1. L’artiste : (Un montage diapo accompagne cette présentation : Crucifixion blanche de CHAGALL GSR) Marc Chagall est né, officiellement, le 7 juillet 1887 à Vitebsk (Russie). Issu d'une famille juive et très croyante, l'aîné de neuf enfants, sa mère était femme au foyer et son père employé dans un dépôt de hareng. Sa jeunesse est marquée par la tradition juive hassidique, ses séjours à la campagne chez son grand-père, sa fascination pour les animaux de ferme. Très jeune il puise son inspiration dans la chaleureuse vie familiale et l'observation du quotidien. Dès son plus jeune âge, on lui trouva un grand talent artistique, il entrera dans l'atelier Pen à Vitebsk, pour y étudier le dessin et la peinture et pratique le violon. Il partira avec un ami à Saint-Pétersbourg pour étudier la peinture. Etant juif, il doit, pour séjourner hors du stetl, obtenir un permis de travail donc trouver un emploi, par chance il rencontre un avocat qui l'engage comme domestique et lui laisse tout loisir de suivre les cours de peinture de Nicolas Roerich, puis de Léon Bakst. Grâce à ce dernier, décorateur des ballets russes fondés par Serge Diahilev, il trouve plus de liberté artistique et affirme sa vision de coloriste. En 1910, il part pour un voyage de quatre jours à Paris grâce à un mécène, il s'installe à Montmartre dans l'appartement d'un ami russe, c'est là qu'il eut son premier atelier. Dans les musées et lors d’expositions,il découvre les impressionnistes (Gauguin, Van Gogh...). En 1911, il présente pour la première fois un tableau, " Moi et mon village", lors d’une exposition du Salon des indépendants En 1914, à la fin de son séjour à Paris, il envoie un ensemble de ses œuvres à la "Galerie Der Sturm" à Berlin qui réalisera sa première exposition. En 1915, il retourne dans son village natal pour y épouser Bella Rosenfeld dont il aura une fille et se voit contraint de rester en Russie à cause de la première guerre mondiale. Il y retrouve le monde de son enfance, et revient à une sorte de réalisme en peintur. Ainsi, en 1917, il affirme sa liberté créatrice à travers des toiles inspirées par l'amour qu'il porte à sa jeune femme.. " Déçu par les déviations du régime communiste, il retourne définitivement en France (excepté durant la deuxième guerre mondiale où il se réfugie aux Etats- Unis). En 1944, sa femme Bella décède d'une infection virale, durant des mois il sera incapable de reprendre son travail. En 1949, il s'installe à Saint-Jean Cap Ferrat sur la côte d'Azur, où il se retranche de plus en plus tant artistiquement que dans sa vie privée. Dans les années 30 Chagall développa de nombreux thèmes bibliques, suite à deux voyages qui le marquèrent profondément : le premier en Palestine (1931) et le second à Amsterdam, où il découvre l'œuvre de Rembrandt. Ses œuvres majeures sur les thèmes bibliques révèlent une profonde connaissance des textes, servie par un style narratif, libre et mobile. En 1950, il s'établit à Saint-Paul de Vence, et se remarie, en 1952, avec Valentina Brodsky. Sa renommée est internationale. Les œuvres de la dernière période de sa vie furent marquées par un côté intimiste et surnaturel. Son style évolue vers des compositions de plus en plus oniriques, habitées de fleurs, de paysages, d'animaux (poissons, coqs, chèvres...) et d'amoureux " Les mariés de la tour Eiffel" (1928). En 1962, il fait un voyage à Jérusalem pour l'inauguration des vitraux de la synagogue " Haldasah" à Jérusalem. En 1963, une rétrospective de son œuvre est présentée à Tokyo et Kioto, des panneaux des vitraux de Metz font partie de cette grande exposition. Il décède à l'âge de 98 ans, le 28 mars 1985 à Saint-Paul de Vence (France). 2. L’œuvre étudiée : Crucifixion blanche, Chagall, 1938. Huile sur toile. 155 x 140 cm. The Art Institute of Chicago, Chicago, IL, USA C’est l’œuvre la plus connue de Marc Chagall. Elle fut réalisée par l’artiste 14 jours après la nuit de cristal (nuit du 9 au 10 novembre 1938) qui vit la destruction de 2676 synagogues et la mort de 91 juifs en Allemagne. C’est donc un document historique pour une part, mais également une construction psychique de l’artiste et une façon nouvelle de représenter la crucifixion au XXème siècle. L’huile sur toile est précédée de cinq œuvres de préparation connues, qui se trouvent au Musée National Marc Chagall à Nice. Il y a peu de modifications entre les esquisses et l’œuvre finale. 3. Le contexte ; les sources du peintre : (cf. programme d’histoire de 3 ème : première guerre mondiale, révolution russe, stalinisme, nazisme,…) La période de la seconde guerre mondiale. Dès 1933, un certain nombre de mesures antijuives sont prises en Allemagne, reflets d'un racisme déjà à l'œuvre dans l'appareil d'Etat. Ainsi, en septembre 1935, lors du congrès de Nuremberg, furent hâtivement rédigés et adoptés deux décrets successifs : la « loi pour la protection du sang et de l'honneur allemands ». Avec la prise de pouvoir d'Hitler, c'est une litanie d'exclusions et d'interdictions qui touche la population juive (par exemple le 22 septembre 1933 : interdiction pour les juifs d'exercer les métiers artistiques)1. La même année, fut créé le premier camp de concentration à Dachau. Les camps, originellement destinés aux opposants politiques, accueillirent rapidement les juifs. La SchutzStaffel obtint que leur exécution sommaire ne soit pas l'objet de poursuites policières ou judiciaires. Le 15 juin, 15 000 juifs furent déportés en camps de concentration. Fin octobre commença la déportation des Polonais. Le 9 juin, les Allemands détruisirent la synagogue de Munich et le 10 août celle de Nuremberg. Le 9 novembre 1938, un juif allemand ayant assassiné un diplomate allemand de second rang à Paris, Goebbels profita de la situation pour susciter des émeutes dans toute l'Allemagne. La SturmAbleitung ordonna alors d'incendier les synagogues. La "nuit du cristal" (9 au 10 novembre) fut un pogrom à l'échelle du pays : les magasins, les propriétés et les synagogues juives furent attaqués. A cause de l'impossibilité d'exécution du projet « Madagascar », visant à concentrer tous les juifs dans cette île 2, une phase transitoire fut mise en place : le ghetto, suivi de l'internement dans des camps de travail. Ces solutions étant toujours encore jugées trop lentes et trop coûteuses pour l'élimination de la race « inférieure », les nazis organisèrent la « solution finale » : les convois de la mort et l'euthanasie à grande échelle. Dès la fin 1940, de nombreux massacres avaient été perpétrés à l'est3. Vitebsk, le village natal de Chagall, fut conquis en juillet 1941. Une partie de la population émigra vers la Russie intérieure, car l'armée russe en retrait incendia la ville. Les 16 000 juifs restants furent enfermés dans le ghetto, et le 8 octobre 1941, leur élimination systématique commença. On estime à trois millions les prisonniers de 1 LECOMTE Jean-Michel, "Les mesures anti-juives en Allemagne", in Savoir la Shoah, p. 43-45. LECOMTE Jean-Michel, "Le plan Madagascar", in Savoir la Shoah, ibidem, p. 59. 3 LECOMTE Jean Michel, "La mise en œuvre de la solution finale" ibidem p. 75 à 77. 2 guerre soviétiques disparus en captivité, pour la plupart morts de faim. Martin Gilbert4 estime à 5 100 000 les Juifs tués pendant la période nazie. Chagall est confronté aux premières manifestations de l'antisémitisme lors d'un voyage en Pologne au printemps 1935. Il en est profondément marqué5, mais ne l'exprime que plus tard dans ses tableaux. En 1933, les nazis brûlent trois de ses œuvres dans le sinistre autodafé de Mannheim6. En 1937, les œuvres de Marc Chagall -comme celles de nombreux autres peintres juifs- sont décrochées des musées et font partie, à Berlin, de l'exposition l’Art dégénéré7, avant d'être détruites. Le peintre ne reste pas sans réagir à cette montée de l'antisémitisme. Outre les tableaux qui manifestent sa souffrance, telle la Crucifixion blanche, il collabore en 1938 à l'illustration de Et sur la terre, un plaidoyer écrit par André Malraux en faveur de la liberté Ayant failli se faire prendre dans une rafle à Marseille, Chagall, inquiété par les lois antisémites du Gouvernement de Vichy, accepte l'invitation de l'Emergency Rescue Committee de rejoindre l'Amérique. 4. Le thème de l’œuvre : une crucifixion déportée. C’est une crucifixion, mais une crucifixion bien particulière qui est représentée. Il s’agit à la fois d’un déport et d’un report du thème chrétien de la crucifixion. D’un déport car l’artiste a implanté la croix au milieu des évènements tragiques des années 1937 en Allemagne, et en même temps il a réintégré le personnage dans son contexte religieux initial, le judaïsme (report). Les éléments étudiés seront plus particulièrement les suivants : La Crucifixion blanche, port et déport d’un sujet chrétien La Crucifixion blanche, un document historique La Crucifixion blanche, un appel à la résistance La Crucifixion blanche, une anti-affiche de propagande A. Première partie : description, plan par plan : (dia 3) a. La figure centrale du Crucifié L’imposante figure du crucifié est immédiatement reconnaissable, mais elle est à part. L’œil du spectateur est attiré par ce corps qui irradie de lumière et la douceur du visage. La tête légèrement inclinée sur le côté, le crucifié est une image de sérénité et de compassion avec ses yeux fermés aux longs cils ourlés et sa bouche légèrement entrouverte. Ces bras grands ouverts devraient attirer le regard vers les scènes de violence qui l’entourent, mais le regard du spectateur revient sans-cesse vers cette expression de la douceur et de la quiétude, comme pour s’échapper en un lieu où toute cette violence n’a pas sa place. Le rayon lumineux qui vient d’en haut isole encore davantage la figure du crucifié du reste du tableau. Pourtant, ce n’est pas une crucifixion ordinaire qui est représentée là : la couronne d’épines a été remplacée par un turban et le pagne par un châle de prière juif (le talith). La croix est une croix en Tau, sans titulus, ce qui donne l’impression que l’écriture du motif de condamnation flotte dans les airs. Cette écriture conforme au texte biblique (Jésus le nazaréen, roi des Juifs) est écriture de deux façons différentes (dans l’évangile, on note qu’elle était écrite en trois langues différentes, le latin, l’hébreu et le grec, pour que tous comprennent) une première fois les initiales INRI en lettres gothiques avec une couleur rouge-sang, cette ecriture renvoie au journal der Völkisches Beobachter que l’on trouve dans tous les Spécialiste de l’histoire des deux guerres mondiales, notamment de l’histoire de la Shoah. MARCHESSEAU Daniel, Chagall ivre d'images, p. 88. 6 MARCHESSEAU Daniel, ibidem, p. 88. 7 MARCHESSEAU Daniel, ibidem, p. 89. 4 5 kiosques. La seconde écriture est en araméen, la langue de Jésus, elle rappelle que le crucifié est juif. Le caractère saint du condamné est marqué par l’auréole et cette lumière qui vient d’en haut. Isolé au milieu des scènes de violence, le crucifié en est pourtant l’axe central : autour de lui cinq scènes s’articulent en une ronde sans fin. Ce crucifié est donc bien Jésus de Nazareth, mais il s’agit d’un report : le sujet est reporté dans le contexte dont il est issu. Ce n’est pas Jésus le Christ des chrétiens, mais Jésus le juif, persécuté par ceux-là même qui le reconnaissent comme leur Seigneur. Comme de nombreux artistes juifs du début du XXè siècle (cf. diapo 4), Chagall rappelle aux chrétiens qu’en persécutant les juifs, ils persécutent leur Dieu. (cf. la parole de Jésus à saint Paul sur le chemin de Damas : c’est moi Jésus que tu persécutes.) b. La menora est centrale dans le bas de l’image, son éclat nacré tranche sur la neige. Le halo autour du chandelier, de la même couleur que la lumière descendant du haut du tableau, reprend en contrepoint l’auréole du crucifié. La lumière, symbole du début su sabbat, le temps de Dieu, brûle encore mais déjà, deux flammes sur six s’estompent. Où est la septième ? c. Arrière-plan droit : le pogrom de la nuit de cristal1. (dia 5) La nuit de Cristal (en allemand Reichskristallnacht) est le pogrom contre les Juifs du Troisième Reich qui se déroula dans la nuit du 9 novembre au 10 novembre 1938 et dans la journée qui suivit. Présenté par les responsables nazis comme une réaction spontanée de la population suite à l'assassinat, le 7 novembre 1938, de Ernst vom Rath, un secrétaire de l'ambassade allemande à Paris, par un jeune Juif polonais d'origine allemande, Herschel Grynszpan, le pogrom fut en réalité ordonné par le chancelier du Reich, Adolf Hitler, organisé par Joseph Goebbels, et commis par des membres de la Sturmabteilung (SA), de la Schutzstaffel (SS) et de la Jeunesse hitlérienne, soutenus par le Sicherheitsdienst (SD), la Gestapo et d'autres forces de police. Sur tout le territoire du Reich, plusieurs centaines de synagogues et lieux de culte furent détruits, 7 500 commerces et entreprises exploités par des Juifs saccagés ; une centaine de Juifs furent assassinés, des centaines d'autres se suicidèrent ou moururent suite à leurs blessures et près de 30 000 furent déportés en camp de concentration : au total, le pogrom et les déportations qui le suivirent causèrent la mort de 2 000 à 2 500 personnes. Point culminant de la vague antisémite qui submergea l'Allemagne dès l'arrivée des nazis au pouvoir en janvier 1933, la « nuit de Cristal » fut l'une des prémices de la Shoah. En provoquant cette première grande manifestation de violence antisémite, les nazis voulurent accélérer l'émigration des Juifs, jugée trop lente, en dépit de la politique de persécution et d'exclusion mise en œuvre depuis février 1933. L'objectif fut atteint : le nombre de candidats à l'émigration crût considérablement, mais au-delà de l'indignation que l'évènement suscita dans le monde, les frontières des autres pays restèrent fermées. Marquant une rupture avec la politique nazie de 1933 à 1937, ainsi qu'une étape dans la violence et la persécution antisémites, cet évènement fut également révélateur de l'indifférence des nations au sort des Juifs d'Allemagne et d'Autriche, et de l'incapacité des États démocratiques à contrecarrer les coups de force menés par l'Allemagne de Hitler. (dia 6) La première scène, en haut à droite de l’image évoque cette nuit de cristal. Chagall a peint le mur ouest d’une synagogue (ou mur de Jérusalem) qui est le mur dans lequel est creusé l’arche sainte. Un soldat de la section d’assaut (S.A.= Sturmabteilung), clairement identifiable à sa chemise brune, son brassard, ses bottes et ses armes, profane l’arche sainte. Il a ouvert le rideau et y a mis le feu. Il s’apprête à présent à arracher les rouleaux de la Torah avec leur mantelet marqué de l’étoile de David et de les jeter à terre. A gauche, une petite fenêtre grillagée laisse encore voir la lumière perpétuelle qui marque la présence sacrée de la Torah Au-dessus de l’arche sainte, les lions symboles de la tribu de Juda ornent encore le tympan, deux éléments symboliques : la couronne et l’étoile, dite de David, marquent l’alliance avec Dieu et la descendance du roi David. Le tympan est couronné par les tables de la Loi qui tranchent dans la nuit par leur blancheur, ce sont, symboliquement, les derniers vestiges de la foi juive encore debout, mais leur chute ne saurait tarder. Au-dessus des toits flottent deux drapeaux, ceux de l’empire allemand décadent, qui garantissait le lieu de culte comme un lieu d’asile aux réfugiés. Ces deux drapeaux se transformeront bientôt en cendres par le feu qui s’échappe de la synagogue : un monde se meurt. Hitler a clairement exprimé son opinion à ce sujet : « la conscience est une invention d’Israël. Je l’extirperai de ma jeunesse allemande. Elle amollit les hommes, les rend scrupuleux et peu aptes à vivre. Je veux redécouvrir dans les visages de mes garçons et de mes filles le dur visage du loup. » Tous les éléments symboliques du judaïsme sont ainsi démantelés, brulés et jetés à terre. Au pied de l’arche sainte, différents éléments du culte rappellent cette destruction. C’est d’abord la lampe éternelle qui marque la présence de la parole de Dieu : Shemma Israël. C’est également le chandelier tout à fait symbolique de Hanoukka qui rappelle une autre persécution, celle d’Antiochus Epiphane en 165 av. Jésus-Christ. Cet élément symbolique est aussi un message de Chagall ; en effet, pendant la célébration de cette fête de joie le texte biblique dit : « Ne craignez pas les tyrans, résistez, Dieu se portera à votre secours. » Les chaises brisées et les livres de prière jetés à terre rappellent le rassemblement de la communauté en ce lieu, mais ils évoquent l’enfance du peintre qui écrit dans son autobiographie Ma vie : Avant que mon père ne parte pour la synagogue, il va chercher pour ma mère, les livres de prière… Assis à table, ils marquent les pages concernées au crayon de papier… Dans un coin il écrit : commencer ici. A un endroit important il note : pleurer. A d’autres endroits : écouter le chantre. » La chaise renvoie également le peintre à son enfance dans la synagogue de Vitebsk : « Près de la place qu’occupait mon grand-père à la synagogue, j’étais tout à fait transporté…Le murmure des prières me ravissait et le ciel me semblait plus bleu. » Tous ces souvenirs purs d’enfance sont jetés dans la saleté. d. Premier plan droite : images de fuite : (dia 7) Chagall a mis en relief l’image du fuyard en rehaussant sa figure d’un caftan vert. Les jambes en mouvement, l’inclinaison de son corps et la tension de sa main gauche vers le bord extérieur du tableau impriment un rythme d’urgence à cette scène : « vite ! fuyons ! ». Sous ces pieds la torah est en flamme, et un vent accélère encore cette combustion ainsi que le démontre la longue flammèche qui s’échappe vers la gauche. La torah est presque entièrement déroulée à gauche, et très peu à droite. Là encore Chagall est très attentif au réalisme. (dia 8) En effet, c’est la position (déroulée exactement ainsi) qu’avait la Torah pour sa lecture en ce mercredi 9 novembre 1938 dans le monde entier : c’était la troisième lecture de l’année juive. Cette année-là, la lecture avait commencé par le récit de la création en Gen 1, le jour de la fête de la Torah (le 23.10.1038) et 15 jours plus tard, l’on lisait le passage de Gen 12 ou Dieu dit à Abraham : « Quitte ta maison et ta parenté,… » Sous les pas du fuyard, encore un livre de prière aux pages écornées et une petite tache d’or,… Un message visionnaire de l’artiste à ses coreligionnaires,…. (dia 9) Tout en bas de l’image, une femme avec un nourrisson essaie de fuir hors du champ. Pour Chagall, la femme à l’enfant est vraiment, en cette période de guerre, le symbole même de l’innocence persécutée et du salut impossible. En effet, comment se cacher, quand un enfant pleure, comment se sauver quand il faut porter et protéger un enfant ? De nombreux récits de guerre (notamment chez Elie Wiesel Ani Maamin) relatent la découverte de tout un groupe de fuyards en raison des pleurs d’un enfant. Cette femme est la seule personne de toute l’œuvre qui regarde le spectateur, afin peut-être qu’il entende son appel : « où dois-je fuir, ne peux-tu me sauver ?... ». Comparée à l’affiche de promesse nazie, cette femme en fuite prend encore plus de relief douloureux et dérisoire. Car pour Chagall ses images doivent permettre le dialogue avec son spectateur, et le dialogue entre les différents spectateurs qui la contemplent. e. Premier plan gauche : images de fuite et de violence : (dia 10) A gauche de la menorah, Chagall a peint trois hommes qui semblent glisser hors de l’image en raison du terrain en pente. Le premier pleure, il a déjà à moitié disparu, happé dans l’inconnu. Le second, habillé d’un vêtement bleu porte sur sa poitrine un dossard de dérision sur lequel Chagall avait écrit, dans un premier temps : Je suis juif. L’inscription fut ensuite effacée. Ce dossard est aussi une manière de tourner en dérision un des symboles importants du judaïsme : le pectoral d’Aaron. Un simple ouvrier en habit de serrurier essaie, comme le montre à nouveau cette main tendue vers le bord de l’image, de mettre en sécurité le rouleau de la Torah. Il essaie de préserver l’alliance scellée au Sinaï afin de garantir un avenir pour le peuple élu. (dia 11) Au-dessus de cette fuite émerge une scène maritime, comme un collage au milieu d’une œuvre. Sur un bateau, dont on ne connaît pas la direction, des scènes de désespoir sont montrées. A gauche, une femme apathique regarde dans le vide, deux hommes, morts de soif ou de faim, se laissent basculer sur le rebord de la barque, une femme jette son enfant (décédé ?) par-dessus bord, d’autres crient et font des signes des bras dans toutes les directions, comme si une aide pouvait venir de l’extérieur. Là encore nous sommes dans l’évocation de la réalité historique. Il s’est inspiré des informations (son gendre était reporter de guerre) pour évoquer la situation des juifs exilés qui essayèrent de fuir vers l’Amérique et qui furent refoulés par la police des ports. En raison des quotas d’immigration de la Loi Roosevelt (1938) peu de visas étaient donnés aux immigrés. Les immigrés étaient obligés de repartir sur le même bateau et de retourner vers l’Allemagne hitlérienne avec, comme choix leur élimination systématique ou le suicide. Par l’intégration de cet élément insolite dans le tableau Chagall évoque la situation désespérée des exilés. (dia 12) Aussi insolite est la scène avec ce village, qui est comme des maisons en carton projetées dans le ciel. Le village a l’aspect du Vitebsk que l’on retrouvera maintes fois dans les tableaux postérieurs du peintre (après la destruction en 1941 par les allemands de l’enceinte juive), mais ici c’est un autre évènement historique qui est montré : celui de Guernica2. Le bombardement de ce village fut le premier dans l’histoire et les journaux de l’époque titraient : « Les maisons tournoyaient en l’air comme des cartons de papier. » Chagall a l’art de mettre ainsi en images des tournures de langage. A gauche, l’on aperçoit le seul animal de l’image : une chèvre à côté d’une chaise, elle attend son maître qui l’emmenait quotidiennement au pré, lui assis sur sa chaise pendant qu’elle broute. Mais il a été tué et git entre les pierres de l’âtre. L’animal innocent qui subit la violence humaine sans la comprendre est aussi voué à la mort. Vers la droite, un groupe de trois personnes est assis là tranquillement alors qu’autour d’eux tout n’est que fuite et violence ; cette attitude ne cesse d’étonner le spectateur. Un homme au violon, (symbole, chez Chagall, de l’artiste au même titre que la palette et les pinceaux et de la vie paisible avec ses joies et ses fêtes), une femme et un enfant avec, à leurs côtés un panier de voyage. Peutêtre la petite famille de Chagall qui se sentait encore en sécurité à l’époque à Paris ? Mais le panier est prêt pour le départ. f. Arrière-plan, en haut à gauche : révolution et stalinisme. (dia 13) Avec des drapeaux rouges (ceux de la Révolution d’octobre en Russie) des hommes armés entrent dans le champ du tableau, foulent les maisons au pied, ne prennent pas en considération la demande de pitié d’une femme, se projettent dans le ciel comme s’ils voulaient le conquérir également. Ce ne sont plus les libérateurs de la Révolution qui sont représentés (cf. émeutes à Petrograd), mais les prédateurs du stalinisme. (dia 14) Car, là aussi, le bouleversement de Chagall et de tout le monde occidental est exprimé dans cette partie de l’œuvre qui se fait l’écho des Procès de Moscou 8.Chagall se sentait personnellement visé par l’accusation de trahison envers la Révolution Russe puisqu’il avait même fait partie du premier gouvernement avant de choisir l’exil en France. g. Milieu haut : le ciel est en cendres. (dia 15) Dans la partie médiane du haut du tableau, trois hommes de très grande taille sont dessinés avec des gestes de plainte, des pleurs ; ce sont les Pères bibliques Abraham, Isaac et Jacob. Au lieu d’exprimer les promesses d’une éternité, assis à la table de Dieu, ils expriment leur impuissance et s’apitoient sur ce monde en feu. Une femme s’approche d’eux, c’est Rachel, dont Dieu entend la plainte dans le désert et la sauve, ainsi que son fils, d’une mort certaine. Avec cette scène Chagall peint, en 1938, une question (déjà posée dans le texte du déluge en Gn 6,6) : « Dieu peut-il rester indifférent devant la violence sur la terre ? » et celle de son peuple. Va-t-il rompre la promesse faite à Noé et détruire ce monde pour en créer un nouveau? Dans cette partie du tableau tout n’est que fumée et cendres. Cette question lancinante de la destruction du peuple choisi sera posée à nouveau, de façon cruciale, après la découverte de la Shoah. 8 Les procès de Moscou s'inscrivent dans la lignée des Grandes Purges des années 1930. En avril 1933, le Comité central décrète une campagne d'épuration du Parti communiste de l'Union soviétique (PCUS). Les procès touchent d'abord les premiers bolcheviks, ceux qui jouissent d'une forte popularité au sein de la population. Pour les éliminer, il ne faut pas à Staline simplement les envoyer dans un goulag, ou bien les exécuter : il faut les discréditer au sein de la population. C'est ainsi que des dossiers d'accusations seront créés de toutes pièces par le NKVD (la police politique). Des bolcheviks de la première heure seront accusés de haute trahison, de sabotages, d'assassinats et autres crimes du même genre. h. Les motifs centraux : Mise en danger de l’humanité. (dia 13) Mais Chagall insère dans ce scénario de destruction une lumière venue d’en haut, transformant l’image mémoire en une image psychique d’espérance : face à ces scènes, le Dieu des Pères ne peut pas rester insensible ! Chagall a également enlevé la partie haute de la croix. Selon la tradition juive, les chrétiens ont mal compris la croix : en y ajoutant une partie haute, ils en ont fait une arme de combat. Aussi ils la saisissent au sommet et en font une épée avec laquelle ils parcourent le monde en croisés. Par contre, la croix de Tau en Chagall ne peut être utilisée comme arme. Il reste à expliquer le symbole bivalent de l’échelle. Elle est posée contre la croix seulement par un montant vertical. Eclairée par la lumière venue d’en-haut. Il y a un lien, bien sûr avec l’échelle de Jacob, par laquelle Dieu intervient en faveur des hommes. Elle est signe que, malgré la violence humaine, Dieu intervient en faveur des hommes. Cette échelle rejoint vraiment la terre puisque ses pieds sont déjà estompés par la fumée qui s’échappe de la Torah en feu. Cette œuvre est une œuvre politique, une protestation de Chagall contre les événements. (dia 18) Cette protestation muette devient tout à fait éclatante lorsque l’on compare ce tableau à l’affiche de propagande de 1935. Cette affiche détourne les éléments religieux chrétiens (dia 19) pour remplacer le Dieu des Pères par le seul « sauveur » : Hitler, le guide, le dernier espoir, (dia 20) C’est pourquoi nous pouvons considérer ce tableau de Marc CHAGALL comme une anti-affiche de propagande et la présenter comme telle. (Cf. doc joint : analyser une œuvre de propagande) Une fiche d’Histoire des arts (cf doc joint : Fiche Hda Crucifixion blanche) destinée aux élèves accompagne cette étude de l’œuvre de Chagall. Seuls quelques éléments sont à compléter : le lien avec les éléments historiques et l’appréciation personnelle des élèves. G. REHLINGER-SCHMITT. Janvier 2013.