Prédication 04/02/17
Lectures :
AT : Genèse 50 : 14-21
NT : Matthieu 5 : 21-45
Les textes les plus simples et les plus connus de la Bible sont parfois les plus difficiles à
commenter.
Ainsi en va-t-il du Sermon sur la montagne. C'est un passage central des Evangiles. Mais il m'a
toujours intimidé et j'ai mis de nombreuses années avant de le comprendre vraiment.
Car c'est un texte inconfortable. Rendez-vous compte : Jésus nous y demande d'aimer nos ennemis,
de leur tendre l'autre joue lorsqu'ils nous frappent et même de nous réjouir d'être persécutés, comme
le rappelle cet autre célèbre extrait au début du Sermon et qu'on nomme les Béatitudes : "Heureux
serez-vous lorsqu'on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute
sorte de mal à cause de moi. Réjouissez-vous et soyez dans l'allégresse parce que votre récompense
sera grande dans les cieux : car c'est ainsi qu'on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous."
Je vais vous dire honnêtement ce que je pense de tout ça. Je pense que le Christ nous demande tout
simplement l'impossible. Personnellement, je ne tends jamais l'autre joue quand on m'a mis une
gifle, réelle ou symbolique. Ce n'est pas mon genre, ce n'est pas mon éducation. Quand on me met
une gifle, eh bien moi, j'en mets deux et si on m'en met deux, j'en mets quatre. Pour avoir fait du
rugby, je peux vous assurer que je n'ai jamais laissé une agression gratuite impunie sur un terrain. Et
dans certaines autres activités que vous me connaissez, comprenez que, si vous vous laissez faire,
vous ne serez malheureusement plus respecté. Les affaires de la Cité réclament parfois une grande
fermeté, pour ne pas dire une franche combativité. Dans le monde du travail aussi, vous le savez
hélas, tout le monde a rencontré de ces collègues qui sont tout bonnement insupportables et qu'il
faut remettre à leur place si l'on veut pouvoir continuer de travailler en paix. En tant qu'ancien élève
harcelé par ses camarades et en tant qu'enseignant enfin, je puis témoigner qu'il y a dans toutes les
classes de France et de Navarre de petits fascistes pervers, secondés par des suiveurs, et qui assurent
leur ascendant sur leurs condisciples en s'acharnant sur un bouc émissaire parce qu'il n'a pas une
tête qui leur revient, parce qu'il est mal habillé selon leurs goûts ou simplement parce qu'il est trop
ceci ou pas assez cela.
Quoi, le Christ me demanderait de tendre la joue à ces sales petits lâches qui se mettaient à
plusieurs pour me rouer de coups à la sortie du collège? Non, c'est honteux, le Christ ne peut pas
m'avoir demandé cela. Le Dieu qui libéra les Hébreux de la maison de servitude et leur fit traverser
le désert pour échapper au pouvoir injuste de Pharaon ne peut pas me demander cela. Le Dieu qui
n'hésita pas à punir les Egyptiens dans la chair de leur chair pour avoir été iniques envers Son
Peuple ne peut pas me demander cela.
Alors que me demande-t-il? Qu'exige-t-il de moi? D'accepter l'injustice, de souffrir l'oppression, de
courber l'échine devant la force brute?
On ne s'en avisera jamais assez : le Christ nous parle par paraboles. Il aurait pu nous parler
autrement ; il aurait pu nous donner des ordres clairs et précis et régler notre vie dans ses moindres
détails, comme du papier musique. Or il existe de telles religions qui définissent scrupuleusement
tous les aspects de la vie de leurs fidèles. Au fond, c'est très reposant. Pas besoin de se poser de
questions, il suffit de suivre le manuel, de prendre les instructions au mot et hop on va au paradis.
Mais ce n'est pas du tout ce que nous demande le Christ. Si tel était son propos, il ne nous aurait
pas parlé par paraboles, mais par commandements précis, minutieux et détaillés que nous suivrions
scrupuleusement, à la lettre. Oui, je le dis avec force et conviction : le christianisme est étranger à
tout littéralisme et toute interprétation littérale des Evangiles en est une trahison, n'ayons pas peur
de l'affirmer.
Car le Christ était juif, ne l'oublions jamais. Même ses ennemis pharisiens le savaient qui
l'appelaient "Rabbi, rabbi!". Jésus était un rabbin et son vrai nom était Rabbi Yéhoshuah.
Or tous ceux dans cette assemblée qui connaissent bien le judaïsme vous le confirmeront : il n'y a
pas un rabbin qui soit d'accord avec ses collègues. Le judaïsme est fondé sur l'interprétation
personnelle par chaque juif de la Torah, des cinq premiers livres de l'Ancien Testament que nous
chrétiens nommons le Pentateuque. Ces commentaires et les commentaires de ces commentaires,
lesquels sont à leur tour commentés à la Synagogue, forment le Talmud. Le judaïsme est par
essence interprétatif et ouvert.
Jésus n'était pas seulement le Fils de Dieu ; il était aussi juif, juif parmi les juifs, c'est-à-dire
membre de ce peuple unique que Dieu a élu pour transmettre son message à toutes les autres
nations.
Alors résumons-nous : un christianisme littéraliste est une aberration ; un christianisme antisémite
est une aberration. Car le christianisme est de part en part fils du judaïsme. Nous sommes une secte
juive, mais comme dit le bon mot qui voudrait que toutes les religions fussent des sectes qui ont
réussi, nous sommes une secte juive qui n'a pas trop mal marché.
Reprenons maintenant notre commentaire du Sermon sur la montagne. Jésus ne peut pas nous y
avoir invités à baisser les bras devant l'injustice, à tendre l'autre joue à ceux qui nous oppriment.
Non, Jésus nous y parle par paraboles, par images. Ou plus exactement, il nous parle ici non par
paraboles, mais par hyperboles, autrement dit par exagérations. Il nous dit "si on te frappe sur la
joue droite, tends l'autre joue" afin de provoquer chez nous une réaction, cette même réaction que
j'ai eue tout à l'heure : "Non, Rabbi Yéhoshuah, ne me demande pas de tendre l'autre joue, tu me
demandes trop, c'est impossible!".
Oui, ce que le Christ nous demande de faire est impossible. Alors il ne nous reste plus qu'à
comprendre ceci : nous sommes tous pécheurs, nous sommes tous incapables de suivre vraiment ce
commandement du Christ et de tendre l'autre joue ; donc nous n'avons plus d'autre choix que de
nous pardonner les uns aux autres.
Est-ce dès lors un hasard si, au beau milieu de ce sermon fondamental, on trouve la prière la plus
fondamentale du christianisme, la seule que le Christ nous ait enseignée, le Notre Père? Or que dit
le Notre Père? "Pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont
offensés". Le chrétien ne se reconnaît pas à sa capacité à éviter de pécher, non, car de ce point de
vue, il est un homme comme les autres, il reste pécheur. Le chrétien se reconnaît à sa capacité à
demander pardon et à pardonner à celui qui lui demande pardon. Le chrétien se reconnaît tout
simplement à son honnêteté intellectuelle : il se sait imparfait et se dit donc prêt à pardonner les
imperfections des autres.
Nous assistons présentement dans le monde au retour de la barbarie et de la brutalité. Daesh, Trump
et Poutine sont les symptomes de cette barbarie : ils exaltent la force pure, la provocation, la bêtise
en un mot. Ils méprisent l'intelligence, la modération et le sens des nuances qu'ils jugent faibles et
décadents, exactement à la façon dont, dans les années 1930, Hitler et Mussolini décrivaient les
démocraties. L'Europe est leur tête de turc car elle incarne tout ce qu'ils détestent : le sens de la
mesure, la tolérance et l'ouverture d'esprit. Nous sommes entrés de nouveau dans une époque
instable, lourde de dangers et de guerres futures. On y somme les gens de prendre parti pour des
idéologies frustes et rudimentaires, stupides et taillées à la serpe.
Or balayons devant notre porte, car chez les protestants, les Eglises les plus fondamentalistes ont le
vent en poupe qui proposent une lecture littérale de la Bible et, je n'hésiterai pas à le dire, au ras des
pâquerettes. Je dois vous avouer mon exaspération quand j'entends certains de ces protestants-
nous expliquer que nous Réformés sommes "trop intellos", ou pire encore, que nous ne sommes pas
de vrais chrétiens parce que nous n'adhérons pas à 100% à leur interprétation surnaturelle, magique,
irrationnelle et, pardonnez-moi, "cucul la praline" des Saintes Ecritures.
Alors, dans un tel monde, soumis à une régression intellectuelle et spirituelle sans précédent depuis
les années du totalitarisme, devons-nous tendre l'autre joue à Poutine ou Donald Trump? Devons-
nous tendre la joue à ceux qui osent se prendre pour Dieu Lui-même et s'arrogent le droit de dire
qui est le vrai juif, qui est le vrai chrétien et qui est le vrai musulman ou pas?
Oui, devons-nous aller jusqu'à pardonner à ceux qui ne nous demandent pas pardon? Ce n'est pas ce
que nous apprend en tout cas le passage de la Genèse que nous avons lu plus haut et Joseph
pardonne à ses frères : il leur pardonne leurs offenses parce qu'ils lui en ont demandé pardon.
Moi non plus, Seigneur, je ne suis pas un saint homme. Je reconnais ma faiblesse devant Toi ; je ne
puis accomplir ce qui est au-dessus de mes forces ni ne puis pardonner à ceux qui ne me demandent
pas pardon. Mais je suis raisonnable, Seigneur, c'est déjà mieux que rien, et je suis prêt à pardonner
à ceux qui me demanderont pardon. J'attends le coup de fil de Donald Trump.
Amen.
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