T émoignage EVELYNE BRETAGNE Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Orthophoniste, Institut Gustave-Roussy Rôle de l’orthophoniste auprès des patients atteints d’un cancer mentation et de déglutition qui vont être perturbées. Le rôle de l’orthophoniste va donc être d’informer, de rétablir les fonctions essentielles détruites ou entamées et de soutenir par une écoute vigilante le patient pris en charge et souvent ses proches. n cancérologie, l’orthophonie entre en jeu dans des domaines assez spécifiques et peu nombreux. Ainsi, en pédiatrie, il est parfois nécessaire d’intervenir auprès d’enfants qui, après une intervention au niveau cérébral, sont dans un état de sidération tel qu’ils présentent un mutisme ou bien une aphasie akinétique, séquelle de l’intervention ellemême ; le rôle de l’orthophoniste est alors de faire « re-surgir » le langage au moyen de dénomination, de lecture et de dialogue, d’encourager l’enfant et de conseiller les parents et l’équipe soignante. Cependant, en chirurgie cervico-faciale et en ORL l’orthophoniste à un rôle plus important (c’est le cas à l’IGR). S’intégrant dans l’équipe soignante, il prend en charge le patient tout au long de son hospitalisation et le suit après sa sortie, non seulement en tant que rééducateur, mais aussi dans une prise en charge plus globale de soutien, d’accompagnement et d’écoute. En cancérologie ORL, le patient doit faire face à l’annonce de la maladie, qui est synonyme de mort, et aux mutilations qu’elle va entraîner et qui, quelles qu’elles soient, vont détériorer son image corporelle et créer un dysfonctionnement. Après une laryngectomie partielle, le patient parlera comme avant avec une voix plus rauque et plus sourde ; et il devra faire face à une difficulté importante, des fausses routes au moment de la déglutition. Dans la laryngectomie totale, il y a non seulement perte totale de la voix et donc de la possibilité d’exprimer sentiments et personnalité, mais l’image corporelle est atteinte puisque, pour conserver la fonction de respiration, la confection d’un trachéostome est indispensable. Dans les chirurgies buccofaciales, selon les types d’exérèse (glossectomie, mandibulectomie, BPTM, etc.), c’est à la fois l’image corporelle et les fonctions d’ali- E Bulletin Infirmier du Cancer Informer Lorsqu’il est hospitalisé dans le service de cancérologie ORL, le patient est, la plupart du temps, encore sous le coup de l’annonce de sa maladie. Le chirurgien lui a expliqué lors du comité (réunion où se sont décidés les différents traitements) comment il allait procéder pour le soigner, et particulièrement l’intervention qu’il allait subir. Les infimières ont repris ces explications sur un plan plus pratique (canule, sonde d’alimentation, douleur etc.). S’il a bien compris ce qui lui a été dit avant l’intervention, le patient se pose souvent de nombreuses questions lorsqu’il doit faire face à la réalité sur le plan fonctionnel. L’orthophoniste, avant d’entreprendre toute rééducation, va apporter un complément d’informations, en lui expliquant les différentes fonctions (respirer, parler, manger). Il est important, en effet, d’expliquer au patient, par des schémas anatomiques simples, la place et le rôle de chaque organe ainsi que son fonctionnement naturel. Parallèlement, il est nécessaire de lui expliquer, le plus clairement possible et en termes simples, l’intervention qu’il vient de subir et ses conséquences afin qu’il puisse comprendre les difficultés qu’il va rencontrer par la suite sans que celles-ci l’inquiètent. Le patient a besoin de savoir où il va et d’avoir des repères dans le temps ; le rééducateur doit donc lui définir clairement la progression de la récupération fonctionnelle étape par étape. 22 Vol.2-n°3-juillet-août-septembre 2002 T émoignage Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 25/05/2017. Rééduquer Ecouter, soutenir Selon les localisations et les interventions, la rééducation portera sur la voix ou sur la déglutition, quelquefois sur les deux. Pour le laryngectomisé, totalement privé de voix, la priorité sera de lui permettre dans un premier temps d’abolir l’écriture et l’ardoise magique en améliorant son articulation et sa voix chuchotée afin de communiquer plus facilement et de façon plus naturelle. La réhabilitation vocale, qui est un travail de longue haleine et qui requiert beaucoup de persévérance et de motivation de la part du patient, se poursuivra après l’hospitalisation et pendant plusieurs mois. Dans la laryngectomie partielle, la réhabilitation de la déglutition est prioritaire. En effet, dans ce type d’intervention, le problème de la voix reste, en général, très secondaire pour le patient ; ce qu’il veut, c’est manger sans fausses routes et normalement le plus rapidement possible. Aussi, dès J7, la reprise de la déglutition va se préparer par des exercices de mobilisation de son larynx restant tout en lui apprenant à positionner sa tête après lui avoir expliqué et montré les différents mouvements nécessaires à une déglutition normale. Les essais débuteront entre J10 et J15, seront faits si possible bi-quotidiennement avec de petites quantités d’aliments, épais dans un premier temps, puis liquides. Après la sortie du patient, le travail avec l’orthophoniste va se poursuivre pendant quelque temps pour continuer à améliorer la déglutition et entreprendre la rééducation vocale. Dans les chirurgies buccofaciales, l’orthophoniste va prendre en charge les patients au niveau de la déglutition bien sûr, mais aussi au niveau de la parole (articulation). Il va falloir dans un premier temps remobiliser, remuscler les structures restantes afin de compenser ce qui a été lésé et en même temps apprendre au patient à retrouver de nouveaux repères pour articuler et déglutir, d’abord en liquide ou semiliquide, puis de plus en plus épais. Cette prise en charge se fait durant le temps de l’hospitalisation, en règle générale entre J10 et J15, le but étant l’ablation de la sonde nasogastrique avant la sortie. La rééducation se poursuivra bien sûr après afin d’obtenir une réhabilitation la meilleure possible et la plus proche de la normalité des deux fonctions atteintes. Bulletin Infirmier du Cancer Mais le rôle de l’orthophoniste ne s’arrête pas à des exercices et des conseils prodigués pour la réhabilitation de telle ou telle fonction. La prise en charge des patients atteints d’un cancer ORL va souvent au-delà de la technique pure, non seulement pendant l’hospitalisation mais surtout après. En effet, en dehors du «cocon rassurant» que représentent l’hôpital et l’équipe soignante, le patient se retrouve seul face à sa réalité (mutilation, difficulté à se faire comprendre, à s’alimenter), à ses angoisses (peur de la récidive, peur de la mort), à ses inquiétudes devant les effets secondaires des traitements complémentaires. L’orthophoniste, par sa présence bi-(voire tri-)hebdomadaire près du patient va devenir un interlocuteur privilégié et doit être capable de : - l’écouter et entendre ses inquiétudes et ses angoisses ; - le rassurer et dédramatiser en expliquant, chaque fois que cela est nécessaire, pourquoi telle difficulté existe et en quoi elle est « normale », comment telle douleur ou tel gonflement est logique et simple conséquence de l’intervention ou du traitement ; - l’encourager tout au long de la rééducation, lorsque les progrès ne sont pas à la mesure de ce qu’il attendait ni aussi rapides qu’il le voudrait (en particulier pour les laryngectomisés), l’aider à restaurer son image en l’amenant petit à petit à se retrouver, l’encourager à reprendre ses activités de loisir, à sortir, à recevoir, à aller vers les autres afin de ne pas s’isoler plus encore ; - faire le lien entre le chirurgien, l’équipe soignante et le patient (et sa famille) lorsqu’un problème se pose ; - écouter, aider, conseiller aussi la famille proche, et plus particulièrement le conjoint qui, confronté à sa propre angoisse et à son impuissance face au malade, tend soit à le surprotéger, soit à le rejeter. Conclusion L’orthophoniste, par sa formation, est avant tout un rééducateur mais, auprès des patients atteints d’un cancer, sa fonction ne s’arrête pas à la technique et aux exercices qu’il connaît. Pour le patient qu’il va suivre pendant son hospitalisation puis plusieurs fois par semaine (sur de longs mois parfois), il est celle ou celui qui peut l’aider à surmonter ses difficultés, à retrouver de meilleures conditions de vie malgré l’intervention subie, à reparler. Celui aussi qui va l’aider à s’adapter à sa nouvelle image, accepter ce qu’il est devenu et qui va essayer de l’accompagner tout au long de son deuil. ■ 23 Vol.2-n°3-juillet-août-septembre 2002