La primauté du littoral, dans son importance démographique et économique, ainsi que
dans le rôle des métropoles qui le dominent comme Shanghai ou Hong Kong, relève en fait de
la période qui s’ouvre avec les guerres de l’Opium et d’une globalisation initialement forcée
de la Chine. L’idée d’un « littoral chinois » est par ailleurs une construction intellectuelle
aisée, fondée sur les limites provinciales et les données statistiques qu’elles autorisent, alors
que la réalité tient bien plus d’une grande diversité des situations régionales au sein du littoral
– et à l’intérieur des provinces littorales –, et il nous faudrait plutôt évoquer la pluralité des
développements littoraux.
À l’autre extrémité du continent chinois, le Xinjiang ne se distingue pas du reste de
l’Asie centrale dans ses conditions physiques et une large part des populations non han qui le
peuplent se retrouve de chaque côté de la frontière occidentale. Mais cette même frontière a
aussi créé avec le temps de véritables discontinuités territoriales, en raison de la colonisation
han et des recompositions induites par les nouvelles logiques d’encadrement et de
développement. Pékin aime à souligner les écarts de niveaux de vie entre les musulmans
turcophones de la République populaire et ceux de l’Asie centrale ex-soviétique.
Trois types principaux de critères ont ainsi aidé à rendre compte des découpages
régionaux internes à la Chine : 1- les critères identifiant les grands ensembles physiques
(topographie, hydrométrie) et humains (densité et distribution démographiques, peuplements
han et non han) ; 2- les critères liés au développement économique (industrialisation, degré
d’ouverture en fonction des investissements directs étrangers et des exportations) ; et 3- les
critères fonctionnels fondés sur les liens, les hiérarchies et les solidarités territoriales, les
rapports centre-périphérie, les polarisations et les réseaux, les régionalisations et les conflits
de pouvoirs.
Trois temps de réflexion semblent également découler de ces critères : une géographie
régionale qui découpe du nord au sud le territoire en fonction des bassins fluviaux jusqu’aux
années 1970 ; une fragmentation est-ouest avec le développement économique du littoral dans
les années 1980 et 1990 ; et, enfin, une lecture où les polarités de l’espace chinois impulsent
des degrés inégaux d’intégration à l’économie mondiale.
Les discontinuités héritées
Basses terres rizicoles, foyers de fortes densités
Premier fondement, les contraintes topographiques ont été au cœur d’une lecture
géographique devenue classique de l’Asie sinisée, et largement développée par Pierre
Gourou. Elles tiennent dans une opposition entre les basses terres rizicoles, très anciennement
et densément peuplées par les peuples chinois ou sinisés, et les montagnes mal mises en
valeur et le plus souvent abandonnées à des populations minoritaires qui y ont été refoulées
(Pierre Gourou,1972 : 32-33).
Cette dichotomie n’a évidemment jamais été valable pour toute l’Asie sinisée, ni même
pour toute la Chine. Elle correspond au paysage d’une Asie de l’eau et du riz, qui est certes
remontée jusqu’aux fronts pionniers japonais d’Hokkaïdo (Berque, 1980), mais n’est pas celle
des vastes plaines chinoises du Nord et du Nord-Est, et encore moins des périphéries
septentrionales et occidentales du territoire chinois.
Aujourd’hui, les mutations économiques du monde rural, fondées sur l’industrialisation
rurale et l’ouverture économique, s’accompagnent d’une transformation radicale de ces
mêmes paysages des campagnes littorales et méridionales, décrits par Pierre Gourou. Dès les
années 1980, le delta de la rivière des Perles voit ses collines tronquées ou arasées, ses étangs
à poissons comblés. Ses rizières laissent la place à des cultures plus rentables ou plus souvent
à des zones d’expansion industrielle ou urbaine. Cette vaste plaine deltaïque hier organisée
autour de ses fleuves, de ses canaux et de ses étangs, est rapidement devenue une vaste