Traitement chirurgical de l ulcère gastroduodénal compliqué

DOSSIER THÉMATIQUE
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 200030
ujourd’hui, le traitement chirurgical de l’ulcère
gastroduodénal est réservé aux seules formes com-
pliquées. Ainsi, grâce à l’arrivée des antisécrétoires
type cimétidine, ou surtout plus récemment des inhibiteurs de la
pompe à protons (IPP) et des traitements antibiotiques à visée
d’éradication de Helicobacter pylori (Hp), la chirurgie antiulcé-
reuse élective a presque complètement disparu, notamment les
vagotomies hypersélectives.
Les complications de l’ulcère gastroduodénal comprennent les
hémorragies, qui encore aujourd’hui sont source d’une mortalité
significative, les perforations, et enfin, beaucoup plus rarement,
les sténoses séquellaires.
HÉMORRAGIES ULCÉREUSES
L’hémorragie ulcéreuse reste encore aujourd’hui une complica-
tion redoutable de l’ulcère gastroduodénal. Elle justifie, dès son
diagnostic suspecté cliniquement, l’admission du patient en réani-
mation chirurgicale, la réalisation d’une endoscopie diagnostique
et de plus en plus souvent maintenant thérapeutique, et la sur-
veillance “armée”, afin de ne pas laisser passer l’heure de la chi-
rurgie.
Aujourd’hui, cette chirurgie d’urgence est rarement nécessaire,
en raison :
d’une meilleure connaissance de l’histoire naturelle de l’hé-
morragie ulcéreuse (en fonction des données endoscopiques ini-
tiales) et de son évolution spontanément favorable, avec arrêt de
l’hémorragie, sans recours à la chirurgie dans la grande majorité
des cas (1) ;
– des progrès des traitements endoscopiques qui ont permis de
“reculer” encore l’indication de la chirurgie.
L’indication opératoire
Elle est représentée schématiquement par trois situations princi-
pales :
Tout d’abord l’hémorragie digestive haute d’emblée massive,
avec retentissement hémodynamique et pour laquelle l’endosco-
pie confirme le siège et la nature ulcéreuse de l’hémorragie (le
plus souvent à la face postérieure du bulbe duodénal, devant l’ar-
tère gastroduodénale), son caractère actif, et l’impossibilité d’un
traitement endoscopique efficace. Il s’agit du cas le plus facile
car l’indication est évidente, et le patient est conduit très rapide-
ment, après une courte réanimation, au bloc opératoire.
L’autre situation est plus difficile car il s’agit d’une hémorragie
Traitement chirurgical de l’ulcère
gastroduodénal compliqué
Y. Panis, A. Laurent
*
Une hémorragie digestive massive d’origine ulcéreuse sans
possibilité de traitement endoscopique est une indication opé-
ratoire formelle.
En cas de récidive hémorragique, après asuccès passager
d’un premier traitement endoscopique, un second traitement
enodoscopique peut être réalisé mais le taux d’échec est élevé
et motive une intervention dans un cas sur deux.
En cas d’intervention pour ulcère bulbaire hémorragique, le
meilleur traitement chirurgical est la vagotomie tronculaire
associée à une antrectomie.
En cas d’intervention pour ulcère gastrique hémorragique,
une résection atypique enlevant l’ulcère est préférable à une
gastrectomie élective.
La méthode de Taylor n’est indiquée que dans 10 % des per-
forations ulcéreuses (malade à jeun au moment de la perfora-
tion, pas de syndrome péritonéal, maladie ulcéreuse récente,
pas de corticothérapie au long cours).
La suture ou le patch associé au lavage péritonéal et à l’an-
tibiothérapie peuvent être faits par voie endoscopique.
La sténose ulcéreuse nécessite le plus souvent une vagoto-
mie tronculaire associée à une antrectomie.
En cas de maladie ulcéreuse associée à une infection à
H. pylori,le traitement d’éradication s’impose après traitement
chirurgical de la complication.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
A
* Service de chirurgie digestive, hôpital Lariboisière, Paris.
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 31
à l’origine peu abondante, ou sans retentissement hémo-
dynamique majeur, et pour laquelle une surveillance initiale est
programmée après traitement endoscopique de l’ulcère. L’indica-
tion opératoire est posée devant la récidive hémorragique, qui, si
elle survient de manière abondante, impose une nouvelle endo-
scopie avec nouvelle tentative de traitement endoscopique. En cas
d’impossibilité de réalisation de cette endoscopie ou de geste ne
contrôlant pas l’hémorragie, l’indication opératoire est formelle.
Enfin, et c’est le cas probablement le plus difficile, il faut dis-
cuter la chirurgie après échec de deux traitements endoscopiques,
en cas de déglobulisation non massive, mais progressive et conti-
nue, le retard à la chirurgie augmentant alors de manière impor-
tante la mortalité opératoire, comme cela a été démontré par une
étude contrôlée comparant la chirurgie d’emblée (avec peu de cri-
tères de sélection) à une chirurgie retardée en fonction de critères
plus sélectifs (signes manifestes d’hémorragie active ou récidi-
vante) : la mortalité passait de 4 à 10 % en cas de chirurgie retar-
dée (2). Cette étude ancienne a néanmoins le défaut d’avoir été
faite à une époque où le geste thérapeutique endoscopique était
peu développé.
Une étude contrôlée récente a précisé la place respective de la chi-
rurgie et du deuxième geste endoscopique pour récidive hémor-
ragique (3). Il ressort de cette étude contrôlée que chez la plupart
des patients, une deuxième tentative endoscopique est licite, sans
mortalité ni morbidité surajoutée. La mortalité globale était de
14 % sans différence significative entre chirurgie et deuxième
endoscopie. En revanche, ce deuxième geste endoscopique, qui
avait un taux d’échec global de 24 %, était inefficace, nécessitant
la chirurgie chez 50 % des patients avec ulcère supérieur à 2 cm,
et chez 43 % des patients avec choc hémorragique associé, deux
situations ressorties d’une analyse multivariée comme facteur
indépendant d’échec de cette deuxième endoscopie, qui pousse-
raient alors à choisir dans ces cas, en première intention, la chi-
rurgie, après échec d’un premier geste endoscopique.
Le geste chirurgical
Si l’heure de la chirurgie est souvent discutée, il semble actuel-
lement bien démontré, principalement par une étude contrôlée
française, que le meilleur traitement chirurgical de l’ulcère duo-
dénal hémorragique est représenté par la vagotomie tronculaire-
antrectomie enlevant l’ulcère, suivie d’une anastomose gastro-
jéjunale type Finsterer (4).
L’alternative est représentée par la simple suture-excision de l’ul-
cère, avec vagotomie-pyloroplastie qui exposait dans cette étude
à un risque significativement plus élevé de récidive hémorragique
(17 % versus 3 % après antrectomie). Si la vagotomie-antrecto-
mie peut être jugée par certains, à l’heure des IPP, comme un
geste trop agressif, il faut bien avoir à l’esprit qu’il s’agit d’une
urgence vitale, associée à une mortalité allant jusqu’à 23 % dans
des séries chirurgicales récentes (4),pour laquelle il faut se mettre
au mieux à l’abri d’une récidive hémorragique, un geste chirur-
gical plus limité ne diminuant pas cette mortalité opératoire.
Plus rarement, l’hémorragie est due à un ulcère gastrique. L’in-
dication dépend alors du siège de l’ulcère, la meilleure solution
étant néanmoins d’éviter une gastrectomie étendue non justifiée.
Si c’est possible, il est donc préférable de faire une petite résec-
tion atypique enlevant simplement l’ulcère, afin d’avoir un exa-
men anatomopathologique, qui pourra retrouver un adénocarci-
nome dans 10 % des cas, justifiant alors une gastrectomie
complémentaire à distance.
LES PERFORATIONS ULCÉREUSES
Il s’agit dans l’immense majorité des cas d’une perforation anté-
rieure, dans la région pylorique ou du bulbe duodénal. Sa gravité
est liée à la péritonite qui en est la conséquence. Néanmoins, du
fait des progrès de la réanimation chirurgicale, la mortalité est
faible et touche essentiellement les terrains débilités, les sujets
très âgés, ou bien sûr les retards au diagnostic et au traitement.
Des études ont montré la forte prévalence de la prise d’AINS (jus-
qu’à 50 % environ) chez les patients présentant une perforation
ulcéreuse.
Le traitement conservateur, ou méthode de Taylor
Dans la grande majorité des cas, le traitement est chirurgical.
Néanmoins, un petit pourcentage de patients est une bonne indi-
cation à un traitement conservateur (ou “méthode de Taylor”).
Pour la plupart de ces patients, il s’agit d’être :
– à jeun au moment de la perforation ;
– apyrétiques, sans signes d’irritation péritonéale à l’examen cli-
nique ;
– avec une maladie ulcéreuse récente, et sans corticothérapie au
long cours.
Chez ces patients sélectionnés, une surveillance stricte en milieu
chirurgical, avec sonde d’aspiration gastrique, perfusion intra-
veineuse et IPP à fortes doses (avec ou sans antibiothérapie en
fonction des équipes), est licite.
Une étude contrôlée (5) comparant cette méthode à la chirur-
gie a montré que la mortalité était similaire dans les deux
groupes (5 %), avec une morbidité égale. La seule différence
était une durée d’hospitalisation plus longue en cas de traite-
ment médical (35 % de plus). De plus, le taux d’échec du trai-
tement médical (28 % au total) était significativement plus
élevé chez les sujets âgés de plus de 70 ans. Pour certains
auteurs, plus de 80 % des patients peuvent être traités initiale-
ment médicalement, mais avec un taux de chirurgie secondaire
assez élevé (43 %).
Actuellement, la plupart des équipes considèrent en fait que
la méthode de Taylor doit être réservée à des cas très sélec-
tionnés, plus de 90 % des patients devant être opérés en
urgence.
Ce choix pour la chirurgie a deux justifications principales :
– grâce à l’efficacité des IPP, le traitement chirurgical aura comme
fonction essentielle de laver la cavité péritonéale et de suturer
l’ulcère, sans y associer de geste potentiellement morbide, à type
DOSSIER THÉMATIQUE
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de vagotomie ;
– la chirurgie, de faible morbidité et mortalité, évite une sur-
veillance hospitalière longue.
Le traitement chirurgical
La voie d’abord est fonction des habitudes du chirurgien. Par
laparotomie, et si le diagnostic est fortement suspecté, une
médiane sus-ombilicale est la règle.
Mais l’ulcère perforé est probablement une bonne indication de
la cœlioscopie du fait de la facilité relative des gestes à réaliser
(lavage péritonéal, suture ou patch). Une étude randomisée (6)
comparant l’approche cœlioscopique et par laparotomie a
démontré l’absence de différence en termes de morbidité et mor-
talité (3 % au total).
Le plus souvent, il s’agit d’une perforation antérieure au niveau
du bulbe duodénal, ou dans la région immédiatement prépylo-
rique. Le traitement va être le même :
– un lavage abondant de la cavité péritonéale (associé à une anti-
biothérapie périopératoire) ;
– une suture simple de l’ulcère, que certains remplacent par la
pose d’un patch d’épiploon sur la perforation, ou de colle, avec
des résultats équivalents (6).
S’il s’agit d’un ulcère gastrique, une suture simple est suffisante,
mais auparavant, il est nécessaire d’en réaliser une excision com-
plète par une gastrectomie atypique, afin d’en avoir un examen
anatomopathologique.
Depuis l’arrivée des IPP et des traitements anti-Hp,la place
des traitements chirurgicaux de l’ulcère (vagotomie tronculaire
ou hypersélective, vagotomie-antrectomie) s’est considérable-
ment réduite. Aujourd’hui, la plupart des auteurs s’accordent
à penser que le principal est de traiter la perforation (par suture
simple) et ses conséquences péritonéales (lavage-antibiothéra-
pie), la maladie ulcéreuse étant alors efficacement traitée dans
la période postopératoire par IPP et antibiotiques à visée d’éra-
dication d’Hp si l’infection à Hp est confirmée. Un geste asso-
cié à type de vagotomie exposerait le patient à un risque non
négligeable de complications (diarrhée, dumping syndrome,
etc.), probablement inutile du fait de l’efficacité actuelle du
traitement médical.
LA STÉNOSE ULCÉREUSE
Il s’agit d’une complication devenue aujourd’hui rare, grâce à
l’efficacité croissante des différentes générations d’antiulcéreux.
La sténose ulcéreuse est souvent l’aboutissement d’une longue
histoire, le plus souvent négligée, l’affection étant la plupart du
temps découverte à un stade où toute tentative de traitement
médical est vouée à l’échec.
Néanmoins, il faut garder à l’esprit qu’une sténose duodénale
complète d’origine ulcéreuse peut avoir une composante inflam-
matoire importante qui répondrait à un traitement médical inten-
sif. Dans ces cas-là, l’habitude est de proposer systématiquement
ce traitement et de poser l’indication chirurgicale seulement après
échec du traitement médical. En fait, on observe souvent au
début, une amélioration spectaculaire des symptômes grâce au
traitement médical, par guérison de la composante inflamma-
toire, mais la récidive à court terme est alors très fréquente (au
moins 75 % des patients) par persistance de la composante
fibreuse définitive de la sténose duodénale.
Certains proposent des dilatations endoscopiques de ces sténoses
duodénales résiduelles dont l’efficacité à court terme est bonne,
mais dont le résultat à long terme est mal connu, 70 % des
patients étant asymptomatiques après un suivi moyen de 2,5 ans
(7). C’est la raison pour laquelle la grande majorité des patients
sont opérés (8).
L’objectif du traitement chirurgical est principalement de lever
l’obstacle duodénal. La solution la plus simple et la plus radi-
cale est de réaliser une duodéno-antrectomie enlevant la sté-
nose, avec vagotomie tronculaire, suivie d’une anastomose gas-
tro-jéjunale (type Finsterer). Plus rarement, et surtout en cas
de sténose courte, certains ont proposé de réaliser une simple
plastie de la sténose (comme une pyloroplastie) associée à une
vagotomie tronculaire. Enfin, d’autres prennent l’option de lais-
ser en place la sténose et de faire une simple gastro-jéjunosto-
mie de dérivation avec vagotomie tronculaire. Nous pensons
que cette intervention n’apporte aucun avantage par rapport à
la résection de la sténose, voire même qu’elle donne un moins
bon résultat fonctionnel (en termes de vidange gastrique) par
rapport au Finsterer.
CONCLUSION
Le traitement chirurgical des complications de l’ulcère gastro-
duodénal s’adresse aujourd’hui à une faible proportion de
patients. Néanmoins, la rareté des indications ne doit pas faire
passer l’heure de la chirurgie, notamment en cas d’hémorragie
digestive dont le risque vital est une réalité, malgré les progrès
de la réanimation chirurgicale. La chirurgie doit éviter tout risque
de récidive hémorragique qui serait catastrophique et repose sur
la vagotomie tronculaire avec antrectomie. En revanche, en cas
de perforation ulcéreuse, de bon pronostic la plupart du temps, si
la chirurgie est habituellement indiquée en urgence afin de pré-
venir les conséquences d’une éventuelle péritonite, un geste a
minima, comme la suture simple, doit être préféré aux vagoto-
mies inutiles, voire néfastes du fait de l’efficacité actuelle des
traitements médicamenteux antiulcéreux. Enfin, la rare sténose
ulcéreuse nécessite, elle aussi, souvent un traitement radical repré-
senté plus par la vagotomie tronculaire avec antrectomie que par
la simple gastro-jéjunostomie avec vagotomie qui exposerait pour
la plupart des auteurs à davantage de troubles de la vidange gas-
trique.
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - n° 1 - vol. III - février 2000 33
Mots clés : Ulcère gastrodudoénal – Perforation – Hémorragie –
Sténose.
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7. Kozarek R.A., Botoman V.A., Patterson D.J. Long-term follow up in patients
who undergone ballon dilatation for gastric outlet obstruction. Gastrointest
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