M1.CHAPITRE 5.cours

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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
2.1.2. L’asiatisme : une première prise de conscience forgée dans l’opposition à la domination
européenne ?
En 1991, un Livre blanc, dont l’initiative revient aux autorités de Singapour, donne les cinq
principes qui forment les « valeurs asiatiques », sinon l’asiatisme :
• La nation avant la communauté et la société avant l’individu ;
• La famille comme unité de base de la société ;
• La considération pour l’individu et le soutien que lui apporte la communauté ;
• Le consensus plutôt que les querelles ;
• L’harmonie raciale et religieuse.
White Paper on Shared Values, Parlement de Singapour, 1991
Alors que le concept d’asiatisme reprend de la vigueur avec l’émergence, puis le triomphe
d’une Asie redevenue centrale dans le rapport de force mondial, il est difficile de le voir
s’exprimer spécifiquement au moment de la décolonisation. La Conférence de Bandung,
réunie en 1955, exprime plutôt un afro-asiatisme qu’un asiatisme spécifique.
En effet, si l’asiatisme se définit par le partage de fondements culturels communs, il semble que
ce qui unit les mouvements de libération nationale dans les années d’après-guerre soit
essentiellement leur rejet de l’Occident. On peut l’observer à travers deux modalités
d’accession à l’indépendance, qui illustrent la multitude de situations en Asie.
2.1.2.1. L’indépendance des Indes britanniques initie le mouvement et annonce ses difficultés Les négociations sur l’indépendance de l’Inde s’ouvrent en 1946 entre le Royaume-Uni et
les deux partis nationalistes : le Parti du Congrès hindou représenté par Jawaharlal Nehru et
la Ligue musulmane de Muhammad Ali Jinnah. Elles buttent non pas sur une opposition
britannique mais sur un désaccord entre les deux partis :
• Le Parti du Congrès refuse toute partition
• La Ligue musulmane exige la création d’un Etat musulman.
Les tensions communautaires augmentent et les Anglais, représentés par le vice-roi des
Indes Lord Louis Mountbatten, décident en février 1947 de remettre le pouvoir aux
Indiens, acceptant d’établir un plan de partition auquel ils étaient pourtant opposés. Hostiles à
la partition, les Britanniques sont pourtant responsables de la dissociation progressive des
communautés sur laquelle ils ont joué pour diviser l’opposition nationaliste. De ce fait,
l’indépendance de l’Inde se fait sur la réalisation des deux théories :
• Celle du Parti du Congrès, qui se revendique nationaliste et non-confessionnel, mais
qui sait l’écrasante majorité hindoue sur l’ensemble des Indes pour exiger
l’indépendance à l’ensemble des territoires.
• Celle de la Ligue musulmane, qui a émergé sous le nom de « théorie des deux
nations » dans les années 1930.
Ö Document 6 – Carte : La partition de l’Inde
Le 15 août 1947, les deux Etats sont créés :
• L’Union indienne à majorité hindoue mais qui se proclame laïque, reprend les
structures de l’ancienne colonie britannique et l’essentiel du territoire des Indes.
• Le Pakistan (nom signifiant « pays des purs) à majorité musulmane se déclare
religieux. Il est formé de deux entités distantes de 1700 km qui rendent sa gestion
complexe. La partie orientale deviendra le Bangladesh en 1971.
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
Les deux Etats deviennent indépendants tout en entrant dans le Commonwealth. Mais
l’importance des minorités restées dans chaque Etat, et le ressentiment lié à la partition,
provoque des affrontements meurtriers :
• 200 000 morts environ de part et d’autre
• 10 millions de déplacés rejoignent leurs Etats respectifs
Dès 1948, les deux Etats entrent en guerre à propos du Cachemire, Etat à majorité
musulmane mais où le maharadjah est hindou.
En février 1948, l’indépendance de la Birmanie et de Ceylan complète le règlement de la
question indienne. Les comptoirs français seront cédés en 1954, les comptoirs portugais
seront conquis en 1962.
L’Inde ouvre la série d’indépendances qui vont marquer les vingt années d’après-guerre. Elle
inaugure aussi les drames qui accompagnent le mouvement d’émancipation. Même lorsque
les indépendances sont négociées, sans guerre, les tensions sont vives car la domination
coloniale s’est souvent appuyée sur une communauté contre les autres. Les nouveaux
Etats constitués payent les conséquences de la période coloniale (tensions ethniques ou
religieuses entretenues : ici la partition) et des modalités d’accession à l’indépendance
(délimitation des frontières, régimes politiques instaurés : ici la frontière cachemirie).
2.1.2.2. Guerres d’indépendance et guerre froide Les conflits indonésien et indochinois permettent de comprendre les liens qui existent entre le
nouveau rapport de force mondial, et le processus de décolonisation.
Les Indes néerlandaises
Les Hollandais se trouvent à la fin de l’année 1945 face au gouvernement indépendantiste
de Sokarno dont l’instauration a été encouragée par les Japonais. Le retour à l’ordre colonial
hollandais est impossible et les Pays-Bas reconnaissent les Etats-Unis d’Indonésie en
novembre 1946, dans le cadre d’une Union Hollando-indonésienne. Sous la pression des
colonialistes, les forces hollandaises tentent néanmoins de reprendre le contrôle des Indes
néerlandaises et engage un conflit qui se termine le 27 décembre 1949 par l’indépendance,
que les Hollandais doivent accepter sous la pression de l’ONU et des Etats-Unis qui
menacent de faire cesser l’aide du Plan Marshall. En 1954, l’Indonésie rompt tout lien avec
son ancienne métropole en dénonçant l’Union hollando-indonésienne.
Le conflit indonésien est riche d’enseignements :
• Il illustre le nouveau rapport de force mondial, caractérisé par le nouvel ordre
international fondé sur le droit (rôle de l’ONU) et le nouvel ordre bipolaire : la perte
d’influence de l’Europe face aux Etats-Unis caractérise le bloc occidental.
• Il montre aussi que la force ne constitue plus une solution pour les Européens,
puisqu’elle conduit à perdre aussi les liens commerciaux.
Cette collision entre les contextes régionaux et mondiaux, de guerre froide et de
décolonisation, est illustrée encore plus fortement par la guerre d’Indochine.
L’Indochine
Ö Document 7 – Carte : L’Indochine en 1945 et 1954
Le contexte indochinois est proche du contexte indonésien. La France n’a pas pu défendre
sa colonie face à l’envahisseur japonais et dispose de peu de légitimité pour instaurer à
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
nouveau son autorité sur le territoire. L’indépendance du Vietnam a été proclamée par Ho Chi
Minh le 2 septembre 1945.
Un corps expéditionnaire envoyé dès octobre 1945 reconquiert le sud (Cochinchine,
Annam) et la France négocie avec Ho Chi Minh la mise en place d’un statut d’autonomie. Le
6 mars 1946, la France recouvre son autorité sur le Tonkin, tenu jusqu’ici par Ho Chi Minh, en
échange d’une reconnaissance du Vietnam comme Etat libre, membre de la Fédération
indochinoise et de l’Union française. Mais les colons français, hostiles à un accord avec Ho
Chi Minh, poussent l’Amiral Thierry d’Argenlieu, Haut-commissaire de France pour
l’Indochine, à proclamer la République de Cochinchine le 1er juin 1946. Persuadé de la
nécessité de reprendre le port d’Haiphong, essentiel au commerce colonial, il le fait bombarder
par la marine française ce qui déclenche un conflit de 8 ans contre le Vietminh, qui tient le
Tonkin. Progressivement, la guerre s’enlise :
• L’armée de métier française tient les routes et les villes alors que le Vietminh tient
les campagnes.
• Le conflit s’internationalise dans le contexte de guerre froide : dès 1950, Ho Chi
Minh reçoit l’aide militaire de la Chine populaire et de l’URSS tandis que la France
obtient le soutien financier des Etats-Unis.
A la suite de la défaite catastrophique de Dien Bien Phu le 7 mai 1954, la France doit
engager son contingent pour reprendre en main la situation ce que l’opinion publique
réprouve. Cela conduit à la signature des accords de Genève le 21 juillet 1954 qui règlent les
questions indochinoise mais aussi coréenne (contexte de guerre froide) : la France reconnaît
l’indépendance du Vietnam qui est divisé en deux entités le long du 17e parallèle ; la
question de la réunification doit donner lieu à des élections avant 1956. Pour l’heure, 4 pays
voient le jour : la République démocratique du Vietnam qui est communiste, la République du
Sud-Vietnam nationaliste du général Diem, le Laos et le Cambodge. Les tensions entre les
deux vietnams restent vives et la guerre civile entre communistes et nationalistes couve au
Laos et au Cambodge.
Une nouvelle fois, l’indépendance est obtenue dans le sang (30 000 Français ; 46 000
Indochinois) et conduit à la rupture entre les anciennes colonies et la puissance coloniale.
Le contexte de guerre froide réoriente le conflit et explique à la fois la partition et la poursuite du
conflit malgré les accords de paix.
Il est certain que l’Asie, comme modèle pour les mouvements de libération, a joué un rôle
prescripteur, notamment grâce à la caisse de résonnance de Bandung en 1955. En une
dizaine d’années, un tiers de l’humanité accède à l’indépendance ce qui encourage ceux
qui sont dans la lutte, et éveille l’intérêt de ceux qui n’y sont pas encore entrés.
2.2.
L’Afrique : une marche longue et tardive vers l’indépendance
En Afrique, la chronologie reprend la géographie du continent : le mouvement se déclenche
au Nord et se termine en Afrique australe. Entrée plus tardivement sur la scène internationale,
l’Afrique a aussi plus de mal pour s’y faire une place.
2.2.1. L’indépendance de l’Afrique du Nord francophone
En Afrique du Nord, l’indépendance des territoires sous domination française s’inscrit dans le
mouvement de rénovation de l’Islam, débuté à la fin du XIXe siècle, mais aussi dans le
mythe de l’unité arabe. Le premier est endogène (exemple du Maroc), alors que le second
est davantage exogène (soutien de G.A. Nasser au Front de Libération Nationale algérien qui
explique aussi l’intervention française de Suez en 1956).
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
2.2.1.1. La fin négociée des protectorats Les indépendances du Maroc et de la Tunisie se font sur le même schéma : alors que
l’autonomie interne doit permettre d’évoluer vers l’indépendance, le désaccord porte sur le
rythme des réformes qui conduit la France à durcir sa position sur le terrain mais à négocier
sous la pression internationale :
• Au Maroc, le mouvement de libération s’incarne dans une autorité légitime (le sultan
Mohammed Ben Youssef, très populaire dans la population) et un mouvement à
l’audience large (l’Istiqlal). La tension augmente rapidement sur le territoire ce qui
conduit la Résidence française (autorité française au Maroc) à remplacer le sultan
accusé d’entretenir la tension. Le résultat est inverse et les attentats s’intensifient (6
813 attentats d’aout 1953, date du remplacement de M. Ben Youssef par Mohammed
Ben Arafa, illégitime aux yeux des Marocains, à novembre 1955). S’ajoute un soutien
international à la résistance intérieure des Etats arabes, asiatiques, et de
l’Espagne dans le cadre de l’ONU. Enfin, la défaite en Indochine et l’insurrection
algérienne conduit la France à négocier les accords de Celle-Saint-Cloud (6
novembre 1955). Le sultan M. Ben Youssef est rétabli sous le nom de Mohammed V et
l’indépendance est promise pour le 2 mars 1956.
• En Tunisie, Habib Bourguiba, leader du Néo-Destour, rentre en 1949 d’un exil qui lui
a permis de porter la cause de la Tunisie au siège de la Ligue arabe (Le Caire), dans
les pays arabes (Syrie notamment), comme aux Nations Unies. Il revendique
l’autonomie interne mais là-encore le durcissement de la position française au début
des années 1950 entraîne une montée de violence, notamment dans les campagnes où
des colons français sont assassinés. En juin 1955, la France accepte l’autonomie
intérieure totale mais il faut attendre le 20 mars 1956 pour que la Tunisie accède à
l’indépendance, et 1957 pour que le régime républicain d’H. Bourguiba soit instauré.
Les faits dans les trois territoires français d’Afrique du Nord interfèrent. Il faut ainsi tenir
compte de l’évolution des évènements en Algérie pour comprendre pourquoi la France cède au
Maroc et en Tunisie. La situation en Algérie est en effet bien différente.
2.2.1.2. La guerre d’Algérie Le drame algérien doit tout d’abord être compris dans sa dimension originale. Inscrit dans un
mouvement général d’émancipation, son déroulement s’explique par la place spécifique que
tient le territoire algérien dans l’Empire, résumée par les mots de François Mitterrand,
ministre de l’Intérieur en 1954 :
« Voilà donc qu'un peu partout, d'un seul coup, se répand le bruit que l'Algérie est à feu et à
sang. De même que le Maroc et la Tunisie ont connu ce phénomène du terrorisme
individuel dans les villes et dans les campagnes, faut-il que l'Algérie ferme la boucle de
cette ceinture du monde en révolte depuis quinze ans contre les nations qui prétendaient
les tenir en tutelle ?
Eh bien ! non, cela ne sera pas, parce qu'il se trouve que l'Algérie, c'est la France, parce
qu'il se trouve que les départements de l'Algérie sont des départements de la République
française. »
Discours de m. François Mitterrand, ministre de l'Intérieur, 12 novembre 1954,
in Michel Mopin, Les grands débats parlementaires de 1875 à nos jours, 1988
Ö Document 8 – Carte : Organisation française de l’Algérie de 1954 à 1962
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
L’Algérie est en effet un territoire stratégique pour la France, qui n’est pas disposée à
l’inscrire dans le mouvement d’émancipation :
• « L’Algérie c’est la France », veut d’abord dire que le territoire algérien n’a pas le
statut de colonie. Constituée de trois départements et du Sahara français,
administré par une administration militaire. Cette organisation est remplacée en 1957
par une départementalisation de toute l’Algérie.
• « L’Algérie c’est la France » peut aussi être comprise en référence à la population de
colons très importante : plus d’un million en Algérie, ce qui en fait la seule colonie de
peuplement même si cette population est largement minoritaire face aux 9 millions de
« musulmans de statut coranique ».
• Enfin, l’Algérie est mise en valeur par la métropole : exploitation du pétrole et du gaz,
création du centre d’essais nucléaire de Reggane.
En raison de son statut administratif particulier, de l’importance de la population dite
« européenne » (même si 80% des colons sont nés en Algérie), et de son rôle stratégique, la
question de l’indépendance de l’Algérie n’est pas traitée de la même façon par la
métropole.
Cette importance avait fait promettre beaucoup à l’Algérie. Pourtant, de 1945 à 1954, les
choses évoluent peu malgré le « statut de 1947 » censé résoudre les tensions en accordant le
droit de vote aux musulmans mais pour élire le même nombre de représentants que les
colons (alors qu’ils sont neuf fois plus nombreux).
L’absence d’évolution entraine une radicalisation du mouvement national. Alors que les
leaders historiques (Messali Hadj, Ferhat Abbas) prônent la négociation, la jeunesse s’engage
dans la lutte et créée le Front de Libération Nationale (FLN), et sa branche armée l’Armée de
Libération Nationale (ALN) le 1er novembre 1954. Cette création est annoncée par une vague
d’attentats : c’est la « toussaint rouge ».
La réponse de la métropole est une « opération de maintien de l’ordre ». Mais les
« évènements » prennent la tournure d’une véritable guerre à partir de 1955 :
• Le nombre de militaires du contingent envoyés en Algérie augmente chaque année
pour dépasser 450 000 en 1957.
• Les gouverneurs généraux sont fréquemment remplacés pour redéfinir l’action en
Algérie mais la politique d’escalade semble inexorable.
• Le fossé entre les communautés se creuse.
• La France est condamnée sur la scène mondiale car le conflit s’internationalise :
§ Le FLN est soutenu par les pays arabes indépendants : l’armée française
bombarde le village de Sakhiet-Sidi-Youssef au pretexte qu’il abrite un camp du
FLN le 8 février 1958, entrainant l’intervention des Etats-Unis et du RoyaumeUni comme médiateurs.
§ La France est mise en accusation chaque année à l’ONU par le groupe afroasiatique.
L’année 1958 est un tournant, côté français comme côté algérien :
• Le FLN reçoit le soutien des modérés derrière Ferhat Abbas, rendant encore plus
improbable toute solution négociée.
• La IVe république tombe en France en raison d’une sécession à Alger où les militaires,
soutenus par la foule algéroise, se constituent en Comité de Salut Public le 13 mai.
L’appel fait à Charles de Gaulle (Président du Conseil le 1er juin) et l’instauration de la
Ve république changent aussi la donne en métropole.
e
La V république donne de nouveaux pouvoirs au Président (Article 16) qui vont lui permettre
de sortir de l’impasse :
• En octobre 1958, il propose au FLN la « paix des braves ». Le FLN qui s’est constitué
en Gouvernement Provisoire de la République Algérienne (GPRA), refuse.
• Le 16 septembre 1959, C. de Gaulle propose l’autodétermination aux Algériens. Le
GPRA accepte mais refuse le cessez-le-feu. La proposition de Charles de Gaulle
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•
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•
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
entraîne une nouvelle rupture entre les Français d’Algérie, qui se sentent trahis, et
l’opinion publique de métropole pressée d’en finir avec un conflit devenu très
impopulaire.
Le 8 janvier 1961, 75% des Français se prononcent par référendum pour
l’autodétermination (70% en Algérie).
En juin 1961, s’ouvre une première session de négociations à Evian qui
n’aboutissent pas en raison de désaccords sur le Sahara. La seconde session aboutit le
18 mars 1962 avec les accords d’Evian : la France reconnaît l’indépendance de
l’Algérie et le GPRA promet le respect des biens des « Européens » qui pourront choisir
entre la nationalité française ou algérienne à l’indépendance.
Le 8 avril 1962, 90% des Français approuvent les accords d’Evian mais les
citoyens français d’Algérie ne votent pas…
Le 3 juillet 1962, l’Algérie proclame son indépendance.
L’Algérie est la dernière accession à l’indépendance d’un territoire important de l’Empire
français (Comores en 1975, Djibouti en 1977). C’est aussi la plus coûteuse : 25 000 hommes
perdus du côté de l’armée française, 150 000 combattants du FLN. Un million « d’Européens »
fuit l’Algérie ainsi que 150 000 harkis et leurs familles. La France, en raison de son
acharnement à maintenir l’Algérie française et des méthodes employées, est discréditée sur la
scène internationale.
La difficile prise de conscience en Afrique du Nord envenime les relations entre la France et les
pays du Maghreb francophones depuis leur indépendance. Ces indépendances « ratées »
sont d’autant plus problématiques qu’une importante population ressortissante de ces pays
émigre vers la France après les indépendances.
2.2.2. Les indépendances négociées en Afrique subsaharienne
2.2.2.1. Le manque de cadres autochtones En Afrique subsaharienne, la lutte pour l’émancipation est confrontée à trois problèmes qui la
ralentissent :
• La faiblesse des élites autochtone, en comparaison des autres territoires, qui conduit
à l’émergence de leaders isolés qui prennent souvent les rennes du pays à
l’indépendance.
• Les difficultés pour faire émerger une véritable revendication nationaliste en raison
de l’importance des divisions ethniques que les colonisateurs ont souvent utilisé pour
diviser. Le découpage issu de la décolonisation correspond d’ailleurs peu aux
découpages ethniques.
• L’Africanisme, souvent porté par des intellectuels des métropoles plus que par des
autochtones, est un mouvement d’études sociales plus qu’une revendication
d’appartenance : à l’idée d’une culture africaine commune, il oppose au contraire la
multiplicité des référents culturels.
Il n’y a donc pas d’unité africaine dans la lutte, mais les leaders indépendantistes reçoivent le
soutien des nations nouvellement indépendantes d’Asie et d’Afrique. Le désir
d’émancipation existe néanmoins puisque le Congrès panafricain de Manchester exige
l’autonomie et l’indépendance pour l’Afrique noire dès 1945.
Entre 1950 et 1965, les colonies britanniques et belges accèdent à l’indépendance :
• La Gold Coast, sous l’impulsion de Kwame N’Krumah qui lance une campagne de
désobéissance civile à partir de 1950, accède à l’autonomie interne, puis à
l’indépendance en mars 1957.
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
• Le chemin est plus difficile au Kenya, où la Kenya African Union menée par Jomo
Kenyatta, futur chef de l’Etat, exige la restitution des terres. Cette exigence,
inacceptable pour les colons, conduit à une répression brutale notamment contre
l’ethnie Mau-Mau en 1952. Le Royaume-Uni est contraint de négocier sous la pression
internationale et accorde l’indépendance en 1963.
• Au Congo, l’indépendance est négociée hâtivement par la Belgique qui souhaite se
débarrasser du territoire. Le départ précipité des Belges, le 30 juin 1960, entraine le
début d’une guerre civile entre le chef de l’ethnie majoritaire et président du Congo
(Joseph Kasa-Vubu), le parti Abako, favorable au fédéralisme, le Mouvement National
Congolais, mené par Patrice Lumumba, favorable à un Etat unitaire marxiste, et les
rebelles de la riche région du Katanga dirigés par Moïse Tschombe, qui souhaitent la
sécession. Le Congo, parce qu’il dispose d’une position centrale, qu’il dispose d’un
riche sous-sol, et qu’il est victime de l’absence de préparation de la transition vers
l’indépendance, concentre tous les drames de l’Afrique postcoloniale. C’est
d’ailleurs l’instauration d’une dictature autoritaire par le général Mobutu en 1965 qui
ramène le calme… Entre la violence coloniale et les guerres postcoloniales, on estime
que le bilan humain au Congo est aujourd’hui de plus de 15 millions de morts en un
siècle.
2.2.2.2. L’indépendance de l’AOF et de l’AEF : une décolonisation réussie pour la France ? La politique française vis-à-vis de l’Afrique subsaharienne contraste fortement avec celle menée
dans les autres colonies. En effet, la décolonisation peut être considérée comme « réussie »
car elle se fait progressivement, de l’autonomie à l’indépendance. Il faut aussi relever les
liens étroits qui perdurent entre la métropole et ses anciennes colonies, tranchant là-aussi
avec les relations complexes qui existent avec les autres anciennes colonies. Cependant,
l’apparente coopération qui existe entre les élites locales et la métropole ne doit pas éluder la
question des violences coloniales qui existent jusqu’après la Seconde Guerre mondiale :
en 1947, une insurrection à Madagascar est réprimée sans discernement par l’armée
française, provoquant des mouvements de populations qui fuient les massacres perpétrés par
l’armée. Le bilan est terrible : 89 000 morts selon Jacques Tronchon, auteur de L’insurrection
malgache. Cet épisode montre qu’en Afrique noire aussi, il faut attendre la fin de la IVe
République pour que l’ordre colonial, et la violence qui l’accompagne, laisse place à une
véritable coopération.
La loi cadre Defferre, présentée en juin 1956, constitue le socle du processus d’accession
à l’indépendance de l’Afrique subsaharienne française. Elle accorde une large autonomie et
encourage l’africanisation de l’administration. En 1958, C. de Gaulle propose une réforme
de l’Union française qui devient la Communauté française, à laquelle les Territoires d’OutreMer (TOM) sont libres d’adhérer. La Guinée de Sékou Touré choisit l’indépendance mais tous
les autres territoires choisissent cette évolution progressive vers l’indépendance. La
Communauté donne une autonomie interne totale aux territoires, qui restent néanmoins
alignés sur la métropole pour les questions de défense, de politique étrangère, et de monnaie.
En novembre 1960, tous les territoires francophones d’Afrique subsaharienne accèdent à
l’indépendance (Togo et Cameroun sous tutelle y compris). Seuls Djibouti et les Comores
restent des TOM.
Cette évolution progressive et négociée vers l’indépendance permet à la France de
conserver des liens étroits de coopération avec les anciennes colonies africaines :
• le maintien de la zone franc des Colonies Françaises d’Afrique (CFA) pour tous les
pays issus de l’Empire français (sauf Madagascar qui quitte cette zone en 1973) en est
un exemple.
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
Ö Document 9 – Carte : La zone franc CFA
• La vitalité de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) en Afrique, qui
compte, en 2013, 28 pays parmi les 57 membres en est une autre illustration.
Ö Document 10 – Carte : L’Organisation Internationale de la Francophonie en 2013
2.2.2.3. La décolonisation ouvre une ère de conflits multiformes La période postcoloniale en Afrique est violente. Elle se caractérise par une violence
d’Etat, une violence ethnique et religieuse ou des affrontements idéologiques sur fond de
guerre froide :
• Le pouvoir est confisqué par les leaders des mouvements indépendantistes,
souvent adoubés par la métropole qui se désengage : Félix Houphouët-Boigny est
président de 1959 à 1992, Ahmadou Ahidjo président du Cameroun de 1961 à 1980.
Certains ont instauré un pouvoir autoritaire, sous couvert de socialisme (Ahmed Sekou
Touré en Guinée de 1960 à 1984 ; Julius Nyerere de 1962 à 1985 en Tanzanie) ou
non (Omar Bongo président du Gabon de 1967 à 2009 ; Mobutu Sese Seko de 1965
à 1997 ; Gnassignbé Eyadéma de 1967 à 2005 au Togo). C’est paradoxalement en
raison de l’absence de démocratie que ces pays apparaissent stables sur la
scène internationale. Ils sont en fait pillés de l’intérieur…
• De nombreuses guerres ethniques et/ou religieuses ensanglantent l’Afrique
postcoloniale : la guerre du Biafra au Nigeria de 1966 à 1970 ; les massacres entre
Hutus et Tutsis au Rwanda en 1994. S’y ajoute des affrontements interétatiques liés
à des litiges frontaliers : Somalie-Ethiopie au sujet de l’Ogaden en 1977-1978 ;
Ethiopie-Erythrée entre 1988 et 1999.
• Enfin, l’Afrique est soumise aux conflits périphériques de la guerre froide,
notamment dans la corne de l’Afrique ou en Afrique australe : guerre civile angolaise
entre les rebelles anticommunistes de l’UNITA et le MPLA.
2.2.3. Les indépendances tardives en Afrique australe
L’Afrique australe est caractérisée par l’importance et l’ancienneté des peuplements
blancs. Les Portugais sont présents en Angola depuis 1450 alors que les Hollandais,
ancêtres des Afrikaners, ont fondé Le Cap en 1652, soit avant que les Zoulous ne se
constituent en nation (Chaka Zulu, 1816). La décolonisation de l’Afrique australe pose donc
deux problèmes inédits :
• L’antériorité de certaines populations blanches leur donne une légitimité mais elle sont
en nombre largement inférieur. Ce « problème blanc », comme le nomme
l’administration britannique, ne permet ni d’évoluer dans le sens des autres
dominions, ni de négocier une indépendance.
• Le régime portugais étant dictatorial, aucune solution négociée n’est possible.
Antonio de Oliveira Salazar pratique une politique isolationniste résumée par le
slogan « orgueilleusement seuls ». La guerre coloniale menée par le Portugal en
Angola et au Mozambique ne trouve sa résolution que dans la révolution des Œillets
qui met fin à la dictature en 1974.
Dans les deux cas, les spécificités expliquent les indépendances tardives.
2.2.3.1. Les derniers soubresauts coloniaux La Rhodésie, nom donné aux territoires britanniques d’Afrique du Sud-Est en hommage au
colonisateur britannique Cecil Rhodes, accède à l’indépendance par étapes :
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
La Rhodésie du Nord, protectorat britannique, devient la Zambie indépendante en
1964. Elle devient dès lors la base arrière de la lutte armée du Congrès National
Africain (ANC) en Rhodésie du Sud, Namibie et Afrique du Sud. L’indépendance met
fin au régime ségrégationniste et la Zambie intègre le Commonwealth.
• Le Nyassaland devient le Malawi en 1964, à la suite d’un processus
d’autodétermination autorisé par le Royaume-Uni. Il intègre aussi le Commonwealth.
• La Rhodésie du Sud connaît une évolution très différente : son statut de colonie
autonome dans l’Empire britannique permet à Ian Smith, colon blanc chef du
gouvernement du Front rhodésien, de déclarer l’indépendance unilatérale en 1965.
Le régime est soutenu par l’Afrique du Sud et instaure la ségrégation raciale. Isolé
mais frontalier de l’Afrique du Sud, le régime ségrégationniste résiste aux sanctions
internationales mais doit affronter une guérilla soutenue par les pays limitrophes
indépendants (Mozambique indépendant en 1975). Sous la pression sud-africaine, Ian
Smith doit négocier les accords de Lancaster House qui organisent la transition vers
le Majority Rule, c’est à dire le pouvoir à la majorité noire. En avril 1980, la Rhodésie
du Sud devient le Zimbabwe indépendant.
Le Botswana connaît une évolution dans le cadre du Commonwealth, de l’autonomie (1964)
vers l’indépendance en 1966.
•
Le Portugal doit affronter dans ses colonies une opposition de plus en plus puissante, car
soutenue par l’URSS et la Chine (Front de libération du Mozambique (Frelimo) au
Mozambique, UNITA Angola). La dictature portugaise a entrainé un mouvement d’émigration
massif vers les colonies faisant passer la population blanche de 160 000 en 1945 à 550 000
en 1973. La situation à gérer est complexe pour le premier gouvernement
démocratiquement élu de Mario Soares : il faut négocier l’indépendance tout en organisant le
rapatriement de 300 000 Portugais souhaitant rentrer en Europe. Les accords de Lusaka le 7
septembre 1974 et d’Alvor le 15 janvier 1975 donnent l’indépendance au Mozambique,
indépendant le 25 juin 1975, et à l’Angola, indépendant le 11 novembre 1975. Les deux
pays « inaugurent » cependant l’indépendance par le basculement dans la guerre civile entre
indépendantistes marxistes et nationalistes soutenus par l’Afrique du Sud. Dernier pays
gouverné par une minorité blanche, l’Afrique du Sud est mise au ban des nations en raison
de sa politique d’apartheid. Elle organise de ce fait une influence régionale pour
compenser son isolement. Ultime manifestation de l’émancipation africaine, l’abolition de
l’apartheid en 1991 à aussi une influence positive sur toute l’Afrique australe.
2.2.3.2. L’Afrique du Sud : dernière colonie africaine ? En Afrique du Sud, la victoire électorale du Parti National en 1948 conduit à l’instauration
de l’Apartheid. Le choix d’une politique ségrégationniste entraine la rupture avec le
Royaume-Uni et l’Afrique du Sud engage un bras de fer avec l’ONU pour le contrôle du SudOuest africain : le territoire de l’actuelle Namibie avait été confié en mandat par la SDN mais
l’Afrique du Sud refuse de le remettre sous la tutelle de l’ONU.
La situation sud-africaine reste bloquée jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Frederik de Klerk
en 1989 :
• Les négociations permettent l’accession à l’indépendance de la Namibie en mars
1990. Celle-ci reste néanmoins dans l’aire d’influence de l’Afrique du Sud.
• L’abolition de l’Apartheid en 1991 permet la négociation d’une constitution
démocratique et non raciale entre le Parti National, l’ANC représenté par Nelson
Mandela (libéré en 1990 après 27 années de bagne) et le Zoulou Inkatha représenté
par Mangosuthu Buthelezi. L’élection de N. Mandela à la présidence de la
République en 1994 marque la fin du processus de démocratisation.
GEOPOLITIQUE ECS1
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MODULE I – Thème 1 – CHAPITRE 5
La fin de l’Apartheid en Afrique du Sud met un point final à la séquence d’accession à
l’indépendance de nombreux territoires africains depuis la fin de la Première Guerre
mondiale. L’Afrique du Sud présente en effet la double originalité d’être une colonie et une
puissance coloniale, une des premières et une des dernières colonies. Sa durée et son
rôle expliquent aussi l’importante influence de ce pays sur toute l’Afrique australe.
Politiquement indépendants, mais souvent instables et peu armés économiquement, les
nouveaux pays issus des empires coloniaux doivent acquérir une légitimité internationale
pour s’insérer dans le « concert des nations ». Cette affirmation est complexe dans un contexte
où la bipolarisation impose un positionnement. Après l’impérialisme colonial, les pays
nouvellement créés découvrent une nouvelle forme d’assujettissement.
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