UNIVERSITE PARIS-SORBONNE
É
COLE DOCTORALE
V
-
C
ONCEPTS ET LANGAGES
Laboratoire de recherche : Institut de Recherche en Musicologie
T H È S E
pour obtenir le grade de
DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE
Discipline : Musique et musicologie
Présentée et soutenue par :
Yasushi UEDA
le 16 septembre 2016
Sous la direction de :
Monsieur Jean-Pierre B
ARTOLI
, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne
Madame Laure S
CHNAPPER
, École des Hautes Études en Sciences Sociales
Membre de jury :
Madame Brigitte F
RANÇOIS
-S
APPEY
, Professeur honoraire au CNSMDP
Monsieur Yvan N
OMMICK
, Professeur à l’Université Paul-Valéry Montpellier
Monsieur Frédéric de L
A
G
RANDVILLE
, Université de Reims Champagne-Ardennes
Pierre-Joseph-Guillaume Zimmerman
(1785-1853) :
l’homme, le pédagogue, le musicien
3
Fils d’un facteur de pianos et beau-père de Charles Gounod (1818-1893),
Pierre-Joseph-Guillaume Zimmerman (1785-1853) virtuose, pédagogue, compositeur et
homme du monde, trouve naturellement sa place au sein d’une pléiade prestigieuse de
promoteurs du piano et de la littérature pianistique. Son originalité profonde side dans la
dualité que l’on distingue entre, d’un côté, sa conscience de compositeur académique héritée
de Cherubini et, de l’autre, cet esprit novateur que lui inspira la modernisation de la facture
instrumentale, dont il suivit et entérina l’évolution. Notre thèse (une monographie divisée en
trois grandes parties totalisant neuf chapitres) envisage, par ordre chronologique, les activités
nombreuses et variées dans lesquelles le musicien s’illustra aux différentes époques de sa vie.
Zimmerman fut en effet professeur de piano au Conservatoire, mais aussi professeur de
composition, organisateur de concerts (il tenait salon à Paris), compositeur d’œuvres
pianistiques, lyriques et religieuses, cofondateur de l’Association des artistes musiciens. Dans
ces multiples sphères de l’art, Zimmerman incarne la création et la nouveauté en tant que chef
de file des jeunes pianistes-compositeurs et pédagogues français tels que Charles-Valentin
Alkan (1813-1888), Antoine-François Marmontel (1816-1898), Émile Prudent (1817-1863)
ou Henri Ravina (1818-1816), César Franck (1822-1890), etc. Par ailleurs, il voulut demeurer
un musicien classique, dont la maîtrise est manifeste dans ses morceaux classiques pour piano
comme la Sonate
1
ou ses deux Concertos
2
, ses pièces vocales contrapuntiques ainsi que ses
deux messes. En outre, en 1821, il fut nommé au poste de professeur de contrepoint et fugue
au Conservatoire, mais il préféra y renoncer au profit de la classe d’enseignement du piano.
Son double regard, à la fois prospectif et rétrospectif (i. e. porté tant sur la musique du passé
que sur la littérature pianistique de son temps) résulte de plusieurs facteurs qui devaient le
conduire à adopter une attitude éclectique dans le domaine de l’enseignement autant que dans
celui de la composition. Dans le présent argumentaire, nous résumerons les points les plus
importants qui contribuèrent à former cette tendance personnelle en nous conformant au plan
énoncé dès notre titre : l’homme, le pédagogue, le musicien.
L’homme : origine, amitié, sociabilité
Démontrés tout au long de sa vie, son respect des modèles musicaux du passé et sa
passion pour le courant pianistique neuf ou contemporain ont été déterminés par des
circonstances données, ce à chaque période de son existence. Nous citerons en premier lieu
les quatre conditions ayant abouti au développement de cette dualité dans sa vie d’homme. La
première touche à son origine. Dès son enfance, Zimmerman était destiné à s’élever en
suivant l’évolution de la fabrication des pianos : il vit ainsi son père travailler dans son atelier
3
.
Comme son père Pierre-Joseph, son oncle Guillaume était un facteur de pianos : lui aussi
originaire de Brühl, il s’était pareillement installé dans la capitale française en suivant ce
courant général d’émigration qui poussa nombre d’Allemands vers la France vers le milieu du
1
Pierre-Joseph-Guillaume Z
IMMERMAN
, Sonate composée pour le piano op. 5, Paris, Auguste Leduc, 1819 ou
1820, 25 p.
2
Idem., Premier concerto pour le pianoforte arrangé en sextuor, Leipzig, Breitkopf und Härtel, 1823, 28 p.
Cotage : 3546. ; Idem., Grand concerto pour le piano-forte, Paris, A la lyre moderne, 1823, 32 p.
3
Cf. Chapitre 1.2.
4
XVIII
e
siècle
4
. Notre recherche généalogique a mis en lumière les raisons qui inspirèrent à
Zimmerman son intérêt pour les techniques nouvelles : celles-ci prennent racine dans son
origine familiale, ainsi que dans le contexte qui voit le remplacement progressif du clavecin
par le pianoforte au début du
XIX
e
siècle.
La deuxième condition ayant permis la constitution de sa dualité artistique est formée
par sa rencontre avec des compositeurs réputés tels que Luigi Cherubini (1760-1842) et
Daniel-François-Esprit Auber (1782-1871). Cherubini, son maître privé pour la composition,
lui enseigna l’écriture rigoureuse, surtout celle de la polyphonie palestrinienne. Leur amitié ne
se cantonna pas à la sphère maître - disciple : le futur directeur du Conservatoire vint deux
fois, en tant que témoin, féliciter Zimmerman pour son mariage en 1815, puis pour son
remariage en 1820
5
. Leur lien perdura jusqu’à la fin de la vie de Cherubini qui fournit en 1840
une fugue à Zimmerman pour compléter la deuxième partie de son Encyclopédie du pianiste
compositeur
6
publiée et adoptée la même année dans les classes de piano du Conservatoire
7
.
Quant à Auber, c’est dans le salon de son père que notre pédagogue se familiarisa, jeune, avec
la musique sérieuse comme le Requiem de Mozart
8
. La fugue de cette œuvre fut transcrite
pour piano seul par Zimmerman et intégrée dans l’Encyclopédie.
Troisième condition, les liens de sociabilité que Zimmerman tissa dans un lieu artistique
dont Paris voit l’émergence puis l’affirmation entre 1820 et 1840 : le quartier dit de la
« Nouvelle-Athènes ». Zimmerman s’y établit aux alentours de 1832. Les soirées qu’il
organisa avec gularité dans son domicile du square d’Orléans jusqu’en 1845 reflètent le
dynamisme artistique de la capitale musicale, laquelle est à même de saisir la « fièvre
créatrice » émanant des talents internationaux venus s’y implanter. Devenant à son tour le
maître, l’animateur d’un salon, Zimmerman invita divers types musiciens venus des théâtres,
du Conservatoire et de son orchestre, ainsi que des pays étrangers : outre les lauréats sortis de
sa classe, furent conviés nombre de jeunes virtuoses étrangers du piano comme Frédéric
Chopin (1810-1849), Franz Liszt (1811-1886), Sigismond Thalberg (1812-1871), Anton de
Kontski (1817-1889), en plus d’instrumentistes réputés (vents et cordes) ; parmi les chanteurs
fidèles du salon de Zimmerman mentionnons Pauline Viardot (1821-1910), Roïsa Puget
(1810-1889), Gilbert-Louis Duprez (1806-1896). Notre analyse des genres des morceaux
exécutés par ces hôtes montre la prédominance des genres virtuoses : fantaisie sur des motifs
de l’opéra, études (genre en plein essor alors), variations, tandis que les genres classiques
(concerto, sonate, fugue) ne sont pas délaissés pour autant
9
. Habitant le « haut lieu du
romantisme »
10
, Zimmerman présente la musique sérieuse dans ses soirées tout en
promouvant le courant novateur des virtuoses.
Après l’interruption des concerts réguliers chez Zimmerman (causée par sa participation
4
Cf. Chapitre 1.1.
5
Cf. Chapitre 2.7.
6
Idem., Encyclopédie du pianiste compositeur, Paris, chez l’auteur, 1840,
XIII
-51 ; 95 ; 77 p.
7
Cf. Chapitre 6.244.
8
Cf. Chapitre 1.2.
9
Cf. Chapitre 7.4.
10
Cf. Béatrice de A
NDIA
, « Haut lieu du Romantisme : Action artistique de la ville de Paris », La nouvelle
Athènes, Bruno C
ENTORAME
(dir.), Paris, Action artistique de la ville de Paris, 2001, p. 8-29.
5
à l’administration de l’Association des artistes musiciens à partir de 1843), c’est précisément
cette dernière institution qui fournit le quatrième motif qui l’incite à la promotion de la
musique sérieuse en dehors de son salon privé, alors même que la recherche de nouvelles
techniques n’est plus sa préoccupation majeure. Considéré toujours comme l’un de ses
membres les plus assidus et les plus charitables, il contribua à la publicité pour l’affiliation à
l’Association, prit part aux opérations de secours à destination des sociétaires individuels et
organisa des événements au profit des Artistes musiciens (loteries et festivals orphéoniques,
notamment). Invités à adhérer à l’Association, plusieurs élèves de Zimmerman participèrent
aux concerts organisés lors de la loterie en 1846 pour jouer la musique chambre des classiques
comme Haydn, Mozart, Beethoven, Spohr et Weber, ainsi que leurs œuvres pianistiques et des
morceaux d’ensemble originaux écrits et exécutés par Jules Déjazet (1812-1846), Ch.-V.
Alkan et Louis Lacombe (1818-1884)
11
. La raison pour laquelle l’engagement de Zimmerman
en faveur de la rénovation de la musique pianistique semble plus ou moins s’estomper après
1845 peut s’expliquer par deux raisons. En premier lieu, jusqu’à cette époque-là, des
pianistes-compositeurs de l’école de Zimmerman normalisent les techniques intégrées dans la
méthode
12
de leurs maître. En ce sens, l’assimilation des techniques récentes par des pianistes
français, qui était bien l’objectif de Zimmerman, fut accomplie. En second lieu, son ambition
contrariée de siéger à l’Institut l’obligea à se concentrer sur la composition et l’exécution de
ses messes au détriment de la poursuite de l’exploration et du raffinement de la technique
pianistique.
En observant ces quatre conditions qui définissent sa dualité, nous notons que son esprit
à la fois novateur et conservateur provient d’une opposition plus générale entre pratique et
théorie. D’un côté, le piano et sa pratique furent propagés dans la « classe bourgeoise » en
fonction du progrès industriel sous la monarchie du Juillet. Des innovations mécaniques de
l’instrument réalisé par des facteurs de pianos comme Érard, Pleyel ou Pape accélérèrent la
recherche de techniques nouvelles dans les genres du concerto ou des études. D’autre côté,
dans le contexte pédagogique ambiant, la théorie de l’écriture classique (cf. le contrepoint et
fugue en particulier) était encore considérée comme l’idéal de la composition musicale. Fidèle
à la fois aux leçons de Cherubini et à l’intérêt professionnel pour le piano qu’il hérita de son
père, Zimmerman porte en lui des dispositions et ambitions contradictoires par essence, mais
non inconciliables : à savoir l’idéal statique de la musique classique et la volonté
dynamique de promouvoir son instrument en perpétuelle mutation (facture, écriture). Nous
considérons que la réunion de ces deux traits fut la raison d’être de sa mission de pédagogue.
Le pédagogue : méthode cosmopolite, éclectisme, école française
De quelle manière Zimmerman solutionna-t-il ce problème ? Comme professeur de
piano au Conservatoire, il porta la volonté de synthétiser toutes les techniques adoptées qui lui
étaient antérieures (et le furent, de fait, à son Encyclopédie). Cette ouverture d’esprit, assez
novatrice au Conservatoire dans les années 1820 et 1830, tranchait avec la fonction de
11
Cf. Chapitre 8.223
12
Il s’agit surtout de l’Encyclopédie du pianiste compositeur que nous considérons dans la section suivante.
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