L'EUROPE SOCIALE : ENTRE MODÈLES NATIONAUX ET COORDINATION EUROPÉENNE Christine Erhel et Bruno Palier Dalloz | Revue d'économie politique 2005/6 - Vol. 115 pages 677 à 703 ISSN 0373-2630 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-d-economie-politique-2005-6-page-677.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Erhel Christine et Palier Bruno , « L'Europe sociale : entre modèles nationaux et coordination européenne » , Revue d'économie politique, 2005/6 Vol. 115, p. 677-703. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Dalloz. © Dalloz. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Pour citer cet article : Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz D’un point de vue institutionnel, l’Europe sociale est constituée d’interventions à plusieurs niveaux, l’échelon européen étant historiquement faible relativement au niveau des modèles nationaux, qui apparaît marqué par une forte hétérogénéité au-delà d’un principe commun de protection des individus. Cet ensemble de politiques doit faire face à de nouveaux enjeux, résultant d’un ensemble de contraintes économiques, sociales et politiques, tout autant que de la modification du référentiel sur lequel s’appuient les politiques publiques : il en résulte d’une part des transformations des modèles nationaux de protection sociale, déclinant une tendance commune au retrait de l’État et à la focalisation sur un objectif d’emploi, d’autre part l’affirmation d’une coordination minimale à l’échelon européen, sur la base des méthodes ouvertes de coordination. L’analyse théorique permet d’identifier un certain nombre de bénéfices associés à une coordination renforcée dans le domaine social, mais elle souligne également la diversité de ses formes potentielles, dont les dispositifs existants ne constituent qu’un aspect. Europe - politiques sociales - protection sociale - emploi - coordination Social Europe: between national models and european coordination From an institutional point of view, Social Europe appears like a multi-level set of policies. The European level itself has remained relatively under-developed, since the European integration process has focused on the economic components of integration, whereas social policies, according to the subsidiarity principle, remain mainly of State competency. Despite some common principles, which build the so-called European Social Model, national policies exhibit a wide range of policies, which lead to heterogeneous models (regimes). Since the 1980s, these policies and various components of Social Europe have been facing a new context: on the one hand, the transformations of the economic environment, of the social and political context, tend to make the traditional components of the welfare state as well as the Keynesian macroeconomic policies rather difficult to manage; on the other hand, the emergence of a new paradigm for economic policy, based on neo-classical economics, calls for a reduction of public expenditure and a focus on structural policies. In such a situation, theoretical analysis suggests that a better coor* Université Paris I, Centre d’Études de l’Emploi – 29, promenade Michel Simon, 93166 Noisy Le Grand Cedex et MATISSE – 106-112 bd de l’Hôpital, 75013 Paris. ** CNRS, CEVIPOF. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Christine Erhel* Bruno Palier** • ENTRETIENS / AFSE 2005 L’Europe sociale : entre modèles nationaux et coordination européenne 678 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier dination of social policies could benefit to Europe, although the diversity of potential coordination forms is very high. The study of the recent dynamics of social Europe shows two trends. First, national welfare models have been reformed, showing some common trends (State retrenchment; activation and welfare to work, both putting the stress on employment as a prioritary goal), but still exhibitting some national specifities, which is close to the predictions of the path dependance theory. Second, new forms of coordination have been created at the European level since 1997, in the field of employment (European Employment Strategy), and more recently of social inclusion and pensions. This new tool (Open Method of Coordination) is based on the definition of common goals, benchmarking, and mutual policy learning on the basis of national experiences. Despite its informal character, it seems to have some impact on national actors behaviour through a leverage effect. Nevertheless, evaluation studies and theoretical arguments make think that it might not be enough to reinforce Social Europe. Europe - social policies - welfare - employment - coordination Classification JEL: J38, J68, B52 Aussi bien dans les débats publics que dans les travaux académiques, la notion d’Europe sociale apparaît mal définie. Dans un sens restrictif, elle désigne les interventions des instances communautaires dans le domaine social : celles-ci se sont développées depuis la fin des années 90, avec la reconnaissance d’objectifs et d’indicateurs communs en matière d’emploi et d’« inclusion sociale » (sommets du Luxembourg et de Lisbonne), et l’institutionnalisation d’échanges d’informations entre les États membres sur ces questions. Mais l’Europe sociale ne peut se comprendre sans faire référence aux modèles nationaux de protection sociale, dont l’autonomie est garantie par le principe de subsidiarité. Dans ce domaine comme dans d’autres, les politiques européennes forment un système multi-niveaux d’interventions et d’institutions (Leibfried et Pierson [2000]). Cet ensemble est particulièrement complexe dans le domaine social, compte tenu d’une forte hétérogénéité nationale des principes d’intervention et des dispositifs. Cependant, on peut considérer qu’il existe un « modèle social européen », qui consiste en un socle commun aux pays européens, construit pendant les Trente Glorieuses. Empiriquement, il s’agit essentiellement de la garantie de droits sociaux relativement déconnectés de la situation sur le marché du travail, articulée avec des politiques orientées vers la recherche du plein emploi, et des politiques keynésiennes de soutien de la demande. D’un point de vue plus normatif, on peut considérer, comme le faisait Jacques Delors en utilisant cette formule au début des années 90, que le « modèle social européen » désigne un modèle alternatif à celui du capitalisme anglo-saxon, une façon proprement européenne de concilier croissance économique et cohésion sociale. Cette notion, même si REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Introduction L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 679 elle demeure imprécise, est importante pour comprendre la construction de l’Europe sociale et ses perspectives. La question du devenir de l’Europe sociale se décline en un double problème d’opportunité (faut-il plus d’Europe sociale ?) et de moyens (sur quelle base et avec quels outils institutionnels ?). Nous traiterons des deux questions en cherchant à relier des travaux souvent épars : analyses comparatives des systèmes nationaux de protection sociale et de leurs dynamiques récentes ; travaux sur les renouvellements de la construction européenne en matière sociale (stratégie européenne pour l’emploi et méthodes ouvertes de coordination) ; approches théoriques de la coordination et le changement institutionnel (en économie et en science politique). Après avoir rappelé la relation fondamentale entre l’Europe sociale et les modèles nationaux de protection sociale (section 1), nous évoquerons successivement les enjeux actuels (section 2) et les dynamiques d’évolution (section 3) des politiques sociales en Europe. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz La notion de modèle social européen, en dépit de son imprécision apparente, est très importante pour comprendre la construction de l’Europe sociale et ses perspectives. Elle comprend une double dimension analytique et normative (Barbier [2005]). D’un point de vue positif, elle conduit à montrer que les systèmes nationaux de protection sociale sont marqués à la fois par des principes communs, qui les différencient du cas américain en particulier, mais également par une forte diversité. Dans sa dimension normative, ce concept renvoie également à une série de principes concernant la relation entre la sphère économique et la sphère sociale, permettant de concilier compétitivité, croissance et cohésion sociale. 1.1. Les éléments communs du modèle social européen Les systèmes européens de protection sociale se sont considérablement développés au cours des « Trente glorieuses ». Durant cette période, l’objectif central de l’intervention publique est le maintien du plein emploi, les politiques sociales étant considérées comme un instrument privilégié de réalisation de cet objectif, complémentaire des politiques macroéconomiques keynésiennes. Les dispositifs de protection sociale ont eux-mêmes des effets macroéconomiques favorables, par des canaux divers : effet direct sur les créations d’emploi (au sein des systèmes de santé, des services sociaux et des administrations de gestion de la protection sociale), effet sur la REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 1. L’Europe sociale face à la diversité des modèles sociaux européens Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz consommation via le maintien ou l’accroissement du revenu disponible des ménages du fait des prestations sociales (d’autant plus important que celles-ci conduisent à une redistribution en faveur des catégories à faibles revenus, ayant les propensions à consommer les plus importantes), via la réduction de l’épargne de précaution du fait de la sécurisation du lendemain et les effets de stabilisation en cas de ralentissement de l’activité... La croissance économique des années 1945-1975 repose en grande partie sur ces interactions vertueuses entre développement industriel, consommation de masse et généralisation de la protection sociale. Si les politiques sociales ont favorisé la croissance économique, celle-ci (et notamment les forts gains de productivité du secteur industriel) a permis de dégager les ressources nécessaires à un développement sans précédent des politiques sociales1. Les transferts sociaux opérés à travers les politiques sociales ont permis de garantir des droits sociaux à tous les citoyens européens, sans faire complètement dépendre leur bien-être de leur situation sur le marché du travail. Dès les années 1940, Karl Polanyi a ainsi pu identifier un principe commun à tout système de protection sociale (Polanyi [1944]) : il s’agit de dégager les individus des pures lois du marché, aussi bien en recherchant le plein emploi qu’en garantissant un revenu de remplacement en cas de difficulté. En réponse à l’industrialisation et au développement de l’économie de marché, des interventions collectives ont été mises en place pour ne pas totalement soumettre l’individu aux lois du marché, en particulier du marché du travail. Grâce aux mécanismes de protection sociale, le travail de l’individu n’est pas une pure marchandise : il est stimulé, réglementé, et les transferts sociaux garantissent un revenu de remplacement en cas d’impossibilité de travailler. Les systèmes de protection sociale accomplissent ainsi une fonction de démarchandisation des individus (Esping-Andersen [1990]) : « les droits sociaux... permettent aux individus de rendre leur niveau de vie indépendant des seules forces du marché. [Ils] permettent au citoyen de ne pas être réduit au statut de ‘marchandise’ »2. 1.2. La diversité des systèmes de protection sociale Cependant, chaque système de protection sociale concret a une capacité plus ou moins grande d’assurer aux individus un revenu de remplacement et une certaine indépendance par rapport au marché. Cette capacité dépend du rôle, des principes et des objectifs assignés à la protection sociale. L’in1. Ainsi, les seules dépenses d’assurance sociale, collectives et obligatoires de l’Europe de l’Ouest sont passées en moyenne de 9,3 % du Produit Intérieur Brut (PIB) en 1950 à 19,2 % en 1974 (Cf. Flora [1986, p. XXII]), les dépenses sociales (entendues dans un sens large, incluant les dépenses de logement et d’éducation) étant passées de 10 à 20 % du PIB à plus du quart voire du tiers du PIB selon les pays en fin de période. Ce sont les dépenses sociales qui expliquent la quasi-totalité de l’augmentation des dépenses publiques au cours de ces années. 2. Esping-Andersen [1990, p. 3]. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 680 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz térêt des travaux comparatifs sur la protection sociale, et notamment de ceux d’Esping-Andersen [1990], est d’avoir montré que si tous les Étatsprovidence partagent un objectif commun, celui de faire dépendre le bienêtre des individus le moins possible des lois du marché, chaque pays a développé une conception politique particulière du rôle de la protection sociale. L’hétérogénéité des systèmes de protection sociale constitue une de leurs caractéristiques fondamentales, y compris dans l’espace européen. Les conceptions de la protection sociale se distinguent selon la place donnée aux différents acteurs (État, partenaires sociaux, famille, marché, associations), selon les objectifs collectifs en termes de situation ou de bien-être social des citoyens, selon le modèle familial et les rapports entre les hommes et les femmes qu’elles favorisent, selon la volonté ou non de transformer les stratifications sociales et selon les idéologies politiques qui portent le système. Ces critères aboutissent à dégager trois types idéaux de régime de protection sociale, qu’Esping-Andersen intitule : le régime « socialdémocrate » des pays scandinaves, le régime « libéral » des pays anglosaxons, et le régime « conservateur-corporatiste » (ou assurantiel) des pays d’Europe continentale, en différenciant à la fois les objectifs politiques et sociaux recherchés (respectivement : l’égalité des citoyens, la seule couverture sociale des plus pauvres, le maintien du revenu des travailleurs) et les instruments utilisés (respectivement : politiques universelles et services sociaux gratuits, politiques sociales ciblées, assurances sociales financées par des cotisations sociales)3. La typologie d’Esping-Andersen est utile pour définir des types idéaux et des principes de rapprochement entre pays, même si dans la réalité, chaque système de protection sociale est hybride. Les États-Unis sont le plus souvent cités comme l’exemple type du régime libéral de protection sociale, cependant, on trouve en Europe deux pays qui s’en rapprochent : le Royaume-Uni et l’Irlande. Les pays nordiques (Danemark, Suède, Finlande, Norvège) apparaissent comme ceux qui ont poussé le plus loin la logique universelle de la protection sociale, en proximité avec le modèle social démocrate. Enfin, plusieurs groupes de pays ressortent du troisième régime, qui apparaît de ce fait le moins homogène. Tout d’abord les pays du centre du continent européen (l’Allemagne, la France, le Bénélux et l’Autriche). C’est là que la tradition bismarckienne des assurances sociales est la plus forte. L’ouverture des droits est le plus souvent conditionnée par le versement de cotisations. Le niveau des prestations de retraite, de chômage et des indemnités journalières est lié au niveau du salaire de l’assuré. Les assurances sociales sont obligatoires, sauf dans le cas de la santé pour les revenus les plus élevés en Allemagne et aux PaysBas. Les cotisations sociales, versées par les employeurs et par les salariés, constituent l’essentiel des sources de financement du système (la France a longtemps battu tous les records avec près de 80 % du système financé par les cotisations sociales jusqu’en 1996). Ces systèmes, souvent très fragmentés, sont organisés au sein d’organismes plus ou moins autonomes de l’État, gérés par les représentants des employeurs et des salariés (les caisses de Sécurité sociale en France). Ceux qui ne sont pas ou plus couverts par les assurances sociales peuvent recourir à un « filet de sécurité » constitué de 3. Pour une présentation plus précise des différents systèmes sociaux, voir Palier [2001]. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 681 682 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier prestations minimales, sous condition de ressources, financé par des recettes fiscales. Ces prestations se sont multipliées ces dernières années, sans pour autant former un ensemble cohérent et standardisé (il existe en France huit minima sociaux différents). Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Les nouveaux pays membres de l’Union européenne, notamment les pays d’Europe centrale et orientale, sont difficilement classables dans cette typologie. L’histoire extrêmement mouvementée et chaotique de leur protection sociale permet difficilement d’identifier un ensemble de traits communs et distincts. Il est cependant possible de rappeler les grandes étapes de leur histoire. Avant la seconde guerre mondiale, les pays d’Europe centrale avaient commencé à développer des régimes d’assurance sociale de type bismarckien. Après la seconde guerre mondiale, sous l’emprise soviétique, c’est le modèle universaliste communiste de droits sociaux qui est instauré. Le premier droit social qui est garanti est l’emploi pour tous. L’ensemble des autres droits sociaux (accès aux soins de santé, prestations familiales en espèce mais aussi en services de prise en charge des enfants, pension d’invalidité et de retraite) est aussi garanti à tous les citoyens par l’État, mais mis en œuvre le plus souvent par les entreprises nationalisées (les centres de santé, les crèches sont mises en place dans les grandes entreprises, qui sont aussi parfois chargées de verser les pensions). Avec la chute du mur, l’ensemble des dispositifs existant va être remis en cause, notamment par la privatisation des entreprises, mais aussi par la montée du chômage. Dans un premier temps, au tout début des années 90, la plupart de ces pays vont adopter des lois sociales relativement généreuses, prévoyant la mise en place d’un système d’allocation chômage, le paiement des pensions de retraite, le droit à la santé, l’aide aux familles, etc. Mais la plupart des pays vont bien vite se retrouver dans l’incapacité de payer les prestations promises. Endettés, une grande partie d’entre eux vont avoir recours aux aides du FMI et de la Banque mondiale, vers le milieu des années 90. Ces aides seront soumises à conditionnalité, conditions parmi lesquelles on trouvera l’obligation de privatiser une partie des systèmes de retraite et de santé, l’État devant se contenter d’une intervention minimale destinée aux plus pauvres (modèle libéral de protection sociale promu par la Banque mondiale notamment, cf. Palier et Viossat [2001]). Le degré de privatisation des systèmes de protection sociale de ces pays est ainsi fonction de leur niveau d’endettement (et donc de leur dépendance aux organisations financières internatioREP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Les pays d’Europe du Sud (Espagne, Grèce, Italie, Portugal) possèdent des traits principaux qui se rapprochent du modèle continental (assurances sociales pour les prestations de garantie de revenu). Cependant, ils présentent des aspects spécifiques : un biais en faveur des personnes âgées, les retraites représentant la plus grande part de leurs dépenses sociales (alors que les politiques familiales et l’indemnisation du chômage sont très faiblement développées) ; une grande hétérogénéité entre les différents régimes d’assurances sociales à base professionnelle (particulièrement généreux pour les fonctionnaires, d’autres professions étant beaucoup moins bien couvertes) ; des services de santé nationaux à vocation universelle dont le développement a commencé dans les années 1975-1985 ; une mise en place progressive et très récente d’un filet de sécurité garantissant un revenu minimum, une quasi-absence de politiques familiales. L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 683 nales). Cependant, avec la préparation de l’accession à l’Union européenne ou avec le rejet politique de méthodes néo-libérales brutales (type thérapie de choc en Pologne), certains pays ont parfois cherché à améliorer leur protection sociale publique, leur capacité dans ce domaine dépendant à la fois de leur capacité institutionnelle (à lever des impôts ou des cotisations sociales, à cibler les bénéficiaires, à verser les prestations, etc.), et de leur capacité budgétaire (niveau de croissance économique et d’endettement de l’État)4. Sans rentrer dans les débats sur la validité de la typologie d’EspingAndersen5, cette analyse souligne que l’hétérogénéité des modèles existants en Europe va au-delà de la distinction entre trois types de régimes. L’Europe sociale ne peut se construire sans tenir compte de cette diversité. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Depuis le début de la construction européenne, la disparité des systèmes de protection sociale a été considérée comme un problème, et plus précisément comme une cause de distorsion de concurrence. Beaucoup s’inquiétaient du fait que les entreprises implantées dans un pays où les taux de cotisations sociales sont plus élevés qu’ailleurs se trouveraient pénalisées lors de l’ouverture des frontières au sein du marché commun. C’est pourquoi les négociations du Traité de Rome visaient aussi une harmonisation des niveaux de protection sociale, c’est-à-dire principalement une unification des taux de cotisations sociales. Cependant, l’harmonisation du droit des prestations ne fut pas jugée nécessaire pour réaliser une communauté économique européenne dès lors que des solutions techniques étaient trouvées pour assurer la continuité de la protection sociale des travailleurs se déplaçant au sein de l’espace européen. Ainsi, le Traité de Rome n’a inclus dans son chapitre social que des articles déléguant à la Communauté des compétences en matière de coordination des régimes de sécurité sociale permettant la libre circulation des travailleurs (anciens articles 48 à 51) ; des dispositions déclaratives relativement ambitieuses sur le niveau et le contenu de la protection sociale en Europe mais sans portée opérationnelle (anciens articles 117 et 118) ; et enfin des dispositions concernant l’égalité de rémunération entre hommes et femmes (article 119), et la création d’un Fonds social européen (articles 123 à 125). L’ensemble semble fort modeste au regard de l’intégration économique européenne, et l’on peut donc rejoin4. Pour une analyse précise des systèmes sociaux des nouveaux pays membres, voir le numéro spécial de Journal of European Social Policy, co-dirigé par B. Palier et A. Guillen, intitulé : « EU Accession, Europeanisation and Social Policy » [2004, volume 14, numéro 3]. 5. Un point problématique dans cette approche est précisément l’indétermination du régime continental, qui recouvre de fait des modèles distincts. D’autres travaux comparatifs, et en particulier celui de Théret [1997], permettent de mieux distinguer entre ces pays, au prix toutefois d’une plus grande complexité. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 1.3. La construction européenne face à cette diversité : l’absence d’Europe sociale ? Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz dre le diagnostic de Freyssinet [2004] qui constate un « dualisme de l’économique et du social » du Traité de Rome au Traité de Maastricht. Par ailleurs, la construction européenne repose également sur l’idée que la création d’un espace multinational économique constitue un facteur d’accélération de la croissance et de réduction des inégalités entre les pays, exerçant des effets automatiques et positifs sur l’emploi et la cohésion sociale. Cette conception transparaît dans l’article 117 du Traité de Rome, qui affirme que « l’harmonisation des niveaux de vie résultera du fonctionnement du Marché commun, qui favorisera l’harmonisation des systèmes sociaux », ou encore dans les conclusions du Conseil européen de Madrid [1989], qui présente la réalisation du marché intérieur comme « le moyen le plus efficace pour la création d’emplois et pour assurer le maximum de bien-être à tous les citoyens communautaires »6. Cette conception des interactions entre l’économique et le social est contradictoire avec les politiques nationales des Trente Glorieuses, qui posent au contraire une relation étroite entre politiques sociales, politiques macroéconomiques keynésiennes, et performances économiques. La diversité des systèmes sociaux européens va encore s’accroître au fil des élargissements, qui stoppent de ce fait les perspectives d’harmonisation de la protection sociale en Europe, et débouche dans les années 80 sur la doctrine de la subsidiarité, qui privilégie le niveau national pour les politiques sociales et ne prévoit pas de connexion particulière entre politiques économiques européennes et politiques sociales nationales. Ce principe de subsidiarité a été inscrit dans le Traité d’Amsterdam et complique la mise en place de politiques sociales communes7. Cependant, à partir du milieu des années 70, tous les systèmes européens de protection sociale rencontrent des difficultés similaires, qui remettent en cause les fondements du modèle social européen et qui pourraient justifier une intervention plus importante des instances européennes en matière de politiques sociales. On voit alors apparaître des tentatives de la Commission pour acquérir une dimension sociale telles que l’élaboration d’un programme d’action sociale en 1974, l’affirmation d’un programme de lutte contre la pauvreté au travers du FEDER et du FSE (Cazes [1994]). Mais toute tentative d’une trop forte communautarisation des politiques sociales se heurtera au principe de subsidiarité, comme l’illustre l’opposition allemande à un programme européen de lutte contre la pauvreté au cours des années 80. A cette même période cependant, les critiques de la construction européenne se multiplient, l’accusant d’être par trop économique et de négliger le social. Dans un souci de rééquilibrer ces évolutions, Jacques Delors et les États membres chercheront à affirmer que l’Europe veut soutenir certains droits sociaux fondamentaux. Ainsi, la charte communautaire des droits sociaux fondamentaux [1989] affiche une volonté de construction de l’Eu6. Cf. Cazes [1994]. 7. Chaque État membre reste maître de son système de protection sociale, de sa conception, de son organisation et de son financement. Au nom de ce principe, il peut donc s’opposer à une initiative visant à mettre en place des politiques communes dans le domaine social. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 684 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 685 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Une approche historique et institutionnelle des systèmes de protection sociale et de la place des politiques sociales dans la construction européenne conduit à deux conclusions principales : tout d’abord, le « modèle social européen » tel qu’il s’est constitué pendant les Trente Glorieuses est donc fondamentalement pluriel, le principe commun de protection des individus se déclinant en des régimes nationaux différenciés ; les politiques communautaires sont marquées par un dualisme initial entre l’économique et le social, qui demeure au moins jusqu’au Traité d’Amsterdam et interdit de penser réellement une politique de l’emploi ou une politique sociale commune. Cependant, depuis les années 80, le modèle social européen connaît d’importantes difficultés : cette situation justifie-t-elle une intervention plus importante de l’échelon européen ? 2. Les nouveaux enjeux de l’Europe sociale Les politiques sociales ont été confrontées à d’importants changements et contraintes depuis la fin des Trente Glorieuses, au niveau du contexte mondial mais également des conditions d’articulation avec les politiques macroéconomiques, dans le cadre de la constitution de l’Union Économique et Monétaire. Ce nouveau contexte a d’ores et déjà entraîné des réformes substantielles dans les politiques nationales et dans les modes d’intervention européens. Quelles en sont les conséquences pour la construction de l’Europe sociale ? Doit-on en renoncer à toute volonté d’intervention européenne dans ce domaine, ou doit-on au contraire renforcer la coordination entre les politiques nationales afin de renforcer le modèle social européen et les garanties accordées aux citoyens ? REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz rope sociale : « Tout travailleur de la Communauté Européenne a droit à une protection sociale adéquate et doit bénéficier, quel que soit son statut et quelle que soit la taille de l’entreprise dans laquelle il travaille, de prestations de sécurité sociale d’un niveau suffisant. Les personnes exclues du marché du travail, soient qu’elles n’aient pu y avoir accès, soit qu’elles n’aient pu s’y réinsérer, et qui sont dépourvues de moyens de subsistance, doivent pouvoir bénéficier de prestations et de ressources suffisantes, adaptées à leur situation personnelle ». Cependant, l’ensemble de ces tentatives demeurent limitées jusqu’au Traité d’Amsterdam, qui initie un mouvement d’élargissement des compétences des autorités européennes (à l’emploi en particulier) et de coordination des politiques nationales (dans le respect du principe de subsidiarité). 686 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’environnement mondial des États-providence a considérablement changé au cours des vingt cinq dernières années. Ces mutations sont à la fois d’ordre économique, social et politique8. En matière économique, la mondialisation accroît la compétition par les coûts — notamment salariaux — pour les entreprises, et la compétition fiscale entre États. Elle engendre une pression à la stabilisation voire à la réduction des dépenses sociales publiques. Au pire, cette nouvelle situation économique mondiale pourrait engendrer des stratégies de « dumping social » de la part d’entreprises ou d’États qui sacrifieraient tout ou partie de leurs politiques sociales afin de produire à des prix suffisamment bas pour s’imposer face à des produits de coût voire de qualité supérieure. De telles stratégies n’ont guère été choisies par des États en situation de le faire, la plupart des pays connaissant un fort « décollage » économique ayant plutôt choisi de développer leurs politiques sociales que l’inverse. Il en est allé ainsi du Portugal et de l’Espagne, qui, en rejoignant l’Union européenne, ont multiplié leurs dépenses sociales par deux et n’ont pas profité de leurs moindres coûts sociaux pour asseoir leur avantage compétitif au sein du marché unique9. Outre la mondialisation, l’environnement économique des politiques sociales est caractérisé par d’autres transformations profondes. Les principaux secteurs d’activité qui se sont développés au cours des deux dernières décennies dans les pays développés se situent dans le domaine des services. Cette modification de la structure productive des économies de l’OCDE, qui va des secteurs agricoles et industriels vers les secteurs des services, a un impact important sur le marché du travail et sur les infrastructures sociales qui y sont associés. Les États-providence occidentaux ont été développés en pleine croissance des activités industrielles, caractérisées par des gains de productivité très importants et des carrières relativement continues et unilinéaires. Aujourd’hui, l’organisation du travail est désormais plus flexible et les carrières moins uniformes. Dès lors, les systèmes de protection sociale qui avaient été dessinés pour des salariés masculins connaissant une carrière continue de 40 ou 50 années dans la même entreprise ne sont plus adaptés. Qu’en est-il en effet de l’acquisition des droits à la retraite, normalement conditionnée au versement régulier et uniforme de cotisations sociales, pour des salarié(e)s qui entrent plus tardivement sur le marché du travail du fait de formations plus longues, qui sont censé(e)s devoir souvent changer de postes, passer d’une entreprise à l’autre au gré des opportunités, supporter plusieurs périodes de chômage, voire devenir leur propre employeur ? Le contexte économique n’est donc pas seulement source de difficultés financières pour les États-providence, mais aussi de défis plus profonds, qui 8. Nous reprenons ici en partie les analyses de Palier et Viossat [2001]. 9. Sur la question du « dumping social », voir le numéro spécial du Journal of European social policy, [Volume 10, n° 2 publié en mai 2000], dirigé par J. Alber et G. Standing. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 2.1. Les politiques sociales sous contrainte Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz remettent en cause leurs structures elles-mêmes. Les défis économiques sont redoublés par les transformations sociales. Certaines mutations sociales ont eu un impact direct sur les Étatsprovidence : diversification des modèles familiaux ; arrivée massive des femmes sur le marché du travail ; vieillissement de la population. Le vieillissement de la population qu’impliquent à la fois l’allongement de la durée de vie, l’arrivée à l’âge de la retraite de la génération du baby boom, et la réduction du nombre des naissances pèse sur l’équilibre à venir des systèmes de protection sociale. Au moment où ces systèmes ont été créés, seulement un tiers des assurés bénéficiaient effectivement de leur régime de retraite (les autres étant décédés avant de partir en retraite) et seulement pour quelques années. Aujourd’hui, le « risque vieillesse » est devenu une certitude, presque tous les citoyens étant amenés à vivre en retraite pendant une, deux voire trois décennies, alors que dans le même temps, du fait de la diminution du nombre des naissances, le nombre de personnes qui travaillent pour financer les régimes de protection sociale va peu à peu diminuer. Les systèmes traditionnels de protection sociale sont également bouleversés par les mutations des structures familiales. Au cours des trente dernières années, le format traditionnel de la famille où le mari travaille et la femme reste au foyer a été remis en cause, avec la diversification des modèles de foyers, et notamment l’accroissement des familles monoparentales. Les systèmes de protection sociale ont le plus souvent été conçus pour protéger « les travailleurs et leurs familles » pour reprendre les termes de l’ordonnance de 1945 créant la Sécurité sociale en France. Ils donnent accès aux protections par le biais des droits sociaux du mari qui travaille et ne sont donc pas à même de fournir une protection adéquate aux femmes/mères seules (qui le plus souvent n’ont accès qu’à des emplois atypiques), ni aux jeunes sans emploi, ni aux chômeurs de longue durée. Par ailleurs, les systèmes de protection sociale traditionnels, fondés sur les assurances sociales et les transferts sociaux, s’avèrent aussi incapables d’accompagner l’accroissement de l’activité féminine, qui implique de reconnaître aux femmes des droits sociaux en propre et de développer les services sociaux (crèches, soins à domicile pour les personnes âgées ou handicapées). Enfin, l’ensemble de ces mutations économiques et sociales s’accompagne d’un dernier élément de transformation, d’ordre politique : la participation de nouveaux acteurs à la définition et à la mise en œuvre des politiques sociales. Il convient de souligner le rôle croissant pour la définition des politiques sociales des organisations internationales, et notamment des organisations financières internationales, mais aussi des organisations supranationales en charge de réguler les pôles régionaux qui se mettent en place dans le monde, l’Europe en fournissant l’exemple le plus avancé. En outre, le rapport de forces entre les acteurs traditionnels de la protection sociale (État, employeurs et salariés) évolue. Les tendances à la privatisation de certaines fonctions de protection sociale renforcent les acteurs du secteur privé et les employeurs (assurances, institutions financières notamment). Par ailleurs, les États voient d’un côté leur souveraineté remise en cause par la mondialisation, et de l’autre le rôle de l’État central contesté par une tendance massive à la décentralisation, qui touche souvent les politiques REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 687 688 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier sociales. Enfin, les syndicats de salariés, représentants traditionnels des assurés, se trouvent affaiblis par la baisse du nombre de leurs adhérents comme par leur attachement au modèle salarial classique. Ces transformations ont poussé et pousseront plus encore à l’avenir à réformer les systèmes de protection sociale : c’est dans ce cadre qu’il faut penser les dynamiques des politiques nationales et les voies de construction de l’Europe sociale. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Les mutations objectives du contexte économique et social de mise en œuvre des politiques nationales se sont accompagnées d’une transformation du paradigme de référence en matière de politique économique. En accord avec des développements récents de la science politique (Hall [1989] ; Muller [2000]), on peut attribuer un rôle important à ces facteurs cognitifs et « idéologiques » dans les dynamiques des politiques publiques. Cette perspective rejoint également les analyses proposées par certains économistes institutionnalistes, qui insistent sur le rôle des « idées » dans les changements institutionnels (notamment North [1990])10. Dans le domaine des politiques macroéconomiques comme dans celui des politiques sociales, les vingt dernières années sont marquées par un éloignement progressif par rapport au référentiel keynésien. En matière de politiques de l’emploi et de politiques sociales, l’analyse des rapports de l’OCDE permet de repérer deux changements majeurs (Erhel et Zajdela [2004]). A la fin des années 80, le modèle de référence pour l’analyse des effets des politiques sociales sur l’emploi devient le modèle WS-PS11, qui conduit à considérer que le chômage s’explique en partie par les effets des systèmes de protection sociale sur le coût du travail (soit directs par le biais des cotisations sociales, soit indirects via les effets de pression salariale induits par une générosité excessive des revenus de remplacement-indemnisation du chômage, minima sociaux...). Même si le modèle WS-PS peut être considéré comme un modèle de synthèse, résultant du programme de recherche néo-keynésien et des développements des nouvelles théories du marché du travail, il s’éloigne radicalement de Keynes en matière d’analyse des causes du chômage et de recommandations de politique économique. Le chômage dans cette approche théorique est bien involontaire, mais il est totalement classique, et ne peut être réduit que par des politiques de baisse du coût du travail et de limitation de la protection sociale. Un deuxième tournant est observable à la fin des années 90 : les analyses en termes d’incitation au travail et de « trappes à inactivité » mar10. Pour une application aux politiques sociales et aux politiques de l’emploi, voir Erhel et Palier [2003]. 11. Wage Setting- Price Setting, voir Layard et al [1991] pour une présentation du modèle et de ses applications. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 2.2. Un changement de référentiel pour les politiques sociales L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 689 quent un retour à une conception totalement classique du chômage, considéré comme volontaire. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Il est très difficile d’expliquer précisément les mécanismes qui ont conduit à ce changement de référentiel. En matière de politique de l’emploi, on peut relever une correspondance avec l’histoire des théories économiques du chômage (Erhel, et Zajdela [2004]) : celle-ci se caractérise par un processus de perte de substance de la théorie keynésienne du chômage, qui se traduit tout d’abord par une réconciliation des classiques et des keynésiens autour de l’idée d’un « chômage naturel d’équilibre », et par un déplacement de l’analyse des causes du chômage vers un chômage involontaire mais classique, puis par le glissement vers un chômage volontaire. Hall [1986] explique en partie les retournements des politiques économiques en France et en Grande-Bretagne par le rôle des partis politiques et les intérêts des groupes sociaux qu’ils représentent, mais également par la diffusion d’idées sur l’économie. Fitoussi et Le Cacheux [2005] avancent l’idée que l’Union européenne est un « club dont les membres obéissent à une convention sociale », (page 76) : cette convention s’appuie sur les conceptions des élites en matière d’économie et de société, lesquelles se sont profondément modifiées dans le sens d’une plus forte tolérance aux inégalités sociales, perçues comme une condition nécessaire à tout accroissement de l’efficience économique. La part des facteurs sociologiques, institutionnels, ou théoriques dans le changement de paradigme économique de référence dépasse notre propos : néanmoins, ces travaux se rejoignent pour montrer que l’évolution du référentiel des politiques publiques a été radicale, et qu’elle a conduit à des pressions particulières sur les politiques sociales, qui sont désormais en partie rendues responsables du chômage et de sa persistance, alors même qu’elles étaient précédemment un des moteurs du plein emploi. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Ce changement de référentiel s’observe dans d’autres secteurs des politiques économiques, et en particulier dans le cas des politiques macroéconomiques. La mise en place du grand marché européen (qui garantit une libre compétition entre toutes les firmes européennes) et les critères du Traité de Maastricht puis du pacte de stabilité et de croissance (qui correspondent à une vision cohérente de politique économique : dette et déficit public réduit, inflation limitée, taux de change fixes) sont significatifs de l’adoption collective d’un nouveau modèle de politique économique, différent des politiques keynésiennes. Il s’agit de politiques de l’offre (monétariste, néo-classiques) qui promeuvent la libre concurrence (dérégulation, flexibilisation) et reposent sur l’orthodoxie budgétaire (dette et déficits réduits, taux d’intérêts bas, taux d’inflation réduits). Alors que ce tournant des politiques macroéconomiques a commencé dès la fin des années 70 et s’est effectué tout au long des années 80 dans les différents pays européens (Jobert [1994]), les politiques sociales ont dans un premier temps continué de fonctionner sur les logiques du passé (keynésiennes). Les politiques sociales se sont trouvées en crise du fait de ce décalage avec les logiques (économiques) globales nouvelles. 690 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier 2.3 L’articulation avec l’intégration européenne Le mouvement de transformation des enjeux des politiques sociales dépasse le cadre des pays européens. Cependant, l’approfondissement de l’intégration économique en Europe (Acte Unique, et surtout Union Économique et Monétaire) crée des problèmes spécifiques pour les politiques nationales. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Cependant, elle conduit également à envisager de manière plus directe la question de la coordination des politiques sociales nationales entre elles, et des politiques sociales avec les politiques macroéconomiques. Cette question apparaît particulièrement complexe et n’est que peu traitée dans les travaux portant sur la coordination des politiques économiques en Europe (CAE [1998]). En effet, l’argumentation standard sur les bénéfices de la coordination s’applique dans deux cas principaux (Thygesen [1992]) : premièrement, lorsque l’on considère que l’objectif de la coordination est de fournir et de préserver des biens publics internationaux (par exemple le libreéchange, ou la stabilité des taux de change) ; deuxièmement, lorsqu’il existe des externalités résultant des politiques économiques nationales (par exemple les effets sur les taux d’intérêt de l’ensemble de la zone euro d’une politique budgétaire menée par un seul pays). Les travaux concernant l’Union Économique et Monétaire ont essentiellement porté sur ce second type d’argumentation (CAE [1998]). En matière sociale et d’emploi, il semble plus difficile de raisonner sur cette base, les externalités n’étant ici pas bien identifiées, contrairement au cas des politiques budgétaires nationales par exemple. De plus, les politiques sociales sont marquées par un degré très fort d’imbrication, qui rend difficile l’identification de composantes isolées de leur contexte national, et la coordination par type de politique. Ceci irait plutôt dans le sens du maintien d’un principe de subsidiarité strict, sauf dans le cas de la protection sociale des travailleurs migrants. Néanmoins, on peut également relever un certain nombre d’arguments de nature économique en faveur d’interventions européennes dans le domaine social, et d’une meilleure coordination des politiques sociales. Tout d’abord, une harmonisation des prélèvements fiscaux et sociaux permettrait d’éviter une concurrence entre les pays membres, qui risque soit de diminuer le niveau de couverture sociale dans l’ensemble de la zone, soit d’évincer d’autres types de dépenses publiques (en particulier celles d’investissement, de recherche, d’éducation...), alors même qu’elles sont favorables à la croissance de long terme. Cependant, une telle politique est difficile à mettre en œuvre, une harmonisation « par le haut » n’étant pas nécessaireREP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz En premier lieu, l’intégration européenne renforce l’ensemble des contraintes relevées précédemment : l’exposition des pays membres à la concurrence sociale et fiscale est particulièrement élevée dans un contexte de libre circulation des marchandises, des capitaux, et des travailleurs. Les contraintes de financement de la protection sociale sont renforcées par les critères de finances publiques imposés par le Pacte de Stabilité. L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 691 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Dans un scénario de type « fédéral » (Boyer [1999]), la protection sociale peut servir de base à l’établissement de mécanismes de solidarité qui permettraient d’aider à l’amortissement des chocs asymétriques et améliorer le fonctionnement de la zone euro. L’instauration d’un minimum de fédéralisme, par exemple dans le cadre de l’assurance-chômage (cf. Italianer et Pisani Ferry [1992]), permettrait d’éviter une pression trop forte sur les prix et les coûts, ou en d’autres termes sur la flexibilité du marché du travail, qui apparaît sinon comme la seule solution bien qu’elle se traduise par une croissance molle. Dans une perspective de réforme plus fondamentale, on peut penser que la protection sociale constitue le domaine par lequel tout approfondissement de la coordination européenne, et en particulier toute avancée dans le sens d’une Europe fédérale, doit débuter : c’est ce que montre Théret [2002b] à partir d’une comparaison approfondie des dynamiques des systèmes de protection sociale en Europe et au Canada. Enfin, on peut également considérer qu’un certain nombre de domaines constituent des « biens publics européens », par exemple la lutte contre la pauvreté par les minima sociaux, le droit du travail... Toutefois, ceci suppose un accord entre les pays membres sur la définition de tels biens publics, lequel apparaît à l’heure actuelle peu probable. La coordination des politiques sociales en Europe peut donc être fondée économiquement. Ses formes potentielles sont multiples et leur opportunité dépend des cas : une coordination par les règles serait optimale dans le cas des « biens publics européens ». En matière de stabilisation interne à la zone euro, les mécanismes fédéraux sont adaptés. Pour les autres aspects (et notamment la question de l’« harmonisation » des prélèvements, mais également celle des salaires), seule une coordination à plusieurs niveaux semble possible, sur la base d’objectifs communs avec des déclinaisons nationales d’instruments. Celle-ci peut également permettre l’échange d’informations et l’apprentissage sur la base des meilleures pratiques. C’est précisément cette dernière voie qui a été privilégiée depuis le Traité d’Amsterdam, conduisant à un système politique multi-niveaux (« multitiered polity », Leibfried et Pierson [2000, page 268]) dans le domaine de l’emploi et des politiques sociales. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz ment soutenable pour les pays à faible protection sociale, et une harmonisation « par le bas » étant inacceptable pour les pays à forte protection sociale (Cazes [1994]). Boyer [1999] souligne la nécessité de favoriser la mise en place d’une coordination salariale au niveau européen : en effet, en l’absence d’intervention, on peut penser que l’Union Monétaire va conduire à un accroissement du degré de décentralisation des négociations salariales. Or celle-ci comporte des risques de creusement des écarts de salaires (du fait de la faible mobilité du travail), mais également d’inflation (du fait des dérapages possibles provenant du défaut de coordination). En présence d’une forte variabilité des politiques salariales, la BCE devrait conduire une politique monétaire plus dure que dans le cas d’une coordination salariale européenne, pour atteindre le même objectif d’inflation. Cette question s’articule avec celle de l’Europe sociale dans la mesure où l’enjeu est alors de créer les conditions d’un véritable dialogue social européen (à ce stade embryonnaire). 692 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier 3. La dynamique de l’Europe sociale et les voies de coordination Au cours de la période récente, les politiques sociales ont connu de fortes évolutions, tant au niveau national avec la multiplication de réformes profondes des systèmes nationaux de protection sociale, qu’au niveau européen, avec la mise en place d’une procédure de coordination originale. Les dynamiques de réponse à la « crise » du modèle social européen doivent donc être appréhendées à ce double niveau. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz En réponse aux pressions et contraintes exposées précédemment, les politiques sociales et les politiques de l’emploi ont connu de nombreuses réformes en Europe. Cette dynamique des politiques publiques se caractérise par deux traits essentiels, d’une part la persistance de modèles nationaux hétérogènes, d’autre part la mise en œuvre de tendances communes, mais avec des déclinaisons nationales différenciées. 3.1.1. Les réformes nationales poursuivent les chemins historiques D’un point de vue théorique, un certain nombre de caractéristiques des systèmes nationaux de protection sociale sont susceptibles de générer des trajectoires de type « dépendance du sentier », c’est-à-dire de maintien sur une trajectoire historiquement déterminée (Erhel et Palier [2003]). En particulier, s’il existe des coûts fixes d’installation, des effets de coordination ou d’anticipations, les rendements le long du sentier sont croissants, et les coûts de sortie du chemin (i.e. de changement radical de régime) également. Ces effets sont particulièrement importants dans le cas où les institutions constituent une « matrice » complexe, un ensemble de règles, de procédures, de nature formelle et informelle, complémentaires et interdépendantes12. Alors un choc commun à plusieurs systèmes institutionnels ne conduira pas à la convergence, mais il sera filtré par les arrangements institutionnels préexistants, conduisant à des problèmes différenciés, et à des réponses politiques elles-mêmes différentes13. 12. Ces mécanismes sont ceux que retiennent les auteurs institutionnalistes (dont North [1990] ; Pierson [2000]). 13. Pour une analyse théorique et empirique appliquée à la comparaison France/RU, cf. Erhel et Zajdela [2004]. Un élément central de la différenciation des trajectoires de ces deux REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 3.1. Des déclinaisons nationales d’une dynamique globale L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 693 D’un point de vue empirique, on peut vérifier au travers des réformes menées en Europe que la distinction entre les trois régimes d’Étatprovidence s’applique également en dynamique, du fait des contraintes historiques et institutionnelles créées par ces trois régimes14. A l’issue d’un travail comparatif de grande ampleur, Pierson [2001] souligne ainsi qu’au sein de chaque régime, un type de réforme de la protection sociale prédomine : la « re-marchandisation » (recommodification) dans les Étatsprovidence libéraux, le contrôle des coûts (cost-containment) dans les Étatsprovidence socio-démocrates, les reconfigurations (re-calibration) devant permettre d’ajuster les programmes sociaux aux nouveaux risques et besoins dans les systèmes continentaux. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Dans les pays scandinaves, face aux coûts et aux déficits publics engendrés par les politiques sociales de plein emploi, de nouvelles politiques ont été envisagées, visant à privatiser, décentraliser et « débureaucratiser » certains services, notamment en Suède. Ces nouvelles politiques ont accompagné des politiques de réduction des dépenses sociales comme la restriction des critères d’éligibilité pour l’accès aux prestations ou la baisse du niveau des prestations et des services. Après avoir fait subir un ensemble de « coupes égalitaires » à leurs dépenses sociales, ces pays ont cherché à retrouver les fondements de la « société du travail » dans leurs politiques, notamment d’emploi, en misant de plus en plus sur l’activation des dépenses sociales, mais aussi sur l’investissement dans la recherche, l’éducation et la formation. Dans les pays d’Europe continentale, les changements, plus rares, plus tardifs et plus limités qu’ailleurs, restent eux aussi pour la plupart inscrits dans les logiques du système. Tout au long des années 90, les réformes des retraites, en France comme en Allemagne, ont surtout impliqué un changement du mode de calcul des pensions mais pas un changement de la logique du système. De même, les mesures de maîtrise des dépenses de santé sont restées inscrites dans le cadre des institutions de l’assurance maladie, en France comme en Allemagne. Enfin, l’Allemagne a fait la preuve de la confiance qu’elle place dans sa façon de faire de la protection sociale en créant, en 1995, une nouvelle assurance sociale pour les soins de longue durée, qui fonctionne selon des modalités proches de celles des autres pays tient aux modes de financement de la protection sociale : au Royaume-Uni, les difficultés de financement des dépenses sociales pèsent directement sur le budget de l’État, et entrent en conflit avec l’objectif d’orthodoxie budgétaire, tandis qu’en France elles grèvent le coût du travail et posent des problèmes de compétitivité. D’autres exemples figurent dans Palier et Bonoli [1999]. 14. Cf. Esping-Andersen (1996) REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Ainsi, en Grande Bretagne, les politiques mises en œuvre pour faire face aux difficultés ont visé à se conformer aux pressions engendrées par l’internationalisation de l’économie en développant le rôle du marché dans la protection sociale (en matière de santé ou de retraite), les politiques de ciblage des prestations pour les plus démunis et les plus méritants, un renforcement des mesures de workfare et une flexibilisation croissante du marché du travail. L’ensemble de ces politiques n’a fait que renforcer la dimension libérale et résiduelle du système de protection sociale. 694 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 3.1.2. De la démarchandisation à l’activation : à la recherche d’une nouvelle logique fondamentale pour l’État-providence La comparaison des réformes menées dans les différents pays d’Europe montre un certain nombre de tendances communes qui semblent imposées par le nouveau contexte économique global. Deux tendances générales marquent l’ensemble des politiques menées dans les différents pays d’Europe : premièrement, la volonté de limiter les dépenses sociales publiques ; deuxièmement, la réorientation des programmes sociaux vers l’emploi. Alors que des années 50 aux années 70, les politiques de protection sociale étaient orientées par la volonté d’étendre et d’augmenter la couverture sociale, la fin des années 80 et les années 90 sont marquées par la volonté de réduire le niveau des dépenses sociales.Les pays anglo-saxons furent les premiers à mettre en œuvre des politiques de retrait de l’État-providence (cf. Pierson [1994]). Certains travaux comparatifs (George et Taylor-Goobi [1996]) ont montré que, au-delà des différences institutionnelles et de la diversité des politiques sociales mises en œuvre dans les différents pays d’Europe au cours des quinze dernières années, on pouvait retrouver dans tous les pays les mêmes méthodes qui font reculer l’État-providence 15. La France, mais également l’Allemagne ou la Belgique, constituent des exemples de ce recours massif aux dispositifs de cessation anticipée d’activité (préretraites et indemnisations du chômage prolongées avec une dispense de recherche d’emploi) (Courtioux et Erhel [2005]). REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz branches de son système. Le plus souvent, dans ces pays, les politiques mises en œuvre pour faire face aux difficultés dans ces pays n’ont fait que renforcer à terme les difficultés. En effet, dans les systèmes de protection sociale fondés sur les assurances sociales, il a souvent été choisi de réduire l’offre de travail pour faire face au problème de chômage, en incitant les femmes à rester au foyer, les jeunes à retarder leur entrée sur le marché du travail (en prolongeant leurs études par exemple), et les travailleurs vieillissants à partir en pré-retraite, en invalidité ou en congé de longue maladie15. Ainsi, les réformes menées en Europe au cours des vingt dernières années ne semblent-elles pas avoir changé la nature des États-providence. On peut même considérer qu’elles ont renforcé la logique propre à chaque système. Cette conclusion souligne qu’il est difficilement envisageable de vouloir importer telle quelle une politique dans un autre contexte institutionnel. Elle souligne aussi qu’il n’est pas possible de définir une seule solution universelle et globale pour les problèmes rencontrés par les systèmes de protection sociale. Pour autant, une analyse plus globale des réformes menées récemment souligne qu’au-delà des différences, il existe des tendances majeures communes à la plupart des mesures adoptées en Europe. Tout se passe comme si l’agenda des réformes comportait aussi la recherche d’un nouveau socle commun pour la protection sociale, passant par la redéfinition des objectifs sociaux et des fonctions économiques des politiques sociales. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz aujourd’hui en Europe, en particulier : restriction des critères d’éligibilité pour l’accès aux prestations ; ciblage des prestations et réduction de leur niveau ; augmentation (ou apparition) de la charge laissée aux usagers dans de nombreux services ; développement des services et des assurances privées, au moyen notamment d’incitations fiscales ; délestage de missions publiques de protection sociale sur les entreprises, les familles ou la société civile. Si ces politiques avaient pour but premier de diminuer les dépenses sociales16, elles ont aussi eu deux conséquences importantes pour les conceptions globales de la protection sociale. Dans la mesure où elles ont souvent réduit la part prise par les dépenses publiques, elles ont conduit à réorganiser la répartition des tâches entre État, famille, marché et société civile. Dans la plupart des cas, on assiste ainsi à une privatisation partielle des fonctions de protection sociale. En second lieu, ces politiques de retrait signifient que l’État-providence, d’un point de vue économique, n’apparaît plus comme un facteur de croissance économique, mais comme un coût qu’il convient de diminuer. La solution qui aurait consisté à démanteler purement et simplement l’État-providence, bien que réclamées par les ultralibéraux, n’est pas à l’ordre du jour, aussi bien du fait des résistances institutionnelles et politiques que de l’attachement des populations européennes à leur « modèle social ». La deuxième tendance générale vise à réformer la protection sociale afin de la rendre plus favorable à l’emploi. Trois séries principales de réformes ont été engagées dans les différents pays européens afin de rendre effective cette priorité à l’emploi : des réformes du financement de la protection sociale ; l’instauration de contreparties plus strictes de formation ou d’activité en échanges de l’octroi des prestations ; la promotion de services collectifs destinés à favoriser l’activité féminine. Concernant le financement de la protection sociale, des réformes allant dans le sens à la fois d’une fiscalisation et d’un élargissement des assiettes de financement ont été engagées dans les pays continentaux, afin de réduire le poids des cotisations sociales. Cela a été le cas en France avec notamment l’instauration d’une nouvelle forme de financement de la protection sociale, la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991, ou, plus récemment en Allemagne, où un nouvel impôt écologique prélevé sur les activités polluantes et affecté aux dépenses sociales a été créé en 1998. Le second axe des réformes des politiques sociales européennes a été de mettre en place des contreparties plus strictes en termes d’activité ou de formation, en échange de l’octroi d’un certain nombre de prestations. Cela s’est notamment traduit par le développement de politiques d’activation des prestations d’assurance chômage ou d’assistance, que l’on retrouve dans tous les régimes de protection sociale. Les outils utilisés sont proches : il s’agit principalement d’une part d’un durcissement des conditions d’indemnisation dans le cadre de l’assurance-chômage, ou des conditions d’accès à 16. Ce qu’elles n’ont réussi que partiellement. Après une nouvelle hausse au début des années 90, liées à la période de récession économique qu’a connue l’Europe, les dépenses sociales ont été stabilisées au cours des années 90 dans la plupart des pays européens, mais sont souvent reparties à la hausse au début des années 2000. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 695 696 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier l’assistance, avec le développement d’obligations de participation à des mesures d’insertion ou de formation17, d’autre part de la création ou de renforcement de dispositifs visant à augmenter le différentiel entre revenus d’activité et prestations perçues en cas de chômage ou d’inactivité (de type impôt négatif ou suppléments familiaux). On peut également considérer que le développement d’emplois atypiques (temps partiel, mais aussi CDD, interim) au moyen d’assouplissements du droit du travail, voire d’incitations financières18, procède de cette logique générale d’activation. Les formes prises par ces mesures diffèrent selon les pays : elles sont globalement plus contraignantes en Angleterre, se rapprochant du workfare, tandis que dans le cas des pays scandinaves, il s’est agi de retrouver l’esprit de « la société du travail » et le principe de la workline (tous ceux qui peuvent travailler le doivent). Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Une troisième série de réformes destinée à favoriser l’emploi est fondée sur une approche très différente, visant non pas à restreindre l’accès à certaines prestations monétaires, mais au contraire à faciliter l’accès à certaines prestations de service destinées à permettre une meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Cette stratégie consiste à développer la création de services sociaux aux personnes (enfants, personnes âgées, handicapés...), afin de favoriser l’emploi des femmes et le maintien de taux de fécondité élevés, tout en réduisant les niveaux de pauvreté des familles, notamment mono-parentales, et leur incidence sur les enfants. La dynamique des réformes va ainsi au-delà d’une simple logique de maintien des modèles nationaux sur les trajectoires antérieures. Il existe également des innovations institutionnelles, des instruments nouveaux des politiques sociales, qui apparaissent comme des déclinaisons nationales d’une logique de réforme plus globale (répondant au changement de référentiel analysé précédemment). L’Europe sociale d’aujourd’hui serait ainsi un ensemble de modèles nationaux différenciés et de tendances communes de réformes : s’il apparaît impossible d’évoquer une convergence des systèmes nationaux de protection sociale (tout au plus serait-elle partielle), les objectifs et principes de leur réforme sont en partie communs. De plus, d’un point de vue institutionnel, elle se caractérise par une coordination plus importante des politiques nationales. 17. Accompagnées, au moins en principe, de sanctions financières en cas de non-respect de ces obligations. 18. Cf. par exemple l’instauration de baisses de charges pour l’emploi à temps partiel en France en 1992. 19. Au moins jusqu’au début des années 2000. Les réformes des retraites se sont accompagnées d’une forte limitation des dispositifs de préretraites. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Dans les pays continentaux, les mesures d’activation sont plus timides, et le plus souvent marquées par une situation paradoxale voire contradictoire, puisqu’elles coexistent avec des mesures de retrait du marché du travail (pré-retraites notamment)19. L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 697 3.2. Un mode de coordination original ? La méthode ouverte de coordination Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Sur la base d’une analyse historique de l’origine de la méthode ouverte de coordination (Mandin et Palier [2004]), on peut considérer que celle-ci s’inscrit tout d’abord dans une volonté politique de repenser la coopération européenne dans le domaine des politiques sociales, pour qu’elle ne soit pas synonyme de retrait des États-Providence face aux exigences du marché unique, mais conduise plutôt à des pactes sociaux renouvelés et permette progressivement de contribuer à l’élaboration d’une justice sociale « soutenable » en Europe. Par ailleurs, elle découle également de la prise de conscience de l’impossibilité d’imposer une législation classique dans le domaine de la protection sociale. Depuis le Traité de Maastricht, le nombre de directives proposées et adoptées a décliné. Cette tendance s’est prolongée après l’adoption du Traité d’Amsterdam, malgré l’introduction du Titre sur l’emploi. Le processus de promotion du dialogue social n’a pas été plus fructueux, puisque seulement trois conventions collectives ont abouti à des directives. Ce processus de coordination dans le domaine de l’emploi et des politiques sociales repose sur l’idée qu’il est possible d’obtenir une convergence minimale en matière d’emploi et de protection sociale à partir de procédures de coordination non contraignantes, fondées sur l’échange d’informations et la discussion entre les pays. En conformité avec les approches institutionnalistes, on peut en effet penser que dans le cas de systèmes institutionnels complexes et interdépendants, la fixation de règles contraignantes n’est pas nécessairement le meilleur moyen d’infléchir les trajectoires nationales20. Au contraire, les institutions peuvent jouer un rôle de filtre, et aboutir à des 20. Cf. notamment Hall et Soskice [2001] ; pour une discussion, Erhel et Palier [2003]. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’intervention du niveau européen en matière d’emploi et de politiques sociales est devenue de plus en plus importante au cours des dernières années. C’est pour remédier à un décalage croissant entre les politiques économiques européennes et les politiques sociales nationales que cette intervention européenne s’est développée dans un domaine normalement réservé aux États. La « méthode ouverte de coordination », inspirée du processus de convergence économique à partir des critères de Maastricht puis du processus de Luxembourg lançant une stratégie européenne pour l’emploi en 1997, vise à pallier l’incapacité de l’Union à imposer un processus de coordination des politiques sociales grâce à une harmonisation législative classique, et à construire une nouvelle méthode de gouvernance de la protection sociale en Europe. Depuis le sommet de Lisbonne, elle a été étendue à la lutte contre la pauvreté et l’exclusion en 2000, à celui des retraites en 2001 et à celui de la santé en 2004. Cette méthode s’appuie sur la circulation des idées, propose de nouveaux principes d’action pour faire face aux défis communs auxquels les États membres sont confrontés, et incarne ou cherche à incarner une politique de protection sociale nouvelle. 698 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier réponses nationales qui demeurent différenciées en fonction des caractéristiques antérieures, avec maintien de la dépendance du sentier. Il semble en revanche plus adapté de chercher à coordonner l’orientation générale des réformes, chacun choisissant les instruments les mieux adaptés à son contexte pour les atteindre. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Cependant, et c’est le deuxième résultat de ce type d’étude, si l’effet de la coordination nationale ne semble pas être direct, cela ne signifie pas qu’il soit nul. Tout d’abord, les personnes interviewées mentionnent le plus souvent un effet d’« apprentissage », ou de constitution d’un savoir commun lié à la MOC et aux échanges portant sur les expériences nationales et les meilleures pratiques. De plus, outre cet effet d’harmonisation cognitive, les entretiens mettent également en évidence une utilisation stratégique des outils fournis par la MOC (indicateurs, lignes directrices, modèles, arguments) : ceux-ci constituent des ressources pour les acteurs nationaux, qu’ils utilisent dans le processus de définition des politiques. La coordination européenne aurait dans cette perspective un « effet de levier » (Coron et Palier [2002]) sur les politiques nationales, qui transite par quatre canaux. Tout d’abord, la rédaction des Plans d’Action Nationaux a permis une rationalisation des politiques existantes et de leurs justifications. De plus, ce processus a conduit à une amélioration de la coordination au sein de l’administration, au niveau horizontal (entre les Ministères), et vertical (entre le niveau national et les échelons locaux ou régionaux) : en ce sens, la MOC semble désormais constituer un outil de gestion interne à l’administration de l’emploi. La question de la décentralisation et de ses enjeux en termes d’information est récurrente dans nos entretiens. Par ailleurs, la stratégie européenne pour l’emploi donne une référence nouvelle, et permet aux acteurs de légitimer leurs positions, et le cas échéant de servir leurs intérêts dans le débat national. Enfin, les acteurs s’accordent sur l’idée que la SEE 21. Pour la France, il s’agit des travaux de Barbier et Sylla [2001, 2004], Coron et Palier [2002] ; Erhel, Mandin et Palier [2005], Raveaud [2001]. Une perspective comparative des cas nationaux est donnée dans Pochet et Zeitlin [2005]. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Les principaux résultats des travaux empiriques sur la MOC21 sont les suivants : premièrement, il ne semble pas y avoir d’influence directe (au sens d’un processus de diffusion par le haut) de la stratégie européenne pour l’emploi et des MOC inclusion et retraites sur les réformes nationales des politiques de l’emploi et des politiques sociales, celles-ci étant en général antérieures à la définition et à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne. En France par exemple (Erhel, Mandin et Palier [2005]), les acteurs interviewés citent en ce sens l’exemple des baisses de charges, qui apparaissent dès la fin des années 70 dans le cadre des Pactes pour l’emploi, avant de connaître une logique de généralisation dès le début des années 90, ou encore la création du RMI en 1988. Au-delà de cet effet d’antériorité et de décalage temporel, la plupart des personnes enquêtées mentionnent également un problème d’opportunité politique : il serait selon eux préférable de ne pas mentionner une référence européenne pour qu’une réforme aboutisse. Ainsi le débat sur les retraites aurait-il été volontairement circonscrit au cadre national, alors même que le processus de coordination européen débutait dans ce domaine. L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 699 avait conduit à un accroissement de l’implication des partenaires sociaux dans la définition des orientations des politiques de l’emploi. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz D’un point de vue théorique, l’analyse de la coordination des politiques sociales et des politiques de l’emploi et de sa mise en œuvre au travers des MOC peut également s’appuyer sur certains résultats des travaux sur le fédéralisme. Les développements récents des approches économiques du fédéralisme ont intégré les apports de l’économie de l’information, et prennent en compte les problèmes informationnels (hasard moral, sélection adverse) et les coûts de transaction (Oates [1999]). Concernant la relation entre fédéralisme et changement ou innovation politique, ces travaux aboutissent à des résultats ambigus. Ils montrent d’une part que les systèmes fédéraux22offrent des possibilités d’expérimentation et d’apprentissage par l’expérience au niveau des États membres, qui peuvent conduire à la diffusion d’innovations politiques efficaces. L’avantage de l’expérimentation décentralisée est d’autant plus important que l’incertitude sur l’impact des politiques est importante (ce qui est le cas pour les politiques de l’emploi). Mais d’autre part, l’existence d’externalités d’information (le résultat des expérimentations des États membres se diffuse aux autres) peut au contraire réduire l’incitation à l’innovation, par rapport à une situation centralisée (Oates [1999]). Pire, l’existence d’une compétition juridique et fiscale entre les États peut conduire à une course vers le bas (Volden [2002]). Ces effets constituent un argument fort en faveur d’une mise en œuvre centralisée de la coordination, même si celle-ci se fait sur la base d’un apprentissage décentralisé. Le rôle de l’échelon central dans la convergence est donc d’autant plus fort que la politique concernée constitue un terrain de concurrence entre les États membres : ceci vaut tout particulièrement dans le domaine de la réglementation du marché du travail et des politiques sociales. En revanche, compte tenu de la faible mobilité du travail en Europe, les politiques de l’emploi (du moins celles qui sont centrées sur l’offre de travail) ou les politiques de retraite peuvent faire l’objet d’une coordination décentralisée avec un rôle minimal de diffusion de l’information pour l’échelon central. 22. Un système fédéral est défini dans cette littérature comme un système où il existe plusieurs niveaux de gouvernement, chacun ayant une autorité politique, indépendamment de toute constitution formelle : il est donc différent du fédéralisme au sens politique du terme. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz Pour toutes ces raisons, la méthode ouverte de coordination constitue plus qu’un outil politique virtuel, et participe aux facteurs de changement institutionnel. Cependant, le fait qu’il existe des changements innovants, et que ces changements soient influencés par la MOC, ne signifie pas que l’on aboutisse par ce biais à une convergence « substantive » entre les modèles nationaux européens. Les facteurs d’influence supra-nationaux, y compris cognitifs, sont nombreux (incluant les dimensions macroéconomiques de la politique européenne, mais également les analyses et recommandations des experts internationaux, tels que ceux de l’OCDE), et leur mobilisation n’est pas uniforme dans les pays membres de l’UE. Les travaux comparatifs sur la MOC soulignent ainsi des différences dans le recours à la SEE, par exemple en ce qui concerne l’implication des partenaires sociaux (Pochet et Zeitlin [2005]). 700 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier Ces analyses conduisent donc à douter de l’efficacité de la méthode ouverte de coordination dans le domaine social, tout en reconnaissant sa pertinence dans le domaine de l’emploi. * * * Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz La question de l’avenir de cet ensemble complexe reste ouverte, même si la plupart des travaux sur la coordination européenne et l’avenir de l’Europe sociale vont au-delà de l’analyse de l’existant et présentent une forte dimension prospective. Certains présentent des scénarios d’évolution très généraux, qui dépassent la question de l’Europe sociale et s’interrogent sur l’avenir institutionnel et politique de l’Union européenne (Boyer [1999]). Ceux-ci s’articulent avec la question plus précise du modèle social européen, pour lequel on peut distinguer entre trois scénarios d’évolution (Barbier [2004]) : ceux qui privilégient l’hypothèse que les MOC ont essentiellement une composante « symbolique », sans impact réel sur les trajectoires nationales et sans réduire la dichotomie fondamentale entre l’économie et le social au niveau européen ; des auteurs qui voient dans la SEE et les MOC un outil de promotion d’une stratégie néo-libérale en Europe, participant ainsi à la soumission des politiques sociales aux objectifs macroéconomiques, via la flexibilité, la baisse du coût du travail (Salais [2004]) ; enfin des travaux considérant les MOC comme un outil de défense du modèle social européen, ou de promotion d’un modèle renouvelé (Goestchy [2003] ; Atkinson et al. [2004] ; Théret [2002a]). Dans cette dernière perspective, la coordination par les MOC constitue une étape de construction de l’Europe sociale, préalable à la mise en place de mécanismes de redistribution et à l’accroissement du budget européen, qui constituent les conditions nécessaires d’efficacité de la coordination en matière sociale (Théret [2002b])23. Références bibliographiques ATKINSON A., MARLIER E., NOLAN B. [2004], « Indicators and targets for Social Inclusion in the European Union », Journal of Common Market Studies, vol 42, numéro 1, p. 47-75. 23. Théret [2002] s’appuie sur une comparaison avec le fédéralisme canadien pour montrer que les mécanismes de type coordination par les objectifs et les indicateurs peuvent constituer une étape vers le fédéralisme. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’Europe sociale est constituée d’interventions à plusieurs niveaux, l’échelon européen étant historiquement faible relativement au niveau des modèles nationaux, qui apparaît marqué par une forte hétérogénéité au-delà d’un principe commun de protection des individus.Elle apparaît marquée par de nombreuses réformes depuis les années 80, tant au niveau des politiques nationales, que des modalités de coordination organisées par les politiques européennes. Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz BARBIER J. C., SYLLA N.S. [2001], Stratégie Européenne pour l’Emploi : les représentations des acteurs en France, rapport pour la DARES, 2001. BARBIER J. C., SYLLA N. S. [2004], La stratégie européenne pour l’emploi : genèse, coordination communautaire et diversité nationale, Rapport de recherche pour la DARES [Ministère du Travail], janvier 2004. BARBIER J.-C. [2004], « Une « européanisation » des politiques de l’emploi ? Réflexions d’étape à propos de la stratégie coordonnée pour l’emploi », Travail et Emploi, n° 100, octobre, p. 11-24. BARBIER J.-C. [2005], « Has the European Social Model a distinctive activation touch ? », contribution for the ETUI working group and the collective book edited by JEPSEN M. and AMPARO SERUANO P. on the European Social Model, draft ; janvier 2005. BEAUD O., LECHEVALIER A., PERNICE I., STRUDEL S. [2004], L’Europe en voie de constitution : pour un bilan critique des travaux de la Convention, Eds Bruylant, 832 p. BOYER R. [1999], Le gouvernement économique de la zone Euro, rapport du CGP, La Documentation Française. CAE [1998], Coordination européenne des politiques économiques, La Documentation Française, 117 p. CAZES S. [1994], « Protection sociale et intégration économique européenne », in FITOUSSI J.-P. (dir), Entre convergences et intérêts nationaux : l’Europe, Presses de la FNSP, p. 121-143. CORON G. et PALIER B. [2002], « Changes in the Means of Financing Social Expenditure in France since 1945 », in C. De la Porte et P. Pochet (ed), Building Social Europe through the Open Method of Co-ordination, Peter Lang, p. 97-136. COURTIOUX P., ERHEL C. [2005], « Les politiques en faveur des seniors : quelles réformes ? », Travail et Emploi, n° 102, avril-mai, p. 107-118. DANIEL C., PALIER B. (eds) [2001], La Protection sociale en Europe : le temps des réformes, Paris : La Documentation Française. ERHEL C., MANDIN L., PALIER B. [2005], « The Leverage Effect : the Open Method of in France », chapter 8, in Pochet P., Zeitlin J. (dir) [2005]. ERHEL C., PALIER B. [2003], « Les dynamiques de l’Europe sociale et Europe de l’emploi à l’heure de la « Méthode Ouverte de Coordination » : persistances et convergences », communication aux XXIIIe Journées de l’A.E.S., Grenoble, 1112 septembre 2003. ERHEL C., ZAJDELA H. [2004], « The Dynamics of Social and Labour Market Policies in France and UK : towards convergence ? », Journal of European Social Policy, n° 14.1, février 2004. ESPING-ANDERSEN G. [1990], The Three Worlds of Welfare Capitalism, Cambridge, Polity Press, traduction française : Les trois mondes de l’État-providence, Paris, PUF, 1999. ESPING-ANDERSEN G. [1996], Welfare States in Transition, National Adaptations in Global Economies, Londres, Sage. FITOUSSI J.-P., LE CACHEUX J. [2005], Rapport sur l’état de l’Union, Fayard. FLORA P. [1986], Growth to Limits, Berlin, De Gruyter. FREYSSINET J. [2004], « Les conditions institutionnelles d’une politique de croissance et de creation d’emplois en Europe », in Beaud et al. [2004]. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 701 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz GEORGE V., TAYLOR-GOOBY P. (eds.) [1996], European welfare policy – Squaring the welfare circle, Londres, Macmillan. GOETSCHY J. [2003], « The Employment Strategy and European Integration », in Foden D. et Magnusson L. (eds [2003]), Five Years Experience of the Luxembourg Employment Strategy, ETUI, Bruxelles, p. 69-110. HALL P. [1986], Governing the Economy, New York, Oxford University Press. HALL P. [1989], The Political Power of Economic Ideas, Princeton, Princeton University Press. HALL P., SOSKICE D. [2001] (eds), Varieties of Capitalism, The Institutional Foundations of Comparative Advantage, Oxford, Oxford University Press. ITALIANER A. et PISANI-FERRY J. [1992], « Systèmes budgétaires et amortissements des chocs régionaux : implications pour l’UEM », Économie Prospective Internationale, n° 51, 1992, p. 49-69. LAYARD R., NICKELL S., JACKMAN R. [1991] Unemployment, Macroeconomic Performance and the Labour Market, Oxford University Press, 561 p. LEIBFRIED S., PIERSON P. [2000], « Social policy : Left to Courts and Markets ? », in Wallace H. et Wallace W. [2000] (eds), Policy Making in the European Union, Oxford University Press, p. 268-286. MANDIN L., PALIER B. [2004], « L’Europe et les politiques sociales : Vers une harmonisation cognitive des réponses nationales », in Lequesne C., Surel Y. (eds.) L’intégration européenne : entre dynamique institutionnelle et recomposition de l’État, Paris, Presses de Sciences Po. MULLER P. [2000],« L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique », Revue Française de Science Politique, vol. 50, n° 2, p. 189-207. NORTH D. [1990], Institutions, Institutional Change and Economic Performance, Cambridge : Cambridge University Press, 152 p. OATES W. [1999], « An Essay on Fiscal Federalism », Journal of Economic Litterature, vol. 37, p. 1120-1149. PALIER B. [2001], « Les différents modèles de protection sociale et leur impact sur les réformes nationales », in Daniel, Palier, La protection sociale en Europe, le temps des réformes, Paris, La Documentation française. PALIER B., BONOLI G. [1999], « Phénomènes de Path Dependence et réformes des systèmes de protection sociale », Revue Française de Science Politique, vol. 49, n° 3, juin 1999, p. 399-420. PALIER B., VIOSSAT L.-C. [2001] (dir), Politiques sociales et mondialisation, Paris, éditions Futuribles. PIERSON P. [1994], Dismantling the Welfare State ? Reagan, Thatcher and The Politics of Retrenchment, Cambridge, Cambridge University Press. PIERSON P. [2000], « Increasing returns, Path Dependence, and the Study of Politics », American Political Science Review, vol. 94, n° 2, juin, p. 251-267. PIERSON P. (ed) [2001], The New Politics of the Welfare State, Oxford : Oxford University Press. POCHET P., ZEITLIN J. (dir) [2005], The Open Method of Coordination in Action : The European Employment and Social Inclusion Strategies, PIE-Peter Lang, Brussels. POLANYI K. [1944], The Great Transformation, Boston, Beacon Press, traduit en français en 1983 : La Grande transformation, Paris, Gallimard. REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz 702 ———————————————————————————————————————— Christine Erhel, Bruno Palier L’Europe sociale ————————————————————————————————————————————————————— 703 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz REP 115 (6) novembre-décembre 2005 Document téléchargé depuis www.cairn.info - cas - - 195.5.215.226 - 29/12/2011 10h40. © Dalloz RAVEAUD G. [2001], La dimension européenne des politiques d’emploi françaises : une analyse de la participation des partenaires sociaux à l’élaboration du PNAE 2001, Étude pour la DGEFP. THÉRET B. [1997], « Méthodologie des comparaisons internationales, approches de l’effet sociétal et de la régulation : fondements pour une lecture structuraliste des systèmes nationaux de protection sociale », l’Année de la Régulation, vol. 1, p. 163-228. THÉRET B. [2002a], « Les récentes politiques sociales de l’Union européenne au regard de l’expérience canadienne de fédéralisme », Sociétés Contemporaines, n° 47, p. 50-78. THÉRET B. [2002b], Protection sociale et fédéralisme, PUM, Peter Lang. TITMUSS R. M. [1974], Social Policy, An Introduction, London : George Allen and Unwin. VOLDEN C. [2002], « The Politics of Competitive Federalism : A Race to the Bottom in Welfare Benefits ? », American Journal of Political Science, 46.2, p. 352-363.