4 Jelle HAEMERS
Cahiers du CRHQ n° 4 2013 Mémoire des révoltes
collectivement, il occulte les souvenirs, en manipule quelques-uns et en oublie d’autres, à la
fois consciemment, mais aussi inconsciemment, pour créer « son » passé.
Une mémoire collective qui est culturelle, communicative et sociale...
Bien que ces études aient confirmé les conclusions de Maurice Halbwachs dans les
grandes lignes, elles ont introduit une diversité de points de vue et même de termes pour
étudier la « mémoire collective » dans les recherches historiques. Quelques chercheurs parlent
même d’une certaine « industrie historiographique » dont la terminologie balance entre le
chaos et la diversité, comme a écrit Jeffrey Olick, et qui devient donc difficile à maîtriser5. La
brève introduction théorique de mon étude ne peut donc pas avoir pour but de clarifier ce
chaos ; elle se focalise sur deux pistes de recherches qui ont adapté et complété les écrits de
Maurice Halbwachs, et qui sont fortement utiles pour l’étude de cas que je présente ici. Car, il
est important de mentionner que les recherches historiques sur la mémoire, et la tradition
historiographique qui en résulte, ont produit de nouvelles idées dans deux domaines : dans le
cadre culturel de la « mémoire collective » d’une part, et de son fonctionnement social de
l’autre. En ce qui concerne l’aspect social, il convient de signaler les recherches des
Allemands Jan et Aleida Assmann. Ces deux égyptologues ont différencié la « mémoire
collective » à l’aide des notions de « mémoire communicative » (« kommunikatives
Gedächtnis ») et de « mémoire culturelle » (« kulturelles Gedächtnis »). Par l’épithète
« communicative » est désignée la mémoire d’un groupe au quotidien, qui guide et oriente le
groupe et ses membres à l’aide de modèles d’action communs et exemplaires au cours du
temps. Le qualificatif « culturel », par contre, veut évoquer une mémoire longue qui conserve
des lignes directrices collectives et des images identitaires du groupe, et qui garantit leur
actualisation à l’aide des moyens les plus divers6. Ces moyens peuvent être des rituels, des
symboles, des images, mais aussi des « lieux de mémoire », comme l’ont prouvé les études de
Pierre Nora et ses pendants allemands, hollandais et belges7. En somme, la mémoire est
5 K. KLEIN, « On the emergence of memory in historical discourse », Representations, 69, 2000, p. 127. Voir
aussi J. OLICK, « Between chaos and diversity : is social memory studies a field ? », International Journal of
Political and Cultural Sociology, 22, 2009, p. 249-52.
6 J. ASSMANN, Das kulturelle Gedächtnis : Schrift, Erinnerung und politische Identität in frühen
Hochkulturen, Münich, 1992. Voir aussi l’excellente étude de G. MARCHAL, « De la mémoire communicative à
la mémoire culturelle. Le passé dans les témoignages d’Arezzo et de Sienne (1177-1180) », Annales. Histoire,
Sciences Sociales, 56, 2001, p. 563-589.
7 P. NORA (dir.), Les lieux de mémoire, Paris, 1984-1992 ; en Allemagne : E. FRANÇOIS et H. SCHULZE (dir.),
Deutsche Erinnerungsorte, Munich, 2003 ; en Hollande : H. WESSELING et al. (dir.), Plaatsen van herinnering,