EXPERTISE
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Qu’entend-on par
immunothérapie?
Jean-François Baurain : « En onco-
logie, plusieurs types de traitements
existent: locaux (chirurgie et radiothé-
rapie) et systémiques (médicaments qui
vont partout dans le corps). Aujourd’hui,
à côté des nouvelles thérapeutiques
dites «ciblées», il y a l’immunothérapie,
dont le principe est d’utiliser les propres
défenses immunitaires du patient afin
qu’elles soient ecientes pour lutter
contre le cancer.»
Quelle a été l’évolution de la
recherche depuis ses débuts?
Pierre Coulie : « Les bases scienti-
fiques des traitements actuels sont
nées en Belgique entre 1975 et 2000
grâce aux travaux du Pr. Thierry Boon
à l’UCL. Il a découvert les antigènes
tumoraux, c’est-à-dire les cibles qui
sont reconnues sur les cellules can-
céreuses par les cellules de notre sys-
tème immunitaire, les lymphocytes.
À l’époque, ces travaux ont convaincu
le monde scientifique et médical que
l’immunothérapie du cancer était pos-
sible. Avant cela, tout le monde consi-
dérait cela comme une chimère.»
J. -F. B.: «Jusqu’à la fin des années90,
après l’identification des premiers anti-
gènes tumoraux, le principe classique
était de stimuler les propres défenses
du système immunitaire en faisant
des vaccins. Le taux de réponse était
à peine de quelque 5%. La recherche
s’est alors attelée à chercher les méca-
nismes, les freins qui régulent négati-
vement le système immunitaire et qui
empêchent ce dernier de détruire les
cellules tumorales. Un de ces freins est
la protéineCTLA-4. L’industrie a mis au
point un anticorps capable de masquer
cette protéine.»
Avec quels résultats?
J. -F. B. : « Près de 20 % des 5 000
patients souffrant d’un mélanome
métastatique traités depuis 2001 avec
l’anticorps anti-CTLA-4 ont survécu
au-delà de 5 ans. À titre de comparai-
son, c’était 1% avec la chimiothérapie.
Ceci a mené, en 2011, à l’approbation
de ce médicament. Cet anticorps pro-
voquait néanmoins des eets secon-
daires, certains mineurs, comme des
manifestations cutanées, d’autres
beaucoup plus graves, comme des per-
forations digestives pouvant entraî-
ner le décès. La révolution actuelle est
l’apparition de nouveaux anticorps,
qui masquent une protéine appelée
PD-1. Ils donnent plus de réponses
dans bon nombre de cancers - jusqu’à
30% dans le mélanome métastatique -
et sont beaucoup moins toxiques.»
Quels sont les espoirs pour
l’avenir?
P. C.: «Les résultats actuels de l’im-
munothérapie sont spectaculaires
et encourageants, par exemple pour
les mélanomes métastatiques. Les
recherches se focalisent maintenant
sur les raisons pour lesquelles 50 à 70%
des patients ne répondent pas à ces
traitements. Les améliorer ou les com-
biner à d’autres traitements devrait
permettre d’augmenter le taux de suc-
cès, c’est-à-dire des régressions totales
ou partielles des cancers. Une dizaine
de médicaments sont aujourd’hui
dans des essais cliniques avancés ou
en voie de l’être, avec l’espoir d’obtenir
des succès rapides.»
Une grande percée en ce
moment, cesont aussi les
infiltrats immunitaires…
Marc Van Den Eynde: «Oui, ils per-
mettent de manière eective de bien
lutter contre certains cancers: méla-
nomes, cancers du poumon et cancers
du rein, essentiellement. Aujourd’hui,
l’immunothérapie cible principale-
ment ces protéines CTLA-4 et PD-1,
et lève une inhibition que subissent
les lymphocytes présents dans la
tumeur. Pour faire simple, on peut
dire que l’on se rend compte que les
tumeurs qui sont fortement infiltrées
par des lymphocytes ont un meil-
leur pronostic. En contre-régulant ce
mécanisme «paralysant» sur l’infil-
tration lymphocytaire, la situation du
patient évolue mieux et l’espérance de
vie augmente. Pour le mélanome par
exemple, elle est passée de quelques
mois à quelques années.»
Cette révolution
thérapeutiquen’en est donc
qu’à ses débuts…
M.V.D.E.: «Oui, et les choses pour-
raient évoluer rapidement. D’une
part, l’on devrait aussi pouvoir utiliser
l’immunothérapie pour des cancers
sans métastases, avec à la clé plus de
vies sauvées. D’autre part, elle devrait
pouvoir être appliquée à la majorité
des cancers, notamment du sein, de
la prostate et du côlon, ce qui n’est pas
encore le cas actuellement.»
Immunothérapie,
une révolution?
Marc Van Den Eynde, Pierre Coulieet Jean-François Baurain : trois médecins spécialisés des Cliniques
universitaires Saint-Luc. © PHOTO: PRIVÉ
Philippe Van Lil
redaction.be@mediaplanet.com
L’immunothérapie est évoquée depuis bon nombre d’années comme une véritable
révolution dans la prise en charge des cancers. Le point sur la question avec trois
médecins spécialisés des Cliniques universitaires Saint-Luc.
20% Près de 20 % des 5000 patients souffrant d’un
mélanome métastatique traités depuis 2001 avec l’anticorps
anti-CTLA-4 ont survécu au-delà de 5 ans.