É ditorial ● A. Kahn* Le clonage thérapeutique O lité et l’embryologie humaines, chargée de régler la recherche sur l’embryon outre-Manche. Le Groupe européen d’éthique considéra que les perspectives du clonage thérapeutique étaient si incertaines qu’elles ne justifiaient pas que l’Union européenne s’engageât dans le soutien à de telles recherches (1). En décembre 2001, une conférence internationale est organisée à Bruxelles par le Groupe des experts en sciences de la vie auprès de la direction de la recherche de la Commission européenne. Près de 600 personnes, dont, pour une grande majorité, des spécialistes internationaux du domaine, discutent de cette question pendant deux jours et parviennent pratiquement au même avis (2). L’irréalisme des stratégies médicales reposant sur le “clonage thérapeutique” est depuis largement admis dans tous les colloques internationaux où les médecins et scientifiques confrontent – entre eux – leurs points de vue. On en trouve l’écho dans la quasi-totalité des éditoriaux consacrés à ce problème dans la presse internationale (3-6). n réserve le terme de clonage reproductif à la méthode de reproduction asexuée qui, après la naissance de Dolly le 5 juillet 1996, a été utilisée pour produire les copies génétiques de plus d’un millier de mammifères, surtout des souris et des vaches. En 1998, une équipe américaine a mis au point la méthode de culture des cellules souches embryonnaires humaines. Appliquée avec succès depuis vingt ans chez la souris, cette technique permet de prélever sur un embryon, au cinquième jour après la fécondation, les cellules à l’origine de tous les tissus du futur fœtus et du nouveau-né, de les multiplier et de les conserver en culture. Depuis 1990, la loi anglaise autorisait la création d’embryons humains pour la recherche dans le domaine de la stérilité et des maladies génétiques, à condition de les détruire avant le 14e jour. Les perspectives d’une utilisation thérapeutique des cellules souches embryonnaires humaines ont amené le législateur anglais à étendre le champ d’application de la loi de 1990, c’està-dire à ajouter aux recherches sur la stérilité et les maladies génétiques celles sur les cellules souches embryonnaires, notamment dans la perspective de leur usage médical. Mais, Dolly étant née, la question s’est posée de la méthode de production des embryons destinés à cette recherche. Fallait-il y inclure la méthode de transfert de noyaux utilisée dans les opérations de clonage animal ? Afin de différencier une telle pratique, destinée à produire des cellules souches embryonnaires à partir d’un embryon cloné, de la reproduction asexuée des mammifères, les biologistes anglais ont, pour la première fois, opposé le clonage reproductif au clonage dit “thérapeutique”. L’intérêt théorique de cette méthode est le suivant : les cellules embryonnaires obtenues seraient tolérées par la personne dont on aurait produit des clones embryonnaires ; elle pourrait, de ce fait, être soignée sans risque de rejet. En effet, les gènes des cellules greffées et des receveurs étant identiques, aucune réaction immunitaire ne se produirait. Le législateur anglais a choisi, en effet, d’étendre le champ des recherches autorisées par sa loi de 1990, sans référence aux modalités de production de l’embryon. Cette invention sémantique du clonage thérapeutique a été suivie, à partir des années 2000, d’une évaluation de la réalité de ces nouvelles perspectives médicales. La Commission européenne a d’abord demandé son avis au Groupe européen d’éthique, présidé par la Française Noëlle Lenoir. Le rapporteur de cette saisine fut une célébrissime embryologiste anglaise, Anne McLaren, membre de l’autorité britannique sur la ferti- En effet, une méthode thérapeutique qui exigerait, pour chaque malade à soigner, de disposer de dizaines, peut-être de centaines d’ovocytes humains, d’obtenir quelques embryons clonés, d’en prélever des cellules, de les multiplier, de leur commander de se transformer en la population cellulaire dont on attend un effet thérapeutique, de vérifier que ces cellules peuvent assurer une fonction thérapeutique et ne sont pas cancérigènes… est une entreprise si démesurée, si dispendieuse en ovocytes, si longue et si coûteuse, qu’elle n’a vraiment aucune chance de constituer jamais une méthode thérapeutique crédible offerte à un nombre significatif de malades. Reste que l’utilisation d’embryons humains clonés à des fins de recherche fondamentale pourrait s’avérer fort intéressante. C’est dans un tel esprit que le terme contestable de “clonage thérapeutique” tend à être remplacé dans les revues internationales de biologie par celui, plus honnête, de “clonage à finalité scientifique”. Il est naturel d’en mettre la légitimité en balance avec les objections soulevées par une telle approche. On les connaît. Pour certains, la fabrication d’embryons humains en tant que matériel de recherche est immorale. Beaucoup des résultats escomptés pourraient aussi bien être obtenus avec des embryons de singe. Tout le monde s’inquiète d’une technique dont la mise en œuvre exigerait de disposer d’un si grand nombre d’ovocytes, cellules rares qui seraient dévoyées de leur rôle procréatif naturel. Il est même à craindre qu’une telle demande favorise l’établissement d’un trafic commercial d’ovules vendus par des jeunes femmes dans le besoin. Enfin, et surtout, la recette pour l’obtention d’embryons humains clonés, lorsqu’elle aura été mise au point par des cher- *Institut Cochin, INSERM U.567-UMR 8104 CNRS, IFR Alfred-Jost, 22, rue Méchain, 75014 Paris. 171 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 4 - oct.- nov.-déc. 2003 É ditorial cheurs intéressés par le “clonage thérapeutique”, sera publiée dans les journaux spécialisés et, dès lors, disponible. C’est ce qu’attendent avec impatience tous ceux qui se sont déjà lancés dans l’entreprise du clonage reproductif. Il se trouvera alors toujours des pays où ils pourront mettre leur projet à exécution. plein d’espoir en la médecine, participer au lobbying en faveur du clonage thérapeutique, inconscients de leur instrumentalisation. On en appelle aux associations de paralysés, de patients atteints d’affections génétiques ou de maladies dégénératives diverses. Il est aisé de les mobiliser, et leur influence sur les représentants du peuple est considérable. Heureusement, d’autres stratégies moins illusoires que le “clonage thérapeutique” sont actuellement à l’étude ; certaines reposent sur les cellules souches embryonnaires et d’autres sur les cellules souches adultes (9). Y aurait-il d’autres objectifs à cette grande campagne menée au nom de la solidarité scientifique envers des malades atteints d’affections sévères ? À ce stade, il faut éviter de se laisser aller à des procès d’intention. Rappelons néanmoins que l’illusion d’une unanimité contre la légitimité morale du clonage reproductif se dissipe de plus en plus. Dans le monde entier, nombre de scientifiques, de philosophes, de médecins ont développé leurs arguments en faveur d’un clonage reproductif humain maîtrisé. Il s’agit, par conséquent, d’en maîtriser la technique. La première étape consiste à mettre au point le clonage des embryons, qui s’est révélé jusque-là plus difficile que prévu chez les primates, et en particulier chez l’homme. Certaines de ces objections ont trouvé un début de réponse dans des travaux très récents. Des cellules haploïdes de type ovocytaire ont en effet été obtenues ex vivo par différenciation de cellules souches embryonnaires de souris (7). Ce pourrait être là une source illimitée de ce matériel si précieux. Cependant, on ne possède encore aucune indication sur la qualité de telles cellules et sur leur capacité à promouvoir la reprogrammation de noyaux somatiques transférés en leur sein. De plus, ces cellules s’engagent spontanément dans un début de développement embryonnaire en l’absence de fécondation. Le risque que ce comportement laisse présager un pouvoir tumorigène accru des cellules ES qui en seraient dérivées ne peut donc être sous-estimé. Une équipe chinoise a publié, en septembre 2003, les résultats d’expériences basées sur le transfert de noyaux somatiques humains dans des ovocytes énucléés de lapines. Des blastocystes ont été obtenus, à partir desquels des cellules de type ES ont pu être isolées (8). Cependant, on ne sait encore rien des propriétés de ces cellules, de leur sécurité et de leur immunogénicité. Les mitochondries de ce matériel proviennent du lapin, si bien qu’elles pourraient entraîner une violente réaction immunitaire, même si elles sont greffées aux personnes d’où proviennent les noyaux transférés. Outre l’utilisation d’ovocytes animaux, cette méthode aurait un autre intérêt “éthique” présomptif. Les embryons hybrides reconstitués par transfert de noyaux humains dans des ovocytes de lapines n’ont sans doute pas la capacité de se développer en nouveau-nés viables. À ce titre, on peut leur contester la qualité d’embryons humains. Dans le débat sur la légitimité d’innovations techniques, il n’existe pas de position “interdite”, et il est bon que s’affrontent les analyses et leurs arguments. Encore faudrait-il que ce fût en toute clarté, en se gardant d’utiliser la souffrance d’autrui comme moyen de pression. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Le clonage - Regard éthique. Coordonné par Anne McLaren. Éditions du Conseil de l’Europe, Strasbourg, mai 2002. 2. A statement from The Life Sciences High Level Group. European Commission. Bruxelles, décembre 2001. 3. Pedersen RA. Feeding hungry stem cells. Nature Biotech 2002 ; 20 : 882-3. 4. Éditorial “Hidden dragon”. New Scientist, 16 mars 2002 ; 5. 5. Rossant J. A monoclonal mouse ? Nature 2002 ; 415 : 967-96. 6. Trounson A. The genesis of embryonic stem cells. Nature Biotech 2002 ; 20 : Quoi qu’il en soit, ces différentes approches ne sont pas même encore vraiment établies sur le plan expérimental et ne méritent pas le qualificatif de “thérapeutiques”. Rien qui puisse justifier les discours triomphalistes entendus çà et là : grâce à cette technique, les paralytiques remarcheront, les vieillards atteints par la maladie d’Alzheimer retrouveront la mémoire, les cardiaques auront du cœur à l’ouvrage et les parkinsoniens récupéreront toute la souplesse de leurs mouvements… Aux États-Unis, on voit sur les plateaux de télévision Nancy Reagan, mobilisée en faveur de son mari et Christopher Reeves, un ancien acteur paraplégique 237-8. 7. Hübner K et al. Derivation of oocytes from mouse embryonic stem cells. Sciences 2003 ; 300 : 1251-6. 8. Dennis C. Chinese fusion - Method promises fresh route to human stem cells. Nature 2003 ; 424 : 711. 9. Kahn A. Cellules souches et médecine régénératrice. Médecine-Science 2002 ; 18 : 503-9. 172 Le Courrier de la Transplantation - Volume III - n o 4 - oct.- nov.-déc. 2003