Mondialisation et érosion du pouvoir d`achat. Octobre 2008

MONDIALISATION
ET EROSION
DU POUVOIR D’ACHAT
Inès Trépant, chercheuse-associée à Etopia
et conseillère au Groupe des Verts au Parlement européen
Septembre 2008
www.etopia.be
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La hausse des prix du pétrole et des matières premières de ces derniers mois ont ramené
le pouvoir d'achat au centre des préoccupations de la population. Cela s'explique surtout
par la hausse de l'inflation, dont les causes principales sont étrangères aux dirigeants
politiques des Etats membres de l’Union européenne. De fait, loin d'être imputable à la
surchauffe de l’économie européenne, elle résulte cette fois d’une "inflation importée".
En effet, si l'offre massive de produits des pays émergents, et principalement les
produits chinois manufacturés à bas prix (lecteurs DVD, téléviseurs, appareils photos
numériques,…), a, globalement fait diminuer le prix de ces biens de consommation,
l'accroissement de la demande d'importation d'hydrocarbures de produits agricoles et
des matières premières pour soutenir leur croissance industrielle a, au contraire, poussé
le prix de ceux-ci à la hausse.
En conséquence, la hausse des cours mondiaux des matières premières a provoq
récemment, dans les pays pauvres, des émeutes de la faim. Tandis qu'elle se fait
globalement au bénéfice des Etats "rentiers" (dont la Russie et le Brésil, en ce que leurs
revenus dérivent notamment de la valorisation de leurs ressources en matières
premières), elle affecte dans nos pays le pouvoir d’achat de la population, par le biais de
l’inflation. Or l’envolée des prix du pétrole et des matières premières sera très
vraisemblablement durable.
1 Une envolée des prix du pétrole et des matières premières qui
s'annonce durable
Le prix du baril du pétrole a franchi la barre symbolique de 100 dollars en janvier 2008,
pour atteindre 147 dollars à la mi-juillet. Nombreux sont les analystes qui y voient le
simple reflet de vicissitudes à court terme, comme l’effet des cyclones dans le golfe du
Mexique, la situation politique en Iran, l’insécurité régnant dans le delta du Niger, la
décision de l'OPEP de ne pas relever ses quotas de production, etc. La baisse du prix du
pétrole intervenue à partir du mois d’août 2008, provoquée par le ralentissement
économique mondial, les conforte dans leur analyse. A leurs yeux, la flambée des prix
serait principalement d'ordre conjoncturel. Or, en dépit de cette décrue passagère, l'envolée
des prix du pétrole et des matières premières s'annonce durable dans le plus long terme
pour des raisons d'ordre structurel, que nous allons analyser brièvement.
1.1 Energie : quand l'offre ne suit pas la demande
Du côté de la demande, la croissance accélérée des économies émergentes, qui calquent
leur développement économique sur celui des pays industrialisés (à savoir une économie
capitaliste énergivore) explique l'essentiel de la progression de la consommation mondiale
de brut depuis 2003. Cette demande soutenue en énergie et matières premières est amenée
à faire pression durablement sur les prix, d’autant plus que les alternatives aux énergies
fossiles restent largement insuffisantes. La dépendance de nos économies aux énergies
fossiles explique le caractère inélastique de la demande au prix du pétrole, à savoir la
relative insensibilité de la consommation à la flambée des prix, malgré la dégradation du
pouvoir d'achat qu'elle occasionne. A l'inélasticité de la demande se conjugue la rigidité
de l'offre qui résulte, à court terme, des délais nécessaires pour la découverte et la mise en
valeur des gisements pétrolifères ou pour le développement des énergies renouvelables. A
plus long terme, la rigidité de l'offre est intrinsèquement reliée à la finitude des ressources
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de la planète. La production pétrolre approche en effet de ses limites géologiques
fondamentales (pic du pétrole1).
Ainsi, face à la raréfaction du pétrole2, et à l'épuisement à moyen terme d'autres matières
premières, le prix de l'énergie et des matières premières est amené à rester durablement
élevé, même si la croissance mondiale est aussi affectée par la crise financière
internationale. Il s’agit d’un changement profond. Alors que par le passé les récessions
mondiales ont entraîné une baisse des prix énergétiques ou des matières premières, le
contexte économique mondial morose ne fait pas fléchir les prix des matières premières.
Ce qui distingue le choc pétrolier actuel des précédents3 est donc son caractère permanent,
l'offre n'étant pas à même de répondre à la demande accrue provoquée par la croissance
des pays émergents, comme l'Inde et la Chine, qui totalisent plus du tiers de la population
mondiale4. L'offre et la demande sont devenues rigides, inhibant toute action régulatrice
du marché.
1.2 Produits agricoles : une autre rupture d'équilibre
De façon générale, le problème de malnutrition dans le monde n'est pas imputable à un
manque de nourriture ou à l'insuffisance de surfaces de terre arable. Les causes, à
rechercher ailleurs, sont multiples: le manque de redistribution des ressources à l'échelle
planétaire, une division internationale du travail préjudiciable aux pays en
développement, qui a conduit à l'abandon des cultures vivrières au profit des cultures de
rente, la libéralisation mondiale du marché agricole ou encore, le déni de la reconnaissance
du principe de la "souveraineté alimentaire" dans les enceintes de l'OMC. Ce contexte a
donné un tour dramatique à la hausse des prix agricoles de ces derniers mois,
principalement pour les pays les plus pauvres, mais aussi, pour les populations les plus
démunies des pays riches.
Alors que les marchés nous avaient habitués à des prix agricoles bradés, défiant toute
concurrence, l'évolution à la hausse des cours des produits agricoles pourrait bien être
durable, notamment en raison de la modification de la structure de l'offre et de la
demande. Et ce, dans un contexte où les incidences du changement climatique rendent les
prévisions de récolte mondiale très hasardeuses...
1 Un pic pétrolier désigne le sommet de la courbe qui caractérise la production pétrolière d'un puits ou
d'un champ pétrolier. Par extension, le « pic pétrolier mondial » (Peak Oil en anglais) désigne le moment
où la production mondiale de pétrole commence à décliner du fait de l'épuisement des réserves de pétrole
exploitables.
2 A titre illustratif, selon le Fonds Monétaire International, les deux tiers des nouvelles capacités de
production requises pour équilibrer le marché mondial au cours des années à venir ne feront que
compenser le déclin rapide de la production des puits existants, aux Etats-Unis et en mer du Nord
notamment.
3 Deux chocs pétroliers ont marqué l'économie mondiale. Lors du premier choc pétrolier (1973-1974), le
prix du brut s'est vu multiplier par quatre en l'espace de trois mois. Lors du second choc pétrolier (1979-
1980), le prix du brut a été multiplié par deux et demi en l'espace de deux ans.
4 Par exemple, la Chine est le troisième importateur du pétrole, tandis que l'Inde est le sixième
consommateur mondial d'énergie et sa demande croît extrêmement rapidement.
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Concrètement, l’application de la loi de l’offre et de la demande en produits agricoles est
tributaire de la poussée démographique et de l’affectation de la surface agricole mondiale.
On estime qu’en quarante ans, la surface agricole mondiale a augmenté de seulement 9%
alors que la population a fait un bond de 50%5. De plus, les terres agricoles dont on dispose
pour l’agriculture sont constamment menacées par les activités humaines: déforestation,
désertification, salinisation des sols font de plus en plus de ravages tandis que
l’urbanisation massive et étalée empiète sur les surfaces agricoles disponibles, etc.
On assiste globalement à une modification de l'affectation des sols. Plutôt que de se
concentrer sur des cultures absolument nécessaires pour l’alimentation (cultures dites
« vivrières »), comme les céréales, les terrains agricoles sont de plus en plus souvent
destinés à d’autres utilisations, en particulier pour l’industrie (par exemple, le coton), la
production d’énergie (bois à brûler, agrocarburants), ou encore, à l’alimentation du bétail.
C’est ainsi que les surfaces réservées au pâturage augmentent à mesure que les
populations des pays émergents consomment de plus en plus de produits carnés). Ces
changements de régime alimentaire entraînent une forte progression de la demande de
produits agricoles, qui croît plus rapidement que la population de ces pays.
Par ailleurs, la détérioration de la qualité des sols affecte à terme l'offre potentielle de
produits agricoles. En effet, les modes de production liés à l’agriculture intensive
(utilisation abusive d’engrais ou de pesticides) ont conduit à l’appauvrissement des sols et
à la perte de la biodiversité. Ils ont également provoqué la contamination croissante de la
terre, par des métaux lourds par exemple, etc. A l’échelle mondiale, la détérioration des
ressources hydriques est aggravée par le réchauffement climatique et les dégâts de
l’activité humaine. Elle provoque des pénuries en eau douce dont l’agriculture absorbe
environ 70%. Le manque chronique d’eau dans des régions de plus en plus vastes est
amené à exercer une pression accrue et durable sur les produits agricoles. La pollution,
l’abaissement, voire le tarissement des nappes phréatiques en feront une denrée rare, donc
chère. La conjugaison de ces facteurs détériore considérablement la fertilité et les
rendements agricoles. Leur pression sur les prix est d’autant plus forte que la demande en
produits agricoles s'accroît à l'échelle mondiale.
En résumé, la conjonction des ces facteurs affecte structurellement la loi de l'offre et de la
demande à l'échelle mondiale, ainsi que l'action régulatrice des marchés.
1.3 Production d’agrocarburants : nouvelles pressions inflationnistes
Les records du cours du baril expliquent que les agrocarburants sont perçus comme une
solution alternative, dans un secteur de transport qui repose actuellement à 95% sur le
pétrole. Les chefs d’Etat et de gouvernement des Etats membres de l’UE ont ainsi convenu,
au sommet européen de printemps des 13 et 14 mars 2007, d’atteindre d’ici 2020 l’objectif
de 10% d’agrocarburants dans les transports.
Bien qu’ils ne pèsent encore qu’environ 2% du total mondial des carburants et qu’ils ne
mobilisent actuellement qu’1% des terres arables, l'OCDE et la FAO ont confirmé, dans un
rapport publié en 20076, que la croissance de la demande d'agrocarburants alimente déjà la
5 Bruno Parmentier, Nourrir l’humanité. Les grands problèmes de l’agriculture mondiale au XXIème
siècle, Editions La Découverte, Paris, 2007, p. 44.
6 Voir : "Perspectives agricoles de l'OCDE et de la FAO 2007 - 2016".
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hausse des prix agricoles. C'est le cas du maïs qui est utilisé aux Etats-Unis pour la
production d'éthanol alors qu’il constitue l’aliment de base pour les Mexicains. Or son
rendement énergétique est médiocre, ce qui n’est pas le cas de la canne à sucre qui est
utilisée au Brésil. La croissance des agrocarburants produits à base de maïs alimente, par
ce biais, la flambée des prix. Se pose ainsi une sorte de dilemme entre rouler ou manger,
l’affectation de la surface agricole à leur production se faisant aux dépens de la production
de matières premières destinées à l’alimentation7.
1.4 Spéculation des marchés financiers sur les matières premières
Pour expliquer l’engouement récent des spéculateurs pour le marché des matières
premières, on évoque généralement la politique monétaire menée par la Réserve fédérale
américaine depuis 2001. La Fed, - la banque centrale des Etats-Unis -, est ainsi accusée
outre-Atlantique d'avoir favorisé les bulles spéculatives de ces dernières années, en
maintenant des taux d'intérêt trop bas. S'ils étaient justifiés pour soutenir l'activité
économique, cette politique "d'argent facile" a encouragé les emprunteurs à acheter à crédit
des actifs financiers ou immobiliers dans l'espoir d'une plus-value à la revente. En quête de
rendements élevés, le marché des matières premières offrait, dans ce contexte d’excès de
liquidités, des perspectives de profits juteux.
La spéculation sur les matières premières n’est cependant pas un phénomène nouveau. La
libéralisation mondiale des capitaux, menée dès les années 80, et la dérégulation
internationale des marchés financiers, ont exacerbé cette tendance. Mais l’éclatement de la
bulle immobilière aux Etats-Unis (crise des «subprimes ») a mis en lumière leur « dualité ».
En effet, dans un contexte où la crise financière internationale les a érigées au rang de
« valeurs financières sûres », les matières premières ont progressivement acquis le statut
d’actifs financiers objets de spéculation. Les "matières premières" permettent aux acteurs
financiers d’augmenter la diversité de leurs portefeuilles. Autrement dit, s'ils ne sont pas
à l'origine de cette hausse des prix, les fonds spéculatifs spécialisés dans les matières
premières amplifient cette tendance, ainsi que l'instabilité du marché à court terme.
1.5 "Effet domino" de la hausse des prix des matières premières
Comme les matières premières interviennent dans la production de produits variés, la
hausse initiale de leurs prix a un effet boule-de-neige. Par exemple, le fait que les engrais
ou les insecticides, utilisés massivement dans le système agricole productiviste, soient
produits à partir du gaz et du pétrole affecte à plus ou moins brève échéance le prix des
aliments. Ou encore, la demande en agrocarburants aux Etats-Unis n’a pas seulement
provoqué une hausse des prix du cours du maïs, utilisé pour la production de bioéthanol.
Elle a provoqué la flambée du prix des produits qui en contiennent, tels que la tortilla, qui
constitue la nourriture de base des Mexicains. La hausse du cours du maïs s’est également
répercutée sur le prix de la viande ou des produits laitiers parce qu’il sert d’alimentation
pour les animaux. Enfin, l’usage par la pétrochimie et l’industrie des plastiques de
l’amidon de maïs ou de la pomme de terre en remplacement du pétrole renforcera la
hausse des produits d’alimentation de base ou dérivés… Dans un autre registre, la hausse
7 La production du « pétrole vert » exige beaucoup de surfaces agricoles. Dès lors, tout développement,
même limité, des agrocarburants risque immanquablement de se faire au détriment de la sécurité
alimentaire, dans un monde où 800 millions d'hommes et de femmes ne mangent pas à leur faim et qui
comptera 2,5 milliards de bouches supplémentaires à nourrir d'ici 2050.
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