Extrait du guide des analyses spécialisées Cerba

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Entérovirus
Les entérovirus humains regroupent plus de 70 sérotypes qui appartiennent tous à la famille des Picornaviridae (petit virus à ARN) et au genre Enterovirus.
Cette famille comprend également les genres Aphtovirus, Cardiovirus, rassemblant des virus pathogènes
pour les animaux, et les genres Hepatovirus (virus de
l’hépatite A) et Rhinovirus (plus de 100 sérotypes). La
classification traditionnelle des entérovirus, basée sur
des critères sérologiques et de pouvoir pathogène chez
l’animal, décrivait 3 poliovirus (PV), 23 coxsackievirus A (CVA), 6 coxsackievirus B (CVB), 29 echovirus
(EV) et 4 entérovirus non classés, numérotés de 68 à
71. Une nouvelle classification en espèces, basée sur la
séquence nucléotidique du génome, a été proposée
(tableau 6). Elle distingue 5 espèces : PV et entérovirus
A, B, C et D. Elle exclut les anciens EV 22 et 23, très
différents des autres entérovirus humains, qui sont
maintenant classés à part dans le genre des Parechovirus.
Les entérovirus sont de petits virus de 25 à 30 nm de
diamètre, non enveloppés. La capside, de symétrie icosaédrique, protège un ARN monocaténaire linéaire de
polarité positive d’environ 7,5 kb, constitué d’un cadre
de lecture unique entouré de deux régions non codantes
aux extrémités 5′ et 3′. L’ARN viral, lié en 5′ de façon
covalente à une petite protéine virale (VPg), et polyadénylé en 3′, est directement messager. La maturation de
la polyprotéine codée par le gène unique va donner
naissance par clivages successifs aux quatre protéines
de structure VP1 à VP4 qui constituent la capside et
aux protéines non structurales, polymérase et protéase.
Ces virus sont capables d’une variabilité génétique
importante, avec l’apparition de mutations ponctuelles
mais aussi la possibilité de recombinaisons génétiques
entre souches infectant le même individu.
Tableau 6. Classification des EV humains
Espèces (5)
Poliovirus
Entérovirus humains A
Entérovirus humains B
Entérovirus humains C
Entérovirus humains D
Sérotypes (64)
Poliovirus 1-3
Coxsackievirus A2-8, 10, 12, 14 & 16
EV 71
Coxsackievirus A9
Coxsackievirus B1-6
Echovirus 1-7, 9, 11-21, 24-27, 29-33
EV 69
Coxsackievirus A1, 11, 13, 15, 17,
18-22 & 24
EV 68 & 70
In : Couderc T. – Les entérovirus humains. – In : Cours de virologie systématique.
– Paris : Institut Pasteur, 2002 ; p. 17.
Les entérovirus sont relativement résistants du fait de
leur absence d’enveloppe : ils peuvent persister plusieurs mois à température ambiante dans le milieu extérieur et résistent à l’acidité (stables de pH 3 à pH 10).
Ils ne sont inactivés que par la chaleur (au-dessus de
50 °C) et par les antiseptiques et désinfectants majeurs.
Ils sont un très bon témoin de la contamination virale
des eaux usées et sont utilisés pour valider l’activité
virucide des antiseptiques et désinfectants.
L’homme est le seul réservoir des virus qui peuvent
l’infecter. La barrière d’espèce entre entérovirus animaux et humains n’est cependant pas totale : des
entérovirus humains ont été isolés de différentes espèces
animales et il est reconnu que l’entérovirus 70 est un
virus animal qui s’est adapté à l’homme, chez qui il
n’est isolé que depuis 1969.
Ces virus sont ubiquitaires. Leur diffusion évolue sous
forme endémo-épidémique en zone tropicale et sous
forme sporadique et épidémique en zone tempérée, avec
des bouffées épidémiques en été et en automne
d’ampleur variable. Plusieurs virus peuvent circuler au
cours d’une même épidémie : ainsi, les EV 13 et 30 ont
été les plus souvent isolés au cours de la très large épidémie constatée en France en 2000.
Le cas des trois PV, responsables de la poliomyélite
antérieure aiguë (PAA), est particulier, avec une modification constante de leur épidémiologie au cours des
deux siècles précédents et la mise au point d’une vaccination efficace en 1955. Jusqu’au milieu du xixe siècle,
les infections à PV étaient endémiques et atteignaient
essentiellement les jeunes enfants, avec une très large
majorité de formes asymptomatiques et de très rares
formes paralytiques. Avec l’amélioration régulière des
conditions d’hygiène, l’âge de l’infection a reculé, provoquant un pourcentage plus important de formes
symptomatiques et la diminution du nombre des personnes déjà immunisées. De larges épidémies de formes
paralytiques sont alors apparues jusqu’aux années
1950–1960 et à la mise en place de la vaccination systématique dans les pays développés. La transition vers
une phase épidémique s’est produite plus tardivement
dans les pays en voie de développement.
En 1988, une campagne de vaccination élargie visant à
éradiquer la maladie pour l’an 2000 a été lancée par
l’OMS. La PAA est considérée comme déjà éradiquée
en Amérique, mais elle ne l’est toujours pas en Europe,
où de petites épidémies se sont produites récemment
dans des communautés refusant la vaccination (PaysBas en 1992, Bulgarie en 2000). En France, aucune
souche de poliovirus « sauvage » n’a été isolée dans
l’environnement de 2000 à 2004. Seuls 3 000 cas de
PAA ont été déclarés dans le monde en 2001, soit une
décroissance de 99 % par rapport à 1988. En 2006,
90 % des cas de PAA ont été recensés dans les pays
endémiques (Nigeria, Inde, Afghanistan, Pakistan).
Tableau 7. Entérovirus, contexte clinique des prélèvements
positifs (1 880 patients)
La transmission des entérovirus est le plus souvent
fécale-orale, interhumaine directe ou indirecte par le
biais d’eau ou d’aliments souillés. Elle peut être également respiratoire ou conjonctivale pour certains sérotypes. Elle est facilitée par la production de quantités
très importantes de virus chez le sujet infecté et par la
durée prolongée du portage et de l’excrétion virale dans
les sécrétions pharyngées (quelques jours à quelques
semaines) ainsi que dans les selles (quelques semaines à
plusieurs mois), même après une infection inapparente.
Il a été montré que 3 % des femmes enceintes en fin de
grossesse ou que 9 % des enfants entrant à l’hôpital
pour tout type de raison étaient excréteurs d’entérovirus dans les selles, avec un risque non négligeable de
transmission nosocomiale.
Signes cliniques
Signes cérébro-méningés
L’incubation est de 7 à 14 jours pour les infections
transmises par voie orale, beaucoup plus courte
(quelques heures) pour les infections conjonctivales.
Après une première multiplication oropharyngée puis
digestive, qui peut provoquer une diarrhée transitoire,
le virus gagne les organes cibles (système nerveux central, muscle strié, peau) par voie hématogène. Dans le
cas de la PAA, c’est la destruction des neurones moteurs
de la substance grise de la moelle qui va provoquer la
paralysie.
La plupart des infections sont inapparentes (autour de
98 % dans le cas des infections par les PV). Dans le cas
d’infections symptomatiques, on constatera majoritairement des syndromes fébriles et respiratoires sans
particularité (15 % du total des infections respiratoires aiguës : rhinites, bronchites, bronchiolites, pneumonies), mais aussi des syndromes d’évolution plus
grave et parfois fatale : atteintes neurologiques (méningites à liquide clair, méningo-encéphalites, une dizaine
de cas par an en France, paralysies ataxies), cardiaques
(myocardites, péricardites), musculaires (myosite, maladie de Bornholm), cutanéo-muqueuses (éruptions
maculopapuleuses estivales, herpangine, syndrome
pied-main-bouche, conjonctivites hémorragiques),
infections néonatales parfois gravissimes. En dehors des
syndromes paralytiques de type PAA, les atteintes
neurologiques guérissent le plus souvent sans séquelles.
Les principales manifestations cliniques des prélèvements positifs en France en 2005 sont résumées dans le
tableau 7.
À quelques exceptions près, il n’y a pas de spécificité
d’un entérovirus précis pour un syndrome clinique particulier, comme le montre le tableau 8.
N
1 454
%
77,3
Syndrome infectieux
196
10,4
Signes respiratoires
78
4,1
Signes digestifs
Signes cardiaques
74
10
3,9
0,5
Syndrome pied-main-bouche
8
0,4
Signes neuromusculaires
Autres
6
54
0,3
2,9
1 880
100
Total
In : Réseau de surveillance des entérovirus. – Bilan de l’activité au cours de
l’année 2005. – Saint-Maurice : InVS, 2006 ; p. 3.
Il faut surtout garder à l’esprit que :
• les entérovirus sont la première cause d’atteinte infectieuse du système nerveux central : 30 000 à
50 000 cas annuels d’hospitalisation pour méningite
aux États-Unis, plusieurs milliers de cas de méningites
à liquide clair par an en France ;
• d’autres entérovirus que les PV sont susceptibles de
provoquer des syndromes paralytiques de type PAA.
Il est très important d’en faire un diagnostic précis
dans le cadre du suivi de l’éradication de la PAA ;
• les entérovirus causent à eux seuls 50 % des myocardites aiguës, qui sont souvent mortelles chez le
nourrisson ;
• enfin, malgré leur tropisme entérique certain, les
entérovirus sont rarement considérés comme responsables d’infections gastrointestinales.
En dehors d’infections aiguës passant à la chronicité
dans le cadre d’une immunodépression acquise, les
entérovirus sont responsables de pathologies chroniques particulières : méningo-encéphalites chroniques
au cours des déficits de l’immunité humorale, myocardites chroniques, cardiomyopathies dilatées, syndrome postpoliomyélitique. Ce dernier syndrome
correspond à l’apparition de nouvelles douleurs musculaires et atrophies plusieurs dizaines d’années après une
PAA, dans environ 30 % des cas. Les entérovirus ont
également été incriminés dans la survenue de diabètes
insulinodépendants.
Il n’existe pas de thérapeutique spécifique. Le traitement est symptomatique.
La prophylaxie repose essentiellement sur la lutte
contre la transmission par l’assainissement des eaux
usées, l’éducation sanitaire (lavage des mains), la surveillance des souches circulantes, la surveillance du
milieu naturel, des aliments, des eaux usées.
Tableau 8. Manifestations cliniques et sérotypes des entérovirus impliqués
Syndromes
Infection asymptomatique
Sérotypes impliqués
Tous sérotypes
Syndrome « poliomyélitique » avec paralysie
PV1-3, E70, E71, CAV7
Méningite aseptique/méningo-encéphalite
Myocardite aiguë
PV, CAV, CBV, ECV, E71
CBV
Maladie de Bornholm
CBV
Syndrome pied-main-bouche
Herpangine
Exanthème
Conjonctivite aiguë hémorragique
CAV16, E71
CAV, CBV, ECV
CAV, CBV
E70, CAV24 (variant)
Infections néonatales
CBV, ECV
Fièvre non spécifique
maladie respiratoire
CAV, CBV, ECV
In : Bailly JL, Chambon M, Peigue-Lafeuille H. – Diversité et variabilité des entérovirus. – Virologie 1999 ; 3 : p. 284.
La PAA est la seule maladie bénéficiant d’une vaccination. Deux vaccins sont utilisables, contenant chacun
les trois sérotypes de PV :
• le vaccin Salk (1955) ou VPI est un vaccin inactivé
par le formol. Il est administré par injection et peut
être associé à d’autres vaccins inactivés. Son innocuité
est totale, y compris chez l’immunodéprimé. L’immunité humorale acquise est excellente et prolongée
(10 ans). Il nécessite cependant des rappels réguliers
et ne provoque pas d’immunité digestive locale : il
n’empêche pas la circulation du virus sauvage. C’est
le vaccin utilisé en France pour la vaccination obligatoire, avec trois injections à 1 mois d’intervalle à partir du 2e mois de vie, un rappel à 15–18 mois puis à
6 ans et à 11–12 ans puis tous les 10 ans environ ;
• le vaccin Sabin (1956) ou VPO est un vaccin vivant
atténué. Les trois souches virales peuvent se multiplier dans le tractus digestif après administration par
voie orale, sans provoquer d’atteinte neurologique.
Ce vaccin est peu cher et se prête facilement aux campagnes de vaccination en zone d’endémie. Il a été
retenu par l’OMS pour la campagne d’éradication
débutée en 1988. L’immunité acquise est rapide et
durable, l’immunité locale digestive permet de bloquer la circulation de virus sauvages. Cependant, il
existe une possibilité de réversion vers un phénotype
sauvage et des cas de PAA associés à la vaccination
peuvent être constatés chez le vacciné ou dans son
entourage par circulation d’une souche vaccinale
révertée. Le risque est évalué à 1 PAA pour 2,5 millions de doses distribuées et plusieurs épidémies de
PAA liées à du virus vaccinal ont été constatées ces
dernières années avec le programme élargi de vaccination. Pour limiter ce risque, il est indispensable de
vacciner tous les individus d’une même population en
même temps.
En raison des difficultés de réalisation et/ou d’interprétation de la sérologie, le diagnostic des infections à
entérovirus repose essentiellement sur la détection
directe du virus par culture cellulaire ou par biologie
moléculaire.
La plupart des entérovirus sont isolables en culture cellulaire, sur différentes lignées continues ou sur cellules
diploïdes de type MRC5, avec des sensibilités variables
selon les cellules et les virus. On recherchera l’apparition d’un effet cytopathogène (ECP) après 2 à 10 jours
de culture. À l’état frais, apparaissent des foyers de cellules arrondies, d’abord gonflées puis diminuées de
volume, réfringentes, se détachant facilement du tapis.
Cet ECP n’est pas très caractéristique à ce stade. En
revanche, après coloration hémalun-éosine, la présence
de petites cellules arrondies contenant une volumineuse
inclusion éosinophile intracytoplasmique repoussant un
noyau rétracté en périphérie est spécifique des entérovirus.
Il est également possible de détecter précocement la présence d’antigènes viraux en culture en utilisant des anticorps monoclonaux spécifiques d’antigènes communs à
tous les entérovirus.
Certains CAV ne peuvent cependant pas être cultivés,
sauf par inoculation au souriceau nouveau-né, technique très peu répandue. Par ailleurs, si l’isolement des
entérovirus est relativement facile à partir des selles, il
est beaucoup plus délicat à partir du LCR ou de fragments biopsiques.
L’identification précise du virus en cause est réalisée par
séroneutralisation de l’ECP à l’aide de mélanges d’antisérums spécifiques. Cette technique est lourde et complexe et n’est pratiquée que par un petit nombre de
laboratoires de référence. Elle peut être remplacée par
le séquençage du génome viral après amplification par
RT-PCR.
Une sensibilité très supérieure à la culture cellulaire a
été obtenue par la mise au point de techniques de RTPCR dites consensus ou universelles, dont certaines sont
commercialisées, et qui amplifient tous les entérovirus
humains. La séquence amplifiée, dans la région 5′ non
codante du génome viral, est en effet très conservée
dans toutes les espèces du genre. Le résultat est qualitatif et permet de répondre « présence d’un entérovirus »,
sans précision du sérotype en cause. Si un tel degré de
précision est requis, comme c’est le cas pour les formes
paralytiques, l’identification pourra être réalisée secondairement par une nouvelle PCR et un séquençage de
la région du génome codant la protéine de capside VP1.
Le Centre National de Référence des entérovirus évalue
actuellement une PCR entérovirus aussi sensible que
celle couramment utilisée, mais qui permettrait également l’identification génotypique directe des entérovirus dans le LCR.
La PCR est maintenant utilisée en priorité sur le LCR
pour le diagnostic des formes neurologiques, sur les
liquides de séreuse et les biopsies, ainsi que pour le
diagnostic des formes chroniques.
L’isolement ou la détection d’un entérovirus dans les
selles ou dans la gorge peut poser des problèmes d’interprétation, au contraire d’un isolement ou d’une détection dans un LCR, un liquide de séreuse ou une biopsie.
En effet, la présence d’un entérovirus dans les selles ou
la gorge ne permet pas à elle seule de faire la différence
entre une excrétion virale sans pathologie et une véritable infection à entérovirus. D’autres arguments, en
particulier cliniques, sont nécessaires.
La sérologie peut être prise en défaut pour le diagnostic
des pathologies aiguës, en raison de l’apparition retardée des anticorps. Il est possible :
• de titrer les anticorps totaux par réaction de fixation
du complément (RFC) à l’aide de mélanges d’antigènes de groupe (entérovirus, coxsackies A, coxsackies B, echovirus). On recherche une ascension d’un
facteur 4 du taux des anticorps constatée sur deux
sérums à 15 jours d’intervalle. Un taux isolé supérieur
ou égal à 128 peut déjà être considéré comme significatif, mais reste à interpréter avec prudence ;
• de titrer les anticorps neutralisants dirigés contre les
différents entérovirus. Cette technique est beaucoup
plus spécifique et il y a peu de réactions sérologiques
croisées : mais il faudra tester tous les virus susceptibles d’être en cause, ce qui est particulièrement
lourd ;
• de rechercher les IgG et les IgM par EIA. La recherche
des IgM paraît la plus intéressante, aussi bien en
phase aiguë qu’en cas de suspicion d’infection chronique. Leur persistance a en effet été montrée dans ce
cas.
Le contrôle d’immunité anti-PV utilise la technique de
séroneutralisation : le sérum du patient est incubé en
présence du virus, puis ce mélange est inoculé à des cellules permissives, gardées ensuite à l’étuve pendant
5 jours. La révélation se fait par lecture de l’ECP
obtenu : la dernière dilution de sérum qui protège totalement les cellules détermine le titre d’anticorps neutralisants présents. Un titre supérieur ou égal à 40 est
considéré comme protecteur.
La vaccination anti-PV est particulièrement efficace.
Les indications du contrôle d’immunité sont donc limitées au contrôle d’une éventuelle vaccination antérieure
non tracée (absence de carnet de vaccination), à l’exploration d’un éventuel déficit de l’immunité humorale,
aux contre-indications d’un rappel de vaccination.
☞
(
Interférons
Antona D, Lévêque N, Dubrou S, Chomel JJ, Lévy-Bruhl D, Lina B.
Surveillance des entérovirus en France métropolitaine, 2000-2004.
BEH – Bulletin épidémiologique hebdomadaire 2005 ; No 39-40 :
200-202.
Couderc T.
Les entérovirus humains.
In : Cours de virologie systématique.
Paris : Institut Pasteur, 2002 ; 20 p.
Réseau de surveillance des entérovirus.
Bilan de l’activité au cours de l’année 2005.
Saint-Maurice : InVS, 2006 ; 6 p.
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