Margaret Thatcher : Libérale, oui, mais comment ?

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Margaret Thatcher : Libérale, oui, mais comment ? Par Laetitia STRAUCH-BONART,
Essayiste et chercheuse
à la Queen Mary University of London
« Si jeter l’argent par les fenêtres était la solution aux problèmes
de notre pays, alors nous n’aurions plus de problèmes au
moment où je vous parle. (…) Aujourd’hui, fini de rêver. »
Margaret Thatcher,
Conférence du Parti Conservateur,
Brighton, 10 octobre 1980
« L’argent public, cela n’existe pas ; je ne connais que l’argent
des contribuables. »
Margaret Thatcher,
Conférence du Parti Conservateur,
Blackpool, 14 octobre 1983
2
Introduction. Thatcher et le libéralisme Faire baisser les dépenses publiques de 100 milliards d’euros, supprimer 500 000 postes dans
la fonction publique, favoriser les modalités du licenciement et déréguler la durée du travail,
mais aussi promouvoir une plus grande autonomie scolaire, autant de propositions de
François Fillon, candidat à la primaire de la droite, qui le rapprochent, nous dit-on, de
Margaret Thatcher, dont il s’est lui-même plusieurs fois réclamé.
En France, Thatcher évoque pêle-mêle l’« ultra-libéralisme », la mise à genoux des syndicats
ou encore la toute puissance de la City. Mais loin d’avoir été ultra-libérale – terme d’ailleurs
aussi flou que peu scientifique – Thatcher a pensé et mis en œuvre un programme tout
simplement libéral, pour accentuer la concurrence et combattre les rentes dans le plus
grand nombre de secteurs possible. Inquiète, comme nombre de ses compatriotes, de la
situation d’un pays rongé par l’inflation et engoncé dans la bureaucratie, elle voyait dans le
secteur privé le seul véritable créateur de richesses. Il fallait donc mettre un terme au
« consensus de l’après-guerre », où Travaillistes comme Conservateurs s’accordaient non
seulement sur une approche keynésienne de l’économie, mais aussi sur sa régulation étroite.
La passion de Thatcher pour le libéralisme se développa progressivement. Jusqu’à 1975, elle
s’exprima peu sur l’économie, et son élection à la tête du Parti en 1975 s’expliqua davantage
par la désaffection des Tories envers son prédécesseur, Edward Heath, que par son
radicalisme. Mais ses convictions s’affirmèrent : en 1974, elle cofonda le think tank libéral
Centre for Policy Studies et se rapprocha d’un autre think tank, l’Institute for Economic
Affairs.
Parmi les penseurs libéraux, c’est Friedrich Hayek qui exerça la plus grande influence sur
elle. Comme Hayek, elle était convaincue qu’aucun compromis avec le socialisme n’était
possible, parce que cette idéologie tendait toujours, selon lui, vers des résultats totalitaires.
Mais sa vision du libéralisme était aussi équilibrée par une forme de sagesse quotidienne,
accessible à tous, voire triviale : « Ma politique (est) fondée (…) sur des principes que des
millions de personnes (…) ont reçus dans leur éducation : (…) vivre selon ses moyens ;
épargner pour les mauvais jours ; payer ses factures à temps (…). ».1
1
Interview pour News of the World, 20 septembre 1981.
3
Thatcher n’était pas une libertarienne – partisan de l’Etat minimal – mais une libérale
on ne peut plus classique. Pour elle, « le gouvernement (devait) créer un motif adéquat de
stabilité financière, de faible imposition, de régulation souple (…) pour permettre la
croissance de la prospérité et de l’emploi. » 2 Mais le libéralisme thatchérien n’a jamais
touché l’ensemble des services de l’Etat. Elle a plutôt voulu mettre en œuvre un retour aux
principes classiques du libéralisme formulés au XIXème siècle, tout en comprenant la
nécessité de moderniser certains secteurs, comme la finance.
I. Le recul de l’Etat : une ambition partiellement accomplie Le 10 octobre 1986, lors de la Conférence du Parti Conservateur, Thatcher déclarait : « Mon
gouvernement a fait reculer les frontières de l’État, et va s’ingénier à les faire reculer encore
davantage. » « Faire reculer les frontières de l’Etat », phrase clé du thatchérisme, fur
l’un des grands axes de ses deux premiers mandats, en particulier du premier. Ce recul
s’inscrivait pleinement dans la pensée libérale-conservatrice, qui estime, au plan social
comme économique, que l’acteur par défaut n’est pas l’Etat mais l’individu et la société
civile.
Cependant, la pratique fut plus nuancée.
2
-
La dépense publique représentait 45% du PIB en 1979 et près de 39% du PIB en
1990. Mais elle augmenta pendant la première mandature. Surtout, elle ne cessa de
croître en termes réels durant toute la période. Thatcher procéda aussi à une baisse de
l’impôt sur le revenu pour les tranches supérieures, en la contrebalançant par une
augmentation des impôts indirects – notamment la hausse de la TVA en 1979, à 15%.
-
Le déficit public baissa à partir de 1984, permettant même deux années d’excédent en
1988 et 1989.
-
La dette publique décrut constamment, passant de 46% à l’arrivée de Thatcher au
pouvoir à 26% à son départ.
Margaret Thatcher, The Path to Power, Harper Collins, 1995.
4
Dépenses publiques au Royaume-Uni (en % du PIB)
Source : Office for National Statistics3
Pression fiscale au Royaume-Uni (en % du PIB)
Source : HM Treasury4
3
4
https://www.ifs.org.uk/budgets/gb2011/11chap6.pdf
https://www.ifs.org.uk/uploads/mirrleesreview/dimensions/ch1.pdf
5
Dette publique au Royaume-Uni (en % du PIB)
Source : Office for National Statistics5
II. La lutte contre l’inflation : la fin du keynésianisme d’après-­‐guerre Une des priorités de Thatcher était de réduire l’inflation. Influencée par les travaux de Milton
Friedman, elle déploya une politique monétaire restrictive qui permit de passer d’une inflation
à deux chiffres à une inflation de 5 % en 1983.
Si l’inflation est repartie à la fin de ses mandats (8% à son départ), Thatcher a néanmoins
réalisé une vraie rupture avec la culture de l’inflation de l’après-guerre. Car si à cette
époque l’inflation permettait de faire baisser la dette publique, elle devait aussi permettre,
selon la théorie keynésienne, de lutter contre le chômage. Or dès la fin des années 1960, cet
équilibre s’était rompu.
5
http://webarchive.nationalarchives.gov.uk/20160105160709/http://www.ons.gov.uk/ons/rel/psa/public-sectorfinances/july-2013/sty-public-sector-debt.html
6
Inflation au Royaume-Uni (% d’évolution sur 12 mois)
Source : Office for National Statistics
III. La libéralisation des prix et des marchés : les réformes fondamentales Socle de l’édifice libéral, la libéralisation des prix et des marchés a débuté par l’abolition
du contrôle des changes, des prix et des revenus dès 1979, mais s’est surtout épanouie
pendant la deuxième mandature, à partir de 1983.
Les « dénationalisations » « Ce n’est pas à l’État de gérer le monde de l’entreprise », déclarait Thatcher en 19866, et ses
réformes l’ont prouvé. Le gouvernement conservateur a donc présidé à une vague de
privatisations – qu’on nommait volontiers « dénationalisations » à l’époque. Amorcées en
1981, elles s’accentuèrent à partir de 1984 avec la vente de British Telecom, British Airways
6
Conférence du Parti Conservateur à Bornemouth, 10 octobre 1986.
7
et British Gas. La plupart des industries dénationalisées, du point de vue conservateur,
n’étaient pas des services publics au sens strict et devaient bénéficier de l’exposition à la
concurrence.
L’efficacité de la privatisation a varié en fonction de la nature plus ou moins naturellement
monopolistique du secteur. Il faut aussi inclure dans la dénationalisation la grande politique
d’achat de logements sociaux (council houses) par leurs occupants. Au total, les
privatisations d’entreprises rapportèrent entre près de 30 milliards de livres, et la vente
des logements sociaux 18 milliards de livres.7
La « dérégulation » Le monde industriel des années 1970, au Royaume-Uni, n’avait pas grand-chose à voir avec
celui d’aujourd’hui : le pouvoir des syndicats dans les entreprises était très important, les
grèves et rapports de force avec l’Etat étaient fréquents, tandis que le « closed shop » imposait
aux entreprises de ne recruter que parmi les adhérents du syndicat. L’Employment Act de
1982 posa les premiers jalons d’une remise en cause de ces pratiques : désormais c’est la
concurrence qui devait valoir, notamment entre les salariés.8
Dans le même temps, le gouvernement Thatcher a accompagné la spécialisation de
l’économie britannique dans les services et la finance. C’est le « Big Bang » du 27 octobre
1986, un ensemble de réformes de dérégulation des marchés financiers dont l’impact fut
considérable. Le gouvernement mit en œuvre, entre autres, la suppression de la distinction
entre « animateurs de marché » (« stockjobbers ») et « courtiers » (« stockbrokers »), la
fin de exclusion des entreprises étrangères de la cotation au London Stock Exchange et
la suppression des commissions fixes sur les échanges de titres. Jusque là, la City restait un
milieu fermé, fondé sur des réseaux. Mais face à la concurrence étrangère, à commencer par
celle de New York, Thatcher était déterminée à faire de la finance un secteur plus rentable,
débarrassé de ses règles obsolètes.
7
http://www.telegraph.co.uk/finance/personalfinance/investing/9979201/Baroness-Thatcher-how-shetransformed-a-nations-finances.html
Jean-Marc Daniel, « Retour sur la politique de Mme Thatcher », Institut de l’entreprise, 15 avril 2013.
http://www.institut-entreprise.fr/reflexions/societal/blog/retour-sur-la-politique-de-mme-thatcher-0
8
Jean-Marc Daniel, op. cit.
Notons cependant que le « closed shop » ne fut entièrement aboli qu’à la fin du mandat de Thatcher.
8
Conséquence : une croissance spectaculaire du secteur, accompagnée du rachat
nombreux banques et fonds britanniques par des entreprises plus larges, domestiques
étrangères, et une mutation progressive de l’économie britannique de l’industrie vers
services. Autrefois perçu comme un simple intermédiaire, le secteur financier devint
véritable contributeur de la croissance économique.9
de
ou
les
un
L’opposition frontale entre le gouvernement et les mineurs, qui datait des années 1970 mais
s’amplifia dans les années 1980, fut la conséquence directe de cette nouvelle donne, faite de
dérégulation et de remise en cause des entreprises nationales. En mars 1984, le « National
Coal Board », entreprise publique chargée de gérer l’industrie minière, encore nationalisée,
proposa de fermer 20 mines – 10% du total. Clairement, l’industrie souffrait de son absence
d’exposition à la concurrence. Mais la colère du syndicat des mineurs, la « National Union of
Mineworkers » (NUM), fut d’autant plus grande que dans le même temps Thatcher s’efforçait
de déréguler le marché du travail. La NUM, menée par Arthur Scargill, lança donc un grand
mouvement de grève.
Dans un pays épuisé par les grèves à répétition depuis près de quinze ans, Thatcher se montra
inflexible. La grève fut déclarée illégale en septembre 1984, en raison de l’absence de vote au
niveau national, et prit fin en mars 1985. Le gouvernement sortit vainqueur et la plupart des
mines qui le devaient fermèrent.10 Ce conflit, le plus dur de l’histoire britannique, contribua
nettement à l’affaiblissement du mouvement syndical. Mais cet affaiblissement avait
d’autres causes, comme l’inflexibilité de Scargill qui se montra incapable de trouver des
alliés au sein des autres syndicats. Par ailleurs, l’adhésion syndicale était déjà en baisse depuis
la fin des années 1970, baisse qui s’accentua avec les privatisations. Les mines furent
finalement privatisées en 1987.
9
Certains estiment que la crise de 2007-2012 a davantage touché la Grande-Bretagne parce que son secteur
financier était trop dérégulé. Mais la dérégulation de 1986 n’avait rien d’exceptionnel au regard de l’archaïsme
du secteur, et elle n’est pas plus importante que celle qui prévaut en Europe. Surtout, la crise de 2008 est d’abord
une crise du crédit, née aux Etats-Unis dans des conditions particulières. Que Londres fût davantage touchée, à
l’époque, tenait à son statut de ville mondiale et aux liens extrêmement importants qu’elle entretenait avec les
banques et fonds du monde entier, à commencer par ceux des Etats-Unis.
10
Si le Gouvernement fit un ample usage de la police, il n’employa jamais l’armée comme on l’entend parfois.
On sait seulement que Margaret Thatcher était prête à le faire, non pas pour briser la grève, mais pour faire
circuler le charbon vers les centrales si nécessaire.
9
IV. Les services publics et l’Etat-­‐Providence : repenser le rôle de l’Etat sans l’abolir Les dépenses publiques, sous Thatcher, ont baissé en proportion du PIB et non en termes
réels. La sécurité, la santé, l’éducation et la sécurité sociale ont connu une augmentation
en termes réels. Les secteurs touchés par une baisse en termes réels furent l’industrie, en
raison des privatisations, et le logement, en raison de la politique d’achat de logements
sociaux par leurs bénéficiaires.
Faut-il voir dans les privatisations une mise à mal des services publics ? La plupart des
industries dénationalisées, du point de vue conservateur, n’étaient pas des services publics au
sens strict et devaient bénéficier de l’exposition à la concurrence. Thatcher a voulu
développer une autre vision du service public, où tous les services ne doivent pas relever de
l’Etat, et où leur taille ne préjuge pas de leur qualité.
Qu’en est-il précisément de l’Etat-Providence ? Les aides publiques ont augmenté durant
les mandatures de Thatcher – principalement à cause du chômage. Mais il est indéniable
que Thatcher avait l’intention de réformer l’Etat-Providence, pour accroître la responsabilité
des bénéficiaires mais aussi celle de l’Etat.
Après deux premiers mandats consacrés à l’économie, aux syndicats et à la politique
extérieure, Thatcher aborda la politique sociale en 1987, en particulier l’école et la santé.
Elle chercha à introduire davantage de concurrence entre les fournisseurs de ces services, à
décentraliser la prise de décision dans les écoles et les hôpitaux, et à introduire une logique
d’évaluation. Mais l’école comme la santé restèrent gratuits. Il est donc faux de parler ici
de disparition de l’Etat-Providence. On sait seulement que Thatcher réfléchissait
constamment à de nouvelles réformes, notamment l’introduction de « chèques éducation » ou
encore un système de santé assurantiel, avec un socle minimum financé par l’Etat.
On ne peut y voir que l’extension de principes libéraux et conservateurs, et non la fin de
l’Etat-Providence.
10
V. Chômage, inégalités, pauvretés, niveau de vie : quel bilan ? Margaret Thatcher ne s’est jamais donné comme objectif premier le recul du chômage, ou
plutôt, c’était un objectif qu’elle souhaitait atteindre grâce à la création de richesses et donc
la vigueur retrouvée de l’initiative privée.
Ses premières réformes, de la baisse des dépenses publiques à celle des subventions à
l’industrie, le tout dans un contexte mondial récessif, produisirent une augmentation rapide
du chômage, à plus de 3 millions. Dès 1984 cependant, le chômage commença à baisser.
Chômage au Royaume-Uni (en millions)
Source : Office for National Statistics
Quant aux inégalités et à la pauvreté relative, elles se sont accrues pendant la période.
11
Inégalités au Royaume-Uni (coefficient de Gini)
Source : Institute for Fiscal Studies
Pauvreté relative au Royaume-Uni
(% de la population en-dessous de 60% du revenu médian)
Source : Institute for Fiscal Studies
12
Cependant, d’autres indicateurs montrent une hausse du niveau de vie de la population
pendant les mandats de Thatcher. Le revenu par tête et le revenu médian ont augmenté,
tout comme le taux de possession des biens de consommation durables, tandis que le budget
moyen des familles s’est modifié, laissant plus de place aux dépenses de loisir.
Revenu réel disponible par tête au Royaume-Uni
Source : Office for National Statistics
Revenu annuel médian d’un foyer de deux adultes
au Royaume-Uni
Source : Institute for Economic Affairs, à partir des données
de l’Institute for Fiscal Studies
13
Taux de possession de biens de consommation durables
au Royaume-Uni
Source : Institute for Economic Affairs, à partir des données
de l’Office for National Statistics Living Cost and Food Survey
Composition du budget moyen d’une famille au Royaume-Uni
Source : Institute for Economic Affairs, à partir des données de
l’Office for National Statistics Living Cost and Food Survey
14
Pour Kristian Niemietz, en charge de la santé et de l’Etat-Providence à l’Institute for
Economic Affairs, think-tank britannique libéral, pendant l’ère Thatcher, « tandis que les
riches ont prospéré, dans l’ensemble, le sort de la plupart des familles ordinaires s’est aussi
amélioré. Le thatchérisme a marché. »11
VI. Margaret Thatcher et les mœurs : conservatrice ou libérale ? Dans les années 1960, plusieurs lois se succédèrent pour abolir la peine de mort,
libéraliser l’avortement et le divorce, ou encore dépénaliser l’homosexualité, tandis que
les universités, inspirées par la France et les Etats-Unis, étaient en effervescence. Les critiques
de ces évolutions fustigeaient volontiers la « société permissive » et Thatcher, députée de
l’opposition – elle fut élue en 1959 - ou membre du gouvernement Heath (1970-1974), était
en première ligne pour dénoncer ce qu’elle percevait comme les maux de son temps : la perte
de la responsabilité individuelle, le reflux de la famille traditionnelle et la « permissivité »
morale. D’ailleurs, Thatcher était très marquée par les valeurs chrétiennes – son père était un
fervent méthodiste – et victoriennes, et s’en inspirait volontiers dans ses discours. En ce sens,
elle avait tout d’une parfaite conservatrice.
Fait intéressant, Thatcher cultivait aussi une vision morale de l’économie. Elle présentait
souvent le libre marché comme la condition de la re-moralisation de la société, voyant dans la
dépendance envers l’Etat une pratique immorale. On lui doit cette phrase frappante :
« l’économie est la méthode ; le but est de changer (…) l’esprit. »12
Cependant, en pratique, Thatcher est restée politiquement libérale : si sa morale
personnelle la conduisait à critiquer ce qu’elle percevait comme des déviances de la
société, elle pensait aussi qu’on ne pouvait pas rendre les hommes bons par la loi.
Députée de l’opposition, elle vota en 1967 pour la légalisation de l’avortement et la
décriminalisation de l’homosexualité – mais pas pour la facilitation du divorce. Surtout, une
fois Premier Ministre, elle ne revint jamais sur la législation « permissive » des années 1960,
faisant au passage beaucoup de déçus parmi les militants anti-permissivité qui l’avaient
soutenue.
11
12
https://iea.org.uk/blog/thatcherism-and-british-living-standards
Interview pour le Sunday Times, 3 mai 1981.
15
Il lui arriva cependant, dans les années 1990, de regretter ses votes passés, au sens où elle
reconnut voir dans la loi non seulement une autorisation pratique et un encadrement, mais une
sorte de blanc-seing « symbolique », un « panneau indicateur du chemin que prend la société
». En l’occurrence, les lois des années 1960 et 1970 avaient créé selon elle un « motif
radicalement nouveau selon lequel la jeune génération était censée se comporter ».13 On rend
parfois aussi Thatcher responsable de la Section 28 du Local Governement Act 1988 qui
interdisait la promotion de l’homosexualité par les autorités locales et dans les écoles. Mais
cet aspect de la loi fut le fait d’un amendement de la Chambre des Lords, non du
gouvernement. En définitive, Thatcher est restée une moraliste ambiguë.
Conclusion. Thatcher et sa postérité : individualisme et capitalisme populaire Margaret Thatcher fut-elle le chantre de l’individualisme roi, critique courante qui résume
souvent toutes les autres ? Si une phrase illustre bien tout le mythe qui l’entoure, c’est celle
qu’elle prononça en 1987 : « La société n’existe pas, il n’y a que des individus ».14
La libéralisation thatchérienne réveilla en effet des instincts individualistes, mais il faut bien
comprendre de quel individualisme il est question. Thatcher, en bonne libérale conservatrice,
insistait surtout sur la responsabilité individuelle, visible dans le travail et l’épargne bien plus
que dans l’égoïsme. Juste avant de déclarer que « la société n’existe pas », elle venait de dire :
« on a fait croire à trop de gens que s’ils ont un problème, c’est à (la société) de s’en
occuper. (…) Mais (…) la société n’existe pas, il n’y a que des individus (…) et des familles.
Aucun Etat ne peut faire quoi que ce soit sans les gens, et les gens doivent veiller d’abord sur
eux-mêmes. (…) Les gens sont obsédés par leurs droits, sans penser aux obligations qui vont
avec. » De cet attachement à la responsabilité individuelle, Thatcher faisait d’ailleurs
découler ce qu’elle appelait un « capitalisme populaire ».15
Vu d’aujourd’hui, le thatchérisme a posé les bases d’une économie britannique
extrêmement ouverte et fondée sur les services. Ni le travailliste Tony Blair, ni le
13
Margaret Thatcher, The Path to Power, Harper Collins, 1995.
Interview pour Wowan’s Own, 23 septembre 1987.
http://www.margaretthatcher.org/document/106689
15
Bornemouth, 10 octobre 1986. « Nous autres conservateurs sommes adeptes d’un capitalisme populaire,
d’une démocratie de propriétaires. »
14
16
conservateur David Cameron n’ont fondamentalement remis en cause les apports du
thatchérisme. 16 Bien sûr, on l’a vu, le libéralisme thatchérien avait ses limites, et les
successeurs de Thatcher ont aussi tenté d’y remédier. La plus grande incertitude de ce modèle,
à ce jour, vient d’ailleurs plus certainement d’un Brexit qui, dans sa version « dure », pourrait
mettre à mal ses acquis.
Quant à exporter ce modèle tel quel en France, les différences économiques et sociales
entre la France d'aujourd'hui et le Royaume-Uni d'alors empêchent d'envisager un simple
décalque d'un pays sur l'autre. En revanche, le contexte qui a présidé à l'avènement du
thatchérisme – un pays souffrant de blocages et dont la population aspirait à plus de
liberté économique –, sa philosophie fondamentale – la volonté de rééquilibrer les
rapports entre l’Etat et la société civile à la faveur de celle-ci – et sa méthode – la
conviction et l'obstination – sont bel et bien valables pour notre temps et notre pays.
En ce sens, le programme de François Fillon n'est pas une reconduction à l'identique de
celui de Margaret Thatcher, pour la simple raison que certaines de ses grandes réformes – la
fin du contrôle des prix, les privatisations, la baisse de l'inflation – ne sont plus d'actualité en
France. Cependant, vouloir restreindre la taille de l'Etat ou encore déréguler le marché
du travail sont manifestement des points communs entre ces deux figures politiques. Surtout,
c'est dans la détermination de desserrer le carcan d'une économie trop régulée que
l'affinité entre Fillon et Thatcher est indéniable. « Aujourd’hui, fini de rêver » avait dit un
jour Thatcher. Fillon pourrait bien reprendre la formule à son compte.
* * *
16
A la question de savoir quelle était sa plus grande réussite, Thatcher aurait déclaré : « Tony Blair et le New
Labour. » Quant à Cameron, s’il n’était pas un thatchérien radical et a tenté de contrer les effets de ce qu’il
percevait comme une « société brisée », il n’a pas bouleversé l’approche de la politique publique héritée de la
Dame de Fer.
17
ANNEXES Sources :
Organisations :
Office for National Statistics
Institute for Fiscal Studies
Institut de l’entreprise
Ouvrages :
Ben Jackson, Robert Saunders (ed.), Making Thatcher’s Britain, Cambridge University Press,
2012
Charles Moore, Margaret Thatcher: The Authorized Biography, Volume One: Not For
Turning, Allen Lane, 2013
Charles Moore, Margaret Thatcher: The Authorized Biography, Volume Two: Everything She
Wants, Allen Lane, 2015
Margaret Thatcher, The Path to Power, Harper Collins, 1995
Margaret Thatcher, Discours 1968-1992, Les Belles Lettres, 2016
Richard Vinen, Thatcher's Britain: The Politics and Social Upheaval of the 1980s, Simon &
Schuster, 2010
Biographie de l’auteur :
Laetitia Strauch-Bonart est spécialiste du conservatisme en Grande-Bretagne et en France.
Ancienne élève de l’Ecole normale supérieure Ulm en philosophie et de Sciences po Paris en
Affaires publiques, elle mène actuellement un doctorat en histoire à Queen Mary University
of London, sur les Conservateurs britanniques et les questions morales de 1945 aux années
1980.
Elle écrit régulièrement dans Le Point et a publié son premier essai en 2016, Vous avez dit
conservateur ?, aux Editions du Cerf.
* * *
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