Le préfixe re- /re-/ri- en français et en italien : étude de

STUDIA UBB. PHILOLOGIA, LV, 4, 2010
LE PREFIXE RE- /RE-/RI- EN FRANÇAIS ET EN ITALIEN :
ETUDE DE PSYCHOSYSTEMATIQUE COMPAREE
ALVARO ROCCHETTI1
ABSTRACT. We have identified the cases when the prefix re-/ré-/ri- (repetition,
multiplication, return, intensity) is accepted on the operative tense and we propose the
hypothesis of the absorption of the prefix through the radical advanced interception in
order to explain the creation, in the French and Italian languages, of new verbs whose
semantic values are not opposed to those of the corresponding simple verb.
Keywords: prefix, radical, operative time, advanced interception.
Pour la construction du sens des mots, les affixes — qu’ils soient préfixes,
infixes ou suffixes — jouent un rôle important dans nos langues, en général, et dans les
langues romanes en particulier. Pourtant, ces langues sont issues, à travers le latin,
d’une langue — l’indo-européen — qui, si elle possédait des infixes et des suffixes,
ne disposait d’aucun préfixe. Comme dans la plupart des langues agglutinantes, le
mot de l’indo-européen commençait en effet par le radical. Ce n’était qu’une fois
posé le radical du mot qu’on pouvait, à l’aide d’infixes ou de suffixes, le modeler
pour l’adapter aux besoins momentanés du discours. Nous allons voir pourquoi le
développement de formes préfixées a été un moment déterminant dans l’évolution
de nos langues et comment elles continuent, aujourd’hui encore, à pousser au
changement, à enrichir nos langues de nouveaux mots et à développer, pour les
mots en usage, de nouvelles acceptions.
Dans la présente étude, nous nous proposons de prendre comme exemple le
préfixe re- (avec ses principales variantes ré-, ri-), issu du latin re- / red- (devant voyelle),
mais nous aurions pu prendre d’autres préfixes, de-, sub-, in- ou, comme l’a fait Emile
Benvéniste, prae- / pro-, dans un très bel article qui est un véritable modèle d’analyse.2
Notre choix s’est porté sur le préfixe re- pour plusieurs raisons : d’une part parce
que ce qu’exprime cette particule préfixée est un ensemble de notions fondamentales
dans les langues, dérivées de la notion de répétition, comme celle de “retour en arrière”,
de “renforcement”, de “mouvement en sens contraire”, de “réciprocité”. D’autre part,
toutes les langues romanes ont conservé, sous des formes proches, ce préfixe (re-, ré-, ri-),
1 Professeur émérite à l’Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3, E-mail: alvaro.rocchetti@free.fr
2 BENVENISTE E., « Le système sub-logique des prépositions en latin », Travaux du Cercle linguistique
de Prague, vol. V, Recherches structurales, 1949 ; Problème de linguistique générale, Paris, Gallimard,
1966, ch. XI.
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ce qui prouve que, dès le latin, il présentait une bonne adéquation entre sa forme et son
sens. La modification la plus importante qu’il ait subie semble être celle du dialecte
italien de Rome — le “romanesco” — qui l’utilise sous la forme ar-. Mais on peut
observer que la consonne -r- a été conservée, même si elle est en position fermante
et non plus ouvrante. Cela ne fait que confirmer que toute la signification du préfixe
est basée sur la seule consonne -r-, les voyelles qui l’accompagnent — é, -ə, -i
ayant comme fonction essentielle de faciliter son articulation : on peut dès lors se
demander à quelles particularités articulatoires cette consonne doit la belle unanimité
de la langue latine et de toutes les langues néo-latines dans son utilisation pour
l’expression de la répétition, du retour en arrière, du renforcement, du mouvement en
sens contraire et de la réciprocité. Sans compter le fait que la consonne r roulée que
l’on retrouve en espagnol, en italien ou en roumain ne semble pas avoir à première
vue ou, plus exactement, à la première audition — beaucoup de points communs
avec la prononciation grasseyée de cette même consonne en français contemporain ou
dans certaines variantes du portugais : leur point d’articulation est différent, le r roulé
étant prononcé avec la pointe de la langue, alors que le r grasseyé (uvulaire) est
prononcé avec l’arrière de la langue.
En approfondissant l’examen, on peut cependant relever qu’il existe au moins
deux éléments communs à toutes ces variétés de r. D’une part, si nous nous férons à
la théorie de la syllabation de Ferdinand de Saussure et répartissons les voyelles et
les consonnes par degré d’aperture, depuis la voyelle la plus ouverte — a — jusqu’aux
consonnes occlusives sourdes — p, t, k — nous voyons que le r, qu’il soit roulé ou
grasseyé, a une position intermédiaire entre les voyelles et les consonnes et, dans la
plupart des langues, assure la transition entre les unes et les autres : il est plus fermé
que les voyelles, mais plus ouvert que les autres consonnes, y compris l’autre liquide l.
C’est pourquoi, dans certaines langues, il peut aussi jouer le rôle de voyelle. Par exemple,
dans le nom de la ville de Brno, en République Tchèque, la première syllabe est
composée de la consonne B et de la voyelle r. Mais cette position intermédiaire
entre les voyelles et les consonnes a aussi des conséquences sur sa fonction dans nos
langues romanes : le r est, comme le l, une consonne qui peut s’associer à d’autres
consonnes pour former des groupes consonantiques, et cela, sans provoquer la césure
syllabique. Par ailleurs, on peut observer en italien un fonctionnement particulier de la
diphtongaison dans le cas où r et l sont associés : alors que l’italien, comme le
français, ne diphtongue pas les voyelles toniques latines ĕ et ŏ en syllabe entravée
— it. porta, fr. porte, mais esp. puerta, roum. poartǎ —, il peut le faire lorsque la
fermeture consonantique est assurée par le groupe -rl-, c’est-à-dire lorsque la
fermeture consonantique est insuffisante. Dans ce cas, et dans ce cas seulement, la
diphtongaison normale du ŏ latin en italien — — est remplacée par une diphtongue
réduite — — qui tient compte de la fermeture partielle (quoique insuffisante)
apportée par le groupe consonantique rl : ainsi, it. tuorlo ‘jaune d’oeuf’ < lat. tŏr(r)ulu,
ou it. postierla ‘la poterne’ ( porte dérobée pour sortir d’une ville) < lat. poster(u)la. On
a donc, en quelque sorte, pour signaler une rupture dans la construction du mot —
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dernière syllabe de la sémantique, avant le -o final morphologique dans le cas de
tuorlo, distinction du préfixe post- du reste du mot pour postierla une diphtongue
réduite venant s’ajouter à une séparation consonantique réduite de la part du groupe -rl-.
L’autre particularité, plus fréquemment soulignée de la consonne -r- est
son caractère “roulé”. Elle est particulièrement évidente pour le r double ou initial
de l’espagnol qui est la seule consonne géminée de la langue espagnole. La place
prise par ce roulement est tel qu’il provoque l’ouverture de la voyelle précédente :
pro ‘mais’ / pęrro chien’ ; cet effet est aussi exceptionnel en espagnol puisque,
généralement, on ne lui reconnaît pas de voyelles ouvertes.
Généralement, cependant, le r, ne donne lieu qu’à un seul battement de la pointe
de la langue, comme c’est le cas en roumain (ex.: oraş ‘ville’, țarăpays’), en italien
(ex.: fuori ‘dehors’, caro ‘cher’) ou en espagnol (ahora ‘maintenant’, Madrid). Le
roulement fait se succéder une fermeture et une ouverture du canal buccal qui peut
être renouvelé si nécessaire, ce qui est une exception parmi les consonnes. En effet,
toutes les autres consonnes dites géminées ne sont pas redoublées — comme le
laisse croire l’écriture —, mais simplement allongées dans leur phase de tension,
avant le relâchement, même dans le cas du l : par exemple, dans le mot italien villa, il
n’y a qu’une seule mise en tension et un seul relâchement séparés par une suspension
nettement plus longue que dans la consonne simple l (ex. : fila ‘file’). Au contraire, dans
le cas du r géminé, il y a véritablement réduplication des mises en tension et des
relâchements, ce qui est propre à traduire l’idée de base de répétition ou celle de
renforcement : ce sont en effet, de loin, les deux acceptions les plus fréquentes en latin.
Je m’appuie, pour l’affirmer, sur une étude conduite par un de mes étudiants
de master, Alain André, ingénieur de la SNCF en retraite, qui a réalisé un mémoire
très approfondi sur l’évolution du préverbe latin “re- en français et en italien.3
C’est aussi pour que son travail ne reste pas totalement ignoré que j’ai proposé ce
thème pour ma communication au LiCoLaR 2009 et pour le présent article.
Sans véritablement rechercher l’exhaustivité, il a étudié de près l’étymologie,
la date d’apparition, le rapport avec le verbe simple et les acceptions de 564 verbes
italiens à préfixe re- ou ri-, et de 280 verbes français. Il les a classés en fonction du siècle
d’apparition, depuis le Xe jusqu’au XXe, et en fonction des acceptions développées.
Il en est résulté, avec sa remarquable maîtrise des techniques informatiques, des
tableaux synthétiques colorés admirables à voir et où s’entrecroisent les acceptions
dans le sens horizontal et les siècles de leur apparition dans le sens vertical, chaque verbe
pouvant exprimer une, deux ou, plus rarement, trois acceptions fondamentales.
Pour illustrer la manière dont se sont construits les verbes préfixés avec leurs
acceptions spécifiques, nous allons puiser dans ses relevés quelques exemples révélateurs.
Nous utiliserons, pour cette démarche, une méthode d’analyse sémantique
que mes étudiants de maîtrise et moi avons largement mise à l’épreuve sur plusieurs
centaines de verbes ou de substantifs français et italiens ayant la même origine et dont
3 ANDRE A., L’évolution du préverbe latin “re-” en français et en italien : étude comparative, Master,
Université de la Sorbonne Nouvelle - Paris 3, 2 vol., 169 + 115 p.
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les chemins ont progressivement divergé au cours des siècles.4 Prenons les couples :
chercher/cercare, marcher/marciare, battre/battere, rendre/rendere, embrouiller/
imbrogliare, enchanter/incantare, gomme/gomma, personne/persona, planter/piantare,
entendre/intendere, tourner/tornare, avancer/avanzare, réparer/riparare, clore/ chiudere,
cure/cura, jeter/gettare. Si l’origine est la même pour chaque couple, aucun verbe
ou substantif italien ne partage toutes les acceptions de son correspondant français.
Parfois, la différence est très grande : ainsi, le verbe français fermer n’a rien de
commun avec le verbe italien fermare. On appelle classiquement cela “des faux
amis”. Plus souvent, cependant, elle est plus réduite : le “faux ami” est alors partiellement
— mais partiellement seulement ! — un “vrai” ami. Ainsi, avanzare signifie bien
avancer, mais ho avanzato soldi ne signifie pas du tout que ‘j’ai avancé de largent’,
mais, au contraire, qu’il m’en est resté ! Et gli avanzi ne sont pas ‘les avances’, mais
‘les restes’ (par exemple, d’un repas).
L’analyse est basée sur le temps opératif et sur le principe des saisies anticipées.
On voit ce principe à l’œuvre au cours des siècles dans chacune des deux langues-
sœurs qui, ainsi, s’éloignent peu à peu l’une de l’autre, devenant, en quelque sorte,
de moins en moins... sœurs ! Pour illustrer cette démarche dans le domaine de la
sémantique, avant de l’appliquer à l’étude du préfixe re-, prenons, par exemple, les
mots figura pour l’italien et figure pour le français : ils ont bien tous les deux la
même origine, le latin figura. Ils ont aussi le même sens dans un grand nombre
d’expressions : les figures de rhétorique, de géométrie, de danse etc. sont aussi, en
italien, des figure (di rettorica,geometriche, di danza, etc.). Mais lorsque, à la fin
du XVIIIe siècle, le français identifie la figure avec le visage et crée les expressions
“se laver la figure”, puis “se casser la figure”, l’italien ne le suit plus. Certains emplois
antérieurs à cette évolution sont du reste mal interprétés par de jeunes locuteurs
méconnaissant l’histoire de leur langue. Ainsi, quand on demande à un jeune français
ce qu’il comprend quand il chante cette chanson ancienne :
Je suis un petit garçon
De bonne figure
Qui aime bien les bonbons
Et les confitures.
Si vous voulez m'en donner
Je saurai bien les manger.
La bonne aventure ô gué,
La bonne aventure,
il répond en général qu’il s’agit d’un enfant qui a un beau visage, alors
qu’un jeune italien interprète plus facilement — et plus correctement — que ce
petit garçon est un enfant poli qui sait bien se comporter. La création de nouvelles
acceptions est ainsi une des voies que suivent les langues dans leur évolution. Il en
a été de même pour le préfixe re-.
4 On peut en trouver une petite partie — 16 couples, soit 32 verbes ou substantifs — sur le site :
http://chercher.marcher.free.fr
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Nous venons de voir que la consonne -r-, par ses caractéristiques, pouvait
exprimer la répétition. C’est en effet le premier emploi du préfixe re-, aussi bien
historiquement que par le nombre d’occurrences. Par exemple, sur les 564 verbes
italiens présentant le préfixe re- étudiés par Alain André, 267 — soit presque la moitié
— n’expriment que la répétition. En français, 103 des 280 verbes l’expriment
aussi. Mais la répétition peut être appliquée, plus généralement, à presque tous les
verbes simples des deux langues : on peut, par exemple, travailler et retravailler un
exposé, parcourir et reparcourir un document écrit, traverser et retraverser une route,
passer et repasser devant une fenêtre, même si tous les verbes à préfixe ne sont pas
répertoriés dans les dictionnaires. Chaque fois, on obtient, avec le préfixe re-, la
répétition de l’action exprimée par le verbe simple.
On sent bien alors la composition, au point que, dans certaines créations
populaires spontanées, avec un verbe simple commençant par une voyelle, il n’y a
pas fusion du préfixe avec la voyelle : réapprendre (‘apprendre une deuxième
fois’), réentendre (‘entendre à nouveau’), réutiliser, réorganiser, réassembler etc.
Avec un verbe simple commençant par une consonne, le préfixe re- peut aussi
exprimer l’itération : recommencer (‘commencer une deuxième fois), repartir
(‘partir de nouveau’). Mais pourquoi répartir n’est-il pas l’équivalent de repartir ?
Pourquoi regarder ne signifie-t-il pas ‘garder à nouveau’ ? Pourquoi résigner et
resigner n’ont-ils pratiquement rien en commun alors qu’ils ont la même origine ?
On pourrait multiplier les exemples. Le problème qui se pose dès lors est le suivant
: comment rendre compte de la différenciation sémantique entre le verbe simple et
son ou ses composés en re- ou - ?
Si nous revenons à la construction du mot comparée dans les langues
agglutinantes, sans aucun préfixe, et dans les langues à préfixes, nous pouvons
observer que les langues dont le mot commence par le radical offrent une bien plus
grande stabilité, à travers le temps, du sens des mots. Au contraire, dans le cas des
langues à préfixes, l’évolution sémantique est bien plus rapide : le préfixe peut, à
chaque instant, être absorbé par une saisie anticipée du radical et, ainsi, disparaître.
Le mot qui, jusque là, gardait un rapport avec la forme simple, non préfixée, perd
alors cette liaison et suit une évolution qui lui est propre, cependant que le verbe
simple, de son côté, peut évoluer indépendamment de son (ex-)composé. C’est ce qui
s’est produit avec partir, répartir, repartir : du latin partire, avec le sens de diviser en
parts, partager — qui reste encore sensible dans l’italien spartire — on est passé,
en français, pour la forme simple, au sens de “séparer” et de “prendre congé” (= se
séparer de quelqu’un ou de quelque chose) d’où partir (attesté dès 1.140) auquel on
a ajouté le préfixe français re-, soit repartir pour ‘partir de nouveau, recommencer’.
En revanche, la forme latine re + partire a gardé son sens primitif de ‘partager’,
‘distribuer’, sous la forme plus proche du latin de répartir, intégrant le préfixe ré- à son
radical par saisie anticipée. C’est pourquoi la forme simple se retrouve dans re-partir
(qui, effectivement, signifie ‘partir de nouveau’) mais pas dans partir dont le radical
est désormais répart + ir et non plus re + part + ir.
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