LE PREFIXE RE- /RE-/RI- EN FRANÇAIS ET EN ITALIEN : ETUDE DE PSYCHOSYSTEMATIQUE COMPAREE
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Nous venons de voir que la consonne -r-, par ses caractéristiques, pouvait
exprimer la répétition. C’est en effet le premier emploi du préfixe re-, aussi bien
historiquement que par le nombre d’occurrences. Par exemple, sur les 564 verbes
italiens présentant le préfixe re- étudiés par Alain André, 267 — soit presque la moitié
— n’expriment que la répétition. En français, 103 des 280 verbes l’expriment
aussi. Mais la répétition peut être appliquée, plus généralement, à presque tous les
verbes simples des deux langues : on peut, par exemple, travailler et retravailler un
exposé, parcourir et reparcourir un document écrit, traverser et retraverser une route,
passer et repasser devant une fenêtre, même si tous les verbes à préfixe ne sont pas
répertoriés dans les dictionnaires. Chaque fois, on obtient, avec le préfixe re-, la
répétition de l’action exprimée par le verbe simple.
On sent bien alors la composition, au point que, dans certaines créations
populaires spontanées, avec un verbe simple commençant par une voyelle, il n’y a
pas fusion du préfixe avec la voyelle : réapprendre (‘apprendre une deuxième
fois’), réentendre (‘entendre à nouveau’), réutiliser, réorganiser, réassembler etc.
Avec un verbe simple commençant par une consonne, le préfixe re- peut aussi
exprimer l’itération : recommencer (‘commencer une deuxième fois), repartir
(‘partir de nouveau’). Mais pourquoi répartir n’est-il pas l’équivalent de repartir ?
Pourquoi regarder ne signifie-t-il pas ‘garder à nouveau’ ? Pourquoi résigner et
resigner n’ont-ils pratiquement rien en commun alors qu’ils ont la même origine ?
On pourrait multiplier les exemples. Le problème qui se pose dès lors est le suivant
: comment rendre compte de la différenciation sémantique entre le verbe simple et
son ou ses composés en re- ou ré- ?
Si nous revenons à la construction du mot comparée dans les langues
agglutinantes, sans aucun préfixe, et dans les langues à préfixes, nous pouvons
observer que les langues dont le mot commence par le radical offrent une bien plus
grande stabilité, à travers le temps, du sens des mots. Au contraire, dans le cas des
langues à préfixes, l’évolution sémantique est bien plus rapide : le préfixe peut, à
chaque instant, être absorbé par une saisie anticipée du radical et, ainsi, disparaître.
Le mot qui, jusque là, gardait un rapport avec la forme simple, non préfixée, perd
alors cette liaison et suit une évolution qui lui est propre, cependant que le verbe
simple, de son côté, peut évoluer indépendamment de son (ex-)composé. C’est ce qui
s’est produit avec partir, répartir, repartir : du latin partire, avec le sens de diviser en
parts, partager — qui reste encore sensible dans l’italien spartire — on est passé,
en français, pour la forme simple, au sens de “séparer” et de “prendre congé” (= se
séparer de quelqu’un ou de quelque chose) d’où partir (attesté dès 1.140) auquel on
a ajouté le préfixe français re-, soit repartir pour ‘partir de nouveau, recommencer’.
En revanche, la forme latine re + partire a gardé son sens primitif de ‘partager’,
‘distribuer’, sous la forme plus proche du latin de répartir, intégrant le préfixe ré- à son
radical par saisie anticipée. C’est pourquoi la forme simple se retrouve dans re-partir
(qui, effectivement, signifie ‘partir de nouveau’) mais pas dans répartir dont le radical
est désormais répart + ir et non plus re + part + ir.