux. J'ai aimé
vous regarder vivre 17 , pièce écrite en réponse à une
commande de Jean-Michel Rouzière, réinvente l'histoire
de Nelly et Jean, les personnages principaux du film Quai
des brumes, de Marcel Carné. Ici, leur échappée a été une
réussite et ils vivent exilés depuis des années sur une île
lointaine. Dans l'hôtel qu'ils tiennent, virevolte Baliane,
une femme de chambre, beauté métisse d'une vingtaine
d'années. Provoquante, elle tournoie et exhibe ses appas
exotiques. L'enchanteresse souhaite faire tourner les têtes
afin de goûter à sa féminité. Nelly met en garde son
employé, Séraphin, car "[s'il] la regarde trop longtemps,
[le] corps [de Baliane] aura le dernier mot" (Acte I, scène
4). La séduisante insulaire est sûre de ses charmes. Elle
s'amuse dans ce rôle de tentatrice qu'elle a adopté. Elle sait
et n'hésite pas à affirmer, que les hommes la "[voient]
17
ALNA éditeur, Paris, 2005
16
comme une image du paradis" (Acte II, scène 2). Sans
inhibitions, fière et exubérante, elle entame sa vie en
chantant. "Je mange mon rêve." (Acte IV, scène 1) dit-elle.
Cependant, la fougue dont font preuve ces femmes
dissimule également les failles d'une vie et d'une
personnalité à construire. Toujours dans La flamme au
foyer, ni Éva-Marie, ni Élise ne pouvant sortir vainqueur
du duel charnel qui les oppose, la comédienne se retire et
un nouveau trio amoureux se forme avec Gilda. Gilda, elle
aussi "somptueuse créature" (séquence 8) propose de
remédier au problème grâce à l'installation en ménage à
trois. Elle croit pouvoir apaiser les souffrances de l'amour,
dans la légèreté du plaisir. Elle dit n'être "qu'un corps, le
plaisir qui simplifie tout car [il ne demande] pas de
l'intégrer dans l'amour" (séquence 8). Ces paroles illustrent
tout à fait l'état de fragilité identitaire dans lequel sont ces
femmes. Elles doivent utiliser leur beauté, pour atteindre
le plaisir, simulacre de l'amour et pourtant la seule forme
qu'elles lui connaissent.
Leur corps glorifié est alors l'instrument qui leur permet
de s'aimer elles-mêmes, à travers l'autre. Elles l'avouent à
Henri : "J'ai besoin que tu me touches" (séquence 6) "Je
veux ton regard. Je te veux, toi. Je veux ton regard et ta
voix. Ton regard et ta voix, Henri" (séquence 7). On sent
dans ces paroles, un besoin de l'autre pour combler son
propre vide, celui qui demeure en soi. Ces personnages
aux allures célestes, sont des êtres encore neufs, à la
recherche d'un équilibre. Elles sont sur le chemin de la
connaissance de soi, qu'elles pensent ne pouvoir atteindre
que par l'amour et le plaisir.
En ce qui concerne Baliane, la grâce insolente de J'ai
aimé vous regarder vivre, la situation est plus complexe.
Elle cherche, elle aussi, à découvrir l'amour sensuel, mais
tente avec plus d'ardeur encore, de trouver une place au
sein de la communauté. Le groupe dont il est question
17
dans la pièce, c'est la famille. La demoiselle vit sous le
même toit que ses sœurs, toutes déjà mères. Le foyer est
une sorte de micro-société matriarcale de laquelle sont
exclus les hommes. Chaque parente, par l'enfantement, a
accompli la mission qui va accaparer toute sa vie et qui lui
donne un sens. Baliane, elle aussi, a à cœur de se mettre à
la tâche, de s'épanouir dans ce qu'on lui a décrit comme sa
vocation. Elle n'hésite pas à supplier son collègue
"L'enfant, tu me le fais? […] S'il te plaît! […] Cette nuit,
je viens chez toi" (Acte II, scène 2) et aborde même le
sujet avec un pragmatisme presque sordide, affirmant à
Nelly qu'elle "veut l'enfant. C'est tout. […] [Le père], ce
sera lui. Séraphin est en bonne santé. C'est une bonne idée
[…]" (Acte II, scène 5). La lasciveté et la détermination
dissimulent en fait la vulnérabilité de la jeune femme et les
doutes qu'elle ressent face à son avenir.
Les femmes d'âge mûr, en revanche, se distinguent aux
yeux de la gent masculine par leur élégance. Il semblerait
que l'expérience les ait dotées de manières raffinées.
Chacun de leurs gestes et de leurs paroles sont empreints
de délicatesse, ce qui envoûte littéralement les hommes
alentour. Face à eux, leur attitude leur confère un statut
intemporel, sorte de jeunesse éternelle, à laquelle aucun
homme ne saurait résister.
Hélène, l'héroïne de Pas deux comme elle18, représentée
de 1985 à 1989 au Petit théâtre de Bourvil, est une
cinquantenaire distinguée. Elle vit avec son fils de vingtcinq ans, un professeur de lettres. Elle use de son charme
avec lui, presque comme elle le fait avec ses flirts, car elle
doit être irrésistible. "Parce [qu'elle est] toujours de bonne
humeur, dans la vie et avec les gens" (Acte I, scène 6), elle
crée une aura de fraîcheur autour d'elle. "[Elle a] une façon
d'être, de vivre, dans une sorte d'enfance qui rajeunit [son
18
Art & Comédie, Paris, 2006
18
entourage]" (Acte I, scène 6). Bien qu'il soit son fils, Pilou
se nourrit, lui aussi, directement de cette ardeur que
transmet Hélène avec toute sa charge de sensualité. Son
expérience lui a appris à chérir la jouvence, à l'entretenir
coûte que coûte, contre le temps qui passe. Elle brille d'un
éclat qui envoûte, qui la fait exister comme une femme
voluptueuse aux yeux de son fils, trop empêtré dans le
quotidien pour se rendre compte que lui-même détient le
trésor de la jeunesse.
L'amant d'Hélène, Paul, est lui aussi fasciné par sa
vigueur et surtout, par son franc-parler. Liberté de parole,
liberté de mœurs : avec raffinement, Hélène ose. Elle n'a
pas peur de son corps qui pourrait être ridé, elle n'a pas
peur de l'éventuelle fuite de Pilou de leur foyer commun,
qui la ferait se retrouver seule. Elle affronte, franche et
enthousiaste, la vie comme elle vient. Alors que l'on sent
Paul blasé, Hélène est une renaissance. Forte du recul
qu'elle sait prendre sur les événements, son goût pour la
vie captive ses prétendants. Pour elle, "grave ou sérieux,
peu importe, n'est-ce pas? Vous et moi, ça existe! ÇA
EXISTE!" (Acte I, scène 9). Les hommes ne peuvent se
soustraire au magnétisme d'Hélène. "Le plus, c'est [qu'elle]
vit intensément [sa] vie et qu'à la vivre ainsi, intensément,
[elle] donne plus de vie à celui qui vient à [sa] rencontre"
(Acte I, scène 8).
Ces femmes bienfaisantes incarnent la vie ; une vie
suspendue, comme hors du temps. Leur générosité est
empreinte de sensualité. L'âge les a pourvues d'une beauté
spirituelle qui se dévoile de façon charnelle. La bonté de
leur âme va de pair avec le plaisir physique qu'elles
recherchent et qu'elles veulent procurer aux hommes.
Moins virulent, moins violent, ce plaisir se rapproche
d'une infinie tendresse. Mais le désir que leur douceur
réveille chez les hommes, redonne à leur corps son statut
de temple de la beauté. "L'œil vif, la peau fraîche, le corps
19
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