61-68 Tribune d`”thique - STA HealthCare Communications

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Tribune d’éthique
Me Michel T. Giroux
Me Michel T. Giroux est avocat
et docteur en philosophie.
Il enseigne la philosophie au
Campus Notre-Dame-de-Foy et
la bioéthique à des étudiants de
deuxième cycle en médecine à
l’Université Laval, Québec.
Consultant en bioéthique,
il est conseiller en éthique au
FRSQ et directeur de l’Institut de
consultation et de recherche en
éthique et en droit (ICRED).
Le triangle de la minorité
Deny a 15 ans. À la suite d’infections urinaires à
répétition, il a développé une insuffisance rénale
aiguë pour laquelle il a été en dialyse pendant un
peu plus de deux ans. Puis, on lui a greffé un rein,
mais à cause de certaines complications, ce rein n’a
été fonctionnel que pendant deux mois. Il a alors
fallu reprendre la dialyse. Depuis la chirurgie d’il y
a un an, Deny a développé une hypertension artérielle contrôlée par des médicaments.
Le patient se rend à l’hôpital trois fois par semaine pour sa dialyse. Il continue d’aller à l’école.
Depuis quelques semaines, Deny se montre de plus
en plus sombre et préoccupé. Il manifeste des réti-
cences au moment de ses traitements. Il répète à ses
parents que l’échec de la greffe lui a ouvert les yeux
sur ses possibilités réelles de s’en sortir et qu’il refuse une existence maintenue par des tubes, des machines et des médicaments.
Les parents de Deny, dont les relations avec leur
fils sont excellentes, expliquent les états d’âme de
celui-ci au Dr Clinicos, son médecin traitant.
Quelle devrait être la conduite du Dr Clinicos?
Discussion
Aspect juridique. Les traitements de dialyse sont
des soins au sens du Code civil (C.c.). Ces traitements nécessitent le consentement du patient ou
de la personne habilitée à consentir pour lui. Si
Un cas difficile?
Tout médecin se trouve un jour confronté à une situation difficile dans laquelle il devra
prendre position. Me Michel T. Giroux, avocat spécialisé en bioéthique, vous propose
d’éclaircir, aux termes de la loi et suivant l’éthique, certains cas dont vous nous
ferez part, afin d’en faire profiter vos collègues de la profession médicale.
Faites-nous parvenir vos cas d’éthique par télécopieur au (514) 695-8554,
ou téléphonez-nous au (514) 695-7623 et demandez Isabelle Gagnon ou Sylvie Lahaie.
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Deny en venait à refuser catégoriquement les traitements de dialyse, ses parents disposeraient-ils d’un
recours juridique par lequel Deny pourrait être
contraint à se soumettre aux traitements?
En même temps que le principe de l’autonomie
du patient s’est affirmé depuis une génération, on a
reconnu progressivement aux mineurs le droit de
participer aux décisions médicales les concernant.
Le caractère plus ou moins décisif de cette participation dépend notamment de l’âge et du niveau de
maturité psychologique et intellectuelle du mineur.
Pour notre C.c., le critère de l’âge est déterminant.
Rappelons qu’une personne est mineure tant
qu’elle n’a pas 18 ans (article 153 C.c.).
L’article 14 C.c. confie au titulaire de l’autorité
parentale ou au tuteur le pouvoir de consentir pour
le mineur aux soins requis par son état de santé.
Cette disposition concerne toutes les personnes
âgées de moins de 18 ans. Cependant, le même
article reconnaît au mineur de 14 ans et plus le
droit de consentir seul aux soins requis par son état
de santé.
Le législateur a établi une présomption partielle
de capacité à l’égard du mineur de 14 ans et plus,
car sa capacité se limite à pouvoir décider seul de
recevoir des soins requis par son état de santé. À la
différence de ce que peut faire le majeur, la capacité
du mineur de consentir seul aux soins requis par
son état de santé ne comporte pas celle d’exercer un
refus qu’on estimerait injustifié de recevoir des
soins requis par son état de santé. Si le refus d’un
mineur de 14 ans et plus de recevoir des soins requis se révèle injustifié, un recours devant le tri-
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bunal est possible. Suivant l’article 16 C.c., ce
recours demande au tribunal l’autorisation de
soumettre le mineur aux soins qu’il refuse :
«L’autorisation du tribunal est nécessaire en cas
d’empêchement ou de refus injustifié de celui qui
peut consentir à des soins requis par l’état de santé
d’un mineur ou d’un majeur inapte à donner son
consentement. [...] Elle est, enfin, nécessaire pour
soumettre un mineur âgé de quatorze ans et plus à
des soins qu’il refuse, à moins qu’il n’y ait urgence
et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité menacée, auquel cas le consentement du titulaire de
l’autorité parentale ou du tuteur suffit.»
Le succès d’un tel recours nécessiterait que l’on
prouve le caractère injustifié du refus de Deny.
Dans l’hypothèse où le tribunal autoriserait que
l’on soumette Deny à la dialyse malgré son refus, il
faut comprendre que ce jugement donnerait son
accord à un traitement imposé physiquement.
Aspect éthique. Le triangle de la minorité. La figure géométrique du triangle représente adéquatement la situation respective de chacun des acteurs lorsque le patient est un mineur. Les trois
côtés du triangle sont clairement distincts les uns
des autres, mais ils se retrouvent au sein d’une interrelation nécessaire; c’est le contexte que connaissent le patient mineur, le médecin traitant et
les parents. On retrouve ce triangle dans tous les
cas où le patient a moins de 14 ans, et dans la
grande majorité des situations où le patient est un
mineur de plus de 14 ans.
L’autonomie. L’évolution de la pratique depuis
les 25 dernières années tient plus compte des
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préférences, des préoccupations, des craintes et
des espérances exprimées par les jeunes patients.
Cette évolution est devenue inévitable, notamment face à certains nouveaux traitements dont
les inconvénients peuvent être très lourds et les
bénéfices incertains. Elle se justifie par le fait que
c’est non seulement l’enfant qui vit la maladie,
qui reçoit les traitements, et bénéficie des avantages procurés par les soins, mais que c’est également lui qui porte le fardeau des inconvénients de
ces traitements. Enfin, une décision prise sans
consulter le patient pourrait être contraire à ce
qu’il souhaite et miner la confiance nécessaire à
l’existence même du triangle.
Le principe d’autonomie suppose que l’adulte
apte est la personne la mieux placée pour décider de ce qui lui convient. On attribue à l’adulte
un développement psychologique et intellectuel
suffisant pour qu’il exerce son autonomie; c’est
l’absence de cette capacité qu’il faut démontrer.
Chez le mineur, la supposition est inversée, et
c’est la présence de cette capacité qu’il faut
démontrer.
La question pertinente est celle de savoir si le
mineur est capable de parvenir à une décision
éclairée et personnelle. La capacité de savoir si le
mineur est capable de parvenir à une décision
éclairée est évaluée d’après certains critères :
l’âge, la capacité à comprendre les informations
le concernant, la cohérence de sa réflexion et la
compréhension générale de son état. Le mineur
doit pouvoir évaluer la nature des soins proposés, leurs conséquences, leurs inconvénients et
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leurs bénéfices. Quant au caractère personnel de
la décision, cet aspect concerne la possibilité de
prendre une décision dégagée de l’autorité naturelle des parents et de celle des membres de
l’équipe soignante, notamment le médecin. Remarquons qu’une application stricte de tous ces
critères pourrait révéler chez de nombreux adultes une incapacité à décider de façon éclairée et
personnelle. Les critères d’évaluation doivent
être utilisés avec discernement dans chaque cas
particulier.
Au cours des années, la relation entre les parents et leur enfant doit évoluer suivant une variation du tandem décision-implication. Quand
l’enfant est encore très jeune, le consentement
revient exclusivement aux parents. Par après,
l’implication de l’enfant existe suivant ce dont il
est capable. Alors que l’enfant évolue, le rapport
décision-implication s’inverse progressivement,
jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de 18 ans.
Le développement de la capacité du mineur limite de façon toujours plus étroite l’exercice de
l’autorité parentale.
Il semble largement reconnu que les enfants
atteints d’une maladie chronique ou d’autres
problèmes majeurs de santé peuvent avoir développé une maturité supérieure à celle rencontrée habituellement chez les jeunes de leur âge.
La souffrance, les hospitalisations multiples et
les traitements à répétition créent des occasions
de réfléchir au sens de l’existence, à l’opportunité de poursuivre les traitements, à la mort. Par
contre, plus les volontés de l’adolescent sont
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lourdes de conséquences, plus on doit exiger
une maturité développée et une compréhension
des enjeux dans toute leur complexité.
La bienfaisance. Le principe de bienfaisance
rappelle au praticien que son obligation originelle et fondamentale existe à l’égard de son patient. Rien dans le fait de la minorité du patient
ne réduit cette obligation de bienfaisance. Au
contraire, la dépendance et l’immaturité possibles du patient accentuent l’obligation de bienfaisance. Les obligations du praticien à l’égard
des proches du patient, dont ses parents, viennent ensuite.
Les parents sont, eux aussi, appelés à exercer
la bienfaisance à l’endroit de leur enfant. Lorsque l’enfant est trop jeune pour décider, ils
prennent les décisions pour lui. On s’attend à ce
que leur bienfaisance protège le mineur contre
lui-même et contre les autres. Ils le protègent
contre lui-même en circonscrivant les rebondissements de ses états affectifs. Ils le protègent
contre les autres, par exemple en empêchant les
aventures médicales.
La prospective. La présence de conséquences à
long terme implique la nécessité de savoir si le
mineur est capable de prospective, c’est-à-dire
s’il est capable de se représenter lui-même dans
l’avenir.
Il faut distinguer le respect immédiat de l’autonomie du mineur de son intérêt à long terme.
Ici, les principes d’autonomie et de bienfaisance
s’affrontent. Que doit-on faire? Respecter l’autonomie du mineur ou insister auprès de lui pour
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faire ce qui nous paraît à l’évidence le mieux
pour lui? La prospective cherche à évaluer les
bénéfices des traitements et ceux de leur cessation dans une projection qui dépasse des états
émotifs compréhensibles mais vraisemblablement passagers. Certains inconvénients que
Deny perçoit actuellement comme insurmontables pourraient lui sembler avoir valu la peine
dans quelques années.
L’alliance thérapeutique. L’alliance thérapeutique qui se rapporte à un mineur opère à partir
des mêmes principes que si le patient était un
adulte : communication ouverte, franchise, empathie, respect de la confidentialité. Cependant,
les conditions de réalisation de l’alliance thérapeutique entre les trois éléments constitutifs du
triangle devront varier suivant la capacité du patient à prendre des décisions.
Si l’enfant est en bas âge, il est évidemment
incapable de décider, et son consentement n’est
requis en aucune façon. L’obligation d’informer sur le diagnostic, le pronostic et les
traitements possibles sera remplie auprès des
parents à titre de dépositaires du consentement
substitué. Toutefois, on devrait informer l’enfant autant que son âge et ses capacités le permettent en utilisant un langage qui lui sera
compréhensible. Il faudrait chercher à savoir
s’il est en accord ou en désaccord avec la démarche clinique projetée. L’équipe traitante
devrait aussi tenir compte des peurs, des désirs
et des inconforts de l’enfant, de manière à
ajuster les interventions thérapeutiques pour
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que l’enfant les trouve moins pénibles ou plus
acceptables.
Lorsque le mineur est jugé apte à décider, il
doit être informé comme on le ferait avec tout
adulte. Le patient devrait avoir la possibilité de
discuter avec son médecin en présence de ses parents, mais aussi seul avec lui. L’honnêteté et la
compréhension manifestées par le médecin traitant faciliteront le maintien de l’alliance thérapeutique.
Pascal estime que nous acceptons des opinions
depuis deux voies d’entrée en nous : l’entendement et la volonté. Par «entendement», il faut
comprendre l’esprit; par la «volonté», il faut comprendre le cœur :
«Je ne parle donc que des vérités de notre
portée, et c’est d’elles que je dis que l’esprit et le
cœur sont comme les portes par où elles sont
reçues dans l’âme, mais que bien peu entrent par
l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule
par les caprices téméraires de la volonté, sans le
conseil du raisonnement.»1
Généralement, ce qui est entendu doit plaire
pour être reçu. Comment faire recevoir une vérité
déplaisante? La création d’une alliance thérapeutique est possible si le praticien suscite un sentiment de confiance chez son patient. Pour y parvenir, il doit d’abord compter sur les voies du cœur.
Les voies de l’esprit s’ouvriront après la conquête
de celles du cœur. La nécessité, présente dans
l’univers des adultes, de créer la confiance par le
cœur devient plus impérative à l’étape de l’adolescence, en conséquence des fragilités de cet âge.
Conduite à tenir
Les comportements récents et le message de
Deny à ses parents doivent être pris au sérieux.
Une démarche de clarification avec le patient
s’impose, car sa perception de interventions
médicales antérieures pourrait compromettre l’alliance thérapeutique établie au sein du triangle.
L’exposé des faits ne révèle en rien un adolescent incapable de comprendre sa situation et de
se décider par lui-même. L’interlocuteur essentiel
du Dr Clinicos sera donc Deny. Il faudra par
contre impliquer les parents, qui continuent
d’être proches de leur fils et qui peuvent exercer
sur lui une saine influence.
L’échec de la greffe a découragé Deny. Cette
réaction est parfaitement compréhensible. Il faut
reprendre la discussion à partir de ce que la médecine peut maintenant offrir au patient. Le
Dr Clinicos exposera à Deny et à ses parents les
objectifs cliniques accessibles et poursuivis à long
terme ainsi que les contraintes qu’ils impliquent.
Il faudra mettre en évidence le fait que les interventions nécessaires sont proportionnelles aux
résultats escomptés.
Deny et ses parents doivent être informés avec
honnêteté. Une démarche de vérité est susceptible
de prévenir les attente démesurées et les découragements exacerbés. Les parents de Deny pourront l’aider à percevoir sa situation dans une perspective de long terme et d’espérance.
Le Dr Clinicos pourrait examiner avec Deny
les aspects des traitements que celui-ci trouve
particulièrement lourds ou irritants, de manière à
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améliorer si possible cette dimension de la condition du patient.
La coercition judiciaire pour obtenir que Deny
se soumette à des traitements devrait être considérée comme une manœuvre désespérée; il
faudrait vraiment avoir tout tenté avant d’y
recourir.
1. Pascal, B : De l’esprit géométrique et de l’art de persuader. Œuvres
complètes, Pléiade, Paris, 1954, p. 593.
Principes fondamentaux de la bioéthique
La bienfaisance, la non-malfaisance
Ce principe prescrit deux devoirs moraux assez évidents par eux-mêmes : faire le bien et éviter le mal.
Ces devoirs du médecin apparaissaient déjà dans le Serment d’Hippocrate. La bienfaisance prescrit
l’action lorsque le médecin sait comment contribuer au bien de son patient et qu’il est effectivement en
mesure de poser le geste approprié. La bienfaisance fonde la pratique médicale en tant que relation
d’aide par laquelle un professionnel agit dans l’intérêt de son patient.
La non-malfaisance prescrit l’abstention de poser tout acte qui serait un mal pour le patient, «mal»
étant entendu au sens le plus large et non seulement en termes strictement cliniques. Le devoir de nonmalfaisance ne vise pas seulement un tort clinique, mais toute forme de tort, qu’il provienne de
l’ignorance inavouée, d’une intention ou d’une négligence, qu’il soit physique, psychologique ou social.
L’autonomie
L’autonomie désigne la capacité de se diriger d’après sa propre volonté. Ce principe établit que la
personne est maîtresse d’elle-même et qu’il lui revient de décider par elle-même de ce qui lui convient.
La reconnaissance de l’autonomie apporte une protection contre toute intrusion dans la sphère privée de
la personne, qui doit disposer librement de son être. L’application du principe d’autonomie implique le
consentement libre et éclairé aux soins et à l’expérimentation.
La justice
La philosophie définit la justice comme la vertu morale qui fait rendre à chacun son dû. La justice implique
d’abord l’égalité des citoyens entre eux. La justice appelée «distributive» a pour objet la répartition du
bien commun; elle fixe un partage proportionné et un usage adéquat des ressources. Enfin, la justice
protège les groupes de personnes faibles ou démunies dans les obligations qu’on voudrait leur imposer
au nom de la solidarité sociale (par exemple, pour favoriser la recherche scientifique).
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