61-68 Tribune d`”thique - STA HealthCare Communications

61le clinicien mars 1998
Tribune d’éthique
MeMichel T. Giroux
Un cas difficile?
Tout médecin se trouve un jour confronté à une situation difficile dans laquelle il devra
prendre position. MeMichel T. Giroux, avocat spécialisé en bioéthique, vous propose
d’éclaircir, aux termes de la loi et suivant l’éthique, certains cas dont vous nous
ferez part, afin d’en faire profiter vos collègues de la profession médicale.
Faites-nous parvenir vos cas d’éthique par télécopieur au (514) 695-8554,
ou téléphonez-nous au (514) 695-7623 et demandez Isabelle Gagnon ou Sylvie Lahaie.
MeMichel T. Giroux est avocat
et docteur en philosophie.
Il enseigne la philosophie au
Campus Notre-Dame-de-Foy et
la bioéthique à des étudiants de
deuxième cycle en médecine à
l’Université Laval, Québec.
Consultant en bioéthique,
il est conseiller en éthique au
FRSQ et directeur de l’Institut de
consultation et de recherche en
éthique et en droit (ICRED).
Le triangle de la minorité
Deny a 15 ans. À la suite d’infections urinaires à
répétition, il a développé une insuffisance rénale
aiguë pour laquelle il a été en dialyse pendant un
peu plus de deux ans. Puis, on lui a greffé un rein,
mais à cause de certaines complications, ce rein n’a
été fonctionnel que pendant deux mois. Il a alors
fallu reprendre la dialyse. Depuis la chirurgie d’il y
a un an, Deny a développé une hypertension arté-
rielle contrôlée par des médicaments.
Le patient se rend à l’hôpital trois fois par se-
maine pour sa dialyse. Il continue d’aller à l’école.
Depuis quelques semaines, Deny se montre de plus
en plus sombre et préoccupé. Il manifeste des réti-
cences au moment de ses traitements. Il répète à ses
parents que l’échec de la greffe lui a ouvert les yeux
sur ses possibilités réelles de s’en sortir et qu’il refu-
se une existence maintenue par des tubes, des ma-
chines et des médicaments.
Les parents de Deny, dont les relations avec leur
fils sont excellentes, expliquent les états d’âme de
celui-ci au Dr Clinicos, son médecin traitant.
Quelle devrait être la conduite du Dr Clinicos?
Discussion
Aspect juridique. Les traitements de dialyse sont
des soins au sens du Code civil (C.c.). Ces traite-
ments nécessitent le consentement du patient ou
de la personne habilitée à consentir pour lui. Si
Deny en venait à refuser catégoriquement les traite-
ments de dialyse, ses parents disposeraient-ils d’un
recours juridique par lequel Deny pourrait être
contraint à se soumettre aux traitements?
En même temps que le principe de l’autonomie
du patient s’est affirmé depuis une génération, on a
reconnu progressivement aux mineurs le droit de
participer aux décisions médicales les concernant.
Le caractère plus ou moins décisif de cette partici-
pation dépend notamment de l’âge et du niveau de
maturité psychologique et intellectuelle du mineur.
Pour notre C.c., le critère de l’âge est déterminant.
Rappelons qu’une personne est mineure tant
qu’elle n’a pas 18 ans (article 153 C.c.).
L’article 14 C.c. confie au titulaire de l’autorité
parentale ou au tuteur le pouvoir de consentir pour
le mineur aux soins requis par son état de santé.
Cette disposition concerne toutes les personnes
âgées de moins de 18 ans. Cependant, le même
article reconnaît au mineur de 14 ans et plus le
droit de consentir seul aux soins requis par son état
de santé.
Le législateur a établi une présomption partielle
de capacité à l’égard du mineur de 14 ans et plus,
car sa capacité se limite à pouvoir décider seul de
recevoir des soins requis par son état de santé. À la
différence de ce que peut faire le majeur, la capacité
du mineur de consentir seul aux soins requis par
son état de santé ne comporte pas celle d’exercer un
refus qu’on estimerait injustifié de recevoir des
soins requis par son état de santé. Si le refus d’un
mineur de 14 ans et plus de recevoir des soins re-
quis se révèle injustifié, un recours devant le tri-
bunal est possible. Suivant l’article 16 C.c., ce
recours demande au tribunal l’autorisation de
soumettre le mineur aux soins qu’il refuse :
«L’autorisation du tribunal est nécessaire en cas
d’empêchement ou de refus injustifié de celui qui
peut consentir à des soins requis par l’état de santé
d’un mineur ou d’un majeur inapte à donner son
consentement. [...] Elle est, enfin, nécessaire pour
soumettre un mineur âgé de quatorze ans et plus à
des soins qu’il refuse, à moins qu’il n’y ait urgence
et que sa vie ne soit en danger ou son intégrité me-
nacée, auquel cas le consentement du titulaire de
l’autorité parentale ou du tuteur suffit.»
Le succès d’un tel recours nécessiterait que l’on
prouve le caractère injustifié du refus de Deny.
Dans l’hypothèse où le tribunal autoriserait que
l’on soumette Deny à la dialyse malgré son refus, il
faut comprendre que ce jugement donnerait son
accord à un traitement imposé physiquement.
Aspect éthique. Le triangle de la minorité. La fi-
gure géométrique du triangle représente adéqua-
tement la situation respective de chacun des ac-
teurs lorsque le patient est un mineur. Les trois
côtés du triangle sont clairement distincts les uns
des autres, mais ils se retrouvent au sein d’une in-
terrelation nécessaire; c’est le contexte que con-
naissent le patient mineur, le médecin traitant et
les parents. On retrouve ce triangle dans tous les
cas où le patient a moins de 14 ans, et dans la
grande majorité des situations où le patient est un
mineur de plus de 14 ans.
L’autonomie. L’ évolution de la pratique depuis
les 25 dernières années tient plus compte des
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préférences, des préoccupations, des craintes et
des espérances exprimées par les jeunes patients.
Cette évolution est devenue inévitable, notam-
ment face à certains nouveaux traitements dont
les inconvénients peuvent être très lourds et les
bénéfices incertains. Elle se justifie par le fait que
c’est non seulement l’enfant qui vit la maladie,
qui reçoit les traitements, et bénéficie des avan-
tages procurés par les soins, mais que c’est égale-
ment lui qui porte le fardeau des inconvénients de
ces traitements. Enfin, une décision prise sans
consulter le patient pourrait être contraire à ce
qu’il souhaite et miner la confiance nécessaire à
l’existence même du triangle.
Le principe d’autonomie suppose que l’adulte
apte est la personne la mieux placée pour déci-
der de ce qui lui convient. On attribue à l’adulte
un développement psychologique et intellectuel
suffisant pour qu’il exerce son autonomie; c’est
l’absence de cette capacité qu’il faut démontrer.
Chez le mineur, la supposition est inversée, et
c’est la présence de cette capacité qu’il faut
démontrer.
La question pertinente est celle de savoir si le
mineur est capable de parvenir à une décision
éclairée et personnelle. La capacité de savoir si le
mineur est capable de parvenir à une décision
éclairée est évaluée d’après certains critères :
l’âge, la capacité à comprendre les informations
le concernant, la cohérence de sa réflexion et la
compréhension générale de son état. Le mineur
doit pouvoir évaluer la nature des soins propo-
sés, leurs conséquences, leurs inconvénients et
leurs bénéfices. Quant au caractère personnel de
la décision, cet aspect concerne la possibilité de
prendre une décision dégagée de l’autorité natu-
relle des parents et de celle des membres de
l’équipe soignante, notamment le médecin. Re-
marquons qu’une application stricte de tous ces
critères pourrait révéler chez de nombreux adul-
tes une incapacité à décider de façon éclairée et
personnelle. Les critères d’évaluation doivent
être utilisés avec discernement dans chaque cas
particulier.
Au cours des années, la relation entre les pa-
rents et leur enfant doit évoluer suivant une va-
riation du tandem décision-implication. Quand
l’enfant est encore très jeune, le consentement
revient exclusivement aux parents. Par après,
l’implication de l’enfant existe suivant ce dont il
est capable. Alors que l’enfant évolue, le rapport
décision-implication s’inverse progressivement,
jusqu’à ce que l’enfant atteigne l’âge de 18 ans.
Le développement de la capacité du mineur li-
mite de façon toujours plus étroite l’exercice de
l’autorité parentale.
Il semble largement reconnu que les enfants
atteints d’une maladie chronique ou d’autres
problèmes majeurs de santé peuvent avoir dé-
veloppé une maturité supérieure à celle rencon-
trée habituellement chez les jeunes de leur âge.
La souffrance, les hospitalisations multiples et
les traitements à répétition créent des occasions
de réfléchir au sens de l’existence, à l’opportu-
nité de poursuivre les traitements, à la mort. Par
contre, plus les volontés de l’adolescent sont
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lourdes de conséquences, plus on doit exiger
une maturité développée et une compréhension
des enjeux dans toute leur complexité.
La bienfaisance. Le principe de bienfaisance
rappelle au praticien que son obligation origi-
nelle et fondamentale existe à l’égard de son pa-
tient. Rien dans le fait de la minorité du patient
ne réduit cette obligation de bienfaisance. Au
contraire, la dépendance et l’immaturité possi-
bles du patient accentuent l’obligation de bien-
faisance. Les obligations du praticien à l’égard
des proches du patient, dont ses parents, vien-
nent ensuite.
Les parents sont, eux aussi, appelés à exercer
la bienfaisance à l’endroit de leur enfant. Lors-
que l’enfant est trop jeune pour décider, ils
prennent les décisions pour lui. On s’attend à ce
que leur bienfaisance protège le mineur contre
lui-même et contre les autres. Ils le protègent
contre lui-même en circonscrivant les rebon-
dissements de ses états affectifs. Ils le protègent
contre les autres, par exemple en empêchant les
aventures médicales.
La prospective. La présence de conséquences à
long terme implique la nécessité de savoir si le
mineur est capable de prospective, c’est-à-dire
s’il est capable de se représenter lui-même dans
l’avenir.
Il faut distinguer le respect immédiat de l’au-
tonomie du mineur de son intérêt à long terme.
Ici, les principes d’autonomie et de bienfaisance
s’affrontent. Que doit-on faire? Respecter l’auto-
nomie du mineur ou insister auprès de lui pour
faire ce qui nous paraît à l’évidence le mieux
pour lui? La prospective cherche à évaluer les
bénéfices des traitements et ceux de leur cessa-
tion dans une projection qui dépasse des états
émotifs compréhensibles mais vraisemblable-
ment passagers. Certains inconvénients que
Deny perçoit actuellement comme insurmonta-
bles pourraient lui sembler avoir valu la peine
dans quelques années.
L’alliance thérapeutique. L’alliance thérapeuti-
que qui se rapporte à un mineur opère à partir
des mêmes principes que si le patient était un
adulte : communication ouverte, franchise, em-
pathie, respect de la confidentialité. Cependant,
les conditions de réalisation de l’alliance théra-
peutique entre les trois éléments constitutifs du
triangle devront varier suivant la capacité du pa-
tient à prendre des décisions.
Si l’enfant est en bas âge, il est évidemment
incapable de décider, et son consentement n’est
requis en aucune façon. L’obligation d’in-
former sur le diagnostic, le pronostic et les
traitements possibles sera remplie auprès des
parents à titre de dépositaires du consentement
substitué. Toutefois, on devrait informer l’en-
fant autant que son âge et ses capacités le per-
mettent en utilisant un langage qui lui sera
compréhensible. Il faudrait chercher à savoir
s’il est en accord ou en désaccord avec la dé-
marche clinique projetée. L’équipe traitante
devrait aussi tenir compte des peurs, des désirs
et des inconforts de l’enfant, de manière à
ajuster les interventions thérapeutiques pour
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que l’enfant les trouve moins pénibles ou plus
acceptables.
Lorsque le mineur est jugé apte à décider, il
doit être informé comme on le ferait avec tout
adulte. Le patient devrait avoir la possibilité de
discuter avec son médecin en présence de ses pa-
rents, mais aussi seul avec lui. L’honnêteté et la
compréhension manifestées par le médecin trai-
tant faciliteront le maintien de l’alliance thérapeu-
tique.
Pascal estime que nous acceptons des opinions
depuis deux voies d’entrée en nous : l’entende-
ment et la volonté. Par «entendement», il faut
comprendre l’esprit; par la «volonté», il faut com-
prendre le cœur :
«Je ne parle donc que des vérités de notre
portée, et c’est d’elles que je dis que l’esprit et le
cœur sont comme les portes par où elles sont
reçues dans l’âme, mais que bien peu entrent par
l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule
par les caprices téméraires de la volonté, sans le
conseil du raisonnement.»1
Généralement, ce qui est entendu doit plaire
pour être reçu. Comment faire recevoir une vérité
déplaisante? La création d’une alliance thérapeuti-
que est possible si le praticien suscite un senti-
ment de confiance chez son patient. Pour y parve-
nir, il doit d’abord compter sur les voies du cœur.
Les voies de l’esprit s’ouvriront après la conquête
de celles du cœur. La nécessité, présente dans
l’univers des adultes, de créer la confiance par le
cœur devient plus impérative à l’étape de l’adoles-
cence, en conséquence des fragilités de cet âge.
Conduite à tenir
Les comportements récents et le message de
Deny à ses parents doivent être pris au sérieux.
Une démarche de clarification avec le patient
s’impose, car sa perception de interventions
médicales antérieures pourrait compromettre l’al-
liance thérapeutique établie au sein du triangle.
L’exposé des faits ne révèle en rien un adoles-
cent incapable de comprendre sa situation et de
se décider par lui-même. L’interlocuteur essentiel
du Dr Clinicos sera donc Deny. Il faudra par
contre impliquer les parents, qui continuent
d’être proches de leur fils et qui peuvent exercer
sur lui une saine influence.
L’échec de la greffe a découragé Deny. Cette
réaction est parfaitement compréhensible. Il faut
reprendre la discussion à partir de ce que la mé-
decine peut maintenant offrir au patient. Le
Dr Clinicos exposera à Deny et à ses parents les
objectifs cliniques accessibles et poursuivis à long
terme ainsi que les contraintes qu’ils impliquent.
Il faudra mettre en évidence le fait que les inter-
ventions nécessaires sont proportionnelles aux
résultats escomptés.
Deny et ses parents doivent être informés avec
honnêteté. Une démarche de vérité est susceptible
de prévenir les attente démesurées et les décou-
ragements exacerbés. Les parents de Deny pour-
ront l’aider à percevoir sa situation dans une per-
spective de long terme et d’espérance.
Le Dr Clinicos pourrait examiner avec Deny
les aspects des traitements que celui-ci trouve
particulièrement lourds ou irritants, de manière à
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