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INTERVIEW
toux est au poumon”, répétait volontiers le
professeur Loiseau. Elle se caractérise par
la décharge anormale d’une population de
neurones donnant des symptômes qui
dépendent du rôle fonctionnel de ces neu-
rones. Or on peut très bien avoir un jour
une crise d’épilepsie due à une cause très
précise, un traumatisme crânien, un acci-
dent vasculaire, un antidépresseur mal sup-
porté, des convulsions fébriles dans le cas
des nourrissons par exemple, et ne pas être
épileptique pour autant. Une épilepsie est
caractérisée par la répétition spontanée de
crises. On la qualifie d’active quand celles-
ci se répètent malgré les médicaments.
FFRE : On sait aujourd’hui que l’épilepsie
n’est pas une maladie mentale. On se pose
néanmoins la question de savoir si une
épilepsie active peut générer des troubles
psychotiques ?
B. de Toffol : Le problème est infiniment
complexe dans la mesure où, tous les spé-
cialistes le savent, l’épilepsie n’existe pas
en tant qu’entité absolue. C’est un ensem-
ble de maladies très hétérogènes - on parle
plutôt de syndromes - qui prennent des for-
mes extrêmement variées en termes de
symptômes, de durée, de gravité.
Aujourd’hui on n’a aucun argument solide
et on n’a pas, à une ou deux exceptions
près, d’études épidémiologiques qui per-
mettent de démontrer clairement que l’épi-
lepsie active puisse être un facteur de
risque de troubles psychotiques. Il faut se
méfier du poids des idées reçues. La seule
chose que l’on puisse dire aujourd’hui,
c’est que certains sujets faisant des crises
très rapprochées peuvent développer un
délire aigu de durée brève, une semaine
environ. Ce phénomène très spectaculaire
est appelé psychose post-ictale. Le patient
est la proie d’hallucinations très vivaces, de
manifestations paranoïaques, parfois d’une
sorte de délire mystique ou de grandeur.
Mais on sait que cette psychose passagère
concerne une forme d’épilepsie très parti-
culière. Il s’agit de patients présentant une
épilepsie temporale, volontiers lésionnelle,
avec, la plupart du temps, des foyers bi-
temporaux sur l’EEG. C’est le seul cas qui
soit clairement démontré et identifié. Il y a
bien sûr de nombreuses autres situations
discutées. On s’intéresse beaucoup, par
exemple, à l’heure actuelle, aux psychoses
médicamenteuses mais les incertitudes sont
très nombreuses.
FFRE : Aucun autre trouble psychotique
chronique ou durable ne peut donc être lié
à l’épilepsie de façon certaine ?
B. de Toffol : Absolument. La question de
savoir si un épileptique peut développer
une forme schizophrénique reste ouverte et
très controversée. Le problème n’est pas
simple et demanderait ici de rentrer dans
des considérations et dans un développe-
ment très complexe: les difficultés sont sur-
tout liées à la définition que l’on accorde
aux tableaux cliniques. De plus, il faut bien
définir ce qu’est un trouble psychotique. Il
est caractérisé par l’altération des rapports
du sujet avec lui-même et avec la réalité.
En revanche il existe des troubles mentaux
non psychotiques qui regroupent principa-
lement, dépression, anxiété, angoisse, trou-
bles de l’humeur et de la personnalité. Les
épilepsies graves peuvent s’accompagner
d’un spectre étendu de ces troubles portant
sur la mémoire, le langage, les émotions,
ou le comportement selon la population de
neurones touchés.
Là encore, cependant, la question est dis-
cutée. Une épilepsie peut-elle, sui generis,
créer un trouble mental ou bien ce trouble
est-il une conséquence existentielle du fait
que, la personne épileptique ayant statisti-
quement plus de problèmes - célibat, chô-
mage, difficultés relationnelles, conjugales
- elle a de ce fait, plus de chances d’être
touchée ? Il y a deux approches : soit le
trouble peut être la réaction du malade aux
évènements qui l’affectent, soit il est d’ori-
gine endogène, et relève d’un processus
biologique indépendant de ces “événe-
ments de vie”. D’où l’intérêt des études
longitudinales dans lesquelles on suit le
même patient sur plusieurs années consé-
cutives.
En tout état de cause, le problème central
de l’épilepsie aujourd’hui est, à mon sens,
d’un autre ordre tout à fait prioritaire.
FFRE : Et de quel ordre serait-il selon vous ?
B. de Toffol : La question centrale est que
les épileptiques souffrent avant tout de
l’image négative encore attachée à cette
pathologie. Le patient la vit dans le regard
des autres. C’est un problème très spécifi-
que de cette maladie qui génère un vérita-
ble handicap social. C’est dans ce sens
qu’elle est considérée comme une maladie
sociale.
FFRE : Qu’entendez-vous par handicap
social ? maladie sociale ?
B. de Toffol : Un patient qui fait une crise
épileptique dans la rue, à son travail, fait
peur, alors que tout autre malaise, d’origine
cardiaque ou autre, attire en général plutôt
la sympathie. Les crises sont donc vécues
comme une menace pour le travail et pour
les rapports humains, menace dont la sur-
venue est aléatoire. D’où un sentiment d’in-
sécurité permanent et une anxiété
anticipatoire, très délétères pour l’image de
soi et pour l’activité, qu’il est très difficile de
mesurer car ils varient selon les personnali-
tés. Un patient peut avoir un sentiment
d’insécurité très fort avec une crise par an et
un autre un sentiment d’insécurité faible
avec une crise par semaine. Cela dépend
de la sensibilité de la personne, de son style
de vie, de la nature de son travail, de son
entourage, du type de ses crises.
Les crises
sont vécues comme
une menace.
D’où un sentiment
d’insécurité
permanent et une
anxiété très délétères
pour l’image de
soi.
Il faut
se méfier du poids
des idées
reçues.