Approcher les dynamiques régionales en Chine

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Approcher les dynamiques régionales en Chine
SANJUAN, Thierry, 2007, Hérodote, n° 125, pp. 157-185.
Résumé : Les interprétations régionales françaises de la Chine l’ont découpée du nord au sud,
en fonction des bassins fluviaux, jusqu’aux années 1970. Elles ont ensuite souligné une
fragmentation est-ouest avec le développement économique du littoral dans les années 1980 et
1990. Elles développent aujourd’hui une lecture où les polarités urbaines organisent un espace
chinois régionalement soumis à des degrés inégaux d’intégration à l’économie mondiale. Six
grands types de dynamiques régionales peuvent ainsi être identifiés.
L’originalité de la Chine tient certes dans la longueur de son histoire et le nombre de sa
population, mais avant tout dans son immensité géographique. Longtemps, la Chine s’est
d’autant plus facilement conçue comme le monde, « tout ce qui était sous le ciel », que la
démesure de son territoire se terminait par des espaces où les conditions naturelles devenaient
extrêmes et les peuplements rares, voire nuls : les terres du froid au nord, les steppes et les
déserts vers l’ouest, les barrières montagneuses de l’ouest et du sud-ouest, enfin la mer au sud
et à l’est. Cette immensité, l’Empire lui a donné une unité, a su la gouverner dans la distance,
et l’a dominée grâce à un système administratif et culturel cohérent tout en laissant des jeux
d’initiatives possibles aux élites locales. La distension de l’État (Chevrier, 1996) a permis une
perméabilité indispensable à l’unité de cette immensité, fragmentée, enclavée dans sa
diversité.
L’approche de la Chine par des chiffres ou des considérations se limitant à l’échelle de
cet Empire, aujourd’hui de cet État-nation, grand comme l’Europe « de l’Atlantique à
l’Oural », souligne le poids de cette puissance pour l’Asie et le monde. Son essor économique
redistribue les cartes de la géopolitique mondiale de manière décisive. Pour autant,
l’observateur ne peut s’arrêter à cette seule échelle, et peut encore moins se contenter de la
généralisation d’une étude de terrain particulière. Il doit rendre compte à la fois de l’un,
macroscopique, et d’une diversité, multiple et microscopique ; naviguer ainsi à diverses
échelles et sur plusieurs lieux parfois distants les uns des autres de 3 000, 4 000 voire
5 000 km.
Les géographes ont successivement proposé différentes lectures pour donner à
comprendre la diversité régionale de la Chine, ses limites intérieures et les dynamiques qui les
habitaient. D’Élisée Reclus aux auteurs actuels, ce sont à la fois des lectures qui s’inscrivent
dans le temps de la discipline géographique et dans les mutations propres à la Chine. Pour
autant, chacune apporte des clés nouvelles, originales, de compréhension, sur lesquelles se
fondent les suivantes, en les prolongeant ou en s’y opposant. En cela, l’histoire d’une lecture
régionale de la Chine par la géographie française révèle aussi nos non-dits, nos grilles héritées
d’interprétation, mais aussi les éléments structuraux d’une géographie de la Chine que les
bouleversements spatiaux, économiques et sociaux en cours ne suppriment pas mais
recomposent.
Notre objectif est ainsi d’aider, par le détour des géographes français qui ont tenté une
régionalisation de la Chine, à identifier les permanences, les réapparitions, les redéfinitions
des logiques spatiales de la Chine contemporaine.
Les critères de délimitations internes à la Chine sont multiples. Ils peuvent être des
produits de l’histoire, des logiques héritées de peuplement, des situations politiques ou
économiques – encouragées par le pouvoir central ou revendiquées localement –, enfin des
dynamismes liés à des extraversions actuelles. Ils dépendent aussi des types de données
utilisées.
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La primauté du littoral, dans son importance démographique et économique, ainsi que
dans le rôle des métropoles qui le dominent comme Shanghai ou Hong Kong, relève en fait de
la période qui s’ouvre avec les guerres de l’Opium et d’une globalisation initialement forcée
de la Chine. L’idée d’un « littoral chinois » est par ailleurs une construction intellectuelle
aisée, fondée sur les limites provinciales et les données statistiques qu’elles autorisent, alors
que la réalité tient bien plus d’une grande diversité des situations régionales au sein du littoral
– et à l’intérieur des provinces littorales –, et il nous faudrait plutôt évoquer la pluralité des
développements littoraux.
À l’autre extrémité du continent chinois, le Xinjiang ne se distingue pas du reste de
l’Asie centrale dans ses conditions physiques et une large part des populations non han qui le
peuplent se retrouve de chaque côté de la frontière occidentale. Mais cette même frontière a
aussi créé avec le temps de véritables discontinuités territoriales, en raison de la colonisation
han et des recompositions induites par les nouvelles logiques d’encadrement et de
développement. Pékin aime à souligner les écarts de niveaux de vie entre les musulmans
turcophones de la République populaire et ceux de l’Asie centrale ex-soviétique.
Trois types principaux de critères ont ainsi aidé à rendre compte des découpages
régionaux internes à la Chine : 1- les critères identifiant les grands ensembles physiques
(topographie, hydrométrie) et humains (densité et distribution démographiques, peuplements
han et non han) ; 2- les critères liés au développement économique (industrialisation, degré
d’ouverture en fonction des investissements directs étrangers et des exportations) ; et 3- les
critères fonctionnels fondés sur les liens, les hiérarchies et les solidarités territoriales, les
rapports centre-périphérie, les polarisations et les réseaux, les régionalisations et les conflits
de pouvoirs.
Trois temps de réflexion semblent également découler de ces critères : une géographie
régionale qui découpe du nord au sud le territoire en fonction des bassins fluviaux jusqu’aux
années 1970 ; une fragmentation est-ouest avec le développement économique du littoral dans
les années 1980 et 1990 ; et, enfin, une lecture où les polarités de l’espace chinois impulsent
des degrés inégaux d’intégration à l’économie mondiale.
Les discontinuités héritées
Basses terres rizicoles, foyers de fortes densités
Premier fondement, les contraintes topographiques ont été au cœur d’une lecture
géographique devenue classique de l’Asie sinisée, et largement développée par Pierre
Gourou. Elles tiennent dans une opposition entre les basses terres rizicoles, très anciennement
et densément peuplées par les peuples chinois ou sinisés, et les montagnes mal mises en
valeur et le plus souvent abandonnées à des populations minoritaires qui y ont été refoulées
(Pierre Gourou,1972 : 32-33).
Cette dichotomie n’a évidemment jamais été valable pour toute l’Asie sinisée, ni même
pour toute la Chine. Elle correspond au paysage d’une Asie de l’eau et du riz, qui est certes
remontée jusqu’aux fronts pionniers japonais d’Hokkaïdo (Berque, 1980), mais n’est pas celle
des vastes plaines chinoises du Nord et du Nord-Est, et encore moins des périphéries
septentrionales et occidentales du territoire chinois.
Aujourd’hui, les mutations économiques du monde rural, fondées sur l’industrialisation
rurale et l’ouverture économique, s’accompagnent d’une transformation radicale de ces
mêmes paysages des campagnes littorales et méridionales, décrits par Pierre Gourou. Dès les
années 1980, le delta de la rivière des Perles voit ses collines tronquées ou arasées, ses étangs
à poissons comblés. Ses rizières laissent la place à des cultures plus rentables ou plus souvent
à des zones d’expansion industrielle ou urbaine. Cette vaste plaine deltaïque hier organisée
autour de ses fleuves, de ses canaux et de ses étangs, est rapidement devenue une vaste
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plateforme ponctuée de bourgs industriels et parcourue de routes voire d’autoroutes. Les
basses pentes de collines ou les rives des cours d’eau sont désormais délaissées par les
populations au profit de villages-rues s’alignant le long des nouvelles routes centrales, ou
deviennent au contraire des lieux de convoitises pour une projection en périphérie de
déconcentrations d’activités et d’opérations immobilières (Sanjuan, 1997 : 238-240).
La mécanisation, l’industrialisation rurale, la multiplication de bourgs dynamiques
intégrés aux marchés urbains ont ainsi progressivement eu raison des paysages hérités d’une
ancienne civilisation agraire, qu’elle soit du riz ou du blé. En Chine, le degré de
développement actuel se mesure ainsi visuellement dans les transformations fortes des régions
centrales du Guangdong, du Fujian, du Zhejiang ou du Jiangsu, plus faibles dans le Shandong
ou le Hebei, moindres encore dans le Sichuan.
Avec évidence, la césure régionale par la pente topographique garde toutefois sa
pertinence à petite et très petite échelles. Elle épouse clairement les disparités de
développement qui se creusent au sein même des provinces littorales entre les deltas et plaines
centrales économiquement dynamiques et les montagnes encadrantes, qui sont trop souvent
devenues des terres d’émigration vers ces bas pays. La césure régionale s’aggrave ensuite
avec des distances et des enclavements régionaux qui sont toujours plus décisifs pour
l’intégration à une économie de marché ouverte sur l’extérieur via les portes maritimes
chinoises. Les rugosités terrestres sont en cela faiblement atténuées par les transports aériens
ou les nouveaux modes de communication. Les inégalités régionales retrouvent enfin les
grands traits de la topographie chinoise, depuis un bas palier oriental, lieu du fort dynamisme
économique de la Chine littorale, jusqu’aux terres d’un plateau tibétain isolé par l’altitude, le
froid et le manque d’eau.
L’espace chinois vu par Élisée Reclus
Si les géographes français se sont tout particulièrement souciés de rendre compte des limites
internes et de l’organisation régionale de la Chine, ils ont proposé des lectures synthétiques,
qui ne sont ni seulement thématiques (topographie, climats, régions agricoles, régions
industrielles, grandes régions administratives, développement économique…), ni de simples
catalogues de provinces. Les premiers d’entre eux ont bénéficié de travaux étrangers comme
ceux de Ferdinand Freiherrn von Richthofen (1877-1912, 1898 et 1907) et de George
Babcock Cressey (1934).
Dans son chapitre consacré à l’Empire chinois, Élisée Reclus (1882 : 19-647) procède
ainsi à un premier découpage – le plus fréquent à l’époque – qui part de l’Ouest (Tibet,
Turkestan chinois et Mongolie) pour n’évoquer qu’ensuite la Chine : il décrit ainsi les
périphéries de l’Empire, jusqu’au Gansu et à la Mandchourie, et identifie la Chine au seul
territoire en deçà de la Grande Muraille.
La division régionale qu’il opère de la Chine des Han use de trois critères : une
énumération latitudinale allant du Nord au Sud ; une régionalisation par les principaux bassins
hydrographiques ; et une subdivision secondaire en provinces. D’emblée, deux axes de lecture
s’imposent : une interprétation politico-historique qui part du cœur de l’Empire pour gagner
ses marges ; et un rôle structurant accordé aux trois grands fleuves, le fleuve Jaune, le Yangzi
et le Xijiang, dont les bassins sont décrits d’amont en aval (cf. carte 1).
Les divisions régionales de Jules Sion
Le découpage par grandes régions du monde de la Géographie universelle impulsée par Paul
Vidal de la Blache et Lucien Gallois distingue la « Haute Asie » de l’Asie des moussons, et
exclut donc la Mongolie, le Xinjiang et le Tibet de la partie consacrée à la Chine. Il appartient
à un diplomate, Fernand Grenard (1929), de rédiger les chapitres sur les terres à l’ouest et au
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nord de la Chine dans un tome qu’il partage avec Raoul Blanchard, géographe ici de l’Asie
occidentale.
L’année précédente, Jules Sion (1928) avait publié la première partie de son tome sur
l’Asie des moussons, et il limitait de facto le territoire chinois à l’ancienne Chine des Han et à
la Mandchourie. Son découpage diffère également de Reclus en ce qu’il part d’emblée d’une
opposition entre les régions au nord et au sud des Qinling.
Jules Sion en dégage trois entités, la Chine du Nord, une région médiane – celle du
Yangzi – et la Chine du Sud. Elles correspondent pour l’essentiel aux trois grandes régions
fluviales de la Chine et commandent donc sa lecture régionale, qui va s’imposer dans la
géographie française de la Chine jusqu’au début des années 1990.
La Chine du Nord est ici entendue au sens large, puisqu’elle comprend tout le bassin du
fleuve Jaune avec la Mandchourie au nord et les terres méridionales de la Plaine du Nord. La
région du Yangzi est décrite linéairement, en suivant le cours du fleuve depuis ses sources
jusqu’à la mer. Jules Sion ponctue alors sa description géographique non plus par les
provinces, mais par les entités topographiques (Bassin rouge, Trois Gorges), puis surtout par
les villes qui organisent l’espace : Wuhan, Nankin et Shanghai. L’auteur esquisse ainsi l’idée
d’un fleuve médian articulé en fonction d’une « rue » de villes. Enfin, la Chine du Sud
s’organise à partir d’un centre, le Xijiang et le delta de la rivière des Perles, avec des
périphéries éloignées : la « région littorale » – de Hangzhou à Canton, puis Hainan – et les
hautes terres du Yunnan et du Guizhou (cf. carte 2).
La lecture régionale de Pierre Gourou
En 1953, date à laquelle Pierre Gourou publie son ouvrage sur l’Asie, le maintien d’une
prééminence de critères physiques et culturels dans la géographie régionale met
malheureusement au second plan les conflits géopolitiques de l’Asie alors en cours et les
délimitations frontalières du nouvel État qu’est la République populaire de Chine. L’auteur
reprend en fait les césures de Jules Sion entre la Chine des Han et l’Asie centrale (Mongolie,
Xinjiang et Tibet).
Il divise de nouveau l’espace chinois en trois régions, distribuées suivant les latitudes du
nord au sud, auxquelles il ajoute une quatrième entité, la Mandchourie, que reprendra Pierre
Trolliet (1981 : 69-80) dans sa distinction des régions agricoles – cette fois justement
augmentées de l’Ouest chinois. À l’intérieur de ces grands ensembles, les fleuves jouent enfin
un rôle structurant et Pierre Gourou évite un catalogue provincial pour identifier des entités
régionales qui excèdent le cas échéant les limites administratives (cf. carte 3).
Développement économique et disparités régionales
Au début des années 1990, les transformations rapides et profondes de l’espace chinois
poussent les géographes à abandonner une perspective typologique et classique, et à rompre
complètement avec les lectures héritées d’Élisée Reclus, Jules Sion ou Pierre Gourou.
Pour comprendre en effet la Chine des réformes, envisagée désormais dans les limites
frontalières de la République populaire, les géographes découpent l’espace chinois en
fonction du degré et du type de développement économique. Ils deviennent moins soucieux
des contraintes topographiques ou d’une diversité historique et culturelle, hier pensée comme
quasi immuable, des régions internes à la Chine. La mise à disposition de données statistiques
annuelles par les autorités chinoises, auxquelles s’ajoutent de nombreuses enquêtes
thématiques et les recensements de 1982 et 1990, les conduit à quantifier les disparités du
développement à l’échelle du pays.
Cette avancée dans la connaissance a toutefois ses inconvénients. Elle rend trop souvent
les analystes, aussi bien chinois qu’étrangers, prisonniers de statistiques à l’échelle
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provinciale, car les données infra-provinciales n’autorisent pas toujours avec la même aisance
une vision synthétique et exhaustive, et elle nous pousse surtout à une régionalisation de la
Chine par agrégation de provinces en continu. Un zonage géographique devient la règle
(Larivière et Marchand 1999 : 85-86).
La stratégie territoriale du développement économique chinois légitime d’ailleurs une
telle approche. Les pôles de réformes structurelles et d’intégration au marché mondial sont
tous méridionaux, puis littoraux dans les années 1980. Le VIIe plan quinquennal (1986-1990)
redécoupe un territoire déjà subdivisé en six grandes régions dans les débuts du régime en
trois grandes zones aux développements économiques variés (la zone littorale de l’Est, la zone
du centre et la zone occidentale), et la « stratégie de développement économique des zones
côtières » est officialisée en 1988 (cf. carte 4). Il faudra attendre la relance denguiste de 1992
pour que les villes intérieures et frontalières soient reconnues ouvertes par le gouvernement
central.
La Chine en trois bandes longitudinales par Jean-Pierre Larivière
Une lecture de l’espace chinois non plus en grandes régions Nord, centre et Sud, mais en trois
vastes bandes longitudinales (littoral, intérieur et Ouest) s’impose alors, dont le manuel de
Jean-Pierre Larivière, avec Pierre Sigwalt, puis Jean-Pierre Marchand, fera notamment le
succès en France.
Jean-Pierre Larivière (1999 : 91-180) y distingue : 1- un centre qui s’étend à toute la
façade maritime, avec les régions métropolitaines de Shanghai et Pékin, et deux ensembles
très différents comme la vieille région industrielle du Nord-Est et celle dynamique du
Guangdong ; 2- les marges de la bordure orientale, avec des espaces en retrait (Hebei,
Shandong) et en expansion (Fujian et Hainan) ; 3- la Chine intérieure faite de régions
géographiquement et économiquement « intermédiaires », avec une énumération ici
redevenue classique du Nord vers le Sud, des pays de la « terre jaune » au Guizhou ; et 4- la
Chine dite « extérieure », celles des conditions physiques extrêmes, aux peuplements non han
et aux structures régionales éclatées (cf. carte 5).
Une telle lecture est alors riche de nouvelles perspectives, mais elle propose plus un
découpage qu’une organisation de l’espace chinois. Elle pose surtout en centre de la Chine
une immense étendue géographique dont il est difficile de souligner l’unité ou la cohérence, et
dont un seul découpage géographique à l’échelle du pays ne peut montrer les articulations et
les liens de dépendance avec ses périphéries intérieures et occidentales. Ici, les grands bassins
fluviaux, pourtant si déterminants dans les géographies précédentes, ont été évacués de la
réflexion régionale.
À des échelles plus grandes, certaines agglomérations provinciales peuvent être
discutées. Les provinces du Nord-Est (Liaoning, Jilin et Heilongjiang) sont toutes trois
intégrées dans le dispositif littoral. Or le Heilongjiang ne suit-il pas plutôt une logique
frontalière d’intégration économique à l’Extrême-Orient soviétique, puis russe, et le Jilin ne
ressemble-t-il pas plutôt à un seuil, une ligne de partage non seulement des eaux mais aussi
des dynamiques économiques entre deux provinces soumises à des forces centrifuges
opposées, le Heilongjiang vers le Nord, le Liaoning vers le Sud ?
Pareillement, pourquoi le Guizhou est-il situé en Chine intérieure, alors que le Yunnan
fait partie des marges extérieures ? L’écart entre leurs produits intérieurs bruts par habitant est
nettement en faveur de cette dernière province. La question du Guangxi est plus complexe :
ses disparités internes en font également une région intérieure sur son versant nord et un
espace littoral en développement sur son versant sud. Enfin, la province du Gansu enregistre
une densité démographique moyenne et un sous-développement qui l’assimilent aux régions
occidentales, mais elle est un couloir de circulation où le peuplement han domine très
largement.
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L’idée de Jean-Pierre Larivière d’une tripartition longitudinale de la Chine a toutefois le
mérite de permettre une quantification des disparités régionales chinoises et une
démonstration éclatante des déséquilibres dont souffre le pays.
Les trois Chine
Reprenant cette distinction, j’ai essayé de la nuancer en fonction du degré d’ouverture
économique et, secondairement, des enjeux géopolitiques internes (Sanjuan, 2000 : 161-166).
Une première zone correspond ainsi aux entités territoriales de rang provincial qui sont de
peuplement han, participent du dispositif littoral et s’intègrent de manière privilégiée à
l’économie mondiale – Pékin y est adjointe même si elle n’est pas une ville strictement
littorale. Il s’agit donc des provinces continentales des Liaoning, Hebei, Shandong, Jiangsu,
Zhejiang, Fujian, Guangdong ; des municipalités de rang provincial de Pékin, Tianjin et
Shanghai ; de la région autonome du Guangxi ; et de la province insulaire de Hainan. À la
différence de la discrimination régionale proposée par Jean-Pierre Larivière, cette nouvelle
zone littorale exclut le Jilin et le Heilongjiang, mais inclut le Guangxi.
En raison des enjeux géopolitiques internes qui le caractérisent avec évidence, l’Ouest
chinois m’a semblé devoir réunir toutes les entités de rang provincial où les nationalités
minoritaires ont un poids démographique significatif.
Si nous considérons leur part dans la population totale des entités administratives de
rang provincial, un écart net se dégage entre la Mongolie intérieure (20 %) et Hainan (10 %),
sans autre taux intermédiaire. J’ai ainsi choisi 20 % pour seuil minimal de la part des
nationalités minoritaires dans la population totale des résidants permanents.
Suivant ce critère, l’Ouest comprend donc les provinces des Guizhou, Qinghai et
Yunnan, ainsi que les régions autonomes des Mongolie intérieure (nationalité mongole
principalement), Ningxia (nationalité hui), Tibet (nationalité tibétaine) et Xinjiang (nationalité
ouïghoure). Contrairement au découpage de Jean-Pierre Larivière, cet Ouest chinois exclut le
Gansu, mais inclut le Guizhou.
Enfin, la Chine intérieure comprend par défaut les autres entités de rang provincial,
celles qui ne profitent donc pas du dynamisme littoral, mais relèvent des anciennes terres de la
Chine des « dix-huit provinces » et des terres intérieures du Nord-Est (Jilin, Heilongjiang). Il
s’agit des provinces des Anhui, Gansu, Heilongjiang, Henan, Hubei, Hunan, Jiangxi, Jilin,
Shaanxi, Shanxi et Sichuan, ainsi que de la municipalité de rang provincial de Chongqing.
Une telle régionalisation montre avec évidence les disparités voire les tendances à la
dislocation du territoire chinois. Elle souligne la concentration des hommes, de la production
et de l’ouverture au profit du littoral chinois : sur 14 % de la superficie du pays, il ne totalise
pas moins de 43 % de la population totale, une densité démographique plus de trois fois
supérieure à la moyenne nationale, 62 % du produit intérieur brut du pays, et surtout 86 % des
investissements des entreprises étrangères et 93 % des exportations en 2005 (cf. tableau 1).
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Tableau 1. Les disparités régionales entre le littoral, l’intérieur et l’Ouest chinois en 2005
Produit
Investissements des
Population
Superficie
Densité
intérieur
entreprises étrangères
2
2
(km )
(hab./km ) brut (milliards
totale (hab.)
(milliards de dollars)
(milliards de
dollars)
12 201
1 256
706
62 %
86 %
93 %
6 243
177
44
32 %
12 %
6%
1 335
31
11
7%
2%
2%
de yuans)
Littoral
1 300 000
552 690 000
Part dans
le total
chinois
14 %
43 %
2 899 000
590 620 000
30 %
46 %
5 405 000
139 920 000
56 %
11 %
Intérieur
Part dans
le total
chinois
Ouest
Part dans
le total
chinois
425
204
26
Exportations
Source : Zhongguo tongji nianjian [Annuaire statistique de Chine], Pékin, Zhongguo tongji chubanshe, 2006.
En situation dramatiquement inverse, l’Ouest représente 56 % du territoire de la
République populaire, mais seulement 11 % de sa population, 7 % de son produit intérieur
brut, 2 % de des investissements des entreprises étrangères et 2 % de ses exportations.
Dans une situation moyenne, la Chine intérieure accuse de fortes densités
démographiques, liées à un très ancien peuplement han, mais un produit intérieur brut faible
proportionnellement à sa population et surtout une ouverture économique très en retard sur le
littoral.
Cette lecture à une si petite échelle doit aussi être complétée par une analyse des
logiques de développement qui ont privilégié les périphéries méridionales de la côte chinoise
dans le premier temps des réformes denguistes, ou par les formes que ce développement
économique a pu prendre suivant les régions.
Deux schémas territoriaux se sont en effet recouverts dans les années 1980 : 1- une
opposition Nord-Sud, qui fait des provinces méridionales des laboratoires possibles de
réformes, parce qu’elles sont loin du cœur politique de la Chine et leur échec – ou leur
réussite – ne risque donc pas d’entamer l’intégrité du territoire chinois, et qu’elles sont des
terres historiquement liées à la diaspora chinoise et aux pays étrangers ; et 2- une opposition
littoral-intérieur héritée de l’histoire, mais aggravée et rendue structurellement décisive dans
la période moderne.
Par ailleurs, le développement littoral peut prendre de multiples formes. Il peut
accueillir des délocalisations d’unités de production entraînant des associations entre
entreprises étrangères et autorités locales, ou se fonder sur l’essor endogène d’entreprises
collectives comme dans le delta de la rivière des Perles ou dans la province du Jiangsu. Il peut
également avoir pour origine des entrepreneurs privés ou des foyers familiaux en lien avec
des réseaux commerciaux tant à l’échelle nationale qu’articulés à une ancienne émigration
réactivée comme dans la région de Wenzhou ; il peut enfin dériver d’une réforme structurelle
des entreprises d’État dans les villes et dans les régions plus septentrionales.
Développement et dynamiques régionales par Pierre Trolliet
Pierre Trolliet (1993 : 117) a alors proposé une nouvelle interprétation de l’organisation de
l’espace chinois. Il distingue également trois grandes zones : les provinces littorales ouvertes,
la Chine intérieure et la Chine périphérique. Mais les critères employés permettent désormais
des discriminations internes en fonction des formes de développement et d’une chronologie
de l’ouverture. Nous sommes loin des schémas anciens, qui partaient du Nord vers le Sud, ou
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distinguaient entre trois et cinq grands ensembles (Chine du Nord, Chine centrale, Chine du
Sud, puis Nord-Est et Ouest).
Au contraire, Pierre Trolliet remonte la géographie du développement littoral depuis le
Guangdong et le Fujian, puis la région de Shanghai, jusqu’aux Shandong, la région de Pékin
et le Liaoning. Il souligne la concentration des investissements directs étrangers dans les deux
provinces du Guangdong et du Fujian, et plus largement le degré d’ouverture économique du
tissu hérité des entreprises rurales dans les provinces allant du Guangdong au Jiangsu. Par un
renversement spectaculaire, la périphérie méridionale devient donc le cœur même de la Chine
denguiste et cette interprétation, fondée sur le rôle de Hong Kong dans l’ouverture chinoise,
rend justement compte des rapports de force qui opposaient les pouvoirs territoriaux au début
des années 1990, et notamment la province du Guangdong face à Pékin (cf. carte 6).
L’auteur insiste aussi sur les investissements étrangers qui gagnent les vieilles régions
minières et industrielles de la Chine intérieure septentrionale. Les autres provinces ne sont
que ponctuellement ouvertes, pour des raisons essentiellement touristiques. Enfin, la Chine
périphérique n’est pas réduite au statut de région extérieure, ni non plus à celui d’un cul-desac simple lieu de prédation et de colonisation han. Ses propres ouvertures frontalières sur
l’Asie continentale sont indiquées.
Pierre Trolliet évite ainsi le catalogue provincial, et pointe plutôt les lieux d’ouvertures
et de dynamisme économique.
Découper la Chine au regard du développement par Pierre Gentelle
Pierre Gentelle (1994) accentue cette approche et décline la géographie de la Chine comme un
projet global, partant d’un polycentrisme littoral jusqu’aux périphéries qui payent le « prix de
la modernité ».
Le littoral comprend les pôles du dynamisme méridional (Hong Kong, Macao, zones
économiques spéciale, Hainan et delta de la rivière des Perles) et leurs prolongements
régionaux (provinces des Guangdong, Guangxi et Fujian) ; puis les régions de Shanghai et de
Pékin. À chaque fois, l’auteur ne se contente pas des seules provinces littorales, mais il leur
rattache celles qui, plus à l’intérieur, participent des organisations régionales distinguées :
l’Anhui pour Shanghai, ou le Shanxi et le Henan pour Pékin. En cela, Pierre Gentelle sort
d’une lecture en bande longitudinale pour une approche plus strictement régionale.
Les terres intérieures sont enfin subdivisées entre trois grands sous-ensembles : le Sud
intérieur comprend pêle-mêle les provinces traversées par le Yangzi depuis le Hubei jusqu’au
Sichuan et trois autres provinces situées dans le Sud-Ouest (Yunnan, Jiangxi et Guizhou) ; la
délimitation de l’Ouest est justifiée par une caractéristique commune de retard économique et
de programmation différée d’une politique publique à l’égard des franges occidentales de la
Chine des Han et des régions autonomes que sont la Mongolie, la Ningxia, le Xinjiang et le
Tibet ; enfin, la Mandchourie dont Pierre Gentelle souligne le décalage devant les dynamiques
économiques et territoriales de la Chine des réformes (cf. carte 7).
Tripartition régionale et dynamiques urbaines par Guillaume Giroir
À la fin des années 1990, Guillaume Giroir (1999) propose une nouvelle lecture des disparités
du territoire chinois. Il maintient une tripartition longitudinale et intègre les dynamiques
urbaines à sa réflexion.
Les « espaces métropolitains et marges de la Chine orientale » se subdivisent ainsi en
quatre régions : Shanghai et son delta ; la Chine du Sud-Est avec le Guangdong et le Fujian ;
Pékin, Tianjin et la région côtière de la mer de Bohai ; et le Nord-Est dans son entier. L’auteur
limite ensuite la Chine intérieure aux terres centrales du Nord et centre, et rejette le Sud-Ouest
en son entier dans les périphéries. Il reprend par ailleurs des référents physiques (lœss, fleuve
du Yangzi) au service de sa discrimination régionale de la Chine intérieure et la segmente en
8
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quatre espaces : le plateau de lœss, la plaine de Chine du Nord dans sa partie intérieure ; les
régions du Moyen-Yangzi ; et le bassin du Sichuan. Enfin, la Chine périphérique réunit
successivement le Sud-Ouest, les déserts occidentaux, la Mongolie, le Tibet et Hainan
(cf. carte 8).
Au total, le développement économique et les mutations spatiales de la Chine depuis la
fin des années 1970 nous ont ainsi poussés à souligner la diversité des lieux de l’ouverture,
des formes de développement, les disparités grandissantes entre provinces ou groupes de
provinces. Significativement, les liens transversaux à une lecture par bandes longitudinales
comme les axes fluviaux ont disparu des géographies contemporaines : la Chine médiane du
Yangzi est ignorée ou sectionnée en deux ou trois ensembles indépendants. Le territoire
chinois offre ainsi l’image d’un morcellement voire d’une dislocation grandissante générée
par les dynamiques locales.
La Chine, un espace polarisé
Centres et gradients d’intégration par Alain Reynaud
Alain Reynaud (1997 : 173-194) a proposé une lecture régionale depuis les pôles littoraux et
graduant l’espace chinois suivant leur niveau d’intégration à l’économie mondiale.
Il distingue ainsi trois centres principaux d’échelle nationale : Pékin-Tianjin ;
Shanghai ; et Hong Kong-Canton. Ces pôles métropolitains seraient ensuite prolongés par des
périphéries littorales intégrées à leur économie, densément peuplées et industrialisées. Les
zones économiques spéciales et les ports ouverts participeraient activement à ces dynamiques
régionales comme lieux secondaires d’intégration au système économique mondial.
Les terres plus intérieures, jusqu’au bassin du Sichuan, s’articuleraient plus
difficilement au littoral et garderaient les caractéristiques de la Chine des Han, avec de fortes
densités démographiques mais avec aussi une orientation économique favorisant l’agriculture
et l’industrie de base. Alain Reynaud réduit enfin les régions occidentales (Mongolie,
Xinjiang et Tibet) à des culs-de-sac territoriaux, des « angles morts stratégiques » où
prédominent les revendications indépendantistes (cf. carte 9).
La lecture proposée par Alain Reynaud trouve ses limites dans le maintien d’un
découpage zonal de la Chine. Négligeant en outre la carte de l’ouverture établie par Pierre
Trolliet quatre ans plus tôt, Alain Reynaud ne mentionne pas les ouvertures intérieures et
frontalières, et tient la bande littorale pour le seul grand ensemble régional ouvert sur
l’étranger. Surtout, les centres principaux qui organisent l’espace chinois ne sont ni
hiérarchisés ni même caractérisés. Or ceux-ci n’ont pas la même fonction ni le même
rayonnement dans le dispositif territorial chinois.
Le rayonnement des métropoles littorales sur l’espace chinois
Une lecture globale doit partir de ces vocations différentes des métropoles littorales, de leurs
rôles dans les recompositions des pouvoirs au sein de l’État et de leurs combinaisons
fonctionnelles avec les autres grandes villes chinoises (Sanjuan, 2001) (cf. carte 10).
Pékin est capitale nationale et rayonne à l’évidence sur l’ensemble du territoire de la
République populaire de Chine. Mais elle a du mal à s’imposer autrement que par son statut
politique et administratif. La Chine du Nord est globalement pénalisée par des héritages
urbains et productifs dont la réforme actuelle suscite des réformes radicales et de graves
mécontentements populaires. Il en est ainsi de nombre de villes du Liaoning ou du Shanxi.
Les pôles de dynamisme comme Dalian sont rares et ne peuvent insuffler de véritables
logiques de redéveloppement régional.
Hong Kong a, par contre, longtemps bénéficié d’un quasi-monopole sur l’ouverture
continentale, servant d’interface entre la Chine des réformes et le système économique
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mondial, et irriguant le territoire chinois en capitaux, savoir-faire et unités industrielles
délocalisées. Dès la fin des années 1970, une géographie liée à Hong Kong s’est ainsi
dessinée le long du littoral, discontinue et ponctuelle en fonction des politiques locales
d’ouverture à l’étranger.
Aujourd’hui, la Région d’administration spéciale, même si sa suprématie diminue en
raison d’une crise interne et de l’apparition de nouveaux pôles concurrentiels sur la côte, tend
à devenir un centre de services de qualité pour les entreprises chinoises (droit des entreprises,
assurance, consultance…) et à redéployer jusqu’à ses activités portuaires, qui faisaient
pourtant hier de la colonie britannique le carrefour obligé de l’extraversion économique
chinoise, par de larges investissements dans les principaux ports continentaux.
Shanghai est enfin devenue la ville la plus attractive de Chine. Elle est une métropole de
18 millions d’habitants et le recensement de 2000 a dénombré 3,1 millions de migrants,
venant essentiellement de l’Anhui, du Jiangsu et du Zhejiang. Shanghai profite d’une
situation géographique exceptionnelle, au centre du littoral chinois et à l’embouchure du
Yangzi. Favorisé par l’État central depuis la fin des années 1980, son actuel renouveau
métropolitain en fait le phare de la Chine des réformes. Son rayonnement immédiatement
régional englobe les villes du delta comme Suzhou, Wuxi ou Nankin, et Shanghai devrait
étendre à terme son influence à la Chine intérieure grâce aux nouvelles solidarités régionales
que permettra le barrage des Trois Gorges.
Le Yangzi va-t-il ainsi devenir une rue de villes complémentaires et formant un réseau
urbain d’échelle régionale polarisé sur Shanghai ? Des relations inter-municipales
s’intensifient le long de l’axe fluvial. La Foire de l’Est de la Chine à Shanghai en 2001
réunissait toutes les zones de la région du Yangzi et présentait un projet de développement
commun. Ces dynamiques intégratrices s’accompagnent aussi d’institutions régionales
comme l’Association des liens entre les maires du Yangzi ou la Compagnie de
développement du fleuve Yangzi (Sanjuan, 2004).
À l’extrémité occidentale de cet axe fluvial, Chongqing bénéficie enfin de la politique
d’aménagement de l’Ouest chinois lancée par l’État central. Privilégiée politiquement en
compensation des conséquences du barrage sur son territoire, la municipalité est ainsi
devenue un carrefour stratégique pour le développement de la Chine intérieure et son
insertion au littoral. En cela, Pékin montre sa détermination à redonner, par les villes, de
l’unité à un territoire national que menacent les inégalités de développement économique, les
localismes et les protectionnismes régionaux.
Dynamiques régionales fondées sur les villes et maintien d’une unité territoriale
Pour autant, les grandes villes chinoises, littorales comme intérieures, sont également dans
des logiques de spécialisation économique, de marketing urbain et de rivalités régionales.
Elles jouent en cela de leur puissance économique ou de leur situation géographique pour
s’aménager des marges de manœuvre et recomposer à leur profit des aires de rayonnement.
Elles ont toutes entamé dans les années 1990 d’ambitieuses politiques d’aménagement interne
et de réformes structurelles qui doivent les poser comme les pôles de référence d’une nouvelle
modernité chinoise dans leur région, en Chine, voire en Asie et dans le monde. Elles
expriment en cela de nouveaux localismes régionaux, dont elle deviennent des porte-drapeau.
Le développement a ainsi réactivé, en leur donnant une nouvelle force, des localismes
régionaux, où provinces, municipalités, districts, bourgs peuvent entrer en concurrence voire
en opposition entre eux. L’essor économique aggrave le morcellement territorial, tout en
créant de nouvelles solidarités productives, commerciales, financières entre les villes, pôles de
réseaux d’échelles locale, régionale, nationale, parfois internationale.
Aujourd’hui, les dynamiques régionales sont ainsi productrices de dislocations comme
de liens recomposés entre les territoires de la Chine. Trois types de pouvoirs principaux
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s’imposent désormais : l’État central, les autorités micro-locales à l’origine de
développements spectaculaires comme celui du delta de la rivière des Perles et surtout, depuis
les années 1990, les pouvoirs des métropoles et des grandes villes. La Chine n’éclate pas dans
la mesure où les dissensions, horizontales comme verticales, entre ces différents acteurs
s’expriment au sein du Parti-État. Les négociations sont permanentes entre ces instances intraétatiques, mais sans qu’une vraie menace de sécession soit envisageable.
Les régions chinoises et leur degré d’intégration au système économique mondial
Une lecture régionale contemporaine de la Chine retrouve ainsi l’importance des bassins
fluviaux avec l’aménagement actuel du Yangzi, reste prisonnière des évidents contrastes de
développement entre le littoral et le reste du pays, et doit prendre en compte l’émergence de
nouvelles polarités, de nature urbaine, qui structurent désormais l’espace chinois.
Ces configurations sont enfin à resituer dans le contexte de la mondialisation, dont la
Chine s’était prudemment protégée dans son ouverture des années 1980, mais dont elle est
devenue désormais dépendante. Les conséquences d’une économie toujours plus mondialisée,
les réformes radicales des années 1990 et les dépendances commerciales ou énergétiques des
années 2000 renouvellent profondément nos lectures des dynamiques régionales. En cela, des
gradients d’intégration au système économique mondial nous semblent des outils pertinents –
à défaut, évidemment, d’être exhaustifs – afin d’approcher les régions chinoises aujourd’hui.
Pour ce faire, il est intéressant des combiner des facteurs comme l’ouverture
économique, la production intérieure et le nombre des hommes, avec pour indices respectifs
les rapports des investissements directs étrangers et du produit intérieur brut au nombre
d’habitants de chacun des territoires de rang provincial, ainsi que leur densité démographique.
Nous pourrions ainsi aboutir à six grands types régionaux de développement (Sanjuan, 2006 :
67-69 et X-XI) (cf. carte 11).
Les lieux de la mondialisation comprennent les trois grandes métropoles littorales que
sont Shanghai, Tianjin et Pékin, ainsi que les provinces les plus précocement et fortement
lancées dans les réformes économiques et l’ouverture : Guangdong, Jiangsu et Zhejiang.
Les franges en voie d’intégration sont des provinces littorales également inscrites dans
un processus d’intégration au système économique mondial. Mais elles ne disposent pas de
pôles métropolitains structurants. Elles peuvent être géographiquement plus enclavées
(Fujian) ou excentrées (Hainan), ou bien s’être lancées plus tardivement dans les réformes
(Shandong, Liaoning).
Les provinces intermédiaires s’articulent aux foyers de développement que sont le delta
du Yangzi (Hubei, Hunan), et les municipalités de Pékin et Tianjin (Hebei), ou elles profitent
d’une ouverture frontalière continentale (Heilongjiang, Jilin). Elles restent toutefois
pénalisées par des spécialisations économiques et des structures productives souvent vieillies.
Leurs villes, avec la réforme des entreprises d’État, sont des lieux de chômage et de crises
sociales.
Les terres enclavées enregistrent un développement insuffisant. Elles sont intérieures,
mal reliées au dynamisme côtier, et n’arrivent pas à devenir des lieux d’accueil significatifs
des activités depuis les pôles littoraux. Il s’agit des Jiangxi, Shaanxi, Anhui ou Henan, qui
font figure de poches de développement en attente.
Les marges proches sont situées dans le prolongement interne ou à la périphérie de la
Chine historique des Han. Elles sont peu dynamiques, pénalisées par un fort poids des
hommes (Shanxi, Sichuan, Ningxia et Guangxi) ou par des conditions géographiques
défavorables (Qinghai, Mongolie intérieure).
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Quant aux périphéries continentales, elles sont en perte de vitesse, malgré les pollitiques
nationales de développement dont elles font l’objet. Il s’agit du grand Ouest chinois
(Xinjiang, Tibet, Gansu) et du Sud-Ouest intérieur (Yunnan, Guizhou).
Si ce dernier essai de typologie régionale de la Chine retrouve la primauté du littoral, il en
souligne aussi la diversité régionale, l’avance des provinces les plus précocement ouvertes et
le poids des métropoles côtières, notamment Shanghai. Les régions géographiquement et
économiquement intermédiaires connaissent un difficile rattrapage sur un littoral dont elles
sont l’arrière-pays. Enfin, si l’on considère le sous-développement des marges et des
périphéries du territoire chinois, s’impose le constat d’une Chine disloquée en interne.
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