LA PRISIDENCE DE LORRAI NE DANS L'EMPIRE ALLEMAND ( 1 8 70- 1 9 1 8) Dans l'entité « Alsace-Lorraine » artificiellement créée par l'annexion de 1871, la recherche historique a souvent isolé et privi­ légié l'Alsace et négligé la Lorraine. La thèse de François Roth sur « la Présidence de Lorraine dans l'Empire allemand, 1 870-1918 :. met fin à ce déséquilibre et constitue sur cette période de cin­ quante ans une étude globale approfondie qui n'existe pas pour la province alsacienne du Reichsland ( 1 ) . Ce travail utilise très large­ ment les richesses des dépôts d'archives messins, en particulier celles des Archives départementales de la Moselle ( fonds de la pré­ sidence de Lorraine, des directions de cercles, des séminaires . . . ) et dans une moindre mesure celles des Archives municipales et des Archives de l'Evêché. Mais de nombreux éléments sont également fournis par les papiers des administrations du Reichsland ( en dépôt, aux Archives départementales du Bas-Rhin ) , par les dossiers de la Chancellerie et des Offices du Reich qui s'occupaient des affaires alsaci ennes-lorraines ( conservées à Potsdam) ainsi que par les Archi­ ves épiscopales de Trèves et divers fonds privés pour ne citer que les sources les plus importantes et sans compter les multiples publica­ tions officielles et la presse extrêmement abondante : sept quotidiens pou r la seule ville de Metz en 1913. L'ampleur de la question invitait à mettre l'accent sur un certain nombre de problèmes ainsi que le suggère le sous-titre : « antagonismes culturels et développement industriel » . Selon un plan à la fois chronologique et thématique, le livre I montre corn­ ment le régime allemand s'établit et s'affermit de 1871 à 1 895, le livre II présente l'évolution de la vie économique et sociale de la Lorraine à l'ère allemande et le livre I I I analyse les affrontements de civilisation au début du xx· siècle et s'achève par un . chapitre consacré à la Lorraine pendant la première guerre mondiale. Le texte est accompagné de toute une série de tableaux, de graphiques et de belles cartes extrêmement claires illustrant les questions admi­ nistratives, économiques, lingu istiques, scolaires. . . et qui rendront d'immenses services au lecteur peu familiarisé avec la géographie lorraine. Quelle est la physionomie de cette << Lorraine annexée ? » La présidence de Lorraine a sensiblement la même étendue que l'an1 M. Ro th François , thès e de doctorat ès lettres , Université de Nimcy II, 1973, 3 tomes, LXIX 1 . 063 p . (photocopié) . Un exemplaire d ép os é aux Archives départementales de la Moselle. - 83 cien département de la Moselle mais sa forme est plus ramassée puisqu'elle comporte, en moins, à l'ouest, l'arrondissement de Briey ( sauf 11 communes ) et gagne au sud l'arrondissement de Sarre­ bou rg (sauf 9 communes ) et cel u i de Château�Salins ( sauf 10 com­ munes ) . Ces frontières englobent une zone depuis toujours franco­ phone, au sud-ouest de la ligne Luxembourg-Donon et elles semblent avoir été fixées davantage en fonction des exigences de la sécurité du Reich que des préoccupations économiques. B ismarck était pour­ tant bien renseigné sur les gisements de minette qu i ont fait l'objet de multiples � quêtes et rapports à partir du mois d'août 1870. Mais le traité de Francfort laisse à l'Assemblée Nationale le choix èntre l'abandon de B elfort et celui d'une douzaine de communes lorraines du bassin minier parmi lesquelles Audun-le-Tiche, Aumetz, Fontoy, Hayange et c'est Thiers qui convaint l'Assemblée de pré­ férer Belfort. D 'autre part Bismarck refuse toute rétrocession des usines De Wendel et en particulier de celle de Moyeuvre dont les sidérurgistes sarrois craignent cependant la concurrence. ' Une administration prussienne s'installe en Lorraine bien avant la fixation définitive de la frontière. Dès le 26 août 1 870, les cinq arrondissements de Château�alins, Sarrebourg, Sarreguemines, Metz et Thionville sont détachés du gouvernement militaire de la Lorraine _ ( qu i comprenait les départements de Moselle, Meu rthe, Meuse et - Vosges ) et rattachés au gouvernement général de l'Alsace. Ce même 26 août, Henkel von Donnersmark est désigné comme pre­ mier préfet allemand ; Il s'établit à Sarreguemines avant de pou­ voir gagner Metz le 2 8 octobre. Les premiers sous-préfets alle­ mands arrivent courant septembre, le directeur de la police u rbaine de Metz est désigné le 5 novembre et il remplace rapidement les policiers français . Cependant, si les personnages les plus importants entrent immédiatement en fonction, les nominations se poursuivent ju squ'en janvier 1871 : ceci montre qu e le gouvernement prussien n'exécute pas un plan préétabli mais qu 'il agit très vite après les premières fran Ç aises, défaites lorsqu e l'annexion semble possible. C 'est au cours de l'année 1871 que sont mises en place, dans le Reichsland, les organismes administratifs et politiques d éfinitifs • que F. Roth décrit avec beaucoup de rigu eur. Deux nouveautés : deux contraintes sont imposées à la Lorraine. Elle voit son destin lié à celui de l'Alsace ; elle doit désormais se tourner vers la capitale strasbourgeoise où s'installent les autorités supérieures pour l' Alsa­ ce-Lorraine mais avec laquelle tout l'ouest du département de la Moselle entretenait peu de relations : ainsi la ligne de chemin de fer Metz-Strasbourg n'existe pas encore en 1871. D'autre part l'administration et les services publics vont être colonisés par des immigrés - et dans une _seconde étape par les fils des Allemands installés dans le Reichsland - puisque le recrutement local de fonctionnaires ne commence, sauf pour les postes subalternes, qu'au début du XX{" siècle, avec deux décennies de retard sur le recru ­ tement alsacien . .Ce sont les Prussiens - dont beaucoup, il est vrai, sont originaires des provinces rhénanes - qui dominent : on compte sept présidents de Lorraine prussiens pour deux saxons, un wurtem­ bourgeois et un badois et, sur 54 directeurs du cercle ( 2 ) qu i ont été en poste entre 1871 et 1 9 14, 45, soit 85 % , sont prussiens. Rares sont les hauts fonctionnaires qui font toute leur carrière en Lorraine ; Metz n'est qu 'une étape dans le cursus honorum qu i est couronné ailleurs, à Strasbou rg o u dans le Reich . Cette administration prussianisée v a être l'instru ment de la politique de germanisation que F . Roth s'efforce d'appréhender grâce à l'analyse de trois aspects révélateurs : la question linguis­ tiqu e, la question scolaire et la question religieuse. D ans ces do­ maines, l'originalité par rapport à l'Alsace est certaine puisque la Lorraine comporte une zone francophone ou l' immense majorité de la population ne comprend pas l'allemand et que son u nité reli­ gieuse est très grande si bien que le catholicisme peut devenir - plus facilement qu 'en Alsace - un facteu r de cohésion devant l'immi­ gration prussienne et protestante. En dépit de ces pierres d'achop­ pement - ou en raison de leur existence ? - la politique de germa­ nisation ne sera ni brutale, ni systématique. Il faut donc faire justice aux images d'Epinal et aux mythes que la littérature et la propagande françaises ont répandus sur ces su jets. Il faut éga­ lement réfuter tout parallèlisme simpliste entre la politiqu e de german isation de l'empire wilhelmien et l'effort germanisateur de l'All emagne nazie de 1 940-1944. E ntre 1 871 et 1 9 18, des phase!! de tolérance et de libéralisme alternent avec des périodes où la pression de l'administration se fait plus rigoureuse contre l'usage de la langue française et contre les foyers de culture française qu i se maintiennent dans le cadre et avec le soutien de l' Eglise lorraine. En matière religieuse, la bienveillance initiale de l'adminis­ tration allemande peut s'expliquer par la volonté de se concilier le clergé, seule autorité sociale qu i n'ait pas émigré : le système concordataire est maintenu intégralement ainsi que le régime de l'école publiqu e confessionnelle consacré par la loi Falloux. Le Kulturkampf, qu i vient se superposer au traumatisme de l'annexion, rejette les catholiques et le clergé dans l'opposition. C'est alors que se consolide l'assimilation entre les intérêts catholiques et les inté­ rêts « nationaux » lorrains. Mgr Dupont des Loges élu député au Reichstag en 187 4 devient le symbole de la cohésion catholique et lorraine face à l'occupant. Mais le Kulturkampf est moins dur en Lorraine qu'en Prusse. Si les processions sont interdites, si les 2 Huit cercles remplacent les anciens arrondissements : M e tz-ville, Metz-cam­ pagn e , ThionviHe , .Sarreb o urg, Château-Salins, Boulay, Sarre guemines , For•bach. . SG Jésu ites et les Frères des écoles chrétiennes doivent partir et le petit séminaire de en Lorraine expulsion ni ni Montigny modifier ses programmes, il n'y a emprisonnement. A partir de 1 879, c'est la détente. Mgr Dupont des Loges entretient d'assez bonnes relations avec le premier Statthalter, von Manteuffel qu i entoure l'évêque d'égards ainsi qu'en témoigne une correspondance confi­ dentielle - en français - entre les deux hommes. Mgr Dupont des Loges obtient de choisir lu i-même son successeu r parmi les membres de son clergé diocésain et il sacre Mgr Fleck ( 1 886) . En 1 9 0 1 , la nomination à r évêché d'un religieux bénédictin d'ori­ gine allemande parvient à mettre fin à une longue crise entre l'administration - favorable à la candidatu re d'un Alsacien, fils d'un rallié de la première heure, Mgr F . de Bulach - et le clergé ' lorrain qui met en avant le nom du chanoine D elies. Mgr B enzler arrive à conquérir la Lorraine en se plaçant dans une ligne ultra­ montaine ce qui rallie un diocèse dont les relations privilégiées avec le 1Saint-Siège sont anciennes et lui permet de rester indé­ pendant vis-à-vis du pouvoir civil. Par ailleurs, il s'entoure de prê­ tres lorrains, et il il refuse de se condu ire en patriote germanisateu r se montre intransigeant à l'égard des protestants qu i sont devenus nombreux par l' immigration. Dans la communauté catho­ lique, il ménage les su sceptibilités des deux groupes linguistiques et dans la région mixte, culte et catéchisme se font en deux lan­ gues. En introduisant les organisations du catholicisme allemand : le Volksverein, les cercles ouvriers catholiques et la Fédération diocésaine des groupements de j eunes, il facilite la rencontre de tous les catholiques « autour du drapeau du christianisme social )) . Pendant l a guerre, l a seule protestation officielle contre les an·es­ tations vient de Mgr B enzler qu i s'affirme protecteur du lorrain au risque de déplaire au pouvoir. clergé ·Si le français est toléré comme langue de culte même pendant la guerre, la germanisation linguistique doit se faire par l'école. L'ordonnance Bismarck-B ohlen du 16 avril 1871 impose l'allemand dans les écoles primaires de la zone germanophone dès la rentrée 1 8 7 1 . Puis la loi organique de 1 873 et les règlements d'application qu i sont édictés dans les années suivantes mettent en place, vers 1880, un système scolaire qu i ne change plus j usqu'en 1 9 1 8 et qu i prévoit la germanisation et le contrôle par l'Etat de l'enseignement à tous les niveaux. Si une politique de grignotage limite l'emploi du français dans la zone mixte, en réduisant par à-coups la liste des villages d ispensés d'enseignement et les de l'allemand, Je français comme langue manuels scolaires restent longtemps tolérés dans les établissements secondaires et plu s encore dans les collèges de jeunes filles. La germanisation de renseignement se fait donc par étapes multiples à un rythme irrégulier et, en définitive, plutôt modéré. Le pouvoir se montre ainsi plus souple vis-à-vis des Lor­ rains qu' à l'égard des minorités polonaise ou danoise de Prusae. Aussi, au début du xx:· siècle la conquête des populations franco­ phones n'est pas faite ; dans un tiers des écoles élémentaires, l'alle­ mand n'est introduit qu'en seconde année et il faut attendre 1910 e t surtout la guerre pour assister à u n e nouvelle offensive de l'alle­ mand. Par contre, les populations germanophones sont reconquises ; les 708 écoles élémentaires de cette zone ( 60 % du total des établis­ sements de ce niveau ) sont entièrement de langue allemande ; une littérature de langue allemande écrite par des Lorrains de souche apparaît à la veille de la guerre et l'on peut s ignaler, à titre d'exem­ ple, les poèmes allemands publiés par l'abbé Pinck dans le Jahrbuch de la .Société d'Histoire et d'Archéologie en 1913. D'autre part, l'allemand comme langue parlée progresse dans la région industrielle, dans la banlieue messine ainsi que dans les communes frontières grâce à l'immigration allemande. Sous toutes ses formes : culturelle, politique, économique et sociale, la vie de la Lorraine est profondément affectée par les courants migratoires qu i caractérisent les lendemains de l'annexion pendant une génération au moins. Les Lorrains usent largement du droit d 'option que leur réserve le traité de Francfort et contrai­ rement à ce qu i se passe en Alsace, l'option est ici su ivie d'émi­ gration. A Metz, il n'est pas exagéré de parler d'exode : 20.000 personnes quittent la ville avant la fin de l'année 1875. C'est par familles entières, issues de toutes les couches sociales, bourgeoisie l ibérale, enseignants, fonctionnaires, commerçants, artisans, ou­ vriers . . . que les Messins partent vers la France. L"émigration ne s 'arrête pas le l'er octobre 1872, date extrême pour le départ des optants, mais se prolonge surtout sous la forme . illégale, avec le départ clandestin des jeunes gens avant le service militaire. Deux types d'émigration semblent plus fréquents en Lorraine qu'en Al­ sace : celle des personnes qu i sont gênées dans leur métier par l'ignorance de l'allemand et une émigration de la misère qui affecte le pays de B itche. Inversement la Lorraine reçoit plus d'immigrés allemands que l'Alsace ( deux fois plus que la Basse-Alsace et trois fois plus que la Haute-Alsace ) . Fonctionnaires, membres des pro­ fessions libérales, commerçants s'installent dans les villes et les bourgs tandis qu'après 1890, un courant plus organisé, comprenant des ouvriers et des cadres des mines et de la sidérurgie, se dirige vers la région de Thionville. En comparaison de l'immigration alle­ mande dans le monde, ces apports restent modérés. La Lorraine ne semble que moyennement attractive et à Metz, le nombre d'immigrés ne su ffit pas à compenser l'hémorragie démographique mais par­ vient à germaniser rapidement la ville. Le départ des classes dirigeantes et l'apport ·· allemand vont peser sur l'évolution politiqu e de la Lorraine. Les années 1870 sont celles de la protestation. Si le mot apparaît à Bordeaux en 1871. la sensibilité protestataire commande déjà les élections du 8 février 87 en Lorraine où 9 sièges vont à d e s candidats gambettistes du comi té démocratique et bien sûr aussi les élections au Reich stag de 187 4 qui sont o rganisées par « le Cercle littéraire et de commerce » en i iaison avec des émigrés installés à Nancy et à Paris. A Berlin, les députés lorrains s'associent à la protestation de Teutsch puis, adop­ tant l'attitude du refus le plus intransigeant, ils quittent l'assem­ blée. Le mouvement protestat aire s 'effrite ensuite beaucoup plus vite qu'en Alsace. Les élections de 1877 se déroulent dans une assez grande indifférence et celles de 1878 donnent la victoire à un candidat officiel et à trois prote stataire s qu i se montrent désor­ mais très modérés. L' ag itation autour d'Antoine eh 1882-1884 exaspère assez vite la majorité de l a population messine et le sursaut protestataire des élections de 1887 est sans lendemain. La protes­ tation est donc « un cri » qui ne sa it pas se transformer en mou­ vement politique. C'est une démonstration anti-allemande qui est pl u s importante dans les régions germanophones que dans la zone francophone et qu i s'exacerbe à l'occasion des élections de 1 874 et de 1887; · Avec les élections d'apaisement de 1877 et 1878 commence pour la Lorraine une période de calme, momentanément interrompu e par la crise de 1887-1890 et qu i va se p o ursuivre ensuite jusqu'au début du XX" siècle. En raison de l 'émig ration de la bourgeoisie urbaine, ce sont les notables ruraux (surtout les propriétaires fonciers et les notaires ) qui sont promus au rang de classe politique, sans avoir toujours une grande envergure. Ces notables ont en commun le souci de défendre les intérêts d e la petite patri e lorraine, le respect des autorités établies ainsi que le désir de maintenir le concordat et le statut scolaire confessionnel. Ils veulent composer avec l es réalités, participer à la gestion à tous les niveaux, ne pas politiser le pays mais l'administrer. Ainsi, ce sont les élections locales - où l'on voit l'alliance entre les notables et les fonctionnaires allemands pour gérer le pays au mieux de ses intérêts matériels - qu i vont servir d'élections pilotes et influencer progressivement les élections politiques. Pour les élections mun i cip al e s de Metz, indigènes et immi­ grés présentent des listes communes à partir de 189 1 . De mêrne, pour les électi ons au Reichstag, les candidats du Bloc lorrain obtien­ nent un appoint de voix immigrés : les élections de 1903 marquent l'apogée des notables mais sont aussi un succès pour l'administra­ tion puisque les candidats lorrains ont le soutien déclaré des immi­ grés. Dans ces conditions on peut s'expliquer le peu d'enthousiasme des électeurs et le fort pourcentage d'abstentions qui est presque toujours supérieur à 50 % à Metz et culmine à 64 % en 1889 pour une élection partielle. A partir de 1 890, cette période d'apaisement politique et de défense du particularisme lorrain correspond ·à une phase de libéralisme de l'administration, avec l ' a boliti on progres­ sive de la législation d'exception et la n omin at ion, en 1901, à la présidence de Lorraine, d'un ar i sto crate wurtembourgeois, respec- 88 tueux de la langue française et du sentiment particulariste lor­ rain : le Comte Zeppelin-Aschausen. Au début du XXI• s iècle plusieurs éléments transforment pro­ fondément la vie politique de la Lorraine. L'hégémonie des notables qu i s'est maintenue pendant trois décennies grâce à une alliance très souple, une sorte d'union-sacrée lorraine, entre le courant libé­ ral et laïc, minoritaire, et la tendance catholique, conservatrice et vigoureusement particulariste animée par le journal « Le Lorrain » , est menacée par l'apparition des partis d e type allemand. L e parti social démocrate qui s'implante à partir de 1 890 et crée une section lorraine en 1903, trouve un électorat plus important à Metz dans la banlieue et dans le vignoble que dans la région sidérurgique mais il n'a pas d'organe de presse lorrain, il a peu d'adhérents ( 50 0 en 1 9 1 0 ) , peu de militants, peu de candidats lorrains aux élec­ tions ( les candidats sont originaires d'Allemagne ou d'Alsace ) et d'ailleurs aucun élu même à un n iveau modeste jusqu 'à la victoire de Georges Weill à Metz en 1912. E n dépit de l'hostilité du chanoine Collin et de son journal << Le Lorrain » , la percée du centre catho­ lique, d'abord indépendant puis transformé en section du Zentrum en 1 9 0 6, est plus nette, en particulier aux élections de 1907. E lle est facil itée par l'activité du jeune clergé encouragé par Mgr Benzler, par le soutien des organisations catholiques comme le Volksverein et par la propagande de la « Lothringer Volksstimme ». La seconde mutation est liée à l' introduction en 1908 de la loi d'Empire sur les associations qui supprime l'autorisation préalable. La vie publi­ que connaît alors une soudaine animation avec la résurrection de la vieille revue messine « Au strasie », l'activité du « groupe messin de conférences » et celle de nombreuses sociétés de musique, de gymnastique et au tout premier plan celle du « Souvenir françai s » . L a révision constitutionnelle d e 1 9 1 1 constitue l e troisième facteur d'évolution. Devant cette question, le parti lorrain se divise : les vétérans sont plutôt favorables au statu quo tandi s que la jeune fédération et le chanoine Collin sont proches du groupe nationaliste de Colmar sans toutefois adhérer à l ' « Union nationale » créée pour les élections au mois d'octobre 1 9 1 1 . Les hésitations des milieux politiques s'expriment à l'occas ion du vote de la nouvelle consti� tution au Reichstag, le 26 mai 1 9 1 1 : Grégorie ( député de Metz ) approuve la loi, Labroise ( S arrebourg - Château-Salins ) vote contre, Hoen (Sarreguemines - Forbach ) s' abstient et Ch. de Wendel ( Thionville - Boulay) est absent selon ses habitudes. S i elle divise les Lorrains, la question constitutionnelle fait aussi réapparaître le clivage entre les immigrés et les indigènes. Elle entraîne une ten­ sion entre les deux communautés, qui est renforcée encore par les manifestations du « Souvenir français » et qu i s'accompagne - de même que dans le reste du Reichsland d'un durcissement de l'administration allemande vis-à-vis de la population, au cours des dernières années qui précèdent la guerre. � 89 Si les tensions politiques ren àissent, l'intégration économique est pratiquement réalisée à cette date par des voies pacifiques. Le monde rural reste, il est vrai, replié sur lui-même, bien que quelques éléments l'aient incité à se tourner vers le Reich. Ainsi le vignoble connaît quelques années de prospérité grâce au débouché que le Zollverein offre à des vins aptes à la champagnisation mais la re­ cherche d'une production massive de clairet facilite la mainmise des fabricants de mousseux allemands sur le vignoble. Puis au début du xx· siècle, diverses maladies détruisent le vignoble abandonné par de nombreux vignerons. Les organisations agricoles allemandes encouragent l'insertion des paysans lorrains mais elles ne s'im­ plantent que tardivement : le mouvement Raiffeisen ne compte que quatre caisses d'épargne et de prêts en Lorraine en 1895 et le réseau concurrent fondé sur l'impulsion de l'administration ( Fédé­ ration des syndicats agricoles ) regroupe d'abord surtout des sociétés déjà existentes tandis que le Bund der Landwirte n'arrive pas à s'implanter. Les liens entre la regiOn industrielle du nord-ouest et le reste de l'Allemagne sont beaucoup plus importants. Développée après 1890 sur le bassin de fer, cette région a besoin d'un apport de main-d'œuvre compétente et de cadres fournis par l'Allemagne tandis que l'Italie du nord envoie des ouvriers non qualifiés. Au point de vue commercial, elle vit en symbiose avec les autres régions sidérurgiques allemandes ; elle envoie la minette et des fontes à la Sarre qui l'approvisionne en hou ille ; les relations avec la Ruhr sont encore plus complexes : la Lorraine expédie du minerai, des fontes, des lingots d'acier, des produits laminés et en barres et reçoit principalement du coke dont elle ne peut se passer. La Lor­ raine est également dépendante du reste de l'Allemagne sur le plan financier ; les industriels sarrois dans un premier temps puis ceux de la Ruhr à partir de 1890 investissent largement en Lorraine ; à travers les sociétés minières et sidérurgiques ce sont les grandes banques d'affaires allemandes qui s'infiltrent en Lorraine tandis que les banques locales ne jouent qu'un faible rôle dans l'indus­ trialisation de la région contrairement à ce qui se passe en Meurthe­ et-Moselle où les banques de Nancy font un gros effort financier. Si le capitalisme rhéno-westphalien a réalisé en 1913 la conquête pacifique du bassin minier lorrain, De Wendel y constitue pourtant un môle de résistance qui a su garder son indépendance finan­ cière - en réservant les participations aux descendants de F. de Wendel - ainsi que son autonomie pour le coke grâce à des conces­ sions charbonnières en Lorraine, en Belgique, en .S arre et en West­ phalie. D'autre part les capitaux français se sont maintenus dans les industries anciennes de l'est de la Lorraine, dans les verreries, les salines, les tissages de soie . . . Par contre, en 1913, la plupart des industries lorraines, anciennes ou récentes, se sont inserrées dans les groupements professionnels et les cartels du Reich qui leur ga- 90 rantissent des débouchés en dépit du durcissement des protection­ nismes douaniers. La gu erre interrompt cette évolution pacifique vers l'intégra­ tion. Une politique de germanisation rigoureuse est alors menée concurremment par les autorités civiles et les autorités militaires. La censure est plus sévère en Lorraine que dans le Reich ou même qu 'en Alsace, la germanisation linguistique est accélérée dans la région francophone, la détention préventive frappe plus de 400 per­ sonnes surtout à Metz, Thionville et S arrebourg mais les condam­ nations en haute trahison sont prononcées en nombre limité contre une dizaine de personnalités qui ont fu i la Lorraine pour la France, parmi lesquelles se trouvent le chanoine Collin, le député socialiste de Metz, G. Weill, l'animateur du Souv enir français, J.-P. Jean. L'économie lorraine est marquée par la guerre à deux points de vue. Elle manque de matières premières, de coke, de produits chimiques pour la vigne. La main-d'œuvre aussi fait cru ellement défaut malgré l'arrivée, à partir de 1 9 1 5 , de plusieurs contingents de prisonniers russes occupés dans les mines et les grands domaines agricoles et l'appoint de qu elques centaines d 'ouvriers belges dans la sidé­ rurgie. Ainsi la Lorraine ne parvient-elle pas à fou rnir une contri­ bution très importante à l'effort de guerre allemand. D'autre part, les intérêts français : 8 1 8 maisons u rbaines, 1 . 07 6 propriétés ru­ rales, des participations dans 21 entreprises sont d'abord placés sous administration forcée puis mis en liquidation à partir de 1 9 1 7 . Cette politique de germanisation intégrale v a manqu er s e s objectifs et au contraire préparer psychologiqu ement le retour à la Frapce. M. T. B ORRELLY