GEOPOLITIQUE ECS1 15 MODULE I Thème 1 CHAPITRE 5
2.1.2. L’asiatisme : une première prise de conscience forgée dans l’opposition à la domination
européenne ?
En 1991, un Livre blanc, dont l’initiative revient aux autorités de Singapour, donne les cinq
principes qui forment les « valeurs asiatiques », sinon l’asiatisme :
La nation avant la communauté et la société avant l’individu ;
La famille comme unité de base de la société ;
La considération pour l’individu et le soutien que lui apporte la communauté ;
Le consensus plutôt que les querelles ;
L’harmonie raciale et religieuse.
White Paper on Shared Values, Parlement de Singapour, 1991
Alors que le concept d’asiatisme reprend de la vigueur avec l’émergence, puis le triomphe
d’une Asie redevenue centrale dans le rapport de force mondial, il est difficile de le voir
s’exprimer spécifiquement au moment de la décolonisation. La Conférence de Bandung,
réunie en 1955, exprime plutôt un afro-asiatisme qu’un asiatisme spécifique.
En effet, si l’asiatisme se définit par le partage de fondements culturels communs, il semble que
ce qui unit les mouvements de libération nationale dans les années d’après-guerre soit
essentiellement leur rejet de l’Occident. On peut l’observer à travers deux modalités
d’accession à l’indépendance, qui illustrent la multitude de situations en Asie.
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Les négociations sur l’indépendance de l’Inde s’ouvrent en 1946 entre le Royaume-Uni et
les deux partis nationalistes : le Parti du Congrès hindou représenté par Jawaharlal Nehru et
la Ligue musulmane de Muhammad Ali Jinnah. Elles buttent non pas sur une opposition
britannique mais sur un désaccord entre les deux partis :
Le Parti du Congrès refuse toute partition
La Ligue musulmane exige la création d’un Etat musulman.
Les tensions communautaires augmentent et les Anglais, représentés par le vice-roi des
Indes Lord Louis Mountbatten, décident en février 1947 de remettre le pouvoir aux
Indiens, acceptant d’établir un plan de partition auquel ils étaient pourtant opposés. Hostiles à
la partition, les Britanniques sont pourtant responsables de la dissociation progressive des
communautés sur laquelle ils ont joué pour diviser l’opposition nationaliste. De ce fait,
l’indépendance de l’Inde se fait sur la réalisation des deux théories :
Celle du Parti du Congrès, qui se revendique nationaliste et non-confessionnel, mais
qui sait l’écrasante majorité hindoue sur l’ensemble des Indes pour exiger
l’indépendance à l’ensemble des territoires.
Celle de la Ligue musulmane, qui a émergé sous le nom de « théorie des deux
nations » dans les années 1930.
! Document 6 – Carte : La partition de l’Inde
Le 15 août 1947, les deux Etats sont créés :
L’Union indienne à majorité hindoue mais qui se proclame laïque, reprend les
structures de l’ancienne colonie britannique et l’essentiel du territoire des Indes.
Le Pakistan (nom signifiant « pays des purs) à majorité musulmane se déclare
religieux. Il est formé de deux entités distantes de 1700 km qui rendent sa gestion
complexe. La partie orientale deviendra le Bangladesh en 1971.
GEOPOLITIQUE ECS1 16 MODULE I Thème 1 CHAPITRE 5
Les deux Etats deviennent indépendants tout en entrant dans le Commonwealth. Mais
l’importance des minorités restées dans chaque Etat, et le ressentiment lié à la partition,
provoque des affrontements meurtriers :
200 000 morts environ de part et d’autre
10 millions de déplacés rejoignent leurs Etats respectifs
Dès 1948, les deux Etats entrent en guerre à propos du Cachemire, Etat à majorité
musulmane mais où le maharadjah est hindou.
En février 1948, l’indépendance de la Birmanie et de Ceylan complète le règlement de la
question indienne. Les comptoirs français seront cédés en 1954, les comptoirs portugais
seront conquis en 1962.
L’Inde ouvre la série d’indépendances qui vont marquer les vingt années d’après-guerre. Elle
inaugure aussi les drames qui accompagnent le mouvement d’émancipation. Même lorsque
les indépendances sont négociées, sans guerre, les tensions sont vives car la domination
coloniale s’est souvent appuyée sur une communauté contre les autres. Les nouveaux
Etats constitués payent les conséquences de la période coloniale (tensions ethniques ou
religieuses entretenues : ici la partition) et des modalités d’accession à l’indépendance
(délimitation des frontières, régimes politiques instaurés : ici la frontière cachemirie).
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Les conflits indonésien et indochinois permettent de comprendre les liens qui existent entre le
nouveau rapport de force mondial, et le processus de décolonisation.
Les Indes néerlandaises
Les Hollandais se trouvent à la fin de l’année 1945 face au gouvernement indépendantiste
de Sokarno dont l’instauration a été encouragée par les Japonais. Le retour à l’ordre colonial
hollandais est impossible et les Pays-Bas reconnaissent les Etats-Unis d’Indonésie en
novembre 1946, dans le cadre d’une Union Hollando-indonésienne. Sous la pression des
colonialistes, les forces hollandaises tentent néanmoins de reprendre le contrôle des Indes
néerlandaises et engage un conflit qui se termine le 27 décembre 1949 par l’indépendance,
que les Hollandais doivent accepter sous la pression de l’ONU et des Etats-Unis qui
menacent de faire cesser l’aide du Plan Marshall. En 1954, l’Indonésie rompt tout lien avec
son ancienne métropole en dénonçant l’Union hollando-indonésienne.
Le conflit indonésien est riche d’enseignements :
Il illustre le nouveau rapport de force mondial, caractérisé par le nouvel ordre
international fondé sur le droit (rôle de l’ONU) et le nouvel ordre bipolaire : la perte
d’influence de l’Europe face aux Etats-Unis caractérise le bloc occidental.
Il montre aussi que la force ne constitue plus une solution pour les Européens,
puisqu’elle conduit à perdre aussi les liens commerciaux.
Cette collision entre les contextes régionaux et mondiaux, de guerre froide et de
décolonisation, est illustrée encore plus fortement par la guerre d’Indochine.
L’Indochine
! Document 7 – Carte : L’Indochine en 1945 et 1954
Le contexte indochinois est proche du contexte indonésien. La France n’a pas pu défendre
sa colonie face à l’envahisseur japonais et dispose de peu de légitimité pour instaurer à
GEOPOLITIQUE ECS1 17 MODULE I Thème 1 CHAPITRE 5
nouveau son autorité sur le territoire. L’indépendance du Vietnam a été proclamée par Ho Chi
Minh le 2 septembre 1945.
Un corps expéditionnaire envoyé dès octobre 1945 reconquiert le sud (Cochinchine,
Annam) et la France négocie avec Ho Chi Minh la mise en place d’un statut d’autonomie. Le
6 mars 1946, la France recouvre son autorité sur le Tonkin, tenu jusqu’ici par Ho Chi Minh, en
échange d’une reconnaissance du Vietnam comme Etat libre, membre de la Fédération
indochinoise et de l’Union française. Mais les colons français, hostiles à un accord avec Ho
Chi Minh, poussent l’Amiral Thierry d’Argenlieu, Haut-commissaire de France pour
l’Indochine, à proclamer la République de Cochinchine le 1er juin 1946. Persuadé de la
nécessité de reprendre le port d’Haiphong, essentiel au commerce colonial, il le fait bombarder
par la marine française ce qui déclenche un conflit de 8 ans contre le Vietminh, qui tient le
Tonkin. Progressivement, la guerre s’enlise :
L’armée de métier française tient les routes et les villes alors que le Vietminh tient
les campagnes.
Le conflit s’internationalise dans le contexte de guerre froide : dès 1950, Ho Chi
Minh reçoit l’aide militaire de la Chine populaire et de l’URSS tandis que la France
obtient le soutien financier des Etats-Unis.
A la suite de la défaite catastrophique de Dien Bien Phu le 7 mai 1954, la France doit
engager son contingent pour reprendre en main la situation ce que l’opinion publique
réprouve. Cela conduit à la signature des accords de Genève le 21 juillet 1954 qui règlent les
questions indochinoise mais aussi coréenne (contexte de guerre froide) : la France reconnaît
l’indépendance du Vietnam qui est divisé en deux entités le long du 17e parallèle ; la
question de la réunification doit donner lieu à des élections avant 1956. Pour l’heure, 4 pays
voient le jour : la République démocratique du Vietnam qui est communiste, la République du
Sud-Vietnam nationaliste du général Diem, le Laos et le Cambodge. Les tensions entre les
deux vietnams restent vives et la guerre civile entre communistes et nationalistes couve au
Laos et au Cambodge.
Une nouvelle fois, l’indépendance est obtenue dans le sang (30 000 Français ; 46 000
Indochinois) et conduit à la rupture entre les anciennes colonies et la puissance coloniale.
Le contexte de guerre froide réoriente le conflit et explique à la fois la partition et la poursuite du
conflit malgré les accords de paix.
Il est certain que l’Asie, comme modèle pour les mouvements de libération, a joué un rôle
prescripteur, notamment grâce à la caisse de résonnance de Bandung en 1955. En une
dizaine d’années, un tiers de l’humanité accède à l’indépendance ce qui encourage ceux
qui sont dans la lutte, et éveille l’intérêt de ceux qui n’y sont pas encore entrés.
2.2. L’Afrique : une marche longue et tardive vers l’indépendance
En Afrique, la chronologie reprend la géographie du continent : le mouvement se déclenche
au Nord et se termine en Afrique australe. Entrée plus tardivement sur la scène internationale,
l’Afrique a aussi plus de mal pour s’y faire une place.
2.2.1. L’indépendance de l’Afrique du Nord francophone
En Afrique du Nord, l’indépendance des territoires sous domination française s’inscrit dans le
mouvement de rénovation de l’Islam, débuté à la fin du XIXe siècle, mais aussi dans le
mythe de l’unité arabe. Le premier est endogène (exemple du Maroc), alors que le second
est davantage exogène (soutien de G.A. Nasser au Front de Libération Nationale algérien qui
explique aussi l’intervention française de Suez en 1956).
GEOPOLITIQUE ECS1 18 MODULE I Thème 1 CHAPITRE 5
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Les indépendances du Maroc et de la Tunisie se font sur le même schéma : alors que
l’autonomie interne doit permettre d’évoluer vers l’indépendance, le désaccord porte sur le
rythme des réformes qui conduit la France à durcir sa position sur le terrain mais à négocier
sous la pression internationale :
Au Maroc, le mouvement de libération s’incarne dans une autorité légitime (le sultan
Mohammed Ben Youssef, très populaire dans la population) et un mouvement à
l’audience large (l’Istiqlal). La tension augmente rapidement sur le territoire ce qui
conduit la Résidence française (autorité française au Maroc) à remplacer le sultan
accusé d’entretenir la tension. Le résultat est inverse et les attentats s’intensifient (6
813 attentats d’aout 1953, date du remplacement de M. Ben Youssef par Mohammed
Ben Arafa, illégitime aux yeux des Marocains, à novembre 1955). S’ajoute un soutien
international à la résistance intérieure des Etats arabes, asiatiques, et de
l’Espagne dans le cadre de l’ONU. Enfin, la défaite en Indochine et l’insurrection
algérienne conduit la France à négocier les accords de Celle-Saint-Cloud (6
novembre 1955). Le sultan M. Ben Youssef est rétabli sous le nom de Mohammed V et
l’indépendance est promise pour le 2 mars 1956.
En Tunisie, Habib Bourguiba, leader du Néo-Destour, rentre en 1949 d’un exil qui lui
a permis de porter la cause de la Tunisie au siège de la Ligue arabe (Le Caire), dans
les pays arabes (Syrie notamment), comme aux Nations Unies. Il revendique
l’autonomie interne mais là-encore le durcissement de la position française au début
des années 1950 entraîne une montée de violence, notamment dans les campagnes où
des colons français sont assassinés. En juin 1955, la France accepte l’autonomie
intérieure totale mais il faut attendre le 20 mars 1956 pour que la Tunisie accède à
l’indépendance, et 1957 pour que le régime républicain d’H. Bourguiba soit instauré.
Les faits dans les trois territoires français d’Afrique du Nord interfèrent. Il faut ainsi tenir
compte de l’évolution des évènements en Algérie pour comprendre pourquoi la France cède au
Maroc et en Tunisie. La situation en Algérie est en effet bien différente.
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Le drame algérien doit tout d’abord être compris dans sa dimension originale. Inscrit dans un
mouvement général d’émancipation, son déroulement s’explique par la place spécifique que
tient le territoire algérien dans l’Empire, résumée par les mots de François Mitterrand,
ministre de l’Intérieur en 1954 :
« Voilà donc qu'un peu partout, d'un seul coup, se répand le bruit que l'Algérie est à feu et à
sang. De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme
individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l'Algérie ferme la boucle de
cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient
les tenir en tutelle ?
Eh bien ! non, cela ne sera pas, parce qu'il se trouve que l'Algérie, c'est la France, parce
qu'il se trouve que les départements de l'Algérie sont des départements de la République
française. »
Discours de m. François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, 12 novembre 1954,
in Michel Mopin, Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, 1988
! Document 8 – Carte : Organisation française de l’Algérie de 1954 à 1962
GEOPOLITIQUE ECS1 19 MODULE I Thème 1 CHAPITRE 5
L’Algérie est en effet un territoire stratégique pour la France, qui n’est pas disposée à
l’inscrire dans le mouvement d’émancipation :
« L’Algérie c’est la France », veut d’abord dire que le territoire algérien n’a pas le
statut de colonie. Constituée de trois départements et du Sahara français,
administré par une administration militaire. Cette organisation est remplacée en 1957
par une départementalisation de toute l’Algérie.
« L’Algérie c’est la France » peut aussi être comprise en référence à la population de
colons très importante : plus d’un million en Algérie, ce qui en fait la seule colonie de
peuplement même si cette population est largement minoritaire face aux 9 millions de
« musulmans de statut coranique ».
Enfin, l’Algérie est mise en valeur par la métropole : exploitation du pétrole et du gaz,
création du centre d’essais nucléaire de Reggane.
En raison de son statut administratif particulier, de l’importance de la population dite
« européenne » (même si 80% des colons sont nés en Algérie), et de son rôle stratégique, la
question de l’indépendance de l’Algérie n’est pas traitée de la même façon par la
métropole.
Cette importance avait fait promettre beaucoup à l’Algérie. Pourtant, de 1945 à 1954, les
choses évoluent peu malgré le « statut de 1947 » censé résoudre les tensions en accordant le
droit de vote aux musulmans mais pour élire le même nombre de représentants que les
colons (alors qu’ils sont neuf fois plus nombreux).
L’absence d’évolution entraine une radicalisation du mouvement national. Alors que les
leaders historiques (Messali Hadj, Ferhat Abbas) prônent la négociation, la jeunesse s’engage
dans la lutte et créée le Front de Libération Nationale (FLN), et sa branche armée l’Armée de
Libération Nationale (ALN) le 1er novembre 1954. Cette création est annoncée par une vague
d’attentats : c’est la « toussaint rouge ».
La réponse de la métropole est une « opération de maintien de l’ordre ». Mais les
« évènements » prennent la tournure d’une véritable guerre à partir de 1955 :
Le nombre de militaires du contingent envoyés en Algérie augmente chaque année
pour dépasser 450 000 en 1957.
Les gouverneurs généraux sont fréquemment remplacés pour redéfinir l’action en
Algérie mais la politique d’escalade semble inexorable.
Le fossé entre les communautés se creuse.
La France est condamnée sur la scène mondiale car le conflit s’internationalise :
" Le FLN est soutenu par les pays arabes indépendants : l’armée française
bombarde le village de Sakhiet-Sidi-Youssef au pretexte qu’il abrite un camp du
FLN le 8 février 1958, entrainant l’intervention des Etats-Unis et du Royaume-
Uni comme médiateurs.
" La France est mise en accusation chaque année à l’ONU par le groupe afro-
asiatique.
L’année 1958 est un tournant, côté français comme côté algérien :
Le FLN reçoit le soutien des modérés derrière Ferhat Abbas, rendant encore plus
improbable toute solution négociée.
La IVe république tombe en France en raison d’une sécession à Alger où les militaires,
soutenus par la foule algéroise, se constituent en Comité de Salut Public le 13 mai.
L’appel fait à Charles de Gaulle (Président du Conseil le 1er juin) et l’instauration de la
Ve république changent aussi la donne en métropole.
La Ve république donne de nouveaux pouvoirs au Président (Article 16) qui vont lui permettre
de sortir de l’impasse :
En octobre 1958, il propose au FLN la « paix des braves ». Le FLN qui s’est constitué
en Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), refuse.
Le 16 septembre 1959, C. de Gaulle propose l’autodétermination aux Algériens. Le
GPRA accepte mais refuse le cessez-le-feu. La proposition de Charles de Gaulle
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