Flash économique mercredi 28 mai 2008 Flash économique Flash économique# Comprendre les prix du pétrole États-Unis "Comprendre les prix du pétrole"… Dans la période présente, ce titre a tout pour attirer l’attention. Et c’est d’ailleurs ce qui a retenu la nôtre dès que nous avons vu circuler hier, sous ce titre, une étude du professeur James 1 Hamilton . Enfin nous allions y comprendre quelque chose ! Sur ces sujets, en effet, Hamilton n’est pas ce qu’on appellerait un novice. C’est lui qui, il y a vingt-cinq ans, a démontré l’impact crucial des chocs pétroliers sur le cycle des affaires aux États-Unis2. À ce jour, cela reste l’une des explications les plus robustes que l’on connaisse des récessions américaines. Il a aussi précisé ce qu’il fallait entendre précisément par choc pétrolier ("transformation de Hamilton"). Il a enfin souligné l’importance des non-linéarités entre variation des prix du pétrole et croissance économique. Les baisses de prix du pétrole n’ont pas des effets symétriques aux hausses de prix, et toutes les hausses de prix ne se valent pas. Outre des différences d’amplitude et de durée, il importe de considérer si ces hausses de prix représentent un changement de régime par rapport au passé récent et si elles reflètent des évolutions du côté de l’offre ou de la demande. Par le passé, les chocs pétroliers ont ainsi souvent été causés par des ruptures brutales de l’offre liées à des événements géopolitiques. Bruno Cavalier +33 (0)1.44.51.81.35 [email protected] PRIX DU PETROLE $/b en dollars de 2007 en dollars courants 150 % Hausse du prix réel du pétrole (transf ormation de Hamilton) 90 125 100 60 75 50 30 25 0 70 75 80 85 90 95 00 05 0 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 La transformation de Hamilton consiste à calculer la variation en pourcentage de la valeur courante du prix réel du pétrole par rapport à son maximum des trois années antérieures. Si cette variation est négative, elle est fixée à zéro. Pour le T2 2008, on fait l’hypothèse d’un WTI à 130 $ le baril. Les zones grisées représentent les récessions de l’économie américaine Sources : Thomson Financial, Oddo Securities Après presque dix ans de hausse, le cours du pétrole a désormais dépassé le pic (en dollars constants) atteint après le second choc pétrolier. Mais ce qui est le plus frappant est l’accélération récente de la hausse des prix, tout à fait typique d’un choc pétrolier. L’étude de J. Hamilton envisage la question des prix du pétrole à la fois sous l’angle de l’analyse statistique, de la théorie économique et de l’économie appliquée. C’est ce dernier point qui retient ici notre attention, car on y trouve un éclairage – à défaut d’une conclusion définitive – sur les questions suivantes : • La spéculation a-t-elle joué un rôle décisif dans la flambée des cours ? • La demande de pétrole est-elle devenue insensible au prix ? • L’offre peut-elle surmonter le défi de l’épuisement des réserves ? 1 “Understanding Crude Oil Prices”, University of California SD Working Paper, Mai 2008. L’article de référence de Hamilton est “Oil and the Macroeconomy since World War II”, Journal of Political Economy, 1983. De nombreuses autres publications sur le sujet ont suivi, consultables à l’adresse suivante: http://weber.ucsd.edu/~jhamilto/. 2 Doc ument non contractuel, strictement limité à l’us age privé du des tinataire, les informations fournies dans ce document proviennent de sources dignes de foi mais ne peuv ent être garanties. Les appréciations formulées reflètent notre opinion à la date de publication et s ont donc susceptibles d’être révisées ultérieurement. 2008 Flash économique mercredi 28 mai 2008 La spéculation a-t-elle joué un rôle décisif dans la flambée des cours du pétrole ? Il y a quelques jours, un comité du Sénat américain a auditionné plusieurs spécialistes au sujet du rôle des investisseurs institutionnels dans l’inflation alimentaire et énergétique3. L’un des intervenants, Michael Masters, a fait valoir que ce rôle était considérable et sa conclusion a été largement reprise dans la presse. Concernant le pétrole, il estime en effet que, de 2003 à 2007, la demande de pétrole résultant des investissements sur les marchés de futures (ce qu’il appelle la "spéculation") a représenté l’équivalent de 848 millions de barils. Sur la même période, la demande chinoise de pétrole s’est accrue de 920 millions de barils. En somme, si l’on en croit certaines estimations, la "spéculation" sur les marchés à terme de pétrole équivaudrait à l’émergence d’une deuxième Chine. À cela, Hamilton répond deux choses. Tout d’abord, il fait remarquer que les deux chiffres ne sont pas comparables. Le surcroît de la demande de pétrole chinoise est exprimé en millions de barils par an, tandis que la demande spéculative n’est elle rapportée à aucune période de temps. Cela invite à relativiser l’importance du facteur spéculatif. Par ailleurs, il est probable qu’une forte hausse de prix aura à terme un impact négatif sur la demande. Si la demande physique baisse et que l’offre est inchangée, le surcroît de demande spéculative ne fait qu’accroître les stocks, ce qui n’est pas extrapolable à l’infini et peut provoquer une forte correction des prix. Il est plus probable que l’offre se réduise, peut-être avec des délais et, au bout du compte, c’est bien la confrontation des quantités physiques offertes et demandées qui fait le prix, non la spéculation. La demande spéculative de pétrole-papier a certainement joué un rôle dans l’envolée des cours du pétrole, mais il paraît exagéré de lui imputer toute la responsabilité de la flambée récente. Son rôle n’est peut-être que d’avoir accéléré la transition vers un nouveau prix d’équilibre, correspondant à des fondamentaux bien différents de ceux d’il y a cinq ou a fortiori dix ans. La demande de pétrole est-elle devenue insensible au prix ? L’estimation de l’élasticité-prix (le pourcentage de variation de la demande de pétrole résultant d’un pourcent de variation du prix réel) n’est pas simple car la fonction de demande est influencée par bien d’autres facteurs que le prix. Cette élasticité (négative) a, de plus, toutes raisons d’être plus faible à court terme qu’à long terme, car on ne change pas du jour au lendemain ses habitudes de consommation d’énergie (transport, chauffage). Hamilton rend compte des travaux les plus récents effectués sur ce sujet. Dans le cas américain, il en ressort que l’élasticité-prix de la demande de pétrole aurait fortement chuté. Elle était estimée dans une fourchette 0.21-0.34 sur la période 1975-1980, mais serait tombée à 0.034-0.077 sur la période 2001-2006. Si la demande est devenue moins élastique – du moins, à court terme – la hausse des prix peut durer longtemps avant que l’ajustement des quantités ne vienne se répercuter sur le prix. Dans de nombreux pays asiatiques, on sait aussi que cette sensibilité au prix est altérée puisque le prix effectivement supporté par le consommateur final est subventionné par l’État. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte de l’élasticité-revenu (le pourcentage de variation de la demande résultant d’un pourcent de variation du PIB réel). Là encore, Hamilton montre que cette élasticité (positive) s’est réduite au cours du temps. Aux États-Unis, dans les années 1960 et jusqu’au premier choc pétrolier, cette élasticité était à peu près unitaire. Elle aurait fortement baissé ensuite, pour s’établir à 0.47 sur la période 1985-1997. Une moindre élasticité au revenu implique que la part du pétrole dans la dépense se réduit avec la croissance du PIB. 3 Les textes sont disponibles à l’adresse suivante: http://hsgac.senate.gov/public/. Doc ument non contractuel, strictement limité à l’us age privé du des tinataire, les informations fournies dans ce document proviennent de sources dignes de foi mais ne peuv ent être garanties. Les appréciations formulées reflètent notre opinion à la date de publication et s ont donc susceptibles d’être révisées ultérieurement. Flash économique mercredi 28 mai 2008 C’est le reflet sans doute d’une meilleure efficacité énergétique. De fait, aux États-Unis, la part de la dépense de pétrole dans le PIB qui avoisinait 10% à son pic lors du second choc pétrolier était tombée à 1% en 1998. Avec ces données en tête, on comprend mieux pourquoi, jusque récemment, la hausse des prix du pétrole n’avait pas (ou peu) d’impact macroéconomique négatif. Pendant plusieurs années, aux États-Unis, la faible part de la dépense consacrée à la consommation de pétrole a permis d’absorber les hausses de prix sans trop entamer les budgets. Mais on peut estimer que cette part dépasse désormais 6% du PIB, à comparer avec une moyenne historique longue d’un peu moins de 3%. La demande a déjà commencé de s’effriter et cette tendance devrait donc se prolonger. On retrouve alors la question des non-linéarités. Une hausse supplémentaire d’un dollar peut avoir des effets négatifs visibles sur la consommation, du simple fait qu’elle s’ajoute aux hausses antérieures durant les mois et années qui ont précédé. US : CONSOMMATION DE PETROLE BRUT unité / an Nombre de barils consommés par habitant 35 % Part des dépenses de pétrole brut dans le PIB 10 8 30 6 4 25 2 20 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 0 1964 1968 1972 1976 1980 1984 1988 1992 1996 2000 2004 2008 Pour estimer la part des dépenses de pétrole dans le PIB au T2 2008, on fait l’hypothèse d’un WTI à 130 $ le baril et d’un PIB nominal stable. Sources : EIA, Thomson Financial, Oddo Securities L’offre de pétrole peut-elle surmonter le défi de l’épuisement des réserves ? Même si la demande de pétrole tend à plafonner, voire baisser, aux ÉtatsUnis et dans les autres pays de l’OCDE, on sait qu’une demande vigoureuse vient de Chine et des autres pays émergents. La demande chinoise a progressé d’environ 8% par an depuis 2003, et sa part dans le total mondial est ainsi passée de 7% à près de 9% (la part des États-Unis passant de 25.2% à 24.2%). La capacité d’offre ne s’est pas accrue à due proportion, et la production mondiale de pétrole a même stagné entre 2005 et 2007. Hamilton envisage plusieurs pistes pour comprendre l’absence de réaction de l’offre. L’une d’elle serait d’envisager que l’OPEP, ou seulement l’Arabie Saoudite, contraindrait délibérément l’offre pour maximiser leur rente. Mais, à supposer que la discipline de cartel joue vraiment, il y aurait alors une incitation pour certains producteurs non-OPEP (60% du total) à répondre au surcroît de la demande. Cela n’a pas été le cas, soit que ce sursaut de la demande n’ait pas été jugé soutenable, soit parce que la mise en œuvre de nouvelles capacités productives prend plusieurs années. Hamilton cite des estimations du CERA (Cambridge Energy Research Associates) présageant que des capacités nouvelles pourraient entrer en activité dès 2008 du fait des investissements réalisées ces dernières années. Doc ument non contractuel, strictement limité à l’us age privé du des tinataire, les informations fournies dans ce document proviennent de sources dignes de foi mais ne peuv ent être garanties. Les appréciations formulées reflètent notre opinion à la date de publication et s ont donc susceptibles d’être révisées ultérieurement. Flash économique mercredi 28 mai 2008 Quoi qu’il en soit, même avec la perspective de nouvelles capacités productives, il faut tenir compte du fait que la production pétrolière des champs existants tend à décliner en de nombreux endroits. Il est établi que la production de pétrole baisse non seulement aux États-Unis mais aussi dans les champs de la mer du Nord, du Mexique et de Chine. Cela pose des problèmes au-delà du champ économique. Certains géologiques concernent l’exploitation des réserves existantes et le potentiel de découverte de réserves nouvelles. D’autres, de nature géopolitique, ont trait au colossal transfert de richesse qu’implique le déséquilibre entre lieu de production et lieu de consommation. En conclusion, deux points cruciaux sont bien documentés : l’un est la baisse de l’élasticité-prix de la demande de pétrole dans les pays développés, l’autre est la forte croissance de la demande dans les pays émergents. Leur combinaison a modifié en profondeur l’équilibre pétrolier en renforçant la perspective de raréfaction de l’offre. La forte hausse des prix qui en a résulté a sans doute pu être exacerbée par d’autres facteurs, d’importance moindre : la spéculation, la recherche de rente, les délais d’extension d’une offre nouvelle, et plus récemment, les contrecoups de la crise financière (baisse du dollar, report de liquidité sur les actifs réels). Depuis des années, le marché pétrolier est à la recherche d’un nouveau prix d’équilibre. Est-il à 50 dollars le baril, à 100 $, ou bien au-delà ? Sur la base des coûts de production connus et des nouvelles tendances de la demande, beaucoup d’experts fondamentalistes avancent une fourchette entre 70 et 100 $. Si c’est le cas, cela signifie qu’il y a un potentiel de repli des prix significatif, d’autant plus fort que le cours actuel pèse sur le budget du consommateur final et crée des incitations à chercher des substituts au pétrole. Le marché des futures, comme souvent, extrapole peu ou prou le dernier cours connu. N’est-ce pas reconnaître que, si l’on peut mieux comprendre les prix du pétrole, on ne sait pas mieux les prévoir ? PRIX DU PETROLE : SPOT ET FUTURE $/b spot WTI f uture 140 120 100 80 60 40 20 0 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 Sources : Bloomberg, Oddo Securities Doc ument non contractuel, strictement limité à l’us age privé du des tinataire, les informations fournies dans ce document proviennent de sources dignes de foi mais ne peuv ent être garanties. Les appréciations formulées reflètent notre opinion à la date de publication et s ont donc susceptibles d’être révisées ultérieurement.