Projet de thèse : L’effet tunnel revisité Equipe de recherche : groupe Atomes Froids Laboratoire Collisions Agrégats Réactivité, Université Paul Sabatier, Toulouse Directeur de thèse : David Guéry-Odelin L’effet tunnel selon lequel une particule peut traverser une barrière de potentiel impénétrable d’après les lois de la physique classique constitue l’une des prédictions les plus contre-intuitives de la mécanique quantique. Cet effet résulte de la nature ondulatoire de la matière et dispose en optique d’un équivalent avec la présence sous certaines conditions d’ondes évanescentes à l’interface de deux milieux et dont l’existence échappe à une description géométrique de l’optique. Le concept d’effet tunnel a été généralisé à d’autres situations physiques. L’objet de la thèse est l’étude expérimentale de deux cas intéressants du point de vue fondamental et susceptibles de donner lieu à des applications. L’effet tunnel dynamique, proposé initialement par Michael J. Davis et Eric J. Heller en 1981, considère le passage entre deux régions distinctes d’un espace des phases donnant lieu classiquement à un mouvement périodique ou quasi-périodique [1]. Cette idée a été ensuite étendue au cas d’espaces des phases mixtes pour lesquels des ı̂lots de stabilité, où prennent place des trajectoires périodiques ou quasi-périodiques, sont séparés par une mer chaotique. L’effet tunnel est dans ce cas assisté par le chaos. Le premier objectif de la thèse est de revisiter ce type de situations et de démontrer plus précisément dans ce contexte une propriété remarquable de l’effet tunnel, à savoir la variation non monotone avec les paramètres du systèmes du taux de transition tunnel entre deux ı̂lots stables (voir figure). Des expériences pionnières réalisées en 2001 avaient montré l’existence de cet effet tunnel grâce à des atomes placés dans des réseaux optiques dont l’amplitude était modulée mais n’avaient pas pu mettre en évidence de manière claire cette propriété remarquable [2,3]. Le protocole expérimental retenu différera sensiblement de ces expériences pionnières, et ce à plusieurs niveaux : la préparation des atomes s’appuiera sur le refroidissement ”deltakick” pour bénéficier d’une dispersion en vitesse initiale minimale [4]; le peuplement des ı̂lots se fera par une transformation adiabatique, un guide empêchera les atomes de tomber sous l’effet de la gravité; la longueur d’onde retenue inhibera tout processus d’émission spontanée et enfin l’expérience sera réalisée grâce à un réseau mobile modulé en amplitude. Ces multiples améliorations devraient contribuer à une bien meilleure sensibilité qui sera mise à profit dans notre exprience. 1 D’autres effets proches pourront être mis en évidence, notamment l’effet tunnel chaotique où le système oscille ou diffuse entre un seul ı̂lot de stabilité et la mer chaotique. Enfin, ce système au-delà d’un potentiel simplement modulé par une seule fréquence, peut être modulé par une fonction arbitraire périodique dont la forme permet de façonner les caractéristiques de l’espace des phases. Cette technique ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude de la transition d’Anderson dans l’espace des impulsions [5]. La phase de recherche exploratoire sur ces sujets est menée en étroite collaboration (réunion hebdomadaire) avec des spécialistes du chaos classique et quantique (Bertrand Georgeot, Gabriel Lemarié et Rmy Dubertrand) appartenant au Laboratoire de Physique Théorique de Toulouse. Cette collaboration a d’ores et déjà donné lieu à plusieurs travaux scientifiques [6,7,8]. Figure : Exemple d’espace des phases stroboscopique pour un pendule d’amplitude modulé. A faible profondeur (γ = 0.01), l’espace des phases est régulier avec trois ı̂lots. A plus grande profondeur (γ = 0.15), une mer chaotique sépare les deux ı̂lots de stabilité. Dans un réseau optique, l’effet tunnel intervient en définitive à deux niveaux. La distance submicronique entre deux puits successifs du potentiel permet, pour de faible profondeur, de réaliser des situations où les fonctions d’onde atomique sont délocalisées sur l’ensemble du réseau. A profondeur plus élevée, la dynamique d’un puits donné peut être indépendante de celle du puits adjacent. La profondeur d’un réseau optique permet donc de maı̂triser le couplage tunnel entre les puits. L’effet tunnel est ici standard dans la mesure où il opère dans l’espace réel. Il existe toutefois un autre effet tunnel dans un réseau avec la possibilité pour un atome en mouvement dans 2 un réseau de passer d’une bande énergétique à une autre bande énergétique adjacente. Cet effet, répertorié sous le nom de transition Landau-Zener, n’est ni plus ni moins qu’un effet tunnel dans l’espace des quasi-impulsions. L’équipe de Toulouse a démontré récemment qu’une enveloppe inhomogène permettait de projeter dans l’espace réel ces transitions et de réaliser par suite un nouveau type de barrière tunnel dans l’espace réel dont la probabilité de transmission correspond à celle d’une barrière de quelques 100 nm d’épaisseur [9,10]. Le deuxième objectif de la thèse vise à approfondir ce système pour étudier notamment l’interaction d’un soliton de matière avec une telle barrière tunnel [11,12,13]. Pour réaliser un soliton, un réseau peu profond sera mis en mouvement pour amener un condensat en bord de bande, là où la masse effective devient négative. Cette technique a été mise en évidence pour la première fois par le groupe de Markus Oberthaler en 2004 [14]. La barrière tunnel sera produite par la forme gausisenne de l’enveloppe du deuxième réseau. Les études numériques et théoriques préliminaires sur ce sujet font l’objet d’une thèse co-encadrée par David Guéry-Odelin et Bertrand Georgeot. Cette étude implique de fait la mise en place d’un réseau bichromatique. Ce système comporte une physique très riche que nous souhaitons également aborder au cours de la thèse. Il présente en effet un spectre fractal dans une certaine gamme de paramètres; il constitue l’une des réalisations du modèle de Harper du magnétisme électronique en présence de champ magnétique extrême, et il présente enfin un espace des phases mixtes lorsque l’un des réseaux est pulsé. Références : [1 ] Michael J. Davis and Eric J. Heller Quantum dynamical tunneling in bound states J. Chem. Phys. 75, 246 (1981). [2 ] Daniel A. Steck, Windell H. Oskay, and Mark G. Raizen, Observation of Chaos-Assisted Tunneling Between Islands of Stability Science 293, 274 (2001). [3 ] W. K. Hensinger, H. Hffner, A. Browaeys, N. R. Heckenberg, K. Helmerson, C. McKenzie, G. J. Milburn, W. D. Phillips, S. L. Rolston, H. RubinszteinDunlop and B. Upcroft, Dynamical tunnelling of ultracold atoms, Nature 412, 52 (2001). [4 ] Hubert Ammann and Nelson Christensen, Delta Kick Cooling: A New Method for Cooling Atoms, Phys. Rev. Lett. 78. 2088 (1997). 3 [5 ] Julien Chabé, Gabriel Lemarié, Benoı̂t Grémaud, Dominique Delande, Pascal Szriftgiser, and Jean Claude Garreau, Experimental Observation of the Anderson Metal-Insulator Transition with Atomic Matter Waves Phys. Rev. Lett. 101, 255702 (2008). [6 ] Giovanni Luca Gattobigio, Antoine Couvert, Bertrand Georgeot and David Guéry-Odelin, Interaction of a propagating guided matter wave with a localized potential New J. Phys. 12, 085013 (2010). [7 ] G. L. Gattobigio, A. Couvert, B. Georgeot and D. Guéry-Odelin, Exploring classically chaotic potentials with a matter wave quantum probe, Phys. Rev. Lett. 107, 254104 (2011). [8 ] G.L. Gattobigio, A. Couvert, G. Reinaudi, B. Georgeot and D. GuéryOdelin, Optically guided beam splitter for propagating matter waves Phys. Rev. Lett. 109, 030403 (2012). [9 ] C. M. Fabre, P. Cheiney, G. L. Gattobigio, F. Vermersch, S. Faure, R. Mathevet, T. Lahaye and D. Guéry-Odelin, Realization of a Distributed Bragg reflector for Propagating Guided Matter Waves Phys. Rev. Lett. 107, 230401 (2011). [10 ] P. Cheiney, F. Damon, G. Condon, B. Georgeot and D. Guéry-Odelin, Realization of tunable spatial tunnel barriers for matter waves, to appear in Europhysics Letters. [11 ] V. Ahufinger, B. A. Malomed, G. Birkl, R. Corbalán, and A. Sanpera, Double-barrier potentials for matter-wave gap solitons Phys. Rev. A 78, 013608 (2008). [12 ] Valeriy A. Brazhnyi, Chandroth P. Jisha, and A. S. Rodrigues, Interaction of discrete nonlinear Schrödinger solitons with a linear lattice impurity, Phys. Rev. A 87, 013609 (2013). [13 ] Sidse Damgaard Hansen, Nicolai Nygaard, Klaus Mœlmer, Scattering of matter wave solitons on localized potentials arXiv:1210.1681 [14 ] B. Eiermann, Th. Anker, M. Albiez, M. Taglieber, P. Treutlein, K.-P. Marzlin, and M. K. Oberthaler, Bright Bose-Einstein Gap Solitons of Atoms with Repulsive Interaction Phys. Rev. Lett. 92, 230401 (2004). 4