Document 1. Consommateurs, les ententes vous spolient

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Les ententes :
Le cas Carrefour
Document 1. Consommateurs, les ententes vous spolient
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Document 2. Communiqué de 2007 – Conseil de la concurrence
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Document 3. Présentation du programme de Clémence – Site Commission européenne
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Document 4 – Pénalités imposées par l’Autorité de la Concurrence
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Document 5 – Pénalités imposées par la Commission Européenne
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Document 6. La lettre de l’Autorité de la Concurrence – Août 2010
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Pour ce cas il est recommandé de lire l’avis rendu par le Conseil de la concurrence concernant des
pratiques anticoncurrentielles observées dans le secteur des jouets
http://www.conseil-concurrence.fr/user/avis.php?avis=07-D-50
Questions à traiter et/ou à soulever lors de l’exposé
A travers le cas Carrefour vous vous interrogerez sur
1/ La capacité des entreprises à mettre en place des ententes. Ces ententes sont-elles limitées
aux marchés fortement concentrés ?
2/ La capacité des autorités de la concurrence à détecter les ententes
3/ La capacité des autorités de la concurrence à sanctionner les ententes
4/ La capacité des entreprises concernées à faire respecter les ententes
Document 1. Consommateurs, les ententes vous spolient
Emmanuel Combe (Economiste – Autorité de la Concurrence) 14 Avril 2008, TELOS
La question du pouvoir d’achat occupe aujourd’hui en France le devant de la scène au point
de constituer – situation inédite – la première préoccupation des Français. Plutôt que de se
focaliser sur le niveau des rémunérations, l’attention s’est rapidement centrée sur la dérive des
prix : pourquoi le panier de la ménagère est-il si cher dans notre pays ?
Première réponse, qui emporte l’unanimité : c’est la faute à la Chine, à l’Inde et aux pays
émergents, qui – rattrapage économique oblige – découvrent les délices de la consommation
de masse et viennent alimenter la demande mondiale. On s’est ainsi alarmé de la flambée
générale du cours des matières premières, qui vient mécaniquement renchérir le prix du pain,
de l’essence, bref de toutes ces marchandises que nous consommons chaque jour et qui
constituent pour nous des dépenses devenues « incompressibles ».
1
Ce diagnostic d’une « inflation importée » est juste mais il n’explique toujours pas le
différentiel de prix des produits alimentaires entre la France et un pays comme l’Allemagne.
De plus, l’inflation sur les matières premières – notamment agricoles – a parfois servi de
prétexte, d’alibi à certains industriels pour répercuter aux consommateurs des hausses de
tarifs sans commune mesure.
A supposer que la flambée des cours mondiaux soit la cause principale du dérapage des prix,
que pouvons-nous faire ? Les racines de l’inflation sont à chercher dans notre réglementation
sur le commerce de détail, l’une des plus pléthoriques et malthusiennes qui soit. Interdiction
de la revente à perte (loi Galland), interdiction pour les producteurs de faire de la
discrimination tarifaire entre distributeurs, autorisation préalable pour toute ouverture d’une
surface commerciale de plus de 300 m² (lois Royer Raffarin) : autant de règles qui ont eu pour
principal effet de limiter la concurrence en amont et en aval, sur le dos des consommateurs.
Le constat n’est plus à faire sur ce sujet, tant les expertises sont nombreuses et convergentes :
rapports Cahuc-Kramarz, Canivet, Camdessus, Beigbeder, Attali, Hagelsteen…
A la fin 2007, le gouvernement a entrepris de réformer la loi Galland, en instaurant le « triple
net ». Il s’apprête aujourd’hui, dans le cadre de la Loi de modernisation de l’économie
soumise au Parlement en avril 2008, à autoriser la négociabilité tarifaire et à assouplir les lois
sur l’urbanisme commercial. Toutes ces mesures vont dans le bon sens, celui d’une
concurrence restaurée dans la grande distribution, notamment en favorisant l’arrivée de
nouveaux distributeurs (tels que le hard discount) et en incitant les producteurs à se faire
concurrence par les prix.
Mais nous devons également nous tourner vers une troisième cause d’inflation, peu visible par
nature mais qui ronge notre pays depuis des décennies : les ententes sur les prix entre
concurrents, notamment dans la grande distribution. Plusieurs affaires récentes sont venues
nous rappeler que ces pratiques se portent bien, y compris de la part d’opérateurs se vantant
d’afficher des prix bas : affaire des jouets en décembre 2007, après celle des parfums en 2006,
de la téléphonie mobile en 2005, etc.
Les cartels touchent tous les secteurs de notre économie, y compris les services (banque). Ces
pratiques, toujours secrètes, prennent des formes variées : on fixe les prix ensemble ; on se
répartit les clients en concluant une sorte de « pacte de non agression » ou un « Yalta des
parts de marché » (pour reprendre l’expression d’un membre du cartel de la téléphonie
mobile) ; on désigne à l’avance le vainqueur dans un appel d’offre tout en déposant des offres
« bidon » (ou « offres de couverture ») pour laisser croire à une concurrence ; on se concerte
pour boycotter l’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché ; on fixe ensemble des quotas
de production, etc.
Quelle qu’en soit la forme, le but d’un cartel est toujours le même : faire monter
artificiellement les prix. A défaut de supprimer ses concurrents, on supprime la concurrence.
Ces pratiques sont injustifiables économiquement et elles sont contraires à l’esprit de
l’économie de marché. Elles ne génèrent aucune contrepartie positive pour les consommateurs
mais conduisent à des augmentations de prix substantielles : de l’ordre de 20% en moyenne,
sur une durée de vie de l’ordre de 6 à 7 ans… pour celles qui se font prendre.
Elles ne transfèrent pas seulement de la richesse des consommateurs aux entreprises mais,
plus grave, elles conduisent certains consommateurs à renoncent à consommer.
Elles trahissent la logique de l’économie de marché, qui est fondée sur la conquête
permanente de nouveaux clients, et notamment de ceux de son concurrent. En économie de
2
marché, le client doit être roi et le concurrent l’adversaire naturel. Les cartels reposent sur un
principe inversé, parfaitement résumé (malgré lui) par un membre du cartel de la lysine, dont
la formule a connu un grand succès médiatique : « nos concurrents sont nos amis, nos clients
nos ennemis ».
Face à un comportement aujourd’hui considéré comme un « cancer de l’économie » (Mario
Monti), que doit-on faire ? Une seule chose : renforcer les sanctions.
Une sanction, quelle qu’elle soit, vise à dissuader les agents d’enfreindre la loi. Un agent
rationnel ne commettra pas d’infraction, si son profit illicite reste inférieur à ce qu’il lui en
coûtera en cas de sanction, tenant compte de la probabilité de détection. Pour qu’une sanction
exerce un effet dissuasif il faut que son montant soit d’autant plus élevé que la probabilité de
détection est faible.
Appliquons cette règle générale au cas des cartels, en faisant abstraction de la nature juridique
des sanctions (amende, sanctions pénales, réparations). Concernant la probabilité de détection
d’un cartel, peu d’études empiriques sont disponibles mais une probabilité de 15% constitue
la borne supérieure la plus réaliste.
Cela revient à dire que les sanctions, pour être vraiment dissuasives, devraient atteindre au
moins 6 fois le gain illicite ! Autant dire que l’on en est loin et que les amendes, dans le
meilleur des cas, viennent confisquer le profit illicite mais sans aller au delà : la fonction
dissuasive des sanctions est délaissée, au profit de sa seule fonction restitutive. Dans ces
conditions, on ne sera pas étonné par les comportements de récidives de certaines entreprises,
notamment au niveau communautaire.
Si l’on veut vraiment faire de la lutte contre les cartels une priorité, il faut s’en donner les
moyens.
On ne peut que se réjouir, à la suite du rapport Attali, de la réforme institutionnelle annoncée,
qui devrait consacrer la naissance d’une autorité antitrust aux pouvoirs renforcés, notamment
dans l’articulation entre l’enquête et l’instruction.
A l’heure où la Commission Européenne insiste sur le rôle des actions civiles dans la pleine
effectivité des règles de concurrence, la France pourrait aussi adopter une véritable procédure
d’action de groupe, étendue aux pratiques anti-concurrentielles. En effet, les consommateurs
victimes d’un cartel ne demandent jamais réparation : si le dommage global peut être
considérable, celui causé à chaque consommateur reste trop faible pour qu’il engage une
action individuelle à lui seul. Si l’on prend le cas de l’entente dans la téléphonie mobile entre
2000 et 2002, le dommage global a été estimé à plus d’un milliard d’euros, mais la perte pour
chaque abonné se chiffre à quelques dizaines d’euros. Qui ira individuellement en justice pour
si peu ? D’ailleurs, seulement 12000 plaintes ont été déposées dans le cadre de l’action
conjointe engagée par une association de consommateurs … sur un parc d’abonnés qui
avoisinait les 30 millions de clients à l’époque des faits.
L’action collective permettra de renforcer l’effet dissuasif de l’action publique, la crainte de
réparations contribuant à accroître le coût pour une entreprise d’une violation des règles de
concurrence.
A l’heure où la France s’engage sur la voie de la dépénalisation partielle du droit des affaires,
il faut sans doute exclure de ce mouvement des pratiques aussi graves que les cartels. La
pénalisation des pratiques anti-concurrentielles envoie en effet un signal fort à tous les
managers qui seraient tentés par de tels agissements.
3
Document 2. Communiqué de 2007 – Conseil de la
concurrence1
20 décembre 2007 : Ententes de prix dans le secteur de la distribution des jouets
Le Conseil de la concurrence sanctionne à hauteur de 37
millions d'euros 5 fabricants de jouets et 3 distributeurs
Saisi par le ministre de l'économie, le Conseil de la concurrence
vient de rendre une décision dans laquelle il sanctionne 5
fournisseurs pour s'être entendus avec leurs distributeurs sur le
prix de vente des jouets de Noël, au détriment des
consommateurs. Il a également sanctionné trois distributeurs pour les mêmes faits.
Le montant total des amendes s'élève à 37 millions d'euros et se décompose comme suit:
Fournisseurs: Chicco – Puériculture de France : 600 000 euros ; Goliath France: 25 000
euros ; Hasbro France: 5,1 millions d'euros ; Lego SAS: 1,6 million d'euros ; MegaBrands
Europe NV : 240 000 euros
Distributeurs : Carrefour France : 27,4 millions d'euros ; Maxi Toys France : 1,8 million
d'euros ; EPSE-JouéClub : 300 000 euros
Le Conseil a considéré que les éléments au dossier - notamment en matière de police des prix
- étaient insuffisants pour établir la participation à l'entente des autres entreprises auxquelles
des griefs avaient été notifiés. La plupart de celles-ci n'ont pas, en effet, fait l'objet de visites
et saisies dans le cadre de l'enquête menée par la DGCCRF, qui a précédé la saisine
ministérielle.
Les fournisseurs en cause se sont entendus avec l'ensemble de leurs distributeurs afin que
leurs produits soient vendus au même prix dans tous les points de vente. Ils ont parallèlement
mis en place des actions de surveillance du marché et de police des prix, auxquelles ont
activement participé les distributeurs
Durant les périodes de Noël des années 2001 à 2003, les fournisseurs en cause se sont
respectivement entendus avec leurs distributeurs pour faire cesser toute concurrence entre
points de vente et obtenir un prix de détail unique pour chacune de leur référence.
Ces ententes verticales se sont accompagnées d'actions de "police des prix" de leur part,
auprès des distributeurs « déviants » afin de faire remonter le prix des jouets « posant
problème » et obtenir un réalignement rapide. Les nombreux errata publiés par les
distributeurs pour rectifier a posteriori - et toujours à la hausse - les prix indiqués dans leur
catalogue de Noël en témoignent.
Les trois distributeurs sanctionnés ont également participé activement à ces actions de police :

1
C'est notamment le cas de Carrefour, qui a mis en place, pendant plusieurs années
successives, une opération intitulée « Carrefour rembourse 10 fois la différence »,
incitant les consommateurs à effectuer une veille des prix pour son compte. Utilisant
les remontées d'informations relatives aux demandes de remboursement des
L’Autorité de la Concurrence était auparavant le Conseil de la Concurrence
4


consommateurs, Carrefour est intervenu systématiquement auprès des fournisseurs
concernés pour qu'ils « règlent le problème » du produit moins cher constaté chez ses
concurrents.
C'est également le cas de MaxiToys, qui a accepté à de nombreuses reprises de
remonter ses prix à la demande de ses fournisseurs, alors que - se fournissant au
Bénélux à des prix d'achat inférieurs - il est en mesure de proposer des prix de détail
plus avantageux pour le consommateur. A cet égard, le dirigeant de MaxiToys a
indiqué lors de l'instruction que « Afin que MaxiToys ne perturbe pas le marché
français, les fabricants de jouets français nous présentent les tarifs d'achat en France et
nous demandent de nous aligner sur le SRP [seuil de revente à perte] français. Cela
évite de perturber le marché et nous permet d'obtenir des marges supérieures et par
conséquent de gagner de l'argent »
C'est enfin le cas de EPSE, tête du réseau JouéClub, qui a participé à la police des prix
conduite par Goliath et par MegaBrands en 2002
Le Conseil a considéré que les distributeurs sanctionnés ne pouvaient justifier leurs
interventions auprès des fournisseurs, en vue de faire remonter les prix de leurs concurrents,
par l'obligation de respecter la législation sur la revente à perte et cela d'autant plus que le
dossier a réuni – pour la généralité du secteur – de nombreux indices démontrant que le seuil
de revente à perte avait été artificiellement rehaussé (identité du seuil de revente à perte pour
tous les points de vente, quel que soit le distributeur, imprécision des services de coopération
commerciale, qui ne sont pas spécifiés ni individualisés, rendant ainsi impossible la
vérification de la réalité de la prestation offerte, intégration dans la coopération commerciale
de services qui relèvent à l'évidence de l'acte d'achat-vente, présentation faussement
conditionnelle de ristournes).
Ces constatations ont d'ailleurs conduit le Conseil à transmettre le dossier aux tribunaux de
commerce compétents.
Ces ententes de prix constatées ont abouti à l'élimination de toute concurrence entre
distributeurs pour les jouets de chaque marque concernée, au détriment du consommateur
L'observation des prix relevés dans les catalogues de treize distributeurs (Toys'R'Us,
JouéClub, KingJouet, LaGrandeRécré, PicWic, MaxiToys, Auchan, Cora, Casino,
Intermarché, Leclerc, HyperU et Carrefour) et les déclarations des distributeurs sanctionnés
montrent que ces ententes ont bien fonctionné et que les prix souhaités par les fournisseurs
ont été significativement appliqués par les distributeurs.
Les consommateurs en ont été les principales victimes, l'achat des jouets de Noël étant
incontournable en fin d'année.
Le Conseil de la concurrence considère que ces pratiques sont graves
Les pratiques ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre
jeu du marché constituent, en droit national et communautaire, des "restrictions caractérisées"
de concurrence.
En l'espèce, elles sont d'autant plus graves qu'elles ont été en partie mises en œuvre par des
entreprises ou groupes détenant des marques à très forte renommée, comme c'est le cas pour
Hasbro, Lego ou Chicco.
S'agissant de Carrefour, le Conseil a relevé que « L'utilisation des consommateurs qui sont
ainsi amenés à contribuer, à leur insu et à leur détriment, à l'alignement des prix des jouets sur
le prix plus élevé de Carrefour, alors que l'opération publicitaire [«Carrefour rembourse 10
5
fois la différence»], a pour objectif de présenter l'enseigne comme ayant une politique de prix
agressive, ajoute à la gravité de la pratique ».
Décision 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le
secteur de la distribution de jouets
Cette décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris (affaire pendante)
Le texte intégral de cette décision se trouve à l’adresse suivante : http://www.conseilconcurrence.fr/user/avis.php?avis=07-D-50
Document 3. Présentation du programme de Clémence –
Site Commission européenne
About the leniency policy
Along with the other detection and investigation tools at the Commission’s disposal, the
leniency policy proves very successful in fighting cartels.
In essence, the leniency policy offers companies involved in a cartel - which self-report and
hand over evidence - either total immunity from fines or a reduction of fines which the
Commission would have otherwise imposed on them . It also benefits the Commission,
allowing it not only to pierce the cloak of secrecy in which cartels operate but also to obtain
insider evidence of the cartel infringement. The leniency policy also has a very deterrent
effect on cartel formation and it destabilizes the operation of existing cartels as it seeds
distrust and suspicion among cartel members.
In order to obtain total immunity under the leniency policy, a company which participated in a
cartel must be the first one to inform the Commission of an undetected cartel by providing
sufficient information to allow the Commission to launch an inspection at the premises of the
companies allegedly involved in the cartel. If the Commission is already in possession of
enough information to launch an inspection or has already undertaken one, the company must
provide evidence that enables the Commission to prove the cartel infringement. In all cases,
the company must also fully cooperate with the Commission throughout its procedure,
provide it with all evidence in its possession and put an end to the infringement immediately.
The cooperation with the Commission implies that the existence and the content of the
application cannot be disclosed to any other company. The company may not benefit from
immunity if it took steps to coerce other undertakings to participate in the cartel.
Companies which do not qualify for immunity may benefit from a reduction of fines if they
provide evidence that represents "significant added value" to that already in the Commission’s
possession and have terminated their participation in the cartel. Evidence is considered to be
of a "significant added value" for the Commission when it reinforces its ability to prove the
infringement. The first company to meet these conditions is granted 30 to 50% reduction, the
second 20 to 30% and subsequent companies up to 20%.
The Commission considers that any statement submitted to it within the context of its
leniency policy forms part of the Commission’s file and may therefore not be disclosed or
used for any other purpose than the Commission’s own cartel proceedings.
6
Document 4 – Pénalités imposées par l’Autorité de la
Concurrence
Document 5 – Pénalités imposées par la Commission
Européenne
Fines imposed by the Commission – Sources: DG Competition (July 2010)
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Document 6. La lettre de l’Autorité de la Concurrence –
Août 2010
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Marchés publics :
des signes positifs
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010 •
mai-août 2
n° 8
Question de fond
Françoise Aubert
Vice-Présidente
de l’Autorité de la concurrence
L
Lutte anti-cartels
Quel bon niveau de sanction ?
’objectif des appels d’offres pour l’attribution de marchés publics est de
garantir, par la mise en concurrence,
que les maîtres d’ouvrage obtiennent
le meilleur rapport qualité/prix. Au
bénéfice des citoyens qui financent,
in fine, ces travaux et ces prestations.
La prévention et la sanction des
ententes entre entreprises qui participent à cette compétition sont donc essentielles pour les collectivités publiques
– État ou collectivités locales.
Cette activité a été l’une des grandes priorités du Conseil,
devenu aujourd’hui Autorité de la concurrence : tout le monde
a encore à l’esprit l’affaire des travaux publics d’Île-de-France,
dite “affaire Drapo”, dans laquelle ont été mises au jour des
ententes générales de répartition des marchés (34 entreprises
sanctionnées en 2006) ou encore l’affaire des lycées d’Île-deFrance (12 entreprises sanctionnées en 2007), confirmées par
la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation.
Son intervention a reçu le soutien appuyé du Parlement,
qui, en votant la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, a incité à imposer des sanctions
plus dissuasives et à prendre en compte la réitération. Cette
mobilisation conjointe des pouvoirs publics et de l’Autorité
a fini par payer : le contentieux tend enfin à décroître, ce
dont il faut se réjouir.
Le juge judiciaire a également
contribué à l’efficacité de la
surveillance des marchés
publics, en précisant notamment la jurisprudence sur les
points suivants :
La concertation par l’échange
d’informations. Outre les cas
où les entreprises ont coordonné leurs offres, la concertation existe dès lors qu’elles
ont échangé des informations sur un élément de ces offres,
en particulier sur les prix, antérieurement à leur dépôt.
L’intégrité concurrentielle du marché suppose en effet que
chacun choisisse son risque et effectue son choix en toute
indépendance, sans disposer d’informations réduisant ou
supprimant l’incertitude dans laquelle doivent rester les
entreprises au regard des offres concurrentes. Un standard
de preuve exigeant est alors appliqué, qui, à défaut de
preuves matérielles suffisantes, impose de rassembler un faisceau d’indices graves, précis et concordants ;
Le rôle des offres groupées. Le fait que des entreprises se
groupent pour présenter une offre qu’elles n’auraient pas
été en état de faire isolément, ou bien pour concourir sur la
base d’une offre plus compétitive, a un effet proconcurrentiel.
En revanche, un groupement peut avoir un effet anticoncurrentiel s’il provoque une diminution artificielle du
nombre des entreprises candidates ou dissimule une
entente anticoncurrentielle de prix ou de répartition des
marchés.
Ne faut-il pas aller plus loin ? C’est le signal très fort qu’a
envoyé le Conseil d’État aux acheteurs publics (maires,
entreprises publiques, etc.) lésés par de telles pratiques.
Dans deux arrêts de décembre 2007 et de mars 2008,
la Haute juridiction confirme, après la cour administrative
d’appel de Paris, qu’un acheteur public – en l’occurrence
la SNCF – qui a passé un marché vicié par une entente
anticoncurrentielle, dispose du statut de victime, qui lui
permet de demander réparation du préjudice subi. Il en est
ainsi même si le marché a été passé sans réserve, dès lors
que l’acheteur ne pouvait pas savoir, au moment de la
signature, que son consentement
était vicié par cette pratique anticoncurrentielle. En cause en l’espèce,
tout un ensemble de marchés liés
à la réalisation du TGV Nord dans
les années 1989/1990. Le Conseil de
la concurrence a découvert qu’ils
avaient été faussés par une vaste
entente, sanctionnée à hauteur de
35 millions d’euros en 1995. La Cour des comptes a, pour
sa part, cité le chiffre de 750 millions de francs de préjudice
dans un rapport public de 1996… Alors, après l’intervention
administrative de l’Autorité, l’action en réparation peut
vraiment valoir la peine. ■
La mobilisation conjointe
des pouvoirs publics et
de l’Autorité a fini par payer :
le contentieux tend enfin
à décroître.”
En période de crise, les cartels
font encore plus mal aux PME
et aux consommateurs. La vigilance
doit donc rester de mise.
Entrée libre fait le point sur les sanctions
antitrust en France, mais aussi en Europe
et aux États-Unis. p.2 et 3
Le goût du débat
entréelibre reçoit
Joaquín Almunia
Vice-Président de la Commission européenne, en charge de la politique de la
concurrence.
Après six années passées aux affaires économiques et
monétaires, Joaquín Almunia vient de succéder à Neelie
Kroes comme commissaire en charge de la concurrence
au sein de la Commission européenne, dont il devient
également Vice-Président. Entrée libre a souhaité
connaître sa vision de la politique de concurrence
et ses priorités pour l’avenir. p.4
Question de fond
entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page3
Lutte
anti-cartels
Quel bon niveau de sanctions ?
En période de crise, les cartels font encore plus mal aux PME et aux consommateurs. La vigilance doit donc rester
de mise. Les sanctions peuvent cependant être aménagées en cas de difficultés financières, comme le rappellent
les “bonnes pratiques” relatives aux sanctions antitrust publiées par les autorités de concurrence européennes
pour inciter à la convergence et à la prévisibilité.
Vu dans la presse
Ce qu’ils pensent des ententes…
Christine Lagarde,
ministre de l’Économie
“Il est essentiel que la concurrence ne soit pas
faussée du fait d’un pouvoir économique
confisqué par les membres d’un cartel”.
(Revue Concurrences, n° 4-2008)
Patrick Ollier,
Président de la commission
des affaires économiques de
l’Assemblée nationale
“La commission est extrêmement sensible
à la concurrence. Elle est intervenue
dans le débat sur la LME pour la renforcer.
Elle a voulu aller le plus loin possible
pour assurer cette vigilance”.
(AN, compte-rendu de la séance du 7 janvier 2009)
Joaquín Almunia,
Vice-Président de la Commission
européenne en charge
de la concurrence
“L’application des règles de concurrence (…)
n’est pas moins importante dans les périodes
de crise (…). Au contraire, le tort que les
infractions causent à l’économie, aux entreprises
et aux consommateurs est encore
plus significatif (…)”.
(“La politique de la concurrence de l’UE en 2010 et au-delà”,
conférence • Paris, 15 février 2010)
Le Parlement européen
“Il est essentiel de lutter contre les ententes
pour veiller à ce que les consommateurs retirent
les avantages d’un régime de concurrence,
par le biais de prix moins élevés et d’un choix
plus large de produits et de services”.
(Résolution du 9 mars 2010 sur la politique de concurrence)
Un cadre patronal
cité par Les Echos
“Il faut un droit de la concurrence pour éviter
les distorsions, mais nous sommes émus
de l’inflation des amendes, en voyant
que la limite, c’est le ciel”.
(Les Echos, 22 janvier 2010)
Emmanuel Combe,
professeur de sciences
économiques et membre
du collège de l’Autorité
de la concurrence
“(…) dans un cas sur deux l’amende infligée
reste inférieure au gain illicite (…).
À vrai dire, si les amendes sont élevées,
c’est malheureusement parce que le dommage
causé à l’économie européenne se révèle
souvent important”.
(Le Figaro, 2 mars 2010)
Trier le bon grain de l’ivraie
Comme tous ses homologues, l’Autorité
de la concurrence dispose d’une palette
d’instruments qui lui permettent d’apporter une réponse adaptée à toutes les
questions rencontrées dans l’exercice
de sa mission : contrôle préalable des
fusions, intervention en urgence, procédures “alternatives” permettant d’éviter
la sanction à chaque fois qu’un comportement – stratégie unilatérale ou contrat –
n’a pas porté d’atteinte significative aux
consommateurs, etc.
Si ces outils ont vocation à monter en
puissance, il reste néanmoins une part
irréductible de cas dans lesquels la
sanction constitue la seule réponse possible, au premier chef les cartels. Le
monde entier, OCDE en tête1, s’accorde
pour dire que ces ententes dissimulées
visant à gonfler les prix ou répartir les
marchés sont injustifiables.
pacité de payer l’amende, une autre peut
être multirécidiviste, etc. Tous ces paramètres sont pris en compte.
Au-delà des questions traitées par
l’Autorité au fil des affaires, les idées qui
structurent son approche du calcul des
sanctions, en ligne avec la jurisprudence
européenne3 et le consensus international4, sont les suivantes : pour s’assurer
que les amendes sont cohérentes avec
le profit illicitement obtenu, il faut commencer par déterminer la valeur de l’activité concernée, ce qui permet aussi de
coller à la réalité économique ; mais,
compte tenu des difficultés rencontrées
pour détecter les cartels et du grand
nombre de cas de récidives constatés, le
montant final de l’amende doit absolument intégrer une dimension dissuasive.
Quelles voies de progrès ?
Le ministre de l’Économie vient de constituer une mission (composée d’un chef
d’entreprise, d’un avocat et d’un magistrat) chargée de réfléchir à la façon
de préciser la méthode de calcul des
amendes. Comme le montre l’expérience
des 28 autorités de concurrence d’Europe,
qui ont mis au point un guide de bonnes
pratiques en matière de sanctions (voir
encadré ci-contre, p.3), l’une des difficultés de l’exercice consiste à trouver le
bon dosage entre la prévisibilité nécessaire et la part d’incertitude sans laquelle
il n’est point de dissuasion.
C’est un des points que l’Autorité, après
avoir joué le rôle de force d’impulsion en
Europe, mettra au cœur des lignes directrices qu’elle a annoncé vouloir mettre
en chantier. Comme l’a déclaré son président, Bruno Lasserre : “la publication,
par l’autorité indépendante, d’une synthèse ordonnée de son approche et de
sa pratique est le meilleur moyen de
garantir la transparence et la cohérence
aux entreprises concernées”. ■
Les cartels, armes contre les PME
et les consommateurs
La raison en est simple : les études économiques montrent que, en moyenne, les
cartels font monter les prix de 20 à 25 %2
par rapport à ceux qui résulteraient de la
concurrence par les mérites. Premières
victimes : les PME et les consommateurs, comme le rappelle l’économiste
américain John Connor : “la fixation des
prix est un “crime de cols-blancs” qui
cause souvent d’importants dommages
pécuniaires pour le public”.
À comportement grave – les cartels sont
considérés comme de véritables crimes
économiques dans certains pays –
réponse ferme. En France, le Parlement a
porté en 2001 le plafond des amendes
de 5 % du chiffre d’affaires français de la
société contrevenante à 10 % du chiffre
d’affaires mondial du groupe auquel
elle appartient, pour permettre à l’Autorité
de la concurrence d’imposer des sanctions adaptées à la réalité économique.
Il a aussi marqué sa volonté de voir une
politique vraiment dissuasive se mettre
en place en faisant de la réitération un
facteur d’aggravation des sanctions.
Des amendes
à la fois correctives et dissuasives
Dans la limite de ce plafond, la sanction
est déterminée au cas par cas, en fonction de l’infraction (gravité de la pratique
et importance du dommage causé à
l’économie) et de la situation individuelle
des entreprises concernées : l’une d’entre
elles peut se trouver en situation d’inca-
Comment calculer
une amende antitrust ?
Le Code de commerce fixe les quatre
critères à prendre en compte pour
déterminer le montant d’une amende :
la gravité de la pratique en cause,
l’importance du dommage qu’elle
cause à l’économie, la situation
individuelle de l’entreprise
contrevenante et la réitération
éventuelle. Mais comment cela
marche-t-il en pratique ?
L’Autorité de la concurrence prend comme
point de départ le premier critère fixé par la
loi : la gravité. Le sens donné à ce terme a
beaucoup évolué. Il y a dix ans, on se bornait à “cataloguer” les infractions, en considérant les cartels comme très graves et
d’autres pratiques comme graves, moyennement graves ou peu graves. Aujourd’hui,
l’Autorité, comme la plupart de ses homologues européens, se fonde sur la portée
économique concrète de l’infraction, éva-
luée à partir de la taille du marché qu’elle
affecte. Cette démarche permet d’ancrer
les sanctions dans la réalité économique.
Mais la France va plus loin, en prévoyant un
second point d’ancrage économique pour
les sanctions, au stade de l’appréciation du
dommage que l’infraction induit pour l’économie générale et les consommateurs.
Cette notion, de nature qualitative et non
seulement quantitative, permet, par exemple, d’intégrer le fait qu’un cartel a pesé sur
les finances publiques, les prix, la qualité
de service ou l’innovation.
Ces critères font, comme les autres, l’objet
d’une analyse très fouillée de l’Autorité
dans chaque affaire. Alors que les décisions ne consacraient que quelques lignes
aux sanctions il y a dix ou quinze ans, il
n’est pas rare de trouver aujourd’hui des
motivations consacrant vingt à quarante
pages à cette seule question.
1 • Voir la résolution du Conseil de l’OCDE de 1998 et ses rapports d’application : http://www.oecd.org/pages
2 • Ce chiffre est une hypothèse basse. Voir le résultat des 13 études économiques recensées par Constance Monnier,
“De la détection à la sanction des cartels : une évaluation économique de la politique antitrust communautaire”,
thèse de doctorat d’économie de l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, décembre 2009, page 197.
3 • Voir l’arrêt de la Cour de justice européenne du 9 juin 2009, X BV, affaire C-429/07 : http://curia.europa.eu
4 • Voir le rapport du Réseau international de la concurrence de 2007 sur la sanction des cartels : http://www.internationalcompetitionnetwork.org
5 • Guide de bonnes pratiques de l’ECA (European Competition Association) : http://www.autoritedelaconcurrence.fr
entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page4
Les sanctions antitrust en Europe
et dans le monde :
des faits et des chiffres
D
ans de nombreux pays, les autorités de concurrence
peuvent mobiliser une panoplie complète d’instruments
pour lutter contre les cartels : sanctions pécuniaires,
interdictions d’exercer, voire peines d’emprisonnement.
Aux États-Unis par exemple, les amendes sont sensiblement moins élevées qu’en Europe : elles ont atteint un total de
4,2 milliards de dollars entre 2000 et 2009 à Washington, contre
12,9 milliards d’euros à Bruxelles. Mais pour faire une comparaison
complète et scientifique de la lutte anti-cartels en Europe et outreAtlantique, il ne faut pas oublier que les amendes ne sont qu’un outil
secondaire pour le Département de la Justice américain par rapport à
l’emprisonnement. Et c’est parce que le recours à l’emprisonnement,
qui présente l’intérêt de cibler directement les organisateurs de cartels,
n’est pas prévu en Europe, que la Commission européenne est obligée
d’imposer des amendes plus élevées que ses homologues américains.
Pour autant, cela justifie-t-il les critiques
selon lesquelles les amendes seraient trop élevées ?
Là encore, il faut regarder les chiffres. L’analyse des affaires traitées par les autorités de concurrence au cours des dernières
années montre que, si les amendes sont effectivement devenues
plus dissuasives, elles demeurent très loin du plafond légal, fixé
dans la plupart des pays d’Europe à 10 % du chiffre d’affaires.
Pour leur part, les sanctions prononcées par l’Autorité de la
concurrence française se situent dans le bas de la fourchette, si
on les rapporte au nombre d’entreprises sanctionnées et à leur
chiffre d’affaires. Et la part qu’elles représentent en moyenne par
rapport au chiffre d’affaires a baissé entre 2007 et 2009 (voir tableau
ci-dessous).
Sur la période 2000/2009, les autorités antitrust américaines ont imposé un total
de 127 708 jours de prison ferme (soit 348 ans) à des cadres d’entreprises ayant participé
à des cartels. La Commission européenne qui n’a, pour sa part, pas cette possibilité,
impose des amendes plus élevées.
2004-2009 : Nombre de jours de prison ferme infligés par l’UE
et les États-Unis aux dirigeants ou cadres d’entreprises
ayant participé à des cartels
2004-2009 : Amendes infligées par l’UE et les États-Unis
aux entreprises ayant participé à des cartels
4 000
40
3 338
31 391
25 396
30
3 000
2 271
1 846
2 000
1 623
20
14 331
13 157
1 000
1 000
369
350
676
473
338
630
0
0
2004
2005
2006
2007
2008
7 334
10
701
2009
5 383
0
0
0
0
0
0
2004
2005
2006
2007
2008
2009
Commission européenne
Autorités américaines
Commission européenne
Autorités américaines
en millions d’euros
en millions de dollars
en jours de prison ferme
en jours de prison ferme
Source : ec.europa.eu/competition
Source : www.justice.gov
Source : www.justice.gov
Les sanctions dans les principaux pays d’Europe, 2007/2009(1)
Autorité
Nombre
de décisions
adoptées
Total
des amendes
imposées
Nombre
d’entreprises
sanctionnées
Montant moyen
d’amende
par entreprise
% moyen d’amende
par rapport
au chiffre d’affaires
111
1 061
119
8,9(2)
4(2)
Comisión nacional de la competencia (Espagne)
39
260
88
3
NC
Autorité de la concurrence (France)
55
1 058
234
4,5
1,5(3)
Office of Fair Trading (Royaume-Uni)
5
482
116
4,2(4)
2,3(4)
24
8 441
116
72,8
NC
Bundeskartellamt (Allemagne)
DG COMP (Union européenne)
En millions d’euros et avant réformation éventuelle par les juridictions de contrôle • (2) Chiffre fourni par le Bundeskartellamt • (3) Ce pourcentage est en baisse sur la période : 1,75 % en 2007, 1,48 % en
2008 et 1,2 % en 2009 • (4) Chiffre fourni par l’Office of Fair Trading, dont une décision a conduit sur la même période à une décision de condamnation de trois dirigeants à des peines de prison ferme allant
de 2 à 3 ans (affaire Marine Hose).
(1)
Transparence
et cohérence :
un nombre croissant
d’autorités
de concurrence
d’Europe se dotent
de lignes directrices
sur les sanctions
antitrust
À la différence du droit pénal qui prévoit
des centaines d’infractions, le droit
de la concurrence n’en comporte que
deux, rédigées en des termes suffisamment
“plastiques” pour pouvoir s’adapter
à toutes les situations : l’interdiction
des ententes et celle des abus de position
dominante. La mise en œuvre
de ces dispositions doit donc
systématiquement tenir compte
des circonstances propres à chaque
affaire (nature de la pratique,
effets sur le marché, etc.).
De même, les sanctions ne se fondent
pas sur une “échelle des peines” préconçue
et mécanique, mais sur des critères faisant
l’objet d’une mise en œuvre adaptée
à chaque espèce : gravité de l’infraction,
situation personnelle des contrevenants,
incidence sur les consommateurs, etc.
La politique de concurrence se forge donc
au cas par cas – ce qui ne veut pas dire
que les autorités de concurrence
n’ont pris aucune mesure pour assurer
la cohérence d’une décision à l’autre et,
surtout, la transparence vis-à-vis
des entreprises. Au contraire, après
la Commission européenne, qui a publié
une communication sur les sanctions
en 1998 avant de la moderniser en 2006,
un nombre croissant d’entre elles ont publié
des lignes directrices synthétisant leur
pratique décisionnelle : autorités
hongroise (GVH) en 2003, britannique
(OFT) en 2004, polonaise (UOKIK)
en 2005, allemande (Bundeskartellamt)
en 2006, espagnole (CNC) en 2009…
Le mouvement devrait s’accélérer maintenant
que les travaux de l’association des autorités
de concurrence d’Europe (ECA)
ont débouché, grâce à un groupe
de travail coprésidé par le Conseil
de la concurrence français, qui en a pris
l’initiative en mai 2006 à Nice, et l’Autorità
Garante italienne, sur un guide de bonnes
pratiques communes à toute l’Europe
en matière de sanctions antitrust
(www.autoritedelaconcurrence.fr/
doc/eca_ppes_convergence.pdf).
En fixant clairement une méthodologie sur
le papier, ces lignes directrices, auxquelles
s’est déclaré favorable le président
de l’Autorité française, constitueront un
standard par rapport auquel les entreprises
et les juridictions de contrôle pourront
vérifier la motivation des décisions
de sanction et assurer l’égalité
de traitement.
Entretien avec
Après six années passées aux affaires économiques et monétaires,
Joaquín Almunia vient de succéder à Neelie Kroes comme commissaire
en charge de la concurrence au sein de la Commission européenne,
dont il devient également Vice-Président. Entrée libre a souhaité connaître
sa vision de la politique de concurrence et ses priorités pour l’avenir.
Quelles sont les priorités que vous vous fixez
pour votre mandat en matière de politique
antitrust ?
Ma première priorité est de poursuivre une application
rigoureuse des règles antitrust contre les comportements
anticoncurrentiels en Europe, que ce soit contre les cartels,
les autres accords anticoncurrentiels ou les abus de position dominante, dans quelque secteur ou
quelque pays que ce soit.
En parallèle nous devons bien
sûr assurer la mise à jour des
règles antitrust – par exemple,
je pense au nouveau règlement
d’exemption par catégorie et aux
lignes directrices en matière de restrictions verticales – afin
d’assurer un niveau élevé de prévisibilité juridique aux
entreprises, et de prévenir des restrictions de concurrence
sur nos marchés.
Au-delà du cadre législatif propre à la concurrence, je
pense que nous devons faire un effort particulier pour
communiquer, à la fois au législateur européen et national,
aux entreprises elles-mêmes et aux consommateurs, la
nécessité de poursuivre une politique de concurrence
effective. Tous les acteurs économiques et sociaux doivent
avoir conscience des avantages concrets qui en découlent
pour chacun, à savoir de la contribution de la concurrence à
la réduction des prix, à la qualité et la variété de l’offre de
produits et de services, à l’innovation et à la compétitivité
des entreprises européennes, ainsi qu’à la réalisation d’une
croissance économique durable en Europe.
causent un dommage d’autant plus significatif aux entreprises “clientes” (qui sont souvent des PME) et aux
consommateurs, puisqu’elles ont pour effet d’augmenter
les prix à un moment où ils peuvent moins bien le supporter.
Et ces comportements ont pour effet d’éviter aux entreprises contrevenantes des restructurations pourtant
nécessaires.
Toutefois, cela ne veut pas dire
que nous ne devons pas tenir
compte des arguments légitimes avancés par certaines
entreprises qui connaissent
de sérieuses difficultés financières, notamment pendant
cette période de crise. À cet
égard, nos lignes directrices sur les amendes nous permettent de tenir compte de l’incapacité réelle de paiement
d’une entreprise.
Ma première priorité est de
poursuivre une application
rigoureuse des règles antitrust
contre les comportements
anticoncurrentiels en Europe.”
La crise appelle-t-elle selon vous
une révision de la lutte anticartel ?
Je ne pense pas que la crise justifie une révision fondamentale de la politique actuelle en matière de cartels. Le plus
important pour l’instant est de maintenir l’effet dissuasif
des amendes, afin de prévenir les infractions. En effet,
rappelons – encore une fois – que la seule façon de ne
pas être exposé à des amendes est de ne pas s’engager
dans des activités illicites en premier lieu !
En période de crise, les infractions aux règles de concurrence
S
E
LDEZ-
REN
VOUS
Quel regard portez-vous
sur les procédures antitrust européennes ?
Je vois clairement les avantages du modèle européen pour
l’application des règles antitrust – c’est un système administratif, largement semblable à celui que vous avez en
France et à celui qui existe dans d’autres États membres.
Il permet à la Commission européenne, tout comme à
l’Autorité de concurrence en France, de bénéficier d’une
véritable expertise économique et sectorielle, ce qui veut
dire que notre politique de concurrence tient compte des
réalités du marché.
Nous sommes parfois critiqués par certains parce que
nous exerçons des pouvoirs d’investigation et des pouvoirs décisionnels. Toutefois, le modèle européen est protecteur des droits de la défense : il permet aux entreprises
d’être entendues et d’avoir accès au dossier avant qu’une
décision administrative ne soit prise. C’est un aspect fondamental de ce modèle, qui permet d’éviter des poursuites
infondées devant des juridictions. Il est aussi important de
se souvenir que les décisions de concurrence adoptées
par la Commission européenne font ensuite l’objet d’un
examen particulièrement approfondi par les tribunaux
européens de Luxembourg en cas de recours.
Joaquín ALMUNIA,
Vice-Président
de la Commission européenne,
en charge de la concurrence
Ceci étant, il est fondamental pour moi que la Commission,
en tant qu’autorité de concurrence, exerce son rôle de
manière impartiale et soit perçue comme telle. Son rôle
est d’instruire les affaires portées à sa connaissance “à
charge et à décharge”, et je veux veiller à ce qu’elle le
fasse. Mais je reste à l’écoute des critiques constructives
de nos interlocuteurs en matière de prévisibilité et de
transparence des procédures. À cette fin, nous avons
récemment publié pour consultation un projet de Lignes
directrices en matière de procédures antitrust, à l’instar de
ce qui avait été fait en matière de contrôle des concentrations et nous sommes en train d’analyser les réponses à
cette consultation publique pour déterminer si des améliorations peuvent être apportées.
Qu’attendez-vous de la coopération
avec le Réseau européen ?
Je suis très conscient que la mise en œuvre des règles
européennes de concurrence n’est pas exclusivement du
ressort de la Commission européenne. C’est une tâche
partagée entre la Commission et les autorités nationales
de concurrence – à ce titre, vous en êtes un acteur indispensable.
Le Réseau européen de concurrence a pour but d’approfondir la cohésion et la cohérence dans l’application des
règles européennes de concurrence à travers l’Europe et
de ce fait contribue à l’existence de conditions égales de
concurrence au sein du marché unique européen. Je suis
impressionné par la coopération qui existe au sein du
Réseau européen de concurrence et des avancées qui
ont été réalisées ces dernières années – et notamment
les initiatives qui ont été poursuivies pour assurer plus
de convergence, par exemple en matière de clémence. Je
souhaite que nous poursuivions cette coopération à tous
les niveaux, tant au niveau opérationnel qu’au niveau de la
direction du réseau, afin d’assurer une application effective du droit européen de la concurrence.
L’Autorité en direct
Sport et concurrence
”
Les “Rendez-vous” d’été de l’année 2010 seront organisés au mois de juin prochain sur les
problématiques liant le sport et la concurrence. Le programme détaillé sera mis en ligne
dans le courant du mois de mai sur le site de l’Autorité (www.autoritedelaconcurrence.fr).
Réseau européen de la concurrence
La montée en puissance du Réseau européen de la concurrence (REC) stimule peu à peu une plus grande cohérence des
approches et des pratiques des différents États membres en matière de concurrence. Le prochain numéro d’Entrée libre
consacrera une page spéciale aux actions de coopération menées par le REC en 2009, qui laissent entrevoir le chemin d’une
véritable convergence des politiques européennes. À paraître dans Entrée libre n°9, septembre 2010
Directeur de la publication : Bruno Lasserre - Rédactrice en chef : Anne Marchand ([email protected]) - Conception et réalisation : Peter Pen
Crédit photos : Thinkstock • ISSN 2104-1164
Autorité de la concurrence : 11 rue de l’Échelle, 75001 Paris • Tél. : +33 (0)1 55 04 00 00
www.autoritedelaconcurrence.fr
e
Édito
Joaquín Almunia
INTERVIEW
Le goût du débat
entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page1
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