Position de thèse - Université Paris

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UNIVERSITE PARIS-SORBONNE
ÉCOLE DOCTORALE V - CONCEPTS ET LANGAGES
Laboratoire de recherche : Institut de Recherche en Musicologie
THÈSE
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Musique et musicologie
Présentée et soutenue par :
Yasushi UEDA
le 16 septembre 2016
Pierre-Joseph-Guillaume Zimmerman
(1785-1853) :
l’homme, le pédagogue, le musicien
Sous la direction de :
Monsieur Jean-Pierre BARTOLI, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne
Madame Laure SCHNAPPER, École des Hautes Études en Sciences Sociales
Membre de jury :
Madame Brigitte FRANÇOIS-SAPPEY, Professeur honoraire au CNSMDP
Monsieur Yvan NOMMICK, Professeur à l’Université Paul-Valéry Montpellier
Monsieur Frédéric de LA GRANDVILLE, Université de Reims Champagne-Ardennes
3
Fils d’un facteur de pianos et beau-père de Charles Gounod (1818-1893),
Pierre-Joseph-Guillaume Zimmerman (1785-1853) virtuose, pédagogue, compositeur et
homme du monde, trouve naturellement sa place au sein d’une pléiade prestigieuse de
promoteurs du piano et de la littérature pianistique. Son originalité profonde réside dans la
dualité que l’on distingue entre, d’un côté, sa conscience de compositeur académique héritée
de Cherubini et, de l’autre, cet esprit novateur que lui inspira la modernisation de la facture
instrumentale, dont il suivit et entérina l’évolution. Notre thèse (une monographie divisée en
trois grandes parties totalisant neuf chapitres) envisage, par ordre chronologique, les activités
nombreuses et variées dans lesquelles le musicien s’illustra aux différentes époques de sa vie.
Zimmerman fut en effet professeur de piano au Conservatoire, mais aussi professeur de
composition, organisateur de concerts (il tenait salon à Paris), compositeur d’œuvres
pianistiques, lyriques et religieuses, cofondateur de l’Association des artistes musiciens. Dans
ces multiples sphères de l’art, Zimmerman incarne la création et la nouveauté en tant que chef
de file des jeunes pianistes-compositeurs et pédagogues français tels que Charles-Valentin
Alkan (1813-1888), Antoine-François Marmontel (1816-1898), Émile Prudent (1817-1863)
ou Henri Ravina (1818-1816), César Franck (1822-1890), etc. Par ailleurs, il voulut demeurer
un musicien classique, dont la maîtrise est manifeste dans ses morceaux classiques pour piano
comme la Sonate1 ou ses deux Concertos2, ses pièces vocales contrapuntiques ainsi que ses
deux messes. En outre, en 1821, il fut nommé au poste de professeur de contrepoint et fugue
au Conservatoire, mais il préféra y renoncer au profit de la classe d’enseignement du piano.
Son double regard, à la fois prospectif et rétrospectif (i. e. porté tant sur la musique du passé
que sur la littérature pianistique de son temps) résulte de plusieurs facteurs qui devaient le
conduire à adopter une attitude éclectique dans le domaine de l’enseignement autant que dans
celui de la composition. Dans le présent argumentaire, nous résumerons les points les plus
importants qui contribuèrent à former cette tendance personnelle en nous conformant au plan
énoncé dès notre titre : l’homme, le pédagogue, le musicien.
L’homme : origine, amitié, sociabilité
Démontrés tout au long de sa vie, son respect des modèles musicaux du passé et sa
passion pour le courant pianistique neuf ou contemporain ont été déterminés par des
circonstances données, ce à chaque période de son existence. Nous citerons en premier lieu
les quatre conditions ayant abouti au développement de cette dualité dans sa vie d’homme. La
première touche à son origine. Dès son enfance, Zimmerman était destiné à s’élever en
suivant l’évolution de la fabrication des pianos : il vit ainsi son père travailler dans son atelier3.
Comme son père Pierre-Joseph, son oncle Guillaume était un facteur de pianos : lui aussi
originaire de Brühl, il s’était pareillement installé dans la capitale française en suivant ce
courant général d’émigration qui poussa nombre d’Allemands vers la France vers le milieu du
1
2
3
Pierre-Joseph-Guillaume ZIMMERMAN, Sonate composée pour le piano op. 5, Paris, Auguste Leduc, 1819 ou
1820, 25 p.
Idem., Premier concerto pour le pianoforte arrangé en sextuor, Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1823, 28 p.
Cotage : 3546. ; Idem., Grand concerto pour le piano-forte, Paris, A la lyre moderne, 1823, 32 p.
Cf. Chapitre 1.2.
4
e
siècle4. Notre recherche généalogique a mis en lumière les raisons qui inspirèrent à
Zimmerman son intérêt pour les techniques nouvelles : celles-ci prennent racine dans son
origine familiale, ainsi que dans le contexte qui voit le remplacement progressif du clavecin
par le pianoforte au début du XIXe siècle.
XVIII
La deuxième condition ayant permis la constitution de sa dualité artistique est formée
par sa rencontre avec des compositeurs réputés tels que Luigi Cherubini (1760-1842) et
Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871). Cherubini, son maître privé pour la composition,
lui enseigna l’écriture rigoureuse, surtout celle de la polyphonie palestrinienne. Leur amitié ne
se cantonna pas à la sphère maître - disciple : le futur directeur du Conservatoire vint deux
fois, en tant que témoin, féliciter Zimmerman pour son mariage en 1815, puis pour son
remariage en 18205. Leur lien perdura jusqu’à la fin de la vie de Cherubini qui fournit en 1840
une fugue à Zimmerman pour compléter la deuxième partie de son Encyclopédie du pianiste
compositeur6 publiée et adoptée la même année dans les classes de piano du Conservatoire7.
Quant à Auber, c’est dans le salon de son père que notre pédagogue se familiarisa, jeune, avec
la musique sérieuse comme le Requiem de Mozart8. La fugue de cette œuvre fut transcrite
pour piano seul par Zimmerman et intégrée dans l’Encyclopédie.
Troisième condition, les liens de sociabilité que Zimmerman tissa dans un lieu artistique
dont Paris voit l’émergence puis l’affirmation entre 1820 et 1840 : le quartier dit de la
« Nouvelle-Athènes ». Zimmerman s’y établit aux alentours de 1832. Les soirées qu’il
organisa avec régularité dans son domicile du square d’Orléans jusqu’en 1845 reflètent le
dynamisme artistique de la capitale musicale, laquelle est à même de saisir la « fièvre
créatrice » émanant des talents internationaux venus s’y implanter. Devenant à son tour le
maître, l’animateur d’un salon, Zimmerman invita divers types musiciens venus des théâtres,
du Conservatoire et de son orchestre, ainsi que des pays étrangers : outre les lauréats sortis de
sa classe, furent conviés nombre de jeunes virtuoses étrangers du piano comme Frédéric
Chopin (1810-1849), Franz Liszt (1811-1886), Sigismond Thalberg (1812-1871), Anton de
Kontski (1817-1889), en plus d’instrumentistes réputés (vents et cordes) ; parmi les chanteurs
fidèles du salon de Zimmerman mentionnons Pauline Viardot (1821-1910), Roïsa Puget
(1810-1889), Gilbert-Louis Duprez (1806-1896). Notre analyse des genres des morceaux
exécutés par ces hôtes montre la prédominance des genres virtuoses : fantaisie sur des motifs
de l’opéra, études (genre en plein essor alors), variations, tandis que les genres classiques
(concerto, sonate, fugue) ne sont pas délaissés pour autant 9. Habitant le « haut lieu du
romantisme » 10 , Zimmerman présente la musique sérieuse dans ses soirées tout en
promouvant le courant novateur des virtuoses.
Après l’interruption des concerts réguliers chez Zimmerman (causée par sa participation
4
Cf. Chapitre 1.1.
Cf. Chapitre 2.7.
6
Idem., Encyclopédie du pianiste compositeur, Paris, chez l’auteur, 1840, XIII-51 ; 95 ; 77 p.
7
Cf. Chapitre 6.244.
8
Cf. Chapitre 1.2.
9
Cf. Chapitre 7.4.
10
Cf. Béatrice de ANDIA, « Haut lieu du Romantisme : Action artistique de la ville de Paris », La nouvelle
Athènes, Bruno CENTORAME (dir.), Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2001, p. 8-29.
5
5
à l’administration de l’Association des artistes musiciens à partir de 1843), c’est précisément
cette dernière institution qui fournit le quatrième motif qui l’incite à la promotion de la
musique sérieuse en dehors de son salon privé, alors même que la recherche de nouvelles
techniques n’est plus sa préoccupation majeure. Considéré toujours comme l’un de ses
membres les plus assidus et les plus charitables, il contribua à la publicité pour l’affiliation à
l’Association, prit part aux opérations de secours à destination des sociétaires individuels et
organisa des événements au profit des Artistes musiciens (loteries et festivals orphéoniques,
notamment). Invités à adhérer à l’Association, plusieurs élèves de Zimmerman participèrent
aux concerts organisés lors de la loterie en 1846 pour jouer la musique chambre des classiques
comme Haydn, Mozart, Beethoven, Spohr et Weber, ainsi que leurs œuvres pianistiques et des
morceaux d’ensemble originaux écrits et exécutés par Jules Déjazet (1812-1846), Ch.-V.
Alkan et Louis Lacombe (1818-1884)11. La raison pour laquelle l’engagement de Zimmerman
en faveur de la rénovation de la musique pianistique semble plus ou moins s’estomper après
1845 peut s’expliquer par deux raisons. En premier lieu, jusqu’à cette époque-là, des
pianistes-compositeurs de l’école de Zimmerman normalisent les techniques intégrées dans la
méthode12 de leurs maître. En ce sens, l’assimilation des techniques récentes par des pianistes
français, qui était bien l’objectif de Zimmerman, fut accomplie. En second lieu, son ambition
contrariée de siéger à l’Institut l’obligea à se concentrer sur la composition et l’exécution de
ses messes au détriment de la poursuite de l’exploration et du raffinement de la technique
pianistique.
En observant ces quatre conditions qui définissent sa dualité, nous notons que son esprit
à la fois novateur et conservateur provient d’une opposition plus générale entre pratique et
théorie. D’un côté, le piano et sa pratique furent propagés dans la « classe bourgeoise » en
fonction du progrès industriel sous la monarchie du Juillet. Des innovations mécaniques de
l’instrument réalisé par des facteurs de pianos comme Érard, Pleyel ou Pape accélérèrent la
recherche de techniques nouvelles dans les genres du concerto ou des études. D’autre côté,
dans le contexte pédagogique ambiant, la théorie de l’écriture classique (cf. le contrepoint et
fugue en particulier) était encore considérée comme l’idéal de la composition musicale. Fidèle
à la fois aux leçons de Cherubini et à l’intérêt professionnel pour le piano qu’il hérita de son
père, Zimmerman porte en lui des dispositions et ambitions contradictoires par essence, mais
non inconciliables : à savoir l’idéal – statique – de la musique classique et la volonté
dynamique de promouvoir son instrument en perpétuelle mutation (facture, écriture). Nous
considérons que la réunion de ces deux traits fut la raison d’être de sa mission de pédagogue.
Le pédagogue : méthode cosmopolite, éclectisme, école française
De quelle manière Zimmerman solutionna-t-il ce problème ? Comme professeur de
piano au Conservatoire, il porta la volonté de synthétiser toutes les techniques adoptées qui lui
étaient antérieures (et le furent, de fait, à son Encyclopédie). Cette ouverture d’esprit, assez
novatrice au Conservatoire dans les années 1820 et 1830, tranchait avec la fonction de
11
12
Cf. Chapitre 8.223
Il s’agit surtout de l’Encyclopédie du pianiste compositeur que nous considérons dans la section suivante.
6
l’établissement qui consistait premièrement à « conserver l’art » 13 . Sous la direction de
Cherubini, le Conservatoire voulut défendre l’esthétique classique des morceaux de concours
en adoptant des œuvres de style sérieux et traditionnel (sonate, fugue)14. Constatant les
innovations de la technique pianistique (qui permettaient aux élèves de rivaliser avec les
virtuoses étrangers), et face au conservatisme de l’institution, Zimmerman se donna pour
mission de synthétiser ou concilier les tendances opposées en adoptant un autre système que
celui établi par Louis Adam, auteur de la méthode officielle de piano 15 à l’usage du
Conservatoire parue en 1804 et révisée en 1832. Pour réaliser cet objectif, d’une part,
Zimmerman rassembla dans sa méthode les exemples les plus variés possible, inspirés du
genre des études récemment composées par les virtuoses français et étrangers16. D’autre part,
à travers des textes explicatifs, il conseilla aux élèves de respecter le phrasé et d’analyser le
morceau pour comprendre l’esprit de l’auteur17. Ainsi, il voulut légitimer le courant de
nouveauté technique en lui appliquant l’art de phraser que l’on devait acquérir pour jouer les
morceaux classiques. Pour Zimmerman, l’évolution du mécanisme ne devait guère remettre
en cause l’essence même de la musique, dont la mélodie et l’harmonie constituent les aspects
principaux, mais représenter un moyen de développer la variété du style d’exécution. Sur cette
base, le professeur incita les élèves à respecter la particularité stylistique des compositeurs,
soit classique, soit moderne, et l’individualité propre à chaque exécutant. Zimmerman comme
pédagogue réunit ainsi l’idéal conservateur de Cherubini et des nouveaux courants
pianistiques qu’il voulait introduire dans sa classe et les soirées musicales de son salon au
square d’Orléans.
La méthode du professeur doit son excellence à la fois à la variété des sources
auxquelles il se référa et à son esprit rationnel qui les synthétisa. Ses vastes connaissances
semblent provenir de deux facteurs qui correspondent aux deuxième et troisième conditions
que nous avons présentées dans la section précédente. Tout d’abord, son érudition en termes
de musique du passé lui fut inculquée par Cherubini. Son intérêt pour le style rigoureux fut
éveillé par le choix d’œuvres fuguées dans l’Encyclopédie. En second lieu, son intérêt pour la
musique de son temps fut aiguisé par ses relations et rencontres avec ses contemporains. Il est
vraisemblable que la plupart des partitions de jeunes virtuoses conservées dans sa
bibliothèque particulière 18 furent apportées par les auteurs qui fréquentaient ses soirées
musicales. Dans le courant philosophique et politique dominant promu par Victor Cousin
(1792-1867) sous la monarchie du Juillet19, l’éclectisme dont Zimmerman témoigna dans son
enseignement reflète une sociabilité qui fut elle-même le fruit de sa situation topographique,
Paris étant la ville cosmopolite par excellence. En ce sens, la variété manifestée dans sa
pédagogie fut directement le produit de son existence et de son installation dans le centre
13
14
15
16
17
18
19
Cf. Émile LITTRE, « Conservatoire », op.cit., t. 4, Paris, Hachette, 1874, p. 750.
Cf. Chapitre 5.32-5.33.
Jean-Louis ADAM, Méthode de piano du Conservatoire, adoptée pour servir à l’enseignement dans cet
établissement, Paris, Imprimerie du Conservatoire de Musique, 1804, III-236 p.
Cf. Chapitre 6.2.
Cf. Chapitre 6.3.
Cf . Annexe 5.
Cf. La conclusion générale de notre thèse présente.
7
artistique de la Nouvelle-Athènes, sous Louis-Philippe. C’est également dans ces
circonstances que ses disciples formèrent une « nouvelle école française » qui domina les
milieux pianistiques durant le siècle, lui conférant ainsi le titre de « doyen de l’école
moderne »20. Or, tout en se voulant éclectique et cosmopolite dans sa méthode, il est évident
que Zimmerman eut l’intention de faire ressortir la contribution de ses élèves français, tels
Alkan, Prudent et Ravina dont des études étaient publiées à côté d’une des siennes dans
l’Encyclopédie. Son ambition de renouveler l’image de l’« école française » de piano apparaît
clairement si nous nous recensons les auteurs des études intégrées dans la Méthode des
Méthodes 21 de Fétis et Moscheles, publiée en janvier 1840, un ou deux mois avant
l’Encycopédie : un seul Français y figure, Lefroid de Méreaux, parmi les treize compositeurs
d’études présents. Nous pouvons donc voir dans l’Encyclopédie de Zimmerman une
manifestation ou une preuve de la stratégie politique par laquelle il tentait d’attester le talent
de ses élèves aux yeux des pianistes-compositeurs visitant la capitale française.
Mais il ne faut pas manquer de remarquer aussi la fonction pédagogique intrinsèque des
soirées organisées au square d’Orléans. Les connaissances de ses élèves étaient approfondies
non seulement dans la salle de classe du Conservatoire, mais également durant les concerts
proposés chez leur maître. En présentant ses disciples dans ses soirées, le pédagogue leur
permit de faire la connaissance des musiciens émérites que l’on aurait pu rencontrer dans les
bâtiments de la rue du Faubourg-Poissonnière. En observant de près le style des
instrumentistes et des chanteurs de premier plan, ils se trouvaient à même de percer les secrets
techniques de chaque pianiste ou du style qui leur servait à façonner leur personnalité propre.
C’est donc grâce à la sociabilité mondaine du professeur Zimmerman que sa classe put
également devenir un vivier de pianistes virtuoses français. En ce sens, le milieu socioculturel
dans lequel évoluait le professeur se chargea d’une fonction pédagogique véritable, comme
l’écrivit un critique en 1839 : « Les salons de M. Zimmerman pourraient bien être désignés
sous le titre de Second Conservatoire de musique. »22
Nous remarquons enfin que ses élèves ne furent pas les seuls à profiter de son salon. Le
professeur lui-même bénéficia de ses activités sociales : nous en voulons pour preuve la
richesse de sa méthode, perceptible à travers l’étonnante variété des exemples qui l’émaillent.
Au travers de ses échanges avec d’autres pianistes, Zimmerman put acquérir des
renseignements concernant leurs œuvres récentes ou recueillir des avis relatifs à des
techniques particulières. L’Encyclopédie du pianiste compositeur, surtout sa deuxième partie,
est donc un reflet non seulement de sa longue expérience de l’enseignement, mais également
des relations sociales qu’il établit dans son domicile du square d’Orléans.
Le musicien : virtuose du piano, compositeur de la musique sérieuse
20
21
22
Jacques-Léopold HEUGEL, « Semaine musicale » , Le Ménestrel, 19e année, no 8, 25 janv. 1852, p. 3.
François-Joseph FETIS et MOSCHELES, Ignaz, Méthode des méthodes de piano, ou Traité de l’art de jouer de
cet instrument basé sur l’analyse des meilleurs ouvrages qui ont été faits à ce sujet, Paris, M. Schlesinger,
VII-139 p.
L. E. [Léon ESCUDIER ?], « Soirée de M. Zimmerman », La France musicale, 2e année, no 13, 14 fév. 1839,
p. 95.
8
La carrière de Zimmerman « musicien » présente deux aspects : son activité de
pianiste-compositeur et sa qualité de compositeur de musique orchestrale et vocale. La
carrière de Zimmerman, celle d’un pianiste virtuose débutant au tournant du XIXe siècle,
connaît un tournant dans la première moitié des années 1820. Lorsqu’il choisit d’abandonner
le poste de professeur de composition au profit du poste de professeur de piano, Zimmerman
(qui n’était alors pas compositeur d’œuvres lyriques) fut en quelque sorte relégué dans des
fonctions plus discrètes et, assurément, moins socialement valorisées au sein de la hiérarchie
pédagogique23. Son choix le força à renoncer à une carrière de virtuose et diminua le temps
qu’il pouvait consacrer à la composition. Parmi ses seize œuvres pour piano solo avec numéro
d’opus dont la publication a été attestée24, onze appartiennent d’ailleurs à la période d’avant
1823. Après la publication de ses Vingt-quatre études op. 21 parues en 1831, il s’intéressa de
moins en moins à la composition instrumentale. Après 1840, il ne publia jamais de nouveaux
morceaux pour piano. Sous cet angle, Zimmerman fut un auteur peu prolifique, étant donné
qu’il vécut 68 ans.
Néanmoins, ses œuvres pianistiques, et en premier lieu les trois œuvres classiques que
nous avons examinées, c’est-à-dire la Sonate op. 5 (parue vers 1819) et les premier et second
Concerto (parus tous les deux en 1823), restent des œuvres intéressantes parmi les œuvres
françaises de piano publiées pendant une vingtaine d’années du XIXe siècle. Elles prouvent
non seulement sa technique supérieure et sa maîtrise de l’écriture académique, mais
également ses connaissances en matière de timbres (dont il déploie un vaste éventail par le
truchement d’un usage savant et habile des pédales)25. C’est surtout dans le second Concerto
que sa sensibilité aux timbres se marie avec l’esthétique romantique. Placé au deuxième
mouvement, le style du ranz des vaches, topos littéraire et musical aimé des Romantiques,
met en relief une représentation spatio-temporelle liée à la fois à l’image caractéristique ou
stéréotypée du paysage suisse ainsi qu’à la notion de l’infini26. L’usage des cadences dans les
premier et dernier mouvements reflètent un autre aspect des idéaux du Romantisme. Entre
autres, la dernière cadence élaborée réalise la volonté d’ériger l’unité structurelle par le travail
thématique et la volonté de laisser libre cours à son imagination en recourant au style non
mesuré et à la diversité technique. En d’autres termes, il existe ici une opposition entre
« l’imagination débordante et l’exigence de contrôle »27, qui n’est que la caractéristique du
genre de la fantaisie dont l’apogée fut incarné par la génération de Beethoven, Schubert et
Hummel. Les œuvres classiques de Zimmerman nous ont ainsi fourni des indices utiles pour
repérer la place du piano français dans le mouvement romantique au début du XIXe siècle.
En second lieu, s’agissant des œuvres musicales qui lui apportèrent une consécration
23
24
25
26
27
Cf. Chapitre 2.5. Malgré cette décision, il n’abandonna pas l’enseignement de composition. On dénombre au
total deux mentions honorables, cinq seconds grands prix, deux premiers grands prix remportés sous la
direction de Zimmerman. Cf. Annexe 10.
Cf. Annexe 6.81.
Cf. Chapitre 2.8 pour sa Sonate op. 5, chapitre 3.243 et 3.244 respectivement pour les premier et second
concertos.
Cf. Chapitre 3.244.
Jean-Pierre BARTOLI, et Jeanne ROUDET, L’essor du romantisme : la fantaisie pour clavier. De Carl Philipp
Emanuel Bach à Franz Liszt, Paris, Vrin, impr. 2013, 387 p. 342.
9
certaine en dehors du piano, pouvons-nous estimer que Zimmerman a « réussi » en tant que
compositeur ? Il a écrit trois opéras, au moins une symphonie, ainsi que deux messes et
d’autres morceaux d’ensemble vocaux et instrumentaux28. Sa carrière de compositeur lyrique
s’est achevée en 1830, mais celle de symphoniste ne fut jamais véritablement établie. Depuis
la fin des années 1820, sa motivation de créateur tenait non seulement au désir d’égaler le
talent de compositeurs tels qu’Auber et Onslow, mais aussi à la fierté qu’il éprouvait en tant
que successeur de Cherubini. Malgré ses efforts après le décès de son mentor en 1842, il ne
parvint jamais à être élu membre de l’Académie des Beaux-arts, ainsi qu’il l’avait espéré. Or,
bien qu’elles soient tombées dans l’oubli, ses compositions de grande envergure comme la
Messe à quatre voix et surtout le Requiem héroïque29 peuvent être regardées comme les fruits
les plus intéressants de la vie musicale parisienne du milieu du XIXe siècle, où l’espace
ecclésial devint un des hauts lieux de concerts publics au travers des fêtes musicales
organisées lors d’occasions telles que les cérémonies données pendant les Semaines saintes de
Saint-Gervais, durant le mois de Marie ou le jour de la Sainte-Cécile30. La première messe de
Zimmerman, expressément écrite pour le jour la Sainte-Cécile, peut être considérée comme
l’exemple remarquable qui précède une série de messes musicales organisées par
l’Association des artistes musiciens. L’analyse de l’œuvre nous a prouvé son éclectisme
stylistique et la liberté d’écriture qu’il adopta dans la section fuguée, dont d’Ortigue souligna
le « caractère doux et tendre » 31 . Tout en mettant relief l’image « féminine » ou
« non-sévère » de la sainte patronne, le compositeur y montre sa maîtrise dans le
développement des motifs. Dans son Requiem héroïque, Zimmerman semble s’engager dans
une voie analogue en recourant à l’éclectisme et la liberté d’écriture accordée à la fugue dans
l’ « Offertoire », tout en introduisant une tendance historiciste qui ressort de son emploi du
contrepoint rigoureux ou palestrinien, qui n’est que le reflet d’un intérêt pour la musique
vocale passée dont le répertoire fut présenté lors de concerts historiques donnés, des années
1820 jusque au 1840, par Alexandre-Etienne Choron (1771-1834), François-Joseph Fétis
(1784-1871) ou le prince de La Moskowa (1803-1857). Or, l’historicisme de Zimmermane se
fonde pas sur la volonté de reconstituer le passé, mais sur le désir d’enrichir la variété
expressive de l’œuvre, comme nous l’avons observé dans le « Dies irae », écrit alla
palestrina, dans lequel le compositeur note plusieurs indications d’expression. Quant à son
intérêt pour la modalité, autre élément caractéristique de l’historicisme musical, Zimmerman
ne cite qu’un plain-chant en l’accompagnant dans le contexte de l’harmonie tonale et du
falsobordone. Bien qu’il n’ose raffiner l’expressivité comme Berlioz qui juxtapose plusieurs
procédés d’harmonisation (tonale/modale) dans L’Enfance du Christ 32 , le Requiem de
Zimmerman reste un des exemples intéressants qui démontre l’historicisme comme source
28
29
30
31
32
Cf. Annexe 6 « Liste des œuvres de Zimmerman ».
Cf. Chapitre 8.3.
Cf. Fanny GRIBENSKI, L’église comme lieu de concert : pratiques musicales et usages de l’espace ecclésial
dans les paroisses parisiennes (1830-1905), thèse de doctorat, Rémy Campos et Patrice Veit (dir.), École
des Hautes Études en Sciences Sociales, 2015, chapitres 1-3.
Joseph D’ORTIGUE, « Messe de M. Zimmerman », La France musicale, 8e année, no 49, 7 déc. 1845, p. 386.
Cf. Jean-Pierre BARTOLI, « Historicisme, éclectisme et modalité dans L’Enfance du Christ d’Hector Berlioz »,
Musurgia, vol. 8, no 3/4, 2001, 7-31 p.
10
d’inspiration dans l’expressivité de la musique religieuse sous la monarchie du Juillet. Sous
cette optique, malgré son insuccès social en tant que compositeur d’œuvres lyriques ou
religieuses, les messes de Zimmerman méritent d’être justement replacées dans l’histoire de la
musique religieuse du XIXe siècle en France.
La période post-Cherubini (1842-1853) correspond à une démocratisation progressive
de la pratique musicale. Les concerts chez Zimmerman dans les années 1830 et la première
moitié des années 1840 réunissaient des artistes de la haute bourgeoisie, symbole du régime
de Louis-Philippe dont la politique favorisait cette classe sociale. Or, c’est également sous son
règne qu’apparut le mouvement de l’Orphéon qui contribuait à l’enseignement choral
d’hommes amateurs. C’est donc au début de l’apogée de ce courant que Zimmerman entra
dans une nouvelle sphère d’activités en dehors du quartier de la Chaussée-d’Antin, en
participant aux fêtes musicales populaires organisées dans des villes régionales comme
compositeur ou comme membre de jury. Nous ne devons pas oublier non plus qu’il composait
et diffusait la musique chorale destinée aux amateurs en tant que cofondateur de l’Association
des artistes musiciens depuis 184633.
Nous concluron par cette question. De quelle façon notre thèse contribue-t-elle à l’étude
de la musique française et sa pédagogie du XIXe siècle ? Dans l’histoire de la musique
occidentale qui s’appuie sur les évolutions stylistiques suscitées par de grands maîtres, on a
tendance à sous-estimer l’enseignement institutionnel de la musique en lui attribuant un
caractère conservateur en opposition à la notion de « génie », essentiellement représentée par
la figure de Beethoven. Or, la complexité de l’enseignement instrumental serait inexplicable si
on ne considérait celui-ci que dans le cadre d’une simple opposition entre conservatisme et
mouvements novateurs, comme nous l’avons démontré à travers les neuf chapitres en
soulignant la dualité, plutôt, qui distingue la personnalité de Zimmerman. C’est la coexistence
et l’interaction continues entre ces deux pôles, entre ces deux tendances qui ont façonné une
certaine évolution pédagogique dans le cadre de l’enseignement pianistique au Conservatoire
national de musique. Notre étude nous a ainsi permis de justifier de façon approfondie,
l’image d’« une “école française” en permanente évolution »34, notion liée à la pédagogie du
Conservatoire.
Gardien de la tradition cherubinienne comme compositeur, et ardent promoteur de la
nouveauté en tant que professeur de piano, Zimmerman réunit en lui-même la conscience
d’être à la fois le chef de file des jeunes virtuoses français et un musicien classique né au
crépuscule de l’Ancien régime. Représentant à sa façon une part du courant éclectique, il
fournit l’un des exemples les plus intéressants d’artiste original, quoique profondément
attaché aux modèles du passé.
33
34
Son premier morceau orphéonique intitulé Chœur de villageois à cinq voix fut publié dans : Orphéon :
répertoire de musique vocale sans accompagnement […], t. 7, Paris, Perrotin, 1846, p. 145-158.
Cf. Annexe 6.5.
Laetitia CHASSAIN, « Le Conservatoire et la notion d’ “école française” », Le Conservatoire de Paris : deux
cents ans de pédagogie, 1795-1995, Paris, Buchet-Chastel, p. 23.
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