Les ententes : Le cas Carrefour Document 1. Consommateurs, les ententes vous spolient 1 Document 2. Communiqué de 2007 – Conseil de la concurrence 4 Document 3. Présentation du programme de Clémence – Site Commission européenne 6 Document 4 – Pénalités imposées par l’Autorité de la Concurrence 7 Document 5 – Pénalités imposées par la Commission Européenne 7 Document 6. La lettre de l’Autorité de la Concurrence – Août 2010 8 Pour ce cas il est recommandé de lire l’avis rendu par le Conseil de la concurrence concernant des pratiques anticoncurrentielles observées dans le secteur des jouets http://www.conseil-concurrence.fr/user/avis.php?avis=07-D-50 Questions à traiter et/ou à soulever lors de l’exposé A travers le cas Carrefour vous vous interrogerez sur 1/ La capacité des entreprises à mettre en place des ententes. Ces ententes sont-elles limitées aux marchés fortement concentrés ? 2/ La capacité des autorités de la concurrence à détecter les ententes 3/ La capacité des autorités de la concurrence à sanctionner les ententes 4/ La capacité des entreprises concernées à faire respecter les ententes Document 1. Consommateurs, les ententes vous spolient Emmanuel Combe (Economiste – Autorité de la Concurrence) 14 Avril 2008, TELOS La question du pouvoir d’achat occupe aujourd’hui en France le devant de la scène au point de constituer – situation inédite – la première préoccupation des Français. Plutôt que de se focaliser sur le niveau des rémunérations, l’attention s’est rapidement centrée sur la dérive des prix : pourquoi le panier de la ménagère est-il si cher dans notre pays ? Première réponse, qui emporte l’unanimité : c’est la faute à la Chine, à l’Inde et aux pays émergents, qui – rattrapage économique oblige – découvrent les délices de la consommation de masse et viennent alimenter la demande mondiale. On s’est ainsi alarmé de la flambée générale du cours des matières premières, qui vient mécaniquement renchérir le prix du pain, de l’essence, bref de toutes ces marchandises que nous consommons chaque jour et qui constituent pour nous des dépenses devenues « incompressibles ». 1 Ce diagnostic d’une « inflation importée » est juste mais il n’explique toujours pas le différentiel de prix des produits alimentaires entre la France et un pays comme l’Allemagne. De plus, l’inflation sur les matières premières – notamment agricoles – a parfois servi de prétexte, d’alibi à certains industriels pour répercuter aux consommateurs des hausses de tarifs sans commune mesure. A supposer que la flambée des cours mondiaux soit la cause principale du dérapage des prix, que pouvons-nous faire ? Les racines de l’inflation sont à chercher dans notre réglementation sur le commerce de détail, l’une des plus pléthoriques et malthusiennes qui soit. Interdiction de la revente à perte (loi Galland), interdiction pour les producteurs de faire de la discrimination tarifaire entre distributeurs, autorisation préalable pour toute ouverture d’une surface commerciale de plus de 300 m² (lois Royer Raffarin) : autant de règles qui ont eu pour principal effet de limiter la concurrence en amont et en aval, sur le dos des consommateurs. Le constat n’est plus à faire sur ce sujet, tant les expertises sont nombreuses et convergentes : rapports Cahuc-Kramarz, Canivet, Camdessus, Beigbeder, Attali, Hagelsteen… A la fin 2007, le gouvernement a entrepris de réformer la loi Galland, en instaurant le « triple net ». Il s’apprête aujourd’hui, dans le cadre de la Loi de modernisation de l’économie soumise au Parlement en avril 2008, à autoriser la négociabilité tarifaire et à assouplir les lois sur l’urbanisme commercial. Toutes ces mesures vont dans le bon sens, celui d’une concurrence restaurée dans la grande distribution, notamment en favorisant l’arrivée de nouveaux distributeurs (tels que le hard discount) et en incitant les producteurs à se faire concurrence par les prix. Mais nous devons également nous tourner vers une troisième cause d’inflation, peu visible par nature mais qui ronge notre pays depuis des décennies : les ententes sur les prix entre concurrents, notamment dans la grande distribution. Plusieurs affaires récentes sont venues nous rappeler que ces pratiques se portent bien, y compris de la part d’opérateurs se vantant d’afficher des prix bas : affaire des jouets en décembre 2007, après celle des parfums en 2006, de la téléphonie mobile en 2005, etc. Les cartels touchent tous les secteurs de notre économie, y compris les services (banque). Ces pratiques, toujours secrètes, prennent des formes variées : on fixe les prix ensemble ; on se répartit les clients en concluant une sorte de « pacte de non agression » ou un « Yalta des parts de marché » (pour reprendre l’expression d’un membre du cartel de la téléphonie mobile) ; on désigne à l’avance le vainqueur dans un appel d’offre tout en déposant des offres « bidon » (ou « offres de couverture ») pour laisser croire à une concurrence ; on se concerte pour boycotter l’arrivée d’un nouveau concurrent sur le marché ; on fixe ensemble des quotas de production, etc. Quelle qu’en soit la forme, le but d’un cartel est toujours le même : faire monter artificiellement les prix. A défaut de supprimer ses concurrents, on supprime la concurrence. Ces pratiques sont injustifiables économiquement et elles sont contraires à l’esprit de l’économie de marché. Elles ne génèrent aucune contrepartie positive pour les consommateurs mais conduisent à des augmentations de prix substantielles : de l’ordre de 20% en moyenne, sur une durée de vie de l’ordre de 6 à 7 ans… pour celles qui se font prendre. Elles ne transfèrent pas seulement de la richesse des consommateurs aux entreprises mais, plus grave, elles conduisent certains consommateurs à renoncent à consommer. Elles trahissent la logique de l’économie de marché, qui est fondée sur la conquête permanente de nouveaux clients, et notamment de ceux de son concurrent. En économie de 2 marché, le client doit être roi et le concurrent l’adversaire naturel. Les cartels reposent sur un principe inversé, parfaitement résumé (malgré lui) par un membre du cartel de la lysine, dont la formule a connu un grand succès médiatique : « nos concurrents sont nos amis, nos clients nos ennemis ». Face à un comportement aujourd’hui considéré comme un « cancer de l’économie » (Mario Monti), que doit-on faire ? Une seule chose : renforcer les sanctions. Une sanction, quelle qu’elle soit, vise à dissuader les agents d’enfreindre la loi. Un agent rationnel ne commettra pas d’infraction, si son profit illicite reste inférieur à ce qu’il lui en coûtera en cas de sanction, tenant compte de la probabilité de détection. Pour qu’une sanction exerce un effet dissuasif il faut que son montant soit d’autant plus élevé que la probabilité de détection est faible. Appliquons cette règle générale au cas des cartels, en faisant abstraction de la nature juridique des sanctions (amende, sanctions pénales, réparations). Concernant la probabilité de détection d’un cartel, peu d’études empiriques sont disponibles mais une probabilité de 15% constitue la borne supérieure la plus réaliste. Cela revient à dire que les sanctions, pour être vraiment dissuasives, devraient atteindre au moins 6 fois le gain illicite ! Autant dire que l’on en est loin et que les amendes, dans le meilleur des cas, viennent confisquer le profit illicite mais sans aller au delà : la fonction dissuasive des sanctions est délaissée, au profit de sa seule fonction restitutive. Dans ces conditions, on ne sera pas étonné par les comportements de récidives de certaines entreprises, notamment au niveau communautaire. Si l’on veut vraiment faire de la lutte contre les cartels une priorité, il faut s’en donner les moyens. On ne peut que se réjouir, à la suite du rapport Attali, de la réforme institutionnelle annoncée, qui devrait consacrer la naissance d’une autorité antitrust aux pouvoirs renforcés, notamment dans l’articulation entre l’enquête et l’instruction. A l’heure où la Commission Européenne insiste sur le rôle des actions civiles dans la pleine effectivité des règles de concurrence, la France pourrait aussi adopter une véritable procédure d’action de groupe, étendue aux pratiques anti-concurrentielles. En effet, les consommateurs victimes d’un cartel ne demandent jamais réparation : si le dommage global peut être considérable, celui causé à chaque consommateur reste trop faible pour qu’il engage une action individuelle à lui seul. Si l’on prend le cas de l’entente dans la téléphonie mobile entre 2000 et 2002, le dommage global a été estimé à plus d’un milliard d’euros, mais la perte pour chaque abonné se chiffre à quelques dizaines d’euros. Qui ira individuellement en justice pour si peu ? D’ailleurs, seulement 12000 plaintes ont été déposées dans le cadre de l’action conjointe engagée par une association de consommateurs … sur un parc d’abonnés qui avoisinait les 30 millions de clients à l’époque des faits. L’action collective permettra de renforcer l’effet dissuasif de l’action publique, la crainte de réparations contribuant à accroître le coût pour une entreprise d’une violation des règles de concurrence. A l’heure où la France s’engage sur la voie de la dépénalisation partielle du droit des affaires, il faut sans doute exclure de ce mouvement des pratiques aussi graves que les cartels. La pénalisation des pratiques anti-concurrentielles envoie en effet un signal fort à tous les managers qui seraient tentés par de tels agissements. 3 Document 2. Communiqué de 2007 – Conseil de la concurrence1 20 décembre 2007 : Ententes de prix dans le secteur de la distribution des jouets Le Conseil de la concurrence sanctionne à hauteur de 37 millions d'euros 5 fabricants de jouets et 3 distributeurs Saisi par le ministre de l'économie, le Conseil de la concurrence vient de rendre une décision dans laquelle il sanctionne 5 fournisseurs pour s'être entendus avec leurs distributeurs sur le prix de vente des jouets de Noël, au détriment des consommateurs. Il a également sanctionné trois distributeurs pour les mêmes faits. Le montant total des amendes s'élève à 37 millions d'euros et se décompose comme suit: Fournisseurs: Chicco – Puériculture de France : 600 000 euros ; Goliath France: 25 000 euros ; Hasbro France: 5,1 millions d'euros ; Lego SAS: 1,6 million d'euros ; MegaBrands Europe NV : 240 000 euros Distributeurs : Carrefour France : 27,4 millions d'euros ; Maxi Toys France : 1,8 million d'euros ; EPSE-JouéClub : 300 000 euros Le Conseil a considéré que les éléments au dossier - notamment en matière de police des prix - étaient insuffisants pour établir la participation à l'entente des autres entreprises auxquelles des griefs avaient été notifiés. La plupart de celles-ci n'ont pas, en effet, fait l'objet de visites et saisies dans le cadre de l'enquête menée par la DGCCRF, qui a précédé la saisine ministérielle. Les fournisseurs en cause se sont entendus avec l'ensemble de leurs distributeurs afin que leurs produits soient vendus au même prix dans tous les points de vente. Ils ont parallèlement mis en place des actions de surveillance du marché et de police des prix, auxquelles ont activement participé les distributeurs Durant les périodes de Noël des années 2001 à 2003, les fournisseurs en cause se sont respectivement entendus avec leurs distributeurs pour faire cesser toute concurrence entre points de vente et obtenir un prix de détail unique pour chacune de leur référence. Ces ententes verticales se sont accompagnées d'actions de "police des prix" de leur part, auprès des distributeurs « déviants » afin de faire remonter le prix des jouets « posant problème » et obtenir un réalignement rapide. Les nombreux errata publiés par les distributeurs pour rectifier a posteriori - et toujours à la hausse - les prix indiqués dans leur catalogue de Noël en témoignent. Les trois distributeurs sanctionnés ont également participé activement à ces actions de police : 1 C'est notamment le cas de Carrefour, qui a mis en place, pendant plusieurs années successives, une opération intitulée « Carrefour rembourse 10 fois la différence », incitant les consommateurs à effectuer une veille des prix pour son compte. Utilisant les remontées d'informations relatives aux demandes de remboursement des L’Autorité de la Concurrence était auparavant le Conseil de la Concurrence 4 consommateurs, Carrefour est intervenu systématiquement auprès des fournisseurs concernés pour qu'ils « règlent le problème » du produit moins cher constaté chez ses concurrents. C'est également le cas de MaxiToys, qui a accepté à de nombreuses reprises de remonter ses prix à la demande de ses fournisseurs, alors que - se fournissant au Bénélux à des prix d'achat inférieurs - il est en mesure de proposer des prix de détail plus avantageux pour le consommateur. A cet égard, le dirigeant de MaxiToys a indiqué lors de l'instruction que « Afin que MaxiToys ne perturbe pas le marché français, les fabricants de jouets français nous présentent les tarifs d'achat en France et nous demandent de nous aligner sur le SRP [seuil de revente à perte] français. Cela évite de perturber le marché et nous permet d'obtenir des marges supérieures et par conséquent de gagner de l'argent » C'est enfin le cas de EPSE, tête du réseau JouéClub, qui a participé à la police des prix conduite par Goliath et par MegaBrands en 2002 Le Conseil a considéré que les distributeurs sanctionnés ne pouvaient justifier leurs interventions auprès des fournisseurs, en vue de faire remonter les prix de leurs concurrents, par l'obligation de respecter la législation sur la revente à perte et cela d'autant plus que le dossier a réuni – pour la généralité du secteur – de nombreux indices démontrant que le seuil de revente à perte avait été artificiellement rehaussé (identité du seuil de revente à perte pour tous les points de vente, quel que soit le distributeur, imprécision des services de coopération commerciale, qui ne sont pas spécifiés ni individualisés, rendant ainsi impossible la vérification de la réalité de la prestation offerte, intégration dans la coopération commerciale de services qui relèvent à l'évidence de l'acte d'achat-vente, présentation faussement conditionnelle de ristournes). Ces constatations ont d'ailleurs conduit le Conseil à transmettre le dossier aux tribunaux de commerce compétents. Ces ententes de prix constatées ont abouti à l'élimination de toute concurrence entre distributeurs pour les jouets de chaque marque concernée, au détriment du consommateur L'observation des prix relevés dans les catalogues de treize distributeurs (Toys'R'Us, JouéClub, KingJouet, LaGrandeRécré, PicWic, MaxiToys, Auchan, Cora, Casino, Intermarché, Leclerc, HyperU et Carrefour) et les déclarations des distributeurs sanctionnés montrent que ces ententes ont bien fonctionné et que les prix souhaités par les fournisseurs ont été significativement appliqués par les distributeurs. Les consommateurs en ont été les principales victimes, l'achat des jouets de Noël étant incontournable en fin d'année. Le Conseil de la concurrence considère que ces pratiques sont graves Les pratiques ayant pour objet et pour effet de faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché constituent, en droit national et communautaire, des "restrictions caractérisées" de concurrence. En l'espèce, elles sont d'autant plus graves qu'elles ont été en partie mises en œuvre par des entreprises ou groupes détenant des marques à très forte renommée, comme c'est le cas pour Hasbro, Lego ou Chicco. S'agissant de Carrefour, le Conseil a relevé que « L'utilisation des consommateurs qui sont ainsi amenés à contribuer, à leur insu et à leur détriment, à l'alignement des prix des jouets sur le prix plus élevé de Carrefour, alors que l'opération publicitaire [«Carrefour rembourse 10 5 fois la différence»], a pour objectif de présenter l'enseigne comme ayant une politique de prix agressive, ajoute à la gravité de la pratique ». Décision 07-D-50 du 20 décembre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la distribution de jouets Cette décision a fait l'objet d'un recours devant la cour d'appel de Paris (affaire pendante) Le texte intégral de cette décision se trouve à l’adresse suivante : http://www.conseilconcurrence.fr/user/avis.php?avis=07-D-50 Document 3. Présentation du programme de Clémence – Site Commission européenne About the leniency policy Along with the other detection and investigation tools at the Commission’s disposal, the leniency policy proves very successful in fighting cartels. In essence, the leniency policy offers companies involved in a cartel - which self-report and hand over evidence - either total immunity from fines or a reduction of fines which the Commission would have otherwise imposed on them . It also benefits the Commission, allowing it not only to pierce the cloak of secrecy in which cartels operate but also to obtain insider evidence of the cartel infringement. The leniency policy also has a very deterrent effect on cartel formation and it destabilizes the operation of existing cartels as it seeds distrust and suspicion among cartel members. In order to obtain total immunity under the leniency policy, a company which participated in a cartel must be the first one to inform the Commission of an undetected cartel by providing sufficient information to allow the Commission to launch an inspection at the premises of the companies allegedly involved in the cartel. If the Commission is already in possession of enough information to launch an inspection or has already undertaken one, the company must provide evidence that enables the Commission to prove the cartel infringement. In all cases, the company must also fully cooperate with the Commission throughout its procedure, provide it with all evidence in its possession and put an end to the infringement immediately. The cooperation with the Commission implies that the existence and the content of the application cannot be disclosed to any other company. The company may not benefit from immunity if it took steps to coerce other undertakings to participate in the cartel. Companies which do not qualify for immunity may benefit from a reduction of fines if they provide evidence that represents "significant added value" to that already in the Commission’s possession and have terminated their participation in the cartel. Evidence is considered to be of a "significant added value" for the Commission when it reinforces its ability to prove the infringement. The first company to meet these conditions is granted 30 to 50% reduction, the second 20 to 30% and subsequent companies up to 20%. The Commission considers that any statement submitted to it within the context of its leniency policy forms part of the Commission’s file and may therefore not be disclosed or used for any other purpose than the Commission’s own cartel proceedings. 6 Document 4 – Pénalités imposées par l’Autorité de la Concurrence Document 5 – Pénalités imposées par la Commission Européenne Fines imposed by the Commission – Sources: DG Competition (July 2010) 7 Document 6. La lettre de l’Autorité de la Concurrence – Août 2010 8 entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page2 e r b i l e é r t n e rence.fr r u c n o c a l ritede www.auto Édito L A E L E T T R D E R I T É L ’ A U T O Marchés publics : des signes positifs D E L A E R R E N C C O N C U 010 • mai-août 2 n° 8 Question de fond Françoise Aubert Vice-Présidente de l’Autorité de la concurrence L Lutte anti-cartels Quel bon niveau de sanction ? ’objectif des appels d’offres pour l’attribution de marchés publics est de garantir, par la mise en concurrence, que les maîtres d’ouvrage obtiennent le meilleur rapport qualité/prix. Au bénéfice des citoyens qui financent, in fine, ces travaux et ces prestations. La prévention et la sanction des ententes entre entreprises qui participent à cette compétition sont donc essentielles pour les collectivités publiques – État ou collectivités locales. Cette activité a été l’une des grandes priorités du Conseil, devenu aujourd’hui Autorité de la concurrence : tout le monde a encore à l’esprit l’affaire des travaux publics d’Île-de-France, dite “affaire Drapo”, dans laquelle ont été mises au jour des ententes générales de répartition des marchés (34 entreprises sanctionnées en 2006) ou encore l’affaire des lycées d’Île-deFrance (12 entreprises sanctionnées en 2007), confirmées par la cour d’appel de Paris et la Cour de cassation. Son intervention a reçu le soutien appuyé du Parlement, qui, en votant la loi sur les nouvelles régulations économiques du 15 mai 2001, a incité à imposer des sanctions plus dissuasives et à prendre en compte la réitération. Cette mobilisation conjointe des pouvoirs publics et de l’Autorité a fini par payer : le contentieux tend enfin à décroître, ce dont il faut se réjouir. Le juge judiciaire a également contribué à l’efficacité de la surveillance des marchés publics, en précisant notamment la jurisprudence sur les points suivants : La concertation par l’échange d’informations. Outre les cas où les entreprises ont coordonné leurs offres, la concertation existe dès lors qu’elles ont échangé des informations sur un élément de ces offres, en particulier sur les prix, antérieurement à leur dépôt. L’intégrité concurrentielle du marché suppose en effet que chacun choisisse son risque et effectue son choix en toute indépendance, sans disposer d’informations réduisant ou supprimant l’incertitude dans laquelle doivent rester les entreprises au regard des offres concurrentes. Un standard de preuve exigeant est alors appliqué, qui, à défaut de preuves matérielles suffisantes, impose de rassembler un faisceau d’indices graves, précis et concordants ; Le rôle des offres groupées. Le fait que des entreprises se groupent pour présenter une offre qu’elles n’auraient pas été en état de faire isolément, ou bien pour concourir sur la base d’une offre plus compétitive, a un effet proconcurrentiel. En revanche, un groupement peut avoir un effet anticoncurrentiel s’il provoque une diminution artificielle du nombre des entreprises candidates ou dissimule une entente anticoncurrentielle de prix ou de répartition des marchés. Ne faut-il pas aller plus loin ? C’est le signal très fort qu’a envoyé le Conseil d’État aux acheteurs publics (maires, entreprises publiques, etc.) lésés par de telles pratiques. Dans deux arrêts de décembre 2007 et de mars 2008, la Haute juridiction confirme, après la cour administrative d’appel de Paris, qu’un acheteur public – en l’occurrence la SNCF – qui a passé un marché vicié par une entente anticoncurrentielle, dispose du statut de victime, qui lui permet de demander réparation du préjudice subi. Il en est ainsi même si le marché a été passé sans réserve, dès lors que l’acheteur ne pouvait pas savoir, au moment de la signature, que son consentement était vicié par cette pratique anticoncurrentielle. En cause en l’espèce, tout un ensemble de marchés liés à la réalisation du TGV Nord dans les années 1989/1990. Le Conseil de la concurrence a découvert qu’ils avaient été faussés par une vaste entente, sanctionnée à hauteur de 35 millions d’euros en 1995. La Cour des comptes a, pour sa part, cité le chiffre de 750 millions de francs de préjudice dans un rapport public de 1996… Alors, après l’intervention administrative de l’Autorité, l’action en réparation peut vraiment valoir la peine. ■ La mobilisation conjointe des pouvoirs publics et de l’Autorité a fini par payer : le contentieux tend enfin à décroître.” En période de crise, les cartels font encore plus mal aux PME et aux consommateurs. La vigilance doit donc rester de mise. Entrée libre fait le point sur les sanctions antitrust en France, mais aussi en Europe et aux États-Unis. p.2 et 3 Le goût du débat entréelibre reçoit Joaquín Almunia Vice-Président de la Commission européenne, en charge de la politique de la concurrence. Après six années passées aux affaires économiques et monétaires, Joaquín Almunia vient de succéder à Neelie Kroes comme commissaire en charge de la concurrence au sein de la Commission européenne, dont il devient également Vice-Président. Entrée libre a souhaité connaître sa vision de la politique de concurrence et ses priorités pour l’avenir. p.4 Question de fond entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page3 Lutte anti-cartels Quel bon niveau de sanctions ? En période de crise, les cartels font encore plus mal aux PME et aux consommateurs. La vigilance doit donc rester de mise. Les sanctions peuvent cependant être aménagées en cas de difficultés financières, comme le rappellent les “bonnes pratiques” relatives aux sanctions antitrust publiées par les autorités de concurrence européennes pour inciter à la convergence et à la prévisibilité. Vu dans la presse Ce qu’ils pensent des ententes… Christine Lagarde, ministre de l’Économie “Il est essentiel que la concurrence ne soit pas faussée du fait d’un pouvoir économique confisqué par les membres d’un cartel”. (Revue Concurrences, n° 4-2008) Patrick Ollier, Président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale “La commission est extrêmement sensible à la concurrence. Elle est intervenue dans le débat sur la LME pour la renforcer. Elle a voulu aller le plus loin possible pour assurer cette vigilance”. (AN, compte-rendu de la séance du 7 janvier 2009) Joaquín Almunia, Vice-Président de la Commission européenne en charge de la concurrence “L’application des règles de concurrence (…) n’est pas moins importante dans les périodes de crise (…). Au contraire, le tort que les infractions causent à l’économie, aux entreprises et aux consommateurs est encore plus significatif (…)”. (“La politique de la concurrence de l’UE en 2010 et au-delà”, conférence • Paris, 15 février 2010) Le Parlement européen “Il est essentiel de lutter contre les ententes pour veiller à ce que les consommateurs retirent les avantages d’un régime de concurrence, par le biais de prix moins élevés et d’un choix plus large de produits et de services”. (Résolution du 9 mars 2010 sur la politique de concurrence) Un cadre patronal cité par Les Echos “Il faut un droit de la concurrence pour éviter les distorsions, mais nous sommes émus de l’inflation des amendes, en voyant que la limite, c’est le ciel”. (Les Echos, 22 janvier 2010) Emmanuel Combe, professeur de sciences économiques et membre du collège de l’Autorité de la concurrence “(…) dans un cas sur deux l’amende infligée reste inférieure au gain illicite (…). À vrai dire, si les amendes sont élevées, c’est malheureusement parce que le dommage causé à l’économie européenne se révèle souvent important”. (Le Figaro, 2 mars 2010) Trier le bon grain de l’ivraie Comme tous ses homologues, l’Autorité de la concurrence dispose d’une palette d’instruments qui lui permettent d’apporter une réponse adaptée à toutes les questions rencontrées dans l’exercice de sa mission : contrôle préalable des fusions, intervention en urgence, procédures “alternatives” permettant d’éviter la sanction à chaque fois qu’un comportement – stratégie unilatérale ou contrat – n’a pas porté d’atteinte significative aux consommateurs, etc. Si ces outils ont vocation à monter en puissance, il reste néanmoins une part irréductible de cas dans lesquels la sanction constitue la seule réponse possible, au premier chef les cartels. Le monde entier, OCDE en tête1, s’accorde pour dire que ces ententes dissimulées visant à gonfler les prix ou répartir les marchés sont injustifiables. pacité de payer l’amende, une autre peut être multirécidiviste, etc. Tous ces paramètres sont pris en compte. Au-delà des questions traitées par l’Autorité au fil des affaires, les idées qui structurent son approche du calcul des sanctions, en ligne avec la jurisprudence européenne3 et le consensus international4, sont les suivantes : pour s’assurer que les amendes sont cohérentes avec le profit illicitement obtenu, il faut commencer par déterminer la valeur de l’activité concernée, ce qui permet aussi de coller à la réalité économique ; mais, compte tenu des difficultés rencontrées pour détecter les cartels et du grand nombre de cas de récidives constatés, le montant final de l’amende doit absolument intégrer une dimension dissuasive. Quelles voies de progrès ? Le ministre de l’Économie vient de constituer une mission (composée d’un chef d’entreprise, d’un avocat et d’un magistrat) chargée de réfléchir à la façon de préciser la méthode de calcul des amendes. Comme le montre l’expérience des 28 autorités de concurrence d’Europe, qui ont mis au point un guide de bonnes pratiques en matière de sanctions (voir encadré ci-contre, p.3), l’une des difficultés de l’exercice consiste à trouver le bon dosage entre la prévisibilité nécessaire et la part d’incertitude sans laquelle il n’est point de dissuasion. C’est un des points que l’Autorité, après avoir joué le rôle de force d’impulsion en Europe, mettra au cœur des lignes directrices qu’elle a annoncé vouloir mettre en chantier. Comme l’a déclaré son président, Bruno Lasserre : “la publication, par l’autorité indépendante, d’une synthèse ordonnée de son approche et de sa pratique est le meilleur moyen de garantir la transparence et la cohérence aux entreprises concernées”. ■ Les cartels, armes contre les PME et les consommateurs La raison en est simple : les études économiques montrent que, en moyenne, les cartels font monter les prix de 20 à 25 %2 par rapport à ceux qui résulteraient de la concurrence par les mérites. Premières victimes : les PME et les consommateurs, comme le rappelle l’économiste américain John Connor : “la fixation des prix est un “crime de cols-blancs” qui cause souvent d’importants dommages pécuniaires pour le public”. À comportement grave – les cartels sont considérés comme de véritables crimes économiques dans certains pays – réponse ferme. En France, le Parlement a porté en 2001 le plafond des amendes de 5 % du chiffre d’affaires français de la société contrevenante à 10 % du chiffre d’affaires mondial du groupe auquel elle appartient, pour permettre à l’Autorité de la concurrence d’imposer des sanctions adaptées à la réalité économique. Il a aussi marqué sa volonté de voir une politique vraiment dissuasive se mettre en place en faisant de la réitération un facteur d’aggravation des sanctions. Des amendes à la fois correctives et dissuasives Dans la limite de ce plafond, la sanction est déterminée au cas par cas, en fonction de l’infraction (gravité de la pratique et importance du dommage causé à l’économie) et de la situation individuelle des entreprises concernées : l’une d’entre elles peut se trouver en situation d’inca- Comment calculer une amende antitrust ? Le Code de commerce fixe les quatre critères à prendre en compte pour déterminer le montant d’une amende : la gravité de la pratique en cause, l’importance du dommage qu’elle cause à l’économie, la situation individuelle de l’entreprise contrevenante et la réitération éventuelle. Mais comment cela marche-t-il en pratique ? L’Autorité de la concurrence prend comme point de départ le premier critère fixé par la loi : la gravité. Le sens donné à ce terme a beaucoup évolué. Il y a dix ans, on se bornait à “cataloguer” les infractions, en considérant les cartels comme très graves et d’autres pratiques comme graves, moyennement graves ou peu graves. Aujourd’hui, l’Autorité, comme la plupart de ses homologues européens, se fonde sur la portée économique concrète de l’infraction, éva- luée à partir de la taille du marché qu’elle affecte. Cette démarche permet d’ancrer les sanctions dans la réalité économique. Mais la France va plus loin, en prévoyant un second point d’ancrage économique pour les sanctions, au stade de l’appréciation du dommage que l’infraction induit pour l’économie générale et les consommateurs. Cette notion, de nature qualitative et non seulement quantitative, permet, par exemple, d’intégrer le fait qu’un cartel a pesé sur les finances publiques, les prix, la qualité de service ou l’innovation. Ces critères font, comme les autres, l’objet d’une analyse très fouillée de l’Autorité dans chaque affaire. Alors que les décisions ne consacraient que quelques lignes aux sanctions il y a dix ou quinze ans, il n’est pas rare de trouver aujourd’hui des motivations consacrant vingt à quarante pages à cette seule question. 1 • Voir la résolution du Conseil de l’OCDE de 1998 et ses rapports d’application : http://www.oecd.org/pages 2 • Ce chiffre est une hypothèse basse. Voir le résultat des 13 études économiques recensées par Constance Monnier, “De la détection à la sanction des cartels : une évaluation économique de la politique antitrust communautaire”, thèse de doctorat d’économie de l’Université Paris 1-Panthéon-Sorbonne, décembre 2009, page 197. 3 • Voir l’arrêt de la Cour de justice européenne du 9 juin 2009, X BV, affaire C-429/07 : http://curia.europa.eu 4 • Voir le rapport du Réseau international de la concurrence de 2007 sur la sanction des cartels : http://www.internationalcompetitionnetwork.org 5 • Guide de bonnes pratiques de l’ECA (European Competition Association) : http://www.autoritedelaconcurrence.fr entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page4 Les sanctions antitrust en Europe et dans le monde : des faits et des chiffres D ans de nombreux pays, les autorités de concurrence peuvent mobiliser une panoplie complète d’instruments pour lutter contre les cartels : sanctions pécuniaires, interdictions d’exercer, voire peines d’emprisonnement. Aux États-Unis par exemple, les amendes sont sensiblement moins élevées qu’en Europe : elles ont atteint un total de 4,2 milliards de dollars entre 2000 et 2009 à Washington, contre 12,9 milliards d’euros à Bruxelles. Mais pour faire une comparaison complète et scientifique de la lutte anti-cartels en Europe et outreAtlantique, il ne faut pas oublier que les amendes ne sont qu’un outil secondaire pour le Département de la Justice américain par rapport à l’emprisonnement. Et c’est parce que le recours à l’emprisonnement, qui présente l’intérêt de cibler directement les organisateurs de cartels, n’est pas prévu en Europe, que la Commission européenne est obligée d’imposer des amendes plus élevées que ses homologues américains. Pour autant, cela justifie-t-il les critiques selon lesquelles les amendes seraient trop élevées ? Là encore, il faut regarder les chiffres. L’analyse des affaires traitées par les autorités de concurrence au cours des dernières années montre que, si les amendes sont effectivement devenues plus dissuasives, elles demeurent très loin du plafond légal, fixé dans la plupart des pays d’Europe à 10 % du chiffre d’affaires. Pour leur part, les sanctions prononcées par l’Autorité de la concurrence française se situent dans le bas de la fourchette, si on les rapporte au nombre d’entreprises sanctionnées et à leur chiffre d’affaires. Et la part qu’elles représentent en moyenne par rapport au chiffre d’affaires a baissé entre 2007 et 2009 (voir tableau ci-dessous). Sur la période 2000/2009, les autorités antitrust américaines ont imposé un total de 127 708 jours de prison ferme (soit 348 ans) à des cadres d’entreprises ayant participé à des cartels. La Commission européenne qui n’a, pour sa part, pas cette possibilité, impose des amendes plus élevées. 2004-2009 : Nombre de jours de prison ferme infligés par l’UE et les États-Unis aux dirigeants ou cadres d’entreprises ayant participé à des cartels 2004-2009 : Amendes infligées par l’UE et les États-Unis aux entreprises ayant participé à des cartels 4 000 40 3 338 31 391 25 396 30 3 000 2 271 1 846 2 000 1 623 20 14 331 13 157 1 000 1 000 369 350 676 473 338 630 0 0 2004 2005 2006 2007 2008 7 334 10 701 2009 5 383 0 0 0 0 0 0 2004 2005 2006 2007 2008 2009 Commission européenne Autorités américaines Commission européenne Autorités américaines en millions d’euros en millions de dollars en jours de prison ferme en jours de prison ferme Source : ec.europa.eu/competition Source : www.justice.gov Source : www.justice.gov Les sanctions dans les principaux pays d’Europe, 2007/2009(1) Autorité Nombre de décisions adoptées Total des amendes imposées Nombre d’entreprises sanctionnées Montant moyen d’amende par entreprise % moyen d’amende par rapport au chiffre d’affaires 111 1 061 119 8,9(2) 4(2) Comisión nacional de la competencia (Espagne) 39 260 88 3 NC Autorité de la concurrence (France) 55 1 058 234 4,5 1,5(3) Office of Fair Trading (Royaume-Uni) 5 482 116 4,2(4) 2,3(4) 24 8 441 116 72,8 NC Bundeskartellamt (Allemagne) DG COMP (Union européenne) En millions d’euros et avant réformation éventuelle par les juridictions de contrôle • (2) Chiffre fourni par le Bundeskartellamt • (3) Ce pourcentage est en baisse sur la période : 1,75 % en 2007, 1,48 % en 2008 et 1,2 % en 2009 • (4) Chiffre fourni par l’Office of Fair Trading, dont une décision a conduit sur la même période à une décision de condamnation de trois dirigeants à des peines de prison ferme allant de 2 à 3 ans (affaire Marine Hose). (1) Transparence et cohérence : un nombre croissant d’autorités de concurrence d’Europe se dotent de lignes directrices sur les sanctions antitrust À la différence du droit pénal qui prévoit des centaines d’infractions, le droit de la concurrence n’en comporte que deux, rédigées en des termes suffisamment “plastiques” pour pouvoir s’adapter à toutes les situations : l’interdiction des ententes et celle des abus de position dominante. La mise en œuvre de ces dispositions doit donc systématiquement tenir compte des circonstances propres à chaque affaire (nature de la pratique, effets sur le marché, etc.). De même, les sanctions ne se fondent pas sur une “échelle des peines” préconçue et mécanique, mais sur des critères faisant l’objet d’une mise en œuvre adaptée à chaque espèce : gravité de l’infraction, situation personnelle des contrevenants, incidence sur les consommateurs, etc. La politique de concurrence se forge donc au cas par cas – ce qui ne veut pas dire que les autorités de concurrence n’ont pris aucune mesure pour assurer la cohérence d’une décision à l’autre et, surtout, la transparence vis-à-vis des entreprises. Au contraire, après la Commission européenne, qui a publié une communication sur les sanctions en 1998 avant de la moderniser en 2006, un nombre croissant d’entre elles ont publié des lignes directrices synthétisant leur pratique décisionnelle : autorités hongroise (GVH) en 2003, britannique (OFT) en 2004, polonaise (UOKIK) en 2005, allemande (Bundeskartellamt) en 2006, espagnole (CNC) en 2009… Le mouvement devrait s’accélérer maintenant que les travaux de l’association des autorités de concurrence d’Europe (ECA) ont débouché, grâce à un groupe de travail coprésidé par le Conseil de la concurrence français, qui en a pris l’initiative en mai 2006 à Nice, et l’Autorità Garante italienne, sur un guide de bonnes pratiques communes à toute l’Europe en matière de sanctions antitrust (www.autoritedelaconcurrence.fr/ doc/eca_ppes_convergence.pdf). En fixant clairement une méthodologie sur le papier, ces lignes directrices, auxquelles s’est déclaré favorable le président de l’Autorité française, constitueront un standard par rapport auquel les entreprises et les juridictions de contrôle pourront vérifier la motivation des décisions de sanction et assurer l’égalité de traitement. Entretien avec Après six années passées aux affaires économiques et monétaires, Joaquín Almunia vient de succéder à Neelie Kroes comme commissaire en charge de la concurrence au sein de la Commission européenne, dont il devient également Vice-Président. Entrée libre a souhaité connaître sa vision de la politique de concurrence et ses priorités pour l’avenir. Quelles sont les priorités que vous vous fixez pour votre mandat en matière de politique antitrust ? Ma première priorité est de poursuivre une application rigoureuse des règles antitrust contre les comportements anticoncurrentiels en Europe, que ce soit contre les cartels, les autres accords anticoncurrentiels ou les abus de position dominante, dans quelque secteur ou quelque pays que ce soit. En parallèle nous devons bien sûr assurer la mise à jour des règles antitrust – par exemple, je pense au nouveau règlement d’exemption par catégorie et aux lignes directrices en matière de restrictions verticales – afin d’assurer un niveau élevé de prévisibilité juridique aux entreprises, et de prévenir des restrictions de concurrence sur nos marchés. Au-delà du cadre législatif propre à la concurrence, je pense que nous devons faire un effort particulier pour communiquer, à la fois au législateur européen et national, aux entreprises elles-mêmes et aux consommateurs, la nécessité de poursuivre une politique de concurrence effective. Tous les acteurs économiques et sociaux doivent avoir conscience des avantages concrets qui en découlent pour chacun, à savoir de la contribution de la concurrence à la réduction des prix, à la qualité et la variété de l’offre de produits et de services, à l’innovation et à la compétitivité des entreprises européennes, ainsi qu’à la réalisation d’une croissance économique durable en Europe. causent un dommage d’autant plus significatif aux entreprises “clientes” (qui sont souvent des PME) et aux consommateurs, puisqu’elles ont pour effet d’augmenter les prix à un moment où ils peuvent moins bien le supporter. Et ces comportements ont pour effet d’éviter aux entreprises contrevenantes des restructurations pourtant nécessaires. Toutefois, cela ne veut pas dire que nous ne devons pas tenir compte des arguments légitimes avancés par certaines entreprises qui connaissent de sérieuses difficultés financières, notamment pendant cette période de crise. À cet égard, nos lignes directrices sur les amendes nous permettent de tenir compte de l’incapacité réelle de paiement d’une entreprise. Ma première priorité est de poursuivre une application rigoureuse des règles antitrust contre les comportements anticoncurrentiels en Europe.” La crise appelle-t-elle selon vous une révision de la lutte anticartel ? Je ne pense pas que la crise justifie une révision fondamentale de la politique actuelle en matière de cartels. Le plus important pour l’instant est de maintenir l’effet dissuasif des amendes, afin de prévenir les infractions. En effet, rappelons – encore une fois – que la seule façon de ne pas être exposé à des amendes est de ne pas s’engager dans des activités illicites en premier lieu ! En période de crise, les infractions aux règles de concurrence S E LDEZ- REN VOUS Quel regard portez-vous sur les procédures antitrust européennes ? Je vois clairement les avantages du modèle européen pour l’application des règles antitrust – c’est un système administratif, largement semblable à celui que vous avez en France et à celui qui existe dans d’autres États membres. Il permet à la Commission européenne, tout comme à l’Autorité de concurrence en France, de bénéficier d’une véritable expertise économique et sectorielle, ce qui veut dire que notre politique de concurrence tient compte des réalités du marché. Nous sommes parfois critiqués par certains parce que nous exerçons des pouvoirs d’investigation et des pouvoirs décisionnels. Toutefois, le modèle européen est protecteur des droits de la défense : il permet aux entreprises d’être entendues et d’avoir accès au dossier avant qu’une décision administrative ne soit prise. C’est un aspect fondamental de ce modèle, qui permet d’éviter des poursuites infondées devant des juridictions. Il est aussi important de se souvenir que les décisions de concurrence adoptées par la Commission européenne font ensuite l’objet d’un examen particulièrement approfondi par les tribunaux européens de Luxembourg en cas de recours. Joaquín ALMUNIA, Vice-Président de la Commission européenne, en charge de la concurrence Ceci étant, il est fondamental pour moi que la Commission, en tant qu’autorité de concurrence, exerce son rôle de manière impartiale et soit perçue comme telle. Son rôle est d’instruire les affaires portées à sa connaissance “à charge et à décharge”, et je veux veiller à ce qu’elle le fasse. Mais je reste à l’écoute des critiques constructives de nos interlocuteurs en matière de prévisibilité et de transparence des procédures. À cette fin, nous avons récemment publié pour consultation un projet de Lignes directrices en matière de procédures antitrust, à l’instar de ce qui avait été fait en matière de contrôle des concentrations et nous sommes en train d’analyser les réponses à cette consultation publique pour déterminer si des améliorations peuvent être apportées. Qu’attendez-vous de la coopération avec le Réseau européen ? Je suis très conscient que la mise en œuvre des règles européennes de concurrence n’est pas exclusivement du ressort de la Commission européenne. C’est une tâche partagée entre la Commission et les autorités nationales de concurrence – à ce titre, vous en êtes un acteur indispensable. Le Réseau européen de concurrence a pour but d’approfondir la cohésion et la cohérence dans l’application des règles européennes de concurrence à travers l’Europe et de ce fait contribue à l’existence de conditions égales de concurrence au sein du marché unique européen. Je suis impressionné par la coopération qui existe au sein du Réseau européen de concurrence et des avancées qui ont été réalisées ces dernières années – et notamment les initiatives qui ont été poursuivies pour assurer plus de convergence, par exemple en matière de clémence. Je souhaite que nous poursuivions cette coopération à tous les niveaux, tant au niveau opérationnel qu’au niveau de la direction du réseau, afin d’assurer une application effective du droit européen de la concurrence. L’Autorité en direct Sport et concurrence ” Les “Rendez-vous” d’été de l’année 2010 seront organisés au mois de juin prochain sur les problématiques liant le sport et la concurrence. Le programme détaillé sera mis en ligne dans le courant du mois de mai sur le site de l’Autorité (www.autoritedelaconcurrence.fr). Réseau européen de la concurrence La montée en puissance du Réseau européen de la concurrence (REC) stimule peu à peu une plus grande cohérence des approches et des pratiques des différents États membres en matière de concurrence. Le prochain numéro d’Entrée libre consacrera une page spéciale aux actions de coopération menées par le REC en 2009, qui laissent entrevoir le chemin d’une véritable convergence des politiques européennes. À paraître dans Entrée libre n°9, septembre 2010 Directeur de la publication : Bruno Lasserre - Rédactrice en chef : Anne Marchand ([email protected]) - Conception et réalisation : Peter Pen Crédit photos : Thinkstock • ISSN 2104-1164 Autorité de la concurrence : 11 rue de l’Échelle, 75001 Paris • Tél. : +33 (0)1 55 04 00 00 www.autoritedelaconcurrence.fr e Édito Joaquín Almunia INTERVIEW Le goût du débat entree libre 8 v4:conseil de conq 1 news 28/04/10 18:02 Page1