La Compagnie de l’Escarboucle a multiplié les projets
avec les musiciens afghans de Hérat. Ainsi, chacun
enrichit le répertoire de l’autre de ses propres orne-
ments, habitudes d’interprétation et techniques de
jeu. En un mot, il se l’approprie, et l’intègre à son
propre langage.
Ces éléments permettent de questionner l’inter-
prétation des répertoires monodiques anciens, et
de proposer des idées nouvelles, dans un langage
musical renouvelé.
Creusant pas à pas leur route entre orient et occi-
dent, les envies musicales s’affinent au long de ce
travail. Elles appellent, pour Aina e music, à un tra-
vail s’ouvrant à de nouveaux répertoires : les survi-
vances de thèmes anciens dans la musique de tradi-
tion vivante française.
La chanson française s’est transmise de génération
en génération. Patrimoine millénaire, ces chansons
ont évolué et se sont transformées au fil des siècles,
et constituent aujourd’hui un répertoire tradition-
nel vivant. Cette part majeure de notre patrimoine
culturel trouve une parenté étonnante et singulière
dans la culture elle aussi millénaire des chants et
musiques d’Afghanistan.
Ce qui rapproche les deux musiques, en premier
lieu, c’est leur rapport intime au chant et au sens
de la poésie qu’il porte. Les deux répertoires sont
joués par les français et par les afghans, ensemble,
pour être dans la rencontre en dépassant la simple
confrontation. Il s’agit de mêler les deux musiques
pour en faire un langage nouveau, pour consti-
tuer des suites musicales dans lesquelles les pièces
afghanes et françaises s’enchevêtrent.
Le langage musical ainsi élaboré, arrive à une cer-
taine maturité. Cette rencontre des répertoires, de-
venue à présent une collaboration sur le long terme,
est à présent suffisamment solide pour s’ouvrir à de
nouvelles formes. Ce parcours permet aujourd’hui
au travail musical de se confronter à la scénographie
et aux questionnements de Stéphanie Mathieu.
De grands tutti exaltés s’alternent avec des soli très
virtuoses et raffinés. Le spectacle est un grand cres-
cendo, jusqu’à un paroxysme final.
Intentions
Les ornements de la ûte baroque répondent à ceux
de la ûte Afghane. Un lai médiéval et une chanson
séculaire persane : des musiques étonnamment sem-
blables. Une chanson médiévale dans laquelle vient se
glisser un naghma afghan...
Intentions scénographiques
Le prolongement physique et visuel du rapproche-
ment musical entre les deux cultures et traditions et
de leur dialogue profond.
Nous cherchons à créer un espace qui puisse être le
lieu de temporalités multiples. C’est un espace ima-
ginaire, qui relie passé et présent, Orient et Occi-
dent.
Nous rêvons d’un espace hybride, qui puisse aussi
se transformer au fil du spectacle. Comme on voit
la lumière évoluer au cours d’une journée, ou au
cours des saisons. Le spectacle commencerait dans
une atmosphère chaude et feutrée, en clair-obscur,
et la musique prenant possession du lieu viendrait
peu à peu révéler l’espace dans ses petits détails.
La transformation serait telle qu’on pourrait chan-
ger de saison au fil du spectacle. (pourquoi pas finir
sous la neige)
Nous cherchons à créer l’atmosphère d’un refuge :
c’est un espace intime mais pas fermé. Un espace
qui entretient toujours l’ambiguité entre le dedans
et le dehors.
Les inspirations
Cet espace pourrait à la fois évoquer les cours in-
térieures des Khanakas soufies (les maisons des
maîtres soufis), comme le jardin intérieur d’un
cloître, et aussi l’intimité feutrée d’un salon, en mê-
lant les signes et les évocations.
L’image d’un verger, en fond de scène, derrière un
tulle, comme prolongement de l’imaginaire et évo-
cation de l’amour courtois viendrait donner à cette
cour intérieure un horizon inattendu et inespéré,
comme la rencontre entre les deux traditions musi-
cales.
Le tulle noir du fond de scène pourra aussi servir à
des projections de gros plans filmés des musiciens.
On cherche ainsi à faire rentrer le spectateur au
cœur même de la cour intérieure, au plus près de la
musique.
A propos de la Khanaka
« C’était un grand jardin où régnait le silence
Ombragé de vieux grands arbres,
Isolés du reste du monde par de hauts murs
Qui l’encerclaient mais ne protégeaient pas
La Khanaka que l’on reconnaît
A ce que la porte demeure ouverte jour et nuit. »
Denise Desjardins, Contre Vents et Années, extrait du
chapitre 18, En Afghanistan
Aïnaa e music, les miroirs de musiqueAïnaa e music, les miroirs de musique