moment. L'expression al-'Irâq al-'Arabî employée à l'époque abbasside se rapportait
exclusivement à la région de moyenne et de basse Mésopotamie comprise entre Bagdad et
Basra, et s'étendant néanmoins au nord de Bagdad jusqu'à Sâmarrâ' sur le Tigre et à
l'ouest jusqu'à Hît sur l'Euphrate. En gros, il s'agit de l'actuel pays chiite avec, au nord,
une partie de la zone arabe sunnite. Les montagnes kurdes, la Djézireh et les déserts du
sud-ouest n'en faisaient pas partie. Ainsi, les gens de Takrît, à la lisière méridionale de la
Djézireh, se sentiront plus proches des gens de Mossoul et de Dayr al-Zôr, en Syrie, que
des chiites du sud. Les chiites du sud se sentiront plus proches des Arabes chiites de la
rive orientale du Chatt al-'Arab, l'Arabestan iranien, que des bédouins, grands chameliers
sunnites, des déserts de la péninsule arabique.
5 Plus important est le fait que dans ses frontières modernes, l'Irak n'a jamais été une
entité politique séparée et indépendante avant le XXe siècle. Sauf aux temps lointains de
Sumer et d'Akkad, puis de Babylone et d'Assur, où il était divisé en royaumes juxtaposés
et hostiles les uns aux autres, le territoire de l'actuel Irak fut toujours enrobé dans des
empires plus vastes qui n'y installèrent leur capitale que durant les règnes des Séleucides,
des Parthes et plus tard des Abbassides. Le reste du temps, les circonscriptions irakiennes
dépendaient d'un pouvoir central extérieur, installé soit en Perse, soit à Byzance, soit à La
Mecque, soit à Damas soit en Turquie. Vouloir rattacher l'héritage historique de l'Irak
moderne, État-nation, à ces gloires passées tient de la fiction, engendrée par la
mythologie nationaliste arabe.
6 Le retour à Bagdad, le 11 octobre 1920, de l'ancien Résident permanent britannique, sir
Percy Cox, consacrait le triomphe des thèses du Bureau arabe du Caire, favorables à
l'établissement d'une administration locale « à façade arabe » en remplacement d'une
autorité britannique directe. Le premier pas vers la création d'un État local fut la
formation, en 1920, d'un « gouvernement national provisoire » dont le Résident confia la
direction à ‘Abd al-Rahmân al-Gaylânî, important notable sunnite et chef des achrâf de
Bagdad. Le 11 novembre 1920, sir Percy Cox proclama l'État arabe local dont l'État irakien
moderne est l'héritier. Le Résident britannique fit entrer au sein du conseil consultatif
des personnalités appartenant aux plus grandes familles sunnites du pays.
7 II fallait à ce gouvernement un chef qui symbolisât en même temps la tête de l'État. Le
gouvernement britannique choisit, parmi de nombreux candidats, l'émir Faysal, l'un des
fils du chérif Hussein de La Mecque, afin qu'il soit roi d'Irak. C'est sir Winston Churchill
qui, le 12 mars 1921 au Congrès du Caire, désigna officiellement Faysal comme meilleur
candidat au trône d'Irak. Quant à l'armée irakienne, le gouvernement provisoire prit
également la décision de sa constitution le 6 janvier 1921, mais c'est également lors du
Congrès du Caire qu'elle fut officiellement instituée. L'administration mandataire devait
ensuite œuvrer à la formation d'une assemblée irakienne, à laquelle elle assigna la tâche
de voter la loi fondamentale, la Constitution, la loi de la Chambre des députés, puis de
ratifier le traité anglo-irakien. Le 2 août 1924, l'Assemblée fut dissoute alors qu'elle venait
de ratifier la loi électorale, la dernière pièce manquant à l'édifice constitutionnel dont la
raison d'être était de légitimer le mandat.
8 Contrairement à ce que tentera d'accréditer une histoire réécrite par les nationalistes
arabes, la constitution d'un État irakien ne fut donc pas une victoire sur les Britanniques,
conséquence de la révolution de 1920 dont ils ne furent d'ailleurs pas partie prenante.
L'édification de cet État consacrait, au contraire, la politique arabe d'une partie du
gouvernement britannique, ainsi que la victoire des thèses du Caire sur celles des Indes.
Conçu sur le modèle occidental, cet État devait être le vecteur privilégié des influences
l'improbable démocratie en Irak : le piège de l’État-nation
Égypte/Monde arabe, 4 | 1990
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