Repères historiques et artistiques:
1) Le « free cinema » des précurseurs
Dans les années 60, dans un célèbre entretien avec Alfred Hitchcock (le
grand maître du suspens britannique), François Truffaut se demande « s’il
n’y a pas incompatibilité entre le mot cinéma et le mot Angleterre ». On
peut s’étonner d’un tel manque de discernement par l’une des figures de
proue de la Nouvelle Vague du cinéma français (avec Claude Chabrol, Jean-
Luc Godard, Eric Rohmer, etc.) alors même que la Grande Bretagne livre
elle aussi une Nouvelle Vague très riche mais aussi très différente car
davantage axée sur le réalisme et le traitement de sujets qui touchent à la
condition de la classe ouvrière de l’époque. A cette époque, de jeunes
cinéastes (proches du mouvement littéraire des « angry young men »)
lancent un courant, le « free cinéma », en réalisant des films « qui donnent la
parole à ceux à qui on ne la donne jamais ». Le cinéma de Tony Richardson
(« La solitude du coureur de fond »), Karel Reisz (« Samedi soir, dimanche
matin ») ou Lindsay Anderson (« If »), tend à s’affranchir d’un certain
académisme bourgeois et prend à contre pied les règles narratives et
esthétiques classiques : caméra à l’épaule, tournage dans la rue (et non en
studio), acteurs non professionnels, et surtout thèmes sociaux auparavant
peu abordés à l’écran.
2) Un cinéma de combat irrigué par les années Thatcher
Mais le courant du « free cinema » se tarie vite et le cinéma anglais connaît
une crise qui ne s’achèvera que dans les années 80-90 avec des réalisateurs
engagés à nouveau ancrés dans le réel comme Ken Loach, Mike Leigh,
Stephen Frears, Danny Boyle, etc. Leurs œuvres sont à la fois irriguées et
galvanisées par la crise économique et les bouleversements politiques des
années Thatcher (1979-1990). Durant cette décennie de pouvoir, la « Dame
de fer » a transformé en profondeur la société anglaise en redressant en
particulier son économie (Londres devient l’une des plus grandes places
financières du monde) alors en déclin par l’application d’une doctrine
libérale (inspirée du courant économique ultra-libéral des « Chicago boys »)
sans concessions voire brutale que les classes populaires paieront au prix
fort : privatisations, politique de rigueur (dégradation des services publiques
et destruction du « British Welfare »), réduction du pouvoir des syndicats,
dérégulation de l’économie et du code du travail, chômage devenu
endémique dans les anciens districts industriels, accroissement des
inégalités.
Ces cinéastes « de combat », à l’instar de Ken Loach essayent « d’exprimer
un point de vue non sur la classe ouvrière mais de la classe ouvrière » en
réaction à l’action politique de Margareth Thatcher et de ses succédanés
libéraux (John Major, Tony Blair, etc.). Leurs films mettent en scène les
défavorisés, les déclassés, les exclus du redressement économique du pays
qui tentent, dans les cités ouvrières britanniques massivement touchées par
le chômage, de survivre en se livrant parfois à des actes illégaux : vols,
consommation et trafic de drogue (« Trainspotting »/« Sweet sixteen »),
travail au noir, etc. Mais le regard porté sur les héros de ces films est dénué
de jugement et plutôt compassionnel et l’attention de ces cinéastes se