LE PLAN COMMUNAL DE SAUVEGARDE Bacchus ou la revanche de la République... N ul n'ignore le passé viticole de la cité Domératoise. Durant des siècles, les vignes furent la principale activité agricole de la commune. Il était donc tout à fait logique d'y voir un hommage appuyé rendu au dieu Romain du vin et de l'ivresse. Sous la municipalité de Jean-Dechaud, élu en 1887, l'anticléricalisme est à son apogée, à mesure qu'approche le centenaire de la Révolution Française. Et l'enracinement républicain des élus Domératois se traduit par une guerre permanente contre les représentants de l'église qui se succèdent ici. Place de l'église, à mesure que les bornes fontaines s'implantent dans le centre bourg (Cf. page 17), c'est bien naturellement que les élus, sous l'impulsion de Joseph-Aumoine, alors adjoint de Jean-Dechaud, font le choix de la représentation de Bacchus pour agrémenter le point d'eau de la place centrale... Debout fièrement sur ses barriques de vin, Bacchus prône les valeurs de la bonne chère. Et le choix de cette figure, s'il est bien entendu lié à l'activité de la vigne, n'est pas totalement le fruit du hasard non plus. D'autant qu'il tourne très clairement le dos à l'église Notre-Dame située juste derrière la fontaine... Et comme les élus ne sont pas à une provocation près envers l'Eglise qui le leur rend bien, l'inscription qui y figure ne laisse aucune place au doute quant aux intentions de Jean-Dechaud et Joseph-Aumoine : « 1889. Erigé par la première municipalité républicaine et ouvrière de Domérat ». Cette statue, symbole encore fort de Domérat, pose toujours sa forte personnalité sur la place. Si les combats entre républicains et cléricaux se sont bien assagis depuis, l'emplacement de cette désormais statue, puisque la fontaine a disparu, reste Marianne plutôt que la croix ! En ces temps particulièrement virulents envers les représentations religieuses (1870 est encore tout proche dans la mémoire collective et plus localement, en 1848, la révolte de la Brande des Mottes), les élus Domératois ne sont plus à une provocation près ! La même année où est érigée la statue de Bacchus tournant le dos à l'église, un buste de Marianne est inauguré sur la place du Prince qui possède de longue date une croix... Placée à l'arrière plan de Marianne, la croix semble être restée encore trop visible 16 Domérat infos - janvier 2014 une particularité originale de notre centre ville, tout comme l'apposition des symboles de la République sur le fronton de l'église (Cf. page 19). Conjointement, la même année, et toujours dans le programme d'installation de l'eau et des fontaines en centre bourg, une autre borne est installée cette fois face à la mairie d'alors (l'actuelle médiathèque). Fontaine rue Marcel-Cachin Les élus ne boudent pas leur plaisir d'envoyer de nouveau une pique à l'Eglise puisqu'ils réaffirmeront là encore leurs valeurs Républicaines en inscrivant « Rien à l'oisif valide, tout au producteur ». Ce qui avait pour volonté d'éclairer sur la passivité des gens d'église contrairement aux travailleurs... au goût de Joseph-Aumoine qui, lors du Conseil Municipal du 2 février 1890, insiste sur le fait que « cette croix placée au milieu de cette place enlève beaucoup d'aspect au monument sur lequel est érigé le buste et qu'en conséquence, il serait nécessaire d'enlever la dite croix ». Aussitôt dit, aussitôt fait, puisque cette proposition recueille l'unanimité ! Ainsi, la place du Prince deviendra la place de la Marianne sur laquelle ont peut toujours l'admirer. L'eau, source de développement... A l'aube du 20e siècle, Domérat est, comme la majorité des villages de France, en pleine mutation de l'ère rurale vers l'ère industrielle, notamment grâce au développement de Montluçon. Les différents épisodes climatiques peu favorables à la vigne ont progressivement raison de cette activité. Les usines Montluçonnaises attirent les travailleurs, même si l'exode n'est pas aussi massif que ce que craignaient les élus de l'époque. Domérat bascule donc dans l'autre siècle, celui de la modernité. Les élus souhaitent que celle-ci profite à tous et installeront donc plusieurs équipements qui permettront d'accéder à une meilleure qualité de vie, dont de multiples fontaines dans le bourg et les villages alentours, pour permettre à chacun de s'alimenter en eau potable. Par captage de la source du Salut (près des actuels ateliers municipaux), trois bornes fontaines sont installées sur la place de l'église (Bacchus), devant la mairie (actuelle médiathèque où l'on peut encore en voir une en face du bâtiment Jules-Ferry) et une sur la place de la Marianne. Toutes comportent des inscriptions qui affirment haut et fort l'attachement des élus aux valeurs républicaines ! Elles fonctionneront jusqu'aux lendemains de la seconde guerre mondiale et resteront, jusque là, les seuls points d'alimentation en eau du centre Bourg... Les différents villages entourant Domérat ont été reliés à l'eau progressivement, après le centre. Mais le projet fut de longue haleine. Il faut attendre 1907 pour que le Lac (près de la Pérelle) soit équipé, puis 1909 pour le village de Ricros. Couraud bénéficiait d'une source réputée intarissable (la Font- L’eau, au coeur des préoccupation avec le lavoir de Couraud, ci-dessus, et la fontaine offerte par Eugène-Jardon - ci-dessous. Chaude) et fut rapidement équipé. Montluçon demanda d'ailleurs à bénéficier de cette captation afin de pouvoir alimenter les casernes Richemond, ce qui ne fut pas un épisode sans conflit... le maire Jean-Dechaud, en 1906, étant ouvertement opposé à Paul-Constans, alors premier édile socialiste de la ville voisine. Après d'âpres négociations, Montluçon pu également bénéficier de cette précieuse source pour l'avénement de bien meilleures conditions d'hygiène. Pour parfaire ce développement du centre Bourg et des villages environnants, des lavoirs furent également construits dès 1897 à Prunet notamment. Celui de Couraud sera rénové. Il est toujours visible impasse de la Font Chaude. Eugène-Jardon, maire de Domérat entre 1929 et 1939, fait don à la ville d'une petite fontaine que l'on peut également apercevoir à l'angle de la rue Jean-Jaurès et de la rue de la Libération où une plaque a été Domérat infos - janvier 2014 17 Le moulin de Crevant vers 1900... apposée sur la maison qu'il occupait. Jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, Domérat et ses villages devront se contenter des fontaines pour s'approvisionner en eau, avec les risques bactériologiques qui s'ensuivent... Ce n'est pas non plus sans poser de problèmes, en été, où les sources sont de moindre importance. Et même si les préoccupations écolo- ...et de nos jours giques ne sont pas prioritaires, le traitement des eaux usées devient une véritable urgence. Il faut donc attendre le milieu des années 50 pour qu'enfin soit mis en place, sous forme de syndicat intercommunal, une structure mettant en œuvre l'assainissement et l'alimentation en eau de Domérat. Dans les années 60-70, l'ensemble des foyers sont raccordés et les fontaines tombent progressivement dans l'oubli pour entrer dans le patrimoine ! L'eau a également joué un rôle important pour le village de Crevant : une huilerie et surtout un moulin s'y sont installés grâce au passage du Bartillat. Par miracle, il a été préservé et son immense roue est toujours visible. Les très riches heures de l'Eglise On retrouve trace de la paroisse de Domérat dès le 11e siècle où les Chanoines d'Evaux fondent leur ordre et entreprennent la construction de la Crypte, encore visible de nos jours. C'est d'ailleurs l'une des 18 Domérat infos - janvier 2014 La crypte du 12e siècle plus importantes du Bourbonnais avec une surface de plus de 40m2. Elle se compose de trois nefs voutées en plein cintre*, et 5 travées**. Un petit autel accueille la statue de Notre Dame de la Rache encore très vénérée. Il faut dire que Domérat était prospère et possédait de nombreuses vignes. Ce qui permettait d'espérer des dîmes de raisins conséquentes. Et la ferveur religieuse des 11e et 12e siècles a permis l'extension de la propriété des moines qui bâtirent ainsi de nombreuses églises, monastères et chapelles ou prieurés. La première mention de l'église de Domérat remonte à 1158, de même qu'est indiqué le prieuré de Ricros, de Crevant, Couraud ou Prunet. Ces villages, alors indépendants, possédaient tous leurs propres lieux de culte. Hormis l'église du centre ville, tous les autres bâtiments ont désormais disparus. L'église Notre Dame de Domérat est donc une église de type Roman (12e siècle), très fréquent en Auvergne notamment. Elle a cependant été légèrement remaniée en 1860 : le transept a été allongé et la façade a été entièrement refaite de ce fait. Alors qu'elle ne comportait qu'un portail sans tympan, elle en sera équipée de trois. Une rosace est apposée en 1862. Le clocher, de 40 mètres, a également été remanié à cette époque pour accueillir les cloches. Deux fenêtres ont été ouvertes sur chaque face. L'intérieur connaît l'austérité des bâtiments romans mais possède de nombreuses fresques. Que le visiteur ne s'y trompe cependant pas : elles datent de la moitié du 19e siècle, reproduisant les anciennes qui avaient été recouvertes entièrement précédemment... On y voit représentés les Saints chers aux Domératois : Saint Pardoux, Saint Blaise, Saint Maur ou Saint Abdon. En extérieur, on pourra observer à l'arrière, sur le pignon du choeur, une croix pattée et un agneau crucifère identique à celle que l'on peut également voir à Huriel. Jusqu'au 19e siècle, l'église rythme la vie des Domératois au grè des fêtes religieuses et les cloches battent le temps. Les registres paroissiaux enregistrent vies et morts de la paroisse. L'harmonie ne connaît pas d'ombres, même si les Domératois semblent avoir du tempérament, notamment au 18e siècle ! En 1733, l'Archevêque de Bourges rend visite à la paroisse de Domérat tenue par le curé Dubois, prêtre de l'ordre de Saint Augustin. Il est alors rapporté dans le registre que deux confréries, l'une du Sacré Coeur et l'autre de Saint Maur, s'affrontent régulièrement après quelques excès de vin... L'Archevêque recommande donc au Curé de dire la messe le jour de la fête de l'une et l'autre des confréries, et de maintenir les paroissiens fermés le reste de la journée, sauf à bien vouloir accepter quelques règles de conduite ! En 1741, alors que la troisième cloche est bénie, le Prieur la cassa « par amusement, parce qu'elle n'était pas d'accord avec le seconde et la quatrième »... Détail de peintures polychromes de Notre Dame Comme le prieuré et ses nombreuses dépendances occupent quasiment l'ensemble de l'actuelle place Bacchus, hormis la petite place des Paisseaux (qui a disparu aujourd'hui), les rapports avec les Domératois vont se tendre au moment de la chute de l'ancien régime. En 1839, le conseil de la commune s'octroie une dépendance de la paroisse, appelée la Boulangerie, dans l'attente de la construction de la mairie « puisque Monsieur le Curé occupe un des plus vastes presbytères du département ». Ses rapports difficiles s'amplifient sous les 2e et 3e Républiques. A partir de 1869, la guerre est déclarée entre l'église et la Municipalité de Pierre-BeaujonFils. Elle atteint son paroxysme sous la mandature de Jean-Dechaud. Une des tactiques de ces fervents républicains, pour contrecarrer le pouvoir de l'Eglise, sera de grignoter progressivement son patrimoine. C'est à cette période que seraient apposées les lettres «R.F.» si particulières, que l’on peut voir sur le fronton de l'église. Le Conseil a, en effet, décidé l'illumination de tous les bâtiments communaux pour les fêtes du 14 juillet. Les lettres auraient donc été disposées à cette occasion. Jean-Dechaud fera abattre les dépendances de l'église qu'il juge inutiles (hangar, boulangerie etc.) et façonnera ainsi l'esquisse de la place que nous connaissons actuellement en réunissant l'église et les Paisseaux. Le bâtiment religieux ne connaîtra pas de réelles modifications avant la moitié du 20e siècle : en 1948, la foudre s'abat sur le clocher ce qui nécessite d'importantes réparations. Mais, depuis la fin du 19e, les relations sont désormais appaisées... * La courbe intérieure d'une voûte. ** Espace compris entre deux points d'appui principaux ... Domérat infos - janvier 201419 Notre Dame de la Râche Depuis fort longtemps, à Domérat, on se déplace pour prier Notre Dame de la Râche, reconnue, semble-t-il, pour venir à bout des maladies de peau. En descendant dans la Crypte de l'église, on rencontre en effet une statue de pierre, polychrome, symbolisant une vierge à l'enfant et que l'on évoque volontiers dès qu'apparait la « râche » (impétigo ou gourme). Notre Dame de la Râche est une statue classée au Monuments Historiques depuis 1938. Elle remplace probablement une statue plus ancienne encore en bois. Durant la Révolution, en 1793, un fait divers raconte que les révolutionnaires souhaitant briser la statue, se sont eux-mêmes brisés les os tombant de l'échelle qu'ils utilisaient pour faire chuter Notre Dame de la Râche. Ils tombèrent morts, provoquant ainsi l'effroi de leurs complices. L'église est alors fermée jusqu'à la réouverture du culte où la statue trouva refuge dans la Crypte. Des chapelles et des Saints © Crédits photo INRAP Chaque village possédait sa propre église. C'est seulement lorsque les hameaux ont été raccrochés à Domérat que ces lieux de culte ont progressivement disparu pour la plupart... Mais l'histoire a tout de même retenu ces chapelles. A Crevant, une véritable petite ville était installée avec son four banal, son pressoir, son moulin et son prieuré Saint Abdon. La tradition des fêtes de village reste bien vivace comme le Traffugeau, entre fête païenne et catholicisme. On brûle les sarments de la vigne et les cendres sont conservées comme talisman. A Couraud, on avait également une chapelle Saint Michel. Elle était probablement érigée sur la place du Monument aux Morts. Là aussi, le rite des Brandons et du Traffugeau perdure. De l'église de Givrette, il restait encore très récemment des bâtiments. En 2012, l'INRAP (Institut nationale de recherches archéologiques préventives) mettait à jour les vestiges d'une époque où Saint Pardoux avait ses quartiers ici. A Prunet, dès 1209, on trouve mention d'un prieuré dédié à Saint Blaise et qui conservait en son sein un reliquaire rapporté de Rome. C'est à Pâques que les habitants rendaient honneur à leur Saint Patron. Cette tradition appelée la En 2012, l’Inrap effectue des fouilles préventives sur l’emplacement de l’église de Givrette 20 Domérat infos - janvier 2014 L’église de Givrette - Fin 19e, début 20e fête à Pournet, perdure jusque de dans les années 80. De même à Ricros, c'est Saint Michel qui est prié. Une chapelle était probablement située au cœur du village où une croix indiquait son emplacement il y a quelques décennies encore. A la fin des années 50, la petite chapelle en bois dite de Sainte érèse, érigée dans le Parc de la Pérelle en 1929, est transférée à côté de l'école MarcelPagnol. Il n'en reste plus aucune trace. Vignoux est le seul village où persistent des traces de son église, dédiée à Saint Gilbert et à Sainte Marguerite. On peut en observer les restes sur la place du village : elle a été transformée en maison. Sources : Jean-Paul Perrin in « Domérat la Mémoire du temps » - ECB éditeur