Le Courrier de la Transplantation - Volume III - no4 - oct.- nov.-déc. 2003
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n réserve le terme de clonage reproductif à la
méthode de reproduction asexuée qui, après la
naissance de Dolly le 5 juillet 1996, a été utili-
sée pour produire les copies génétiques de plus d’un
millier de mammifères, surtout des souris et des vaches.
En 1998, une équipe américaine a mis au point la
méthode de culture des cellules souches embryonnaires
humaines. Appliquée avec succès depuis vingt ans chez
la souris, cette technique permet de prélever sur un
embryon, au cinquième jour après la fécondation, les
cellules à l’origine de tous les tissus du futur fœtus et du
nouveau-né, de les multiplier et de les conserver en cul-
ture. Depuis 1990, la loi anglaise autorisait la création
d’embryons humains pour la recherche dans le domaine
de la stérilité et des maladies génétiques, à condition de
les détruire avant le 14ejour. Les perspectives d’une uti-
lisation thérapeutique des cellules souches embryon-
naires humaines ont amené le législateur anglais à
étendre le champ d’application de la loi de 1990, c’est-
à-dire à ajouter aux recherches sur la stérilité et les
maladies génétiques celles sur les cellules souches
embryonnaires, notamment dans la perspective de leur
usage médical. Mais, Dolly étant née, la question s’est
posée de la méthode de production des embryons des-
tinés à cette recherche. Fallait-il y inclure la méthode de
transfert de noyaux utilisée dans les opérations de clo-
nage animal ? Afin de différencier une telle pratique,
destinée à produire des cellules souches embryonnaires
à partir d’un embryon cloné, de la reproduction
asexuée des mammifères, les biologistes anglais ont,
pour la première fois, opposé le clonage reproductif au
clonage dit “thérapeutique”. L’intérêt théorique de cette
méthode est le suivant : les cellules embryonnaires obte-
nues seraient tolérées par la personne dont on aurait
produit des clones embryonnaires ; elle pourrait, de ce
fait, être soignée sans risque de rejet. En effet, les gènes
des cellules greffées et des receveurs étant identiques,
aucune réaction immunitaire ne se produirait. Le légis-
lateur anglais a choisi, en effet, d’étendre le champ des
recherches autorisées par sa loi de 1990, sans référence
aux modalités de production de l’embryon. Cette inven-
tion sémantique du clonage thérapeutique a été suivie,
à partir des années 2000, d’une évaluation de la réali-
té de ces nouvelles perspectives médicales. La
Commission européenne a d’abord demandé son avis
au Groupe européen d’éthique, présidé par la
Française Noëlle Lenoir. Le rapporteur de cette saisine
fut une célébrissime embryologiste anglaise, Anne
McLaren, membre de l’autorité britannique sur la ferti-
lité et l’embryologie humaines, chargée de régler la
recherche sur l’embryon outre-Manche. Le Groupe
européen d’éthique considéra que les perspectives du
clonage thérapeutique étaient si incertaines qu’elles ne
justifiaient pas que l’Union européenne s’engageât dans
le soutien à de telles recherches
(1).
En décembre 2001,
une conférence internationale est organisée à Bruxelles
par le Groupe des experts en sciences de la vie auprès
de la direction de la recherche de la Commission euro-
péenne. Près de 600 personnes, dont, pour une grande
majorité, des spécialistes internationaux du domaine,
discutent de cette question pendant deux jours et par-
viennent pratiquement au même avis
(2)
. L’irréalisme
des stratégies médicales reposant sur le “clonage théra-
peutique” est depuis largement admis dans tous les col-
loques internationaux où les médecins et scientifiques
confrontent – entre eux – leurs points de vue. On en
trouve l’écho dans la quasi-totalité des éditoriaux consa-
crés à ce problème dans la presse internationale
(3-6)
.
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n effet, une méthode thérapeutique qui exigerait, pour
chaque malade à soigner, de disposer de dizaines,
peut-être de centaines d’ovocytes humains, d’obtenir
quelques embryons clonés, d’en prélever des cellules, de
les multiplier, de leur commander de se transformer en
la population cellulaire dont on attend un effet théra-
peutique, de vérifier que ces cellules peuvent assurer
une fonction thérapeutique et ne sont pas cancéri-
gènes… est une entreprise si démesurée, si dispendieuse
en ovocytes, si longue et si coûteuse, qu’elle n’a vrai-
ment aucune chance de constituer jamais une méthode
thérapeutique crédible offerte à un nombre significatif
de malades. Reste que l’utilisation d’embryons humains
clonés à des fins de recherche fondamentale pourrait
s’avérer fort intéressante. C’est dans un tel esprit que le
terme contestable de “clonage thérapeutique” tend à
être remplacé dans les revues internationales de biolo-
gie par celui, plus honnête, de “clonage à finalité scien-
tifique”. Il est naturel d’en mettre la légitimité en balance
avec les objections soulevées par une telle approche.
On les connaît. Pour certains, la fabrication d’embryons
humains en tant que matériel de recherche est immorale.
Beaucoup des résultats escomptés pourraient aussi bien
être obtenus avec des embryons de singe. Tout le monde
s’inquiète d’une technique dont la mise en œuvre exige-
rait de disposer d’un si grand nombre d’ovocytes, cel-
lules rares qui seraient dévoyées de leur rôle procréatif
naturel. Il est même à craindre qu’une telle demande
favorise l’établissement d’un trafic commercial d’ovules
vendus par des jeunes femmes dans le besoin. Enfin, et
surtout, la recette pour l’obtention d’embryons humains
clonés, lorsqu’elle aura été mise au point par des cher-
Le clonage thérapeutique
*Institut Cochin, INSERM U.567-UMR 8104 CNRS, IFR Alfred-Jost,
22, rue Méchain, 75014 Paris.
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A. Kahn*
Éditorial