L’OBSERVATOIRE L’OBSERVATOIRE BILAN CLIMATIQUE 2015-2016 UNE EXCEPTION qui pourrait devenir la règle Les aléas météorologiques de l’automne et de l’hiver n’étaient pas de nature à impacter les cultures et les tendances restaient bonnes. Le printemps a déjoué tous les pronostics avec des conséquences agronomiques préoccupantes. La variabilité des événements extrêmes caractériserait le changement climatique. L e début de l’automne 2015 a mis fin à six mois de températures au-dessus des normales, faisant suite à un été très chaud. Septembre et octobre ont été frais sur la quasi-totalité du territoire, plus particulièrement sur la façade Atlantique et la moitié Est. Le fait le plus notable de l’automne dernier est intervenu en novembre avec des températures largement au-dessus des valeurs saisonnières (de l’ordre de 2,7 °C), en particulier lors des deux premières décades. Ce mois de novembre se classe à la troisième place des mois les plus chauds depuis 1900, juste derrière 1994 et 2014. Ramené dans sa globalité, la température moyenne de l’automne 2015 dépasse en France la normale de seulement 0,3 °C. Les précipitations restent très contrastées d’un mois et d’une région à l’autre (encadré). Les déficits les plus marqués concernent la façade Atlantique, la Bretagne, le Cotentin et le Languedoc-Roussillon. Octobre fut particulièrement sec, avec moins de 10 jours de précipitations et un déficit global de l’ordre de 30 %. Le déficit pluviométrique s’est maintenu en novembre sur une grande moitié Sud. Le Sud-Est a subi plusieurs phénomènes orageux importants, les 12 et 13 septembre et le 3 octobre sur les Alpes maritimes, où des records absolus de précipitations en 24 heures ont été battus. Les semis d’automne ont pu être réalisés dans de bonnes conditions avec une bonne implantation des cultures et une levée homogène, mais aussi le maintien durable des ravageurs dans les parcelles. © N. Cornec - ARVALIS-Institut du végétal Une douceur exceptionnelle 8 Septembre 2016 - N°436 PERSPECTIVES AGRICOLES Si décembre 2015 se classe parmi les mois de décembre les plus secs depuis 1959, janvier et février 2016 ont connu des excédents de pluie de l’ordre de 50 %, suivis au printemps de précipitations aussi excédentaires. Les conditions hivernales ont été particulièrement clémentes avec un nombre de jours de gel très faible et l’absence de vague de froid. Sur l’ensemble de la saison, les températures moyennes sont supérieures de 2,6 °C aux normales. L’hiver 2016 se range au premier rang des hivers les plus chauds depuis 1900, devant 1990, 2007 et 2014. Décembre a été particulièrement chaud avec un excédent thermique de 3,9 °C (le mois le plus chaud depuis 1900). Janvier et février affichent également des températures clémentes, avec quelques épisodes de gel de faible intensité. Du côté des précipitations, une grande disparité existe entre décembre, où pluie ou neige ont été très faibles, et les mois de janvier et février avec des L’OBSERVATOIRE © S. Porrez - ARVALIS-Institut du végétal territoire, à l’exception de la Côte d’Azur. Après des températures plus clémentes fin mars et début avril, la fin du mois d’avril et le début du mois de mai ont connu un net rafraîchissement avec le retour de fréquentes gelées dans la moitié Nord (localement 8 à 10 jours de gel). Globalement, la température moyenne de mai apparaît déficitaire de 0,1 °C, ce qui ne reflète pas l’alternance Les conditions météo du printemps des périodes de fraîcheur et de douceur. Les contrastes ont été particulièrement favorables sont plus marqués sur les températures maximales au développement des maladies. avec un déficit de 1 °C en Bourgogne, Franche-Comté, Rhône-Alpes et Languedoc-Roussillon. À l’opposé, elles ont été supérieures de 1 à 2 °C aux valeurs saisonnières en Bretagne, Normandie, Hauts-de-France et au nord du excédents de l’ordre de 50 %. En moyenne, les pluies Grand-Est. hivernales 2015-2016 sont supérieures de 10 % aux Les précipitations, le plus souvent sous forme orageuse, valeurs saisonnières, avec des épisodes de neige en sont excédentaires de plus de 25 %. Avec des valeurs bien plaine rares et peu importants. Les zones les plus supérieures à la normale en Bourgogne, en Picardie, arrosées s’étendent de la Bretagne à l’Aquitaine dans le Centre et l’Île-de-France. Dans ces deux deren passant par le Massif Central, le long des côtes nières régions, le printemps 2016 s’affiche comme le de la Manche et de la Mer du Nord et de l’Alsace à plus pluvieux depuis 150 ans. Mars et avril avaient déjà la Bourgogne. Une situation plus habituelle a été enregistré des pluviométries excédentaires avec des retrouvée avec les pluies des premiers mois de 2016. orages de grêles dans le Début mai, 75 % des réservoirs se situent au En mai, la combinaison de fortes Sud-Ouest. Les conditions niveau des valeurs norpluies et de sols déjà proches de se sont brutalement dégradées en mai avec de viomales ou supérieures la capacité du champ a provoqué lents orages entre le 10 et à la normale (source le 13 mai et une dernière BRGM). de graves inondations. » décade particulièrement Sur l’ensemble de l’hiarrosée des Hauts-de-France au Centre-Val de Loire en ver dernier, l’ensoleillement est déficitaire de 10 à passant par l’Ile-de-France. Des records de précipitations 20 % sur la pointe bretonne et le pourtour méditersont battus dans de nombreuses villes : Paris, Beauvais, ranéen. Il est excédentaire dans le Sud-Ouest et du Orléans, Auxerre, Blois. La combinaison de fortes pluies Poitou à l’Île-de-France. La conséquence directe sur et de sols déjà proches de la capacité du champ a provoles cultures se traduit par un développement accéqué de graves inondations. Dans ces régions, le mois de léré et une précocité des stades en sortie d’hiver. mai apparaît comme le plus pluvieux depuis 1959. Un printemps « automnal » La douceur récurrente présente depuis novembre a brutalement pris fin avec l’arrivée du printemps. Mars affiche des températures en retrait (principalement les températures maximales) sur tout le Des effets cumulés Le déficit de rayonnement est proche de 8 % à l’échelle nationale, plus particulièrement dans les régions du Centre-Est et du Bassin parisien où il atteint 10 à 30 %. PLUVIOMÉTRIE 2015-2016 : une campagne singulière à toutes les périodes Rapport (%) 38 - 60 61 - 80 81 - 100 101 - 120 121 - 140 141 - 160 161 - 180 181 - 200 201 - 220 01/09/2015 au 30/11/2015 01/12/2015 au 29/02/2016 01/03/2016 au 30/06/2016 Figure 1 : Précipitations observées en 2015-2016 en pourcentage de la moyenne pluriannuelle (1995-2014). Source Météo France, ARVALIS. N°436 - Septembre 2016 PERSPECTIVES AGRICOLES 9 Au niveau mondial, une augmentation des précipitations extrêmes toucherait à la fois les zones arides et les zones humides (1). L’ensoleillement, excédentaire sur la Côte d’Azur, reste proche des normales sur la côte atlantique et les côtes de la Manche. Début juin n’a pas vu la situation s’améliorer avec, à nouveau, de fréquents événements orageux. Sur les treize premiers jours du mois, les précipitations sont en excédent de 23 %, avec des cumuls importants dans le Nord-Est. Les températures affichent des valeurs largement inférieures aux moyennes de saison (déficit de -2 à -1 °C selon les régions). Ces conditions humides et fraîches ont impacté négativement les cultures d’hiver. Plusieurs facteurs sont intervenus : pression des maladies, hydromorphie, stérilité des épis par défaut de rayonnement ou destruction des cultures du fait de parcelles inondées. Les cultures d’été et les fourrages ont également souffert de ces mauvaises conditions, avec une offre déficitaire en températures. Fortes pluies et changement climatique D’un point de vue physique, un air plus chaud est capable de stocker davantage de vapeur d’eau, de l’ordre de 7 % par degré Celsius (relation de Clausius-Clapeyron). De plus, la vapeur d’eau amplifie le phénomène du réchauffement climatique, qui La France n’a pas été le seul pays touché Du 26 mai au 6 juin, de fortes pluies ont affecté le sud des Pays-Bas, le nord-ouest de l’Autriche et le sud de l’Allemagne, en particulier dans le Bade Wurtemberg, la Rhénanie-Palatinat, le sud de la Hesse et la Bavière, où les cumuls du 27 au 29 mai dépassent localement 125 mm, provoquant comme en France de fortes inondations et des dégâts sur les cultures. 10 Septembre 2016 - N°436 PERSPECTIVES AGRICOLES © 123RF - M. KNIT L’OBSERVATOIRE modifie également la circulation atmosphérique. En moyenne, l’évolution annuelle des précipitations mondiales n’augmente que de 2 % car d’autres facteurs interviennent. Les simulations climatiques montrent une augmentation des pluies aux latitudes moyennes. À l’opposé, les zones arides tropicales et subtropicales, et certaines régions comme la Méditerranée, verront leurs précipitations diminuer. L’analyse des records de précipitations entre 1901 et 2010 (2) montre globalement une augmentation de 12 % de ceux-ci, comparativement à un climat stationnaire. La variabilité naturelle du climat ne peut à elle seule expliquer cette progression. À une échelle régionale, les résultats sont plus contrastés. En Europe, l’augmentation est de 31 %, alors qu’en zone méditerranéenne, la tendance est de l’ordre de -27 %, avec une baisse encore plus marquée en automne et en hiver. En Australie, les chercheurs ont constaté qu’une atmosphère plus chaude est associée à des précipitations plus intenses, se produisant sur une zone géographique plus petite (3). Un consensus se dégage sur l’augmentation en fréquence des précipitations extrêmes à l’échelle journalière sur la plupart des zones terrestres. Même s’il est encore trop tôt pour tirer toutes les conséquences de ces conditions climatiques, le potentiel des cultures sera sans doute affecté, autant du point de vue des rendements que de la qualité des récoltes, dans des proportions qui restent à préciser. (1) Donat, M. G., Lowry, A. L, Alexander, L. V., O’Gorman, P. A. & Maher, N. Nature Clim. Change http://dx.doi.org/10.1038/nclimate2941 (2016). (2) Lehmann, J., Coumou, D. & Frieler, K. Clim. Change 132, 501-515 (2015). (3) Wasko C, Sharma A, Westra S, 2016, Geophysical Research Letters, doi : 10.1002/2016GL068509. Olivier Deudon - [email protected] ARVALIS - Institut du végétal