La Communication interdisciplinaire

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INSTITUT DE FORMATION DE PROFESSIONS DE SANTE
CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE
BESANÇON
FORMATION INFIRMIER ANESTHESISTE
La communication interdisciplinaire au bloc opératoire
Mémoire présenté en vue de l’obtention du Diplôme d’Infirmier Anesthésiste
Antoine AUDEBERT
Promotion 2013-2015
Sous la direction de
Aurélie GODARD – MARCEAU, Ingénieur de recherche – CIC St Joseph, Besançon
Remerciements
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m’ont soutenu durant cette formation.
Tous m’ont été d’une grande aide, collègues, amis et famille.
Je tiens aussi à remercier toutes les personnes du centre hospitalier universitaire de
Besançon ayant participé à mes entretiens, y compris ceux qui se sont portés
volontaires mais que je n’ai su, par contrainte de temps, intégrer dans ce travail.
Un grand merci à toute l’équipe enseignante de l’institut de formation aux
professionnels de santé, tout particulièrement Leatitia Baade et Jeanne-Antide Rouge.
Merci à Aurélie Marceau, ma directrice de mémoire, qui m’a permis d’ouvrir les
horizons de ce mémoire en m’orientant sur une bibliographie ciblée et pour ses
conseils de réalisation d’entretiens.
Mes pensées se dirigent aussi vers l’ensemble des promotions d’étudiants infirmiers
anesthésistes 2012 – 2014 et 2013 – 2015 avec une pensée toute particulière pour
Catherine.
Un grand merci à Aurélie de m’avoir éclairé et assisté par sa maîtrise des langues
de Molière et Shakespeare.
Enfin je tiens à dédier ce travail de fin d’étude à ma mère qui, dans ces moments
particulièrement pénibles, n’a jamais hésité à proposer son aide et a toujours trouvé la
force de s’inquiéter de mon avancement.
Sommaire
Introduction
p. 6
PARTIE I : Cadre conceptuel
1. Un savoir en mouvement
p. 10
1.1.
Un peu d’histoire
p. 10
1.2.
La fragmentation du savoir atteint ses limites
p. 11
1.3.
La spécialisation appliquée au bloc opératoire
p. 12
2. Le mouvement interdisciplinaire
p. 14
2.1.
Au-delà de la sémantique, les subtilités de l’interdisciplinarité
p. 14
2.2.
Pourquoi travailler ensemble
p. 16
2.3.
Pourquoi cela peut-il être si compliqué
p. 17
3. La communication ou la base des interactions interindividuelles
p. 18
3.1.
La communication verbale
p. 19
3.2.
L’enrobage des mots
p. 21
3.3.
Le monde du mime
p. 23
PARTIE II : Méthode et outil d’enquête
1. A l’origine du mémoire
p. 29
1.1.
Une connaissance de mes limites
p. 29
1.2.
Des exemples concrets
p. 30
2. Lecture et outils d’enquête
p. 31
2.1.
Les sources bibliographiques
p. 32
2.2.
Mon outil d’enquête
p. 32
3. Les bornes de ce travail d’intérêt professionnel
p. 33
3.1.
Ce qu’il m’a apporté
p. 33
3.2.
Les limites et biais de ce travail de recherche
p. 33
PARTIE III : Analyse d’enquête
1. Organisation et sécurité du patient
2. Le positionnement professionnel : un équilibre délicat
3. Les axes d’amélioration potentiels
p. 38
p. 44
p. 47
Conclusion
p. 53
Bibliographie
p. 55
Annexes
p. 62
Introduction
Le bloc opératoire a toujours été perçu comme un univers où prime avant tout
une haute technicité. Ce dogme était vrai quelques dizaines d’années en arrière
mais, aujourd’hui, les progrès techniques sont tels qu’ils ont atteint leur
paroxysme de sécurité pour le patient.
Seulement, il n’est pas rare d’entendre les médias parler d’erreurs de côté ou
d’injections de médicaments. On est alors en droit de se demander quelles
peuvent être les causes de ces incidents.
Ces dernières années, de nombreuses recherches, dont l’anesthésie est le
principal moteur, se sont penchées sur l’origine de ces événements indésirables.
Ces travaux ont pris comme référence l’aviation civile. En effet l’anesthésie a
suivi le même schéma d’amélioration et partage la même culture de gestion des
risques.
Seulement, le bloc opératoire met en relation en grand nombre de spécialités
aussi différentes en termes de responsabilités que de caractères. Pourtant ces
domaines sont totalement complémentaires et sont obligés de faire face
ensemble aux complexes prises en charge anesthésique et chirurgicale.
Pour traiter la communication interdisciplinaire dans ce milieu de manière plus
globale, il va falloir s’ouvrir à un vaste champ d’investigation qui ira le la
psychologie à la sociologie, en passant par la cybernétique, et jusqu’à la
philosophie.
Le meilleur moyen de traiter de communication interdisciplinaire n’est-il pas
justement de l’aborder sous les facettes de plusieurs disciplines ?
6
PARTIE I
CADRE CONCEPTUEL
Bien que tout en fait en vogue depuis ces dernières années, les concepts d’inter
pluri ou encore de transdisciplinarité restent malgré tout assez flou. En effet ces
termes souffrent encore de leur relative jeunesse et il est facile de s’égarer aux
confins des innombrables subtilités qui entourent ces mouvements de pensées
complexes. Je vais donc, dans cette première partie, commencer par définir les
limites de la disciplinarité afin de pouvoir ensuite vous parler des concepts de
transdisciplinarité et de la nécessité de créer et développer ces interactions
fondamentales, plus particulièrement la communication entre les disciplines.
1. Un savoir en mouvement
1.1. Un peu d’histoire
Commençons par regarder un peu en arrière, seulement quelques siècles,
comme l’ont fait les éminents scientifiques du Centre National de Recherche
Scientifique (KOURILSKY, 2002). A l’époque des grands noms de la science tels
que Descartes, Newton, Leibniz, Kant ou encore Pascal, il semblait alors
inconcevable, en ces temps, d’être philosophe sans détenir aussi quelques
savoirs en physique. Il ne s’agissait bien sûr pas de prétendre détenir tous les
savoirs mais bien de pouvoir appréhender un problème sous le plus de facettes
possible.
Ce n’est qu’à partir du XIXème que la notion de spécialisation vu le jour. Cela
s’explique par l’accroissement considérable de la complexité des connaissances
et des technologies. En effet comme l’explique Jean-Louis Fabiani, sociologue
français du Central European University de Budapest, dans la revue Hermès
(Hermès, 2013), l’augmentation des connaissances impose une gestion quasi
impossible de ces fichiers de plus en plus volumineux. Il prend pour exemple Le
système de la nature de Linné : 549 espèces identifiées en 1735 pour arriver à
7000 en 1766-1768. Il devenait donc impossible pour un seul homme, tout érudit
qu’il soit, de réussir à maîtriser une telle masse de savoir.
De cette évolution est donc née une volonté scientifique de décortication du
savoir. Fragmenter un objet d’étude pour le réduire en fragment plus facilement
mesurable, simplifiable. C’est au cours du XXème siècle que la science a pris ce
10
virage à l’extrême pour en devenir presque caricatural. Pour citer le professeur
Fabiani : « L’organisation présente de la connaissance par disciplines est le
produit de cette transformation historique : l’ordre disciplinaire n’est pas le produit
des luttes pour la sécurisation d’une niche institutionnelle, mais l’expression d’un
ordre fonctionnel de la différenciation du savoir ». Ceci est en accord avec les
propos d’Edgard Morin : « La discipline est une catégorie organisationnelle au
sein de la connaissance scientifique ; elle y institue la division et la spécialisation
du travail et elle répond à la diversité des domaines que recouvrent les sciences »
(MORIN, Sur l'interdisciplinarité, 1994)
1.2. La spécialisation appliquée au bloc opératoire
En guise de transition, je ne saurais m’empêcher de citer, une fois encore, Edgar
Morin :
« De manière générale, que l’on se place dans les sciences sociales, les
sciences humaines, la biologie, les sciences de la nature ou les sciences
physicomathématiques, on constate que la machine institutionnelle, elle,
reste essentiellement organisée en universités disciplinaires ; il n’existe
pas de faculté d’écologie ou du cosmos, et aucune « facultés de l’être
humain » : l’homme biologique est étudié en biologie, l’homme psychique
en psychologie… L’homme social est lui-même morcelé selon ses
activités et croyances, économiques, politiques, culturelles ; selon son
espace ou son histoire, etc. » (MORIN, Affronter l'incertitude, 1999)
Pour faire un parallèle concret autour du bloc opératoire, c’est bien au cours du
XXème siècle que l’anesthésie s’est vue séparée de la chirurgie en termes de
spécialité médicale avec, en parallèle, la création houleuse d’une branche
spécialisée
de
paramédicaux :
les
infirmiers
anesthésistes.
Jusque-là
l’anesthésie était administrée sous la seule responsabilité du chirurgien
(FAUCON, 2001). Cependant force était de constater qu’endormir un patient ne
se révélait pas si simple et surtout le suivi post opératoire ne pouvait être assuré
par le seul chirurgien.
11
En chirurgie, les spécialisations se multiplient aussi. De formation générale, les
chirurgiens se voient au fur et à mesure de plus en plus spécialisés jusqu’à se
concentrer sur une seule partie du corps voire un organe spécifique. Il est vrai
que cette hyper spécialisation peut apporter un bon nombre d’avantages
cependant, à l’ère de la mutualisation des moyens, les infirmier(e)s de bloc
opératoire ne sont, elles, pas vouées à ne travailler qu’avec un seul chirurgien.
On discerne alors les problèmes qui peuvent découler de ce paradoxe : un
chirurgien maîtrisant à la perfection son champ de compétences avec son
langage spécifique travaillant avec une professionnelle paramédicale polyvalente
mais n’apportant pas la précision nécessaire et rassurante à son partenaire
médical. On devine déjà les tensions que cela peut engendrer, non sans compter
sur le fait qu’historiquement, les activités paramédicales étaient assurées par des
religieuses ou même des femmes ou secrétaires de médecins (CHU Besançon,
2012).
Ce petit point d’histoire pourrait avoir un rôle dans les interactions de ces
différentes disciplines médicales et paramédicales, j’y reviendrai plus tard.
A l’évidence, le bloc opératoire est un milieu complexe où cohabitent de
nombreuses spécialités. D’un point de vue organisationnel, il apparaît d’emblée
que faire collaborer ces différents ensembles peut être compliqué pour des
raisons de points de vue, de priorités, de langages… en somme, de paradigmes
très différents en un milieu clos, confiné, entité à part au sein de l’hôpital, vu
comme élitiste et fantasmagorique par le monde extérieur (POUCHELLE, 2008).
1.3. La fragmentation atteint ses limites
Cette conception de fragmentation du savoir, bien que nécessaire afin d’amasser
de grande somme de savoir et apportant une richesse initiale, trouve
actuellement ses limites. L’hyper spécialisation n’est en effet pas dénuée de
défaut, le principal étant l’enfermement intellectuel provoquant une volonté de
protectionnisme de son champ de connaissances. Certains auteurs n’hésitent
pas à parler de cloisonnement.
12
Comme le dit Hubert Curien cité par Edgar Morin « de manière générale, les
scientifiques sont comme les loups : ils urinent pour marquer leur territoire et
mordent tout intrus qui y pénètre » (MORIN, Affronter l'incertitude, 1999). Cette
forme d’agressivité, bien que métaphorique, se retrouve quotidiennement au bloc
opératoire et se voit renforcée par héritage de « langage » et de « posture
guerrière » (POUCHELLE, 2008). Je reviendrai sur ce point lorsque je vous
parlerai plus spécifiquement de la communication.
Outre cet enfermement et ce protectionnisme, la science à ce jour constate un
ralentissement dans l’accroissement de ses connaissances. Annie Fouquet en
parle en ces termes : « Après la parcellisation de l’analyse, l’épuisement des
paradigmes de chaque sous-discipline sclérose l’analyse ; franchir les frontières
devenues étanches entre disciplines devient une nécessité pour innover »
(Hermès, 2013). C’est ce qu’Edgar Morin appelle volontiers l’indiscipline. Non
pas dans le sens anarchique du terme, mais plutôt une volonté de sortir des
sentiers battus, s’ouvrir aux autres disciplines pour abattre les frontières aux
fondations si solides qu’elles empêchent toutes interactions entre les différents
domaines.
Avec la complexification des champs de compétences disciplinaires, il devient
nécessaire de faire appel à d’autres spécialités car, contrairement à l’idée très
répandue qu’une notion n’a de pertinence que dans le domaine où elle est née,
certaines notions migratrices peuvent féconder un nouveau champ même au prix
de contradictions (MORIN, Sur l'interdisciplinarité, 1994) (BASARAB, 2012).
Les disciplines peuvent être considérées, comme le fait Platon, comme une
caverne on l’on ne voit que les projections du monde qui apparaissent sur les
murs (PLATON, 2002, pp. 358-400) et le défi consisterait à se parler entre
cavernes pour se faire une idée plus précise du monde que les simples
projections visibles de chacun.
Je ferai la transition vers l’interdisciplinarité en utilisant deux proverbes. Le
premier traduit du chinois « Un, deux, l’infini. » complété par ce proverbe japonais
« Aucun d’entre nous n’est plus intelligent que l’ensemble d’entre nous ». Il est à
comprendre que dès que nous nous ouvrons à au moins deux opinions ou points
13
de vue, il nous est possible de prendre conscience de la multiplicité des manières
de concevoir le monde.
2.
Le mouvement interdisciplinaire
Bien que structurant et fécond, l’avènement des spécialités disciplinaires laisse
peu à peu place à un rassemblement des savoirs. Le terme « interdisciplinarité »
apparaît avec une fréquence sans cesse grandissante. De nombreux colloques,
séminaires et conférences sont donnés sur ce thème qui définissent
l’interdisciplinarité comme :
-
Un moteur de progrès scientifique
-
Un outil pour favoriser et penser les liens entre les disciplines
-
Un élément nécessaire pour permettre le dialogue
-
Une orientation souhaitable des formations.
Je commencerai par essayer de définir, malgré toutes ces subtilités, ce qu’est
l’interdisciplinarité, pour ensuite expliquer ses buts et bienfaits et finir par ses
freins et limites.
2.1. Au-delà de la sémantique, les subtilités de l’interdisciplinarité
Avant de d’entrer dans le vif du sujet, je vais commencer par donner une
définition de ce qu’est une équipe : « c’est au moins deux personnes, qui ont
chacune des rôles spécifiques et complémentaires, qui coordonnent les actions,
coopèrent et s’entraident pour atteindre un objectif commun dont ils se sentent
collectivement responsables » (Haute Autorité de Santé, 2013).
L’interdisciplinarité est l’art émergent de faire travailler ensemble des personnes
issues de diverses disciplines, dans le but de cerner voire résoudre un problème
complexe en confrontant leurs différentes approches. Notez bien le choix des
mots « art » et « confrontation », ils prendront tout leur sens dans les lignes à
venir.
14
Vous me direz que si l’on se contente de cette définition, ce mouvement semble
finalement clair. Cependant, on constate différents modes d’articulations des
disciplines. Ce n’est donc pas si simple et j’en ai d’ailleurs fait moi-même le
constat en réalisant ce travail.
Il existe en réalité trois formes distinctes de rapports entre les disciplines :
-
L’interdisciplinarité : elle est en fait la forme la plus large et la plus ouverte
de collaboration entre spécialités en mettant en commun des savoirs très
éloignés. Elle suppose donc un grand nombre d’interactions, un dialogue,
une mise en commun d’analyses et de méthodes (ex : les sciences
cognitives).
-
La transdisciplinarité : ce mouvement se voit lui parfaitement transversal
dans le sens où il met en commun des savoir sans se soucier des
frontières (ex : la sociologie historique)
-
La pluridisciplinarité : Pour reprendre la définition d’Alain Glykos cité par
Edouard Kleinpeter, c’est « une association de disciplines qui concourent
à une réalisation commune, mais sans que chaque discipline ait à modifier
sa propre vision des choses et ses propres méthodes » (Hermès, 2013, p.
126) (ex : le bloc opératoire).
Certains auteurs vont même jusqu’à insister sur les notions d’intégration et
d’interaction entre les différents savoirs disciplinaires pour parvenir à une
approche interdisciplinaire. C’est ce qu’explique Edouard Kleinpeter en citant
Julie Thomson Klein, où elle distingue l’interdisciplinarité dite « coopérative »
(cooperative ID) où un travail d’équipe quotidien est nécessaire ; et
l’interdisciplinarité « partagée » (shared ID) où les différents groupes s’attaquent
à différents aspects du problème. Ils sont amenés à échanger régulièrement leurs
résultats mais n’interviennent pas dans le travail des autres groupes (Hermès,
2013, pp. 126-127).
Les définitions de la pluridisciplinarité et de l’interdisciplinarité partagée décrivent
parfaitement l’organisation de ce que Marie Christine Pouchelle appelle « le
théâtre des opérations » en parlant du bloc opératoire.
15
2.2. Pourquoi travailler ensemble ?
Soyons clair, il ne peut y avoir d’interdisciplinarité sans fondement disciplinaire
solide. Comme l’explique Jean-Louis Lemoine, l’interdisciplinarité se forme ainsi
aux marches de chaque discipline sans remise en question de ses fondements,
par importation de concepts, méthodes, modèles, modèles recueillis en d’autre
discipline voisine et dont on présume qu’il seront assimilables (KOURILSKY,
2002, p. 26).
Je vais prendre, pour illustrer le caractère fécond de ce mouvement,
l’incontournable Leonard De Vinci dont l’œuvre est un exemple de pensée
interdisciplinaire. Son ouverture d’esprit a fait de lui l’inventeur le plus illustre du
XVème siècle et est, encore à ce jour, considéré comme un génie universel.
Recentrons nous sur le bloc opératoire. Les impressionnants progrès en chirurgie
se sont fait grâce des esprits ouverts, communiquant avec d’autre discipline pour
développer de nouvelles techniques. Je pense notamment à la cœlioscopie. Elle
a d’ailleurs connu un tel essor qu’elle va même encore plus loin aujourd’hui avec
l’apparition de la chirurgie robotisée qui reprend le nom du grand homme d’esprit
de la renaissance : le Da Vinci.
Il en va de même pour l’anesthésie où l’amélioration de la ventilation a nettement
progressé grâce à de grands esprits inventifs et collaboratifs tel que le Pr
Neidhardt du CHU de Besançon. Les progrès récents ont été rendus possibles
par la collaboration d’ingénieurs, d’anesthésistes, de réanimateurs, de
pneumologues… La mise en commun de leurs connaissances a créé les
ventilateurs précis et adaptatifs que nous connaissons de nos jours.
L’interdisciplinarité est donc indiscutablement prolifique si tant est que les
disciplines s’ouvrent et communiquent entre elles. Je vous invite à reprendre les
deux proverbes chinois et japonais que j’ai utilisé précédemment.
Seulement, vous en conviendrez aisément en lisant ces lignes, le point noir de
cette interdisciplinarité est bien la mise en commun des dogmes et la
communication qu’elle impose pour atteindre sa pleine efficacité, ce qui m’amène
donc à vous parler des freins aux interactions interdisciplinaires.
16
2.3. Pourquoi cela peut-il être si compliqué
Tous s’accordent à penser que l’interdisciplinarité ne se décrète pas et est même
vouée à l’échec si celle-ci est imposée (Hermès, 2013, p. 190). Ainsi, l’un des
points essentiels à cette interdisciplinarité est nécessairement une volonté
commune de collaboration. Sans cette volonté, il ne peut y avoir de partage
réciproquement profitable, de symbiose, de synergie entre les savoirs. Si l’un des
partis ne se soumet pas à cette exigence de travailler ensemble, en plus d’une
baisse manifeste de productivité, il se voit rapidement mis en retrait du groupe
voire même peut être source de conflit lié au sentiment, subjectif ou non, d’une
inégalité dans le travail fourni. Ces malaises sont fréquents au sein des groupes
de travail, c’est pourquoi les nouvelles techniques de management invitent à une
participation de chacun par le biais d’un coordinateur, animateur, qui a pour rôle
de donner la parole à chacun et donc de limiter les inégalités dans le groupe. On
aborde ainsi de façon très implicite la notion de leadership.
En plus de cette volonté, il est nécessaire de définir les objectifs à atteindre.
Cependant, bien que les projets de service soient établis, chaque salle est
souvent perçue comme une entité autonome au sein d'une entité plus grande,
celle du bloc opératoire. Or celui-ci est bien souvent considéré comme étant en
marge de l'hôpital lui-même et ces objectifs y sont bien souvent mal définis.
L’isolement au bloc opératoire peut donner le sentiment d’être dépourvu de
contrôle, ce qui laisse libre cours à certaines « déviances ».
L’administration en elle-même peut s’avérer être un frein à l’interdisciplinarité. En
effet les conduites de projets interdisciplinaires demandent du temps et, dans le
cadre de l’hôpital, se fait très souvent en supplément du temps de travail
réglementaire. A l’heure actuelle, il est légitime que les participants à ces groupes
attendent un retour sur leur investissement personnel, ce à quoi l’administration
consent parfois avec réticence.
Comme le dit la revue Hermès, il existe aussi trois forces contraires à
l’interdisciplinarité. La première est le corporatisme des communautés. En effet il
est parfois difficile de s’ouvrir aux autres disciplines et il est aisé de se cantonner
aux seuls points de vue de sa spécialité pensant qu’elle est la seule légitime. La
seconde est le mandarinat (à ne pas confondre avec le leadership). Il n’est pas
17
rare qu’un membre ou une corporation prenne l’ascendant sur le groupe en
étouffant tout échange. La dernière est d’ordre épistémologique. Comprenez là
que chaque spécialité possède un langage qui lui est propre et il est souvent
difficile de communiquer sans base commune. Il est donc nécessaire que les
disciplines fassent un effort conséquent pour « vulgariser » sa spécialité pour
qu’elle soit accessible et compréhensible de tous les membres du groupe
(Hermès, 2013, pp. 190-191).
La communauté scientifique, et en particulier celle du CNRS, s’accorde à dire
que la majorité des échecs des collaborations interdisciplinaires ont comme
origine des dysfonctionnements dans la communication. Cela va donc m’amener
à vous parler, dans le chapitre qui va suivre, de la communication sous ses
différentes formes.
3. La communication ou la base des interactions interindividuelles
« Avant donc que d'écrire, apprenez à penser.
Selon que notre idée est plus ou moins obscure,
L'expression la suit, ou moins nette, ou plus pure.
Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement,
Et les mots pour le dire arrivent aisément. »
(BOILEAU, 1998, p. 91)
Il me semble opportun, plutôt que de discourir, d’utiliser cette citation de Nicolas
Boileau qui introduira parfaitement le sujet de la communication.
Avant toute chose, je vais commencer par définir les bases de toute
communication. Pour reprendre la définition du dictionnaire, la communication
est l’action de communiquer avec quelqu’un, d’être en rapport avec autrui, en
général par le langage ; échange verbal avec un locuteur (émetteur) et un
interlocuteur (récepteur) dont il sollicite une réponse (Larousse, 2015).
18
Je commencerai donc classiquement par deux parties autour de la
communication verbale et de ce qui l’entoure, c’est-à-dire la communication para
verbale, et enfin la communication non verbale.
3.1. La communication verbale
Pourquoi commencer par vous
parler de ce qui, au premier
abord, pourrait être considérer
comme
la
facette
la
plus
complexe de la communication ?
Simplement parce qu’en réalité
nous ne communiquons que très
peu par la parole (bien que
fluctuant dans la littérature, ce
sont les chiffres qui ressortent
majoritairement).
Répartition des formes de communication
Bien que minoritaires, les mots se révèlent souvent notre instrument principal de
communication. Cela s’explique simplement par le fait qu’ils ont un impact direct
sur notre interlocuteur. De fait, il va de soi que chaque mot est important et que
même s’ils sont source de bonheur dans la création de relations profondes entre
individus, ils peuvent malheureusement être à l’origine de problèmes
interpersonnels importants (BOISVERT & BEAUDRY, 2012, pp. 129-130).
19
Selon le schéma de Lasswell, la communication peut s’étudier en regard d’une
réflexion sur 5 questions fondamentales :
L’émetteur du message. Cette question implique
une connaissance de soi et renvoie vers sa propre
Qui ?
intériorité « cogito ergo sum » (DESCARTES,
Discours
de
la
méthode,
2013,
p.
40)
(DESCARTES, Méditations métaphysiques, 2009,
p. 93)
Le contenu du message en lui-même. J’en reviens
Dit quoi ?
aux vers de Nicolas Boileau sus cités où il est
important de savoir ce qu’on va dire afin d’être clair.
Le vecteur du message peut être divers (parlé, écrit,
Par quel moyen ?
gestuelle, téléphone…) tout autant que la manière
(le ton de la voix par exemple).
Autant que se connaître, connaître son interlocuteur
et tout aussi important. C’est d’autant plus vrai dans
A qui ?
une communication professionnelle où il est
essentiel d’avoir de bonnes notions du paradigme
de notre interlocuteur.
Une communication efficace se doit de ne jamais
Avec quel effet ?
être à sens unique. Il est primordial d’évaluer
l’impact, la compréhension, d’attendre un retour.
Dans ce tableau, je mets volontiers l’accent sur une notion fondamentale : la
connaissance de soi et de l’autre. Si j’ai conscience de mes propres forces et
faiblesses, il me sera alors plus facile d’accepter l’autre avec ses qualités et ses
défauts. De plus, si je connais suffisamment le champ de compétence de mon
interlocuteur, cela m’évitera bien des malentendus ou de tenir des propos
inappropriés voire blessants le cas échéant.
Le second point concerne le contenu et la formulation du message et reste en
accord avec la connaissance du récepteur. Il est bien important que je pense
mon message avant de le formuler et pour ce faire, savoir à qui je parle va déjà
20
me permettre d’adapter le contenu du message ainsi que la manière dont je vais
le formuler.
Bien sûr, comme une communication ne se fait jamais de manière
unidirectionnelle, pour communiquer je dois m’enquérir de la bonne réception du
message, s’il a été compris, et apprécier l’effet que ce message à eut sur mon
interlocuteur. C’est ici le concept de « feed back » qui est abordé.
Malheureusement la communication verbale ne peut se réduire à ces cinq seuls
éléments. Certaines choses peuvent venir perturber la communication. Le bruit
en est un parfait exemple. Si l’environnement sonore limite la clarté du message,
le message envoyé peut être mal reçu voir non entendu. Ce parasitage est décrit
par les cybernéticiens Shanon et Wiener, qui y incluent aussi la notion de codage.
Il va de soi que si nous communiquons dans un langage inconnu par le récepteur,
la communication ne sera pas efficace et demandera un surcroît d’effort pour
tenter de comprendre le contenu du message. Je dois donc adapter mon discours
à l’interlocuteur (AMANDOS & GUITTET, 2003). Pour illustrer ces propos, je vais
utiliser un vecteur contemporain : internet. Les informaticiens en charge des
réseaux parlent eux aussi de bruit sur les lignes. Ce bruit qui parasite la
transmission du signal et le ralenti entraîne ce qu’ils appellent des pertes de
paquets, ou si vous préférez des pertes d’information. Cela se traduit par une
lenteur des chargements de pages internet ou de manière plus imagée, une
importante perte de qualité d’image ou de son lorsque vous regardez la
télévision.
En résumé, une communication verbale efficace nécessite un environnement
propice pour faciliter la transmission du message en adaptant le contenu de celuici en fonction de l’interlocuteur, de mes propres limites, et du vecteur choisi sans
oublier la finalité : le message a-t-il eu l’effet escompté ?
3.2. L’enrobage des mots
Comme nous l’avons vu précédemment, les mots ont un impact direct sur notre
interlocuteur et la manière dont je vais moduler ma voix peut, à son tour,
augmenter, diminuer, nuancer la portée de mes propos de manière plus ou moins
21
consciente. Pour donner à nouveau une idée de la répartition de la
communication : 70% concerne le comportemental. Les 30 autres pourcents sont
répartis entre le sens strict des mots (10%) et les variations prosodiques (20%)
que nous allons voir maintenant (MARTIN, 2015, p. 36).
En effet si l’on prend comme exemple quelqu’un avec un haut timbre de voix, il
pourra être jugé comme quelqu’un de nerveux et de peu persuasif. Pour le peu
que cette personne manque en plus de confiance en elle, elle essayera d’avoir
un contenu plus affirmatif voir agressif mais sera certainement trahie par le ton
de sa voix.
Un autre exemple : une personne sûre d’elle se montrera plus affirmative dans
sa façon de parler que le contenu de son discours en lui-même.
Cette communication para verbale comporte aussi un paramètre important qu’est
le débit de parole. Imaginons, dans une situation d’urgence par exemple, que
sous l’effet du stress je me mette à parler si vite que les personnes qui
m’entourent ne parviennent pas à entendre toutes les informations envoyées…
Nous sommes d’accord pour dire qu’il y a peu de chance que cela se révèle
efficace et même, je ne laisserai pas de place au dialogue. L’inverse est tout à
fait vrai aussi pour signaler une urgence vitale. Si voulant bien faire je passe
l’alerte d’un ton calme, monocorde, sans appuyer les mots importants et avec un
débit de parole trop lent, il y a de fortes chances que le message n’aura le poids
voulu sur le récepteur.
Ces exemples ressortent d’une recherche menée en Californie (BOISVERT &
BEAUDRY,
2012, pp. 118-119) qui montre clairement
que,
souvent
inconsciemment, le timbre de notre voix en dit long sur notre personnalité ; notre
manière de parler, le ton que nous adoptons, et le débit de parole peuvent soit
aider à la communication en majorant le poids des mots ou lui nuire en trahissant
nos intentions, soit en diminuant ou augmentant à l’excès le message. On
pourrait dire que le para verbal est à la communication, ce que
l’accompagnement musical est à la chanson. Bien le choisir est indispensable à
la réussite.
22
3.3. Le monde du mime
Etant donné que le champ de la communication non verbale est d’une telle
ampleur, je ne vais pas être en mesure d’en aborder toutes les notions. En effet
l’analyse du comportemental est un vaste terrain d’investigation interdisciplinaire.
Cela va des neurosciences, à la psychologie, à l’anthropologie, la sociologie, et
bien d’autres disciplines encore. Vous comprendrez bien qu’il serait difficile de
tout traiter dans ce travail.
Je vais donc uniquement me concentrer sur le bloc opératoire et toutes ses
spécificités. Il est en effet difficilement comparable avec les autres milieux que je
qualifierais de « civils ».
Le premier point est la standardisation de la tenue au bloc opératoire. La
communication passe aussi par notre allure, notre façon de nous vêtir et de nous
tenir. Par exemple, l’hygiène impose une gestuelle calme et des postures strictes
à distance du champ opératoire. C’est donc là un premier pan de la
communication non verbale qui s’effondre.
Une autre chose qui se voit amputée de la communication par l’environnement
du bloc est l’expression du visage. Je pourrais faire un trait d’humour avec le titre
du livre de Marie Christine Pouchelle « le théâtre des opérations » en disant
qu’au bloc opératoire tout le monde porte un masque. Certes celui-ci est légitimé
par l’hygiène mais, contrairement au théâtre antique, les visages des
professionnels ne peuvent se montrer ni souriant, ni triste, ni tendu, ni en colère.
La troisième notion que le bloc opératoire bouleverse allègrement est celle des
distances et des territoires. Loin du concept de table ronde pour des raisons
purement pratiques, le bloc opératoire chamboule les rapports de proximités. Il
existe des « codes » dans la manière dont on se place pour communiquer. Cette
distance physique concorde avec la distance psychique que l’on marque avec
l’autre. Il peut sembler ambiguë, pour un regard extérieur, de voir une activité
professionnelle marquée d’une telle promiscuité physique. Il pourrait donc exister
ici un paradoxe qui pourrait être difficilement gérable par les professionnels de
santé travaillant au bloc opératoire. Certains pourraient se voir obligés d’être
sentimentalement proches de tous ses collaborateurs, car ces échanges proches
sont emprunts de riches émotions (AMANDOS & GUITTET, 2003) (BOISVERT
23
& BEAUDRY, 2012, pp. 122-124). Alors que pour d’autres, cette proximité
pourrait particulièrement gêner ou être perçue comme une agression, une
effraction de leurs périmètres de sécurités. Le fait d’être si proche peut aussi
amener à changer son discours pour sortir du strict registre professionnel et aller
piocher dans un lexique plus affectif (POUCHELLE, 2008, p. 49).
Le bloc opératoire ne présente pas que des obstacles à la communication non
verbale. Je dirais même qu’il favorise et exacerbe l’utilisation du regard et du
mime. Le regard reste bien la seul chose visible de notre visage et les
professionnels usent volontiers de ces échanges silencieux. Silencieux car le
bloc opératoire est un milieu où le calme est privilégié. La place au hochement
de tête, clin d’œil, gestes et autres signes paralinguistiques prennent donc une
grande part dans la communication au bloc opératoire. L’inconvénient est que
cette communication se voit drastiquement appauvrie et soumise à la totale
subjectivité des personnes communicantes (AMANDOS & GUITTET, 2003). Estce que connaître la personne que l’on a en face de soi peut réduire les risques
de mésententes ? Il parait cependant risqué de se fier à ce seul mode de
communication au sein du bloc opératoire.
L’un des autres avantages du bloc opératoire est la taille du groupe. Il se prête
parfaitement à la résolution de problèmes logiques ou tente de les aborder en
proposant plusieurs solutions différentes. Le nombre de participants doit être,
selon Hare (AMANDOS & GUITTET, 2003), compris entre 3 et 6 personnes (en
situation courante au bloc opératoire : un chirurgien, un médecin anesthésiste
réanimateur, deux infirmières de bloc opératoire, et un infirmier anesthésiste).
Avoir davantage de personnes en salle n’apporterait que davantage de
parasitage dans la communication.
Comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, nous avons une
tendance naturelle et inconsciente à négliger la communication non verbale et
les modes paralinguistiques. Or de nombreuses recherches montrent que le non
verbal véhicule des messages au moins aussi importants que le verbal
(BOISVERT & BEAUDRY, 2012, p. 128). In fine, aucune de ces voies ne doit être
privilégiée et une communication efficace se doit de prendre en compte ces trois
dimensions.
24
Pour étayer l’ensemble de ce cadre conceptuel, dans la seconde partie de ce
mémoire, je m’appuierai sur l’expérience des diverses catégories de personnel
du bloc opératoire. Avant cela je vous exposerai ma motivation à traiter ce thème
en lien avec ma pratique professionnelle et par quels moyens je suis parvenu à
le faire, avec les limites de ce travail et ce que m’a apporté le fait de réfléchir sur
l’interdisciplinarité et la communication.
25
Partie II
Méthode et outils d’enquête
1. L’origine du mémoire
J’ai décidé de faire un travail de recherche autour de la communication car dans
le milieu de la santé, les interactions entre les personnes, soignantes ou
soignées, sont fondamentales. Le constat que j’ai pu poser à la suite de ma
formation d’infirmier est que, bien que cette profession possède un grand pouvoir
relationnel avec les patients, la notion de travail en équipe n’y est pas toujours
mise en avant. Malgré tout, au fil de ma spécialisation, j’ai eu le plaisir de voir un
accent placé sur la collaboration entre les différentes corporations. Cela s’est fait
par une étroite mise en relation avec le corps médical ainsi que des travaux de
groupes avec la formation d’infirmier(e)s de bloc opératoire.
C’est donc, partant de là, que je vais vous parler de mes motivations à traiter de
la communication interdisciplinaire au bloc opératoire en commençant par une
brève introspection qui précédera une partie plus concrète centrée sur ma
récente et future pratique d’infirmier anesthésiste.
1.1.
Une connaissance de mes limites
C’est en toute modestie que je reconnais volontiers ne pas maîtriser la
communication dans toute sa complexité. Je dirais même que j’en suis très loin.
De nature timide et introverti, j’ai toujours eu jusqu’alors du mal à m’affirmer
autant sur le plan personnel que professionnel. C’est avec l’ancienneté, si courte
soit elle, que je suis parvenu à prendre de l’assurance mais parfois avec un effet
inattendu. Il m’est en effet arrivé d’avoir quelques heurts avec des collègues, ou
d’avoir à gérer une situation urgente et me rendre compte à postériori que mes
stratégies de communication (qui je dois dire, à l’époque, n’en étaient pas)
n’étaient pas adaptées. C’est suite à certaines situations que j’ai découvert et pris
conscience de l’ampleur de la complexité des rapports entre professionnels qui,
il me semble, est majorée par ce phénomène de huis clos au bloc opératoire.
Trouver sa place en tant que simple collègue, éviter de se sentir obliger de
s’investir dans des relations amicales sans pour autant rejeter en bloc toutes
affinités au sein d’une enceinte confinée qui impose une étroite collaboration, est
29
à mon sens, un art encore obscur. Il faut à la fois se montrer proche, inspirer
confiance et être ouvert aux autres, mais sans aller trop loin dans l’émotionnel,
qui
pourrait
compromettre
les
bonnes
relations
professionnelles.
Ce
positionnement, cette distance, nous n’y sommes pas tous sensibilisés ou pas
de la même manière.
1.2.
Des exemples concrets
Je vais maintenant vous parler de quelques exemples de situations où à mon
sens la communication en salle d’opération n’a pas été optimale. Bien sûr ces
exemples seront à mettre en confrontation face à ma faible expérience dans le
milieu de l’anesthésie car ces situations ont été rencontrées durant ma formation,
période à laquelle mon esprit était particulièrement concentré sur l’apprentissage
de ma nouvelle spécialité.
La première situation rencontrée était au décours d’une chirurgie digestive,
intervention d’emblée jugée potentiellement compliquée tant au niveau
chirurgical qu’anesthésie. L’induction, bien que houleuse, s’est passée sans
incident majeur tout comme le début du geste chirurgical. Ce n’est qu’après une
trentaine de minute d’intervention que le patient a commencé à présenter une
instabilité
hémodynamique
difficilement
contrôlable.
Les
autres
salles
d’opérations étaient aussi très occupées ce qui explique que seule une interne et
moi étions aux commandes de l’anesthésie. Comme je le disais quelques lignes
plus haut, mon inexpérience fait que toute mon attention se portait sur la gestion
de l’anesthésie. De fait ni l’interne ni moi n’avions remarqué la tension qui régnait
de l’autre côté du champ opératoire. Face à nos difficultés, nous avons décidé
d’appeler le sénior en charge de la salle, et c’est à son arrivée que le chirurgien
mentionne les complications qu’il rencontrait dans la réalisation de son geste à
savoir une plaie colique et une plaie de vessie.
Une seconde situation assez similaire m’est arrivée durant une dilatation étagée
de l’artère tibiale en chirurgie vasculaire. Tout s’est déroulé sans encombre sauf
qu’à la fin de l’intervention l’infirmière de bloc opératoire m’a informé de la pose
d’un stent en distalité de l’artère tibiale. Ce geste n’étant pas prévu, je n’avais
30
donc pas, administré d’antibioprophylaxie conformément au protocole, alors
qu’elle est nécessaire en cas de pose de stent.
Ces deux situations m’ont amené à me poser de nombreuses questions.
-
Ces défauts de communication m’étaient-il totalement imputables ?
-
Comment puis-je faire face à cet effet tunnel ? L’expérience seule peutelle le limiter ?
-
Comment puis-je recueillir des informations de la part de l’équipe
chirurgicale et existe un moment plus opportun pour le faire ?
-
Les chirurgiens et les médecins anesthésistes réanimateurs sont-ils
sensibilisés à la communication au bloc opératoire ?
-
Les chirurgiens sont-ils conscients des répercussions qu’ils peuvent
induire sur notre prise en charge anesthésique ?
-
Dans quelle mesure les difficultés de communication impactent sur le
travail en salle d’opération ?
-
Est-ce qu’il existe un outil ou un moyen pour développer et améliorer ces
compétences non techniques ?
Voilà donc qui ouvre le débat sur la communication interdisciplinaire au bloc
opératoire. On la devine complexe, délicate, à la hauteur de la technicité de ce
domaine.
2. Lecture et outils d’enquête
La réalisation de ce mémoire m’a demandé un investissement conséquent en
termes de lecture. J’ai en effet voulu ce mémoire, à l’instar du titre,
interdisciplinaire.
Pour apporter de la matière concrète à cette réflexion, j’ai choisi d’aller recueillir
directement les propos des différentes catégories professionnelles du bloc
opératoire.
31
2.1.
Les sources bibliographiques
Il m’a semblé pertinent d’ouvrir le champ de mes lectures pour appréhender au
mieux ce qu’est l’interdisciplinarité et la communication. Ce sont des domaines
tellement vastes que j’ai bien cru me noyer sous la somme d’informations
récoltées.
Il est donc normal de trouver dans ce mémoire des notions de philosophie,
d’informatique, de sociologie, de psychologie, d’anthropologie et même de
musique et de poésie qui trouvent leur place au côté de grands noms de
chercheurs du CNRS.
Par ce biais, j’ai voulu montrer que l’interdisciplinarité, tout comme la
communication, ne se conçoit qu’avec un esprit ouvert.
2.2.
Mon outil d’enquête
Dans ce type de recherche qualitative, les entretiens ouverts m’ont semblé le
moyen le plus approprié d’apporter des arguments concrets à ce thème. Il était
donc prévu que je réalise 2 entretiens auprès de chaque corps de métier du bloc
opératoire (infirmier(e)s de bloc, infirmier(e)s anesthésiste, chirurgien, médecin
anesthésiste) soit un total de 8 entretiens. Malheureusement, en raison de
difficulté de planning, il m’a manqué deux entretiens auprès du corps médical (un
médecin anesthésiste et un chirurgien).
Les entretiens ont donc été réalisés sur le CHRU de Besançon et retranscrits à
l’aide d’un support enregistré avec l’accord des professionnels de santé et sous
réserve d’une anonymisation de son contenu.
En guise de support, j’ai réalisé une grille d’entretien qui m’a permis de guider les
interviews (Annexe 1).
32
3. Les bornes de ce travail d’intérêt professionnel
3.1.
Ce qu’il m’a apporté
Ce mémoire, je l’espère me sera d’une grande aide. Il m’aura permis, en plus des
nombreuses connaissances théoriques et pratiques de la formation, de
développer la compétence non technique de communication. Cela me servira
tant au niveau personnel que dans ma future pratique professionnelle d’infirmier
anesthésiste. J’espère ainsi pouvoir diminuer mes tendances maladroites et
souvent trop directes dans ma façon d’appréhender les rapports humains.
De plus, même si ça n’a pas toujours simple, le fait d’avoir ouvert le champ de ce
travail m’a aussi permis d’élargir ma vision sur certaines situations que l’on peut
rencontrer. Je pourrais donc mieux prendre en compte les différentes facettes
des circonstances où la communication s’avérera difficile.
Je tiens à souligner le point essentiel pour clore cette partie : la richesse des
entretiens. Je ne remercierai certainement jamais assez toutes les personnes qui
ont eu la patience et la gentillesse d’être venu m’apporter autant d’éléments
nécessaires au développement de ce mémoire. J’y ai passé de très nombreuses
heures mais qui en valaient la peine.
3.2.
Les limites et biais de ce travail de recherche
Comme je le disais, ma principale contrainte s’est révélée être le temps. Cette
formation exigeante demande beaucoup d’investissement sur de nombreux
fronts et mettre sa vie personnelle entre parenthèses est passablement
compliqué voire impossible par moment. Je n’ai donc malheureusement pas
toujours réussi à m’investir comme je l’aurai voulu dans la réalisation de ce travail
que j’ai volontairement voulu ouvert. Peut-être trop. Cela peut malheureusement
donner une impression de survol de certains grands concepts.
La seconde limite, de taille elle aussi, est que je suis issu d’un cursus purement
scientifique. J’ai donc, pour m’ouvrir à l’ampleur interdisciplinaire de la
communication, fait un important travail de recherche bibliographique autour de
ce sujet. Je ne reviendrais pas sur les contraintes de temps mais je pense que
33
vous l’aurez deviné. Par là je tiens aussi à m’excuser du manque de légèreté
dans le style d’écriture.
La troisième limite rejoint quelque peu la précédente dans le sens où, même si
les entretiens se sont parfaitement bien déroulés, mon inexpérience manifeste
dans cet exercice difficile m’a sûrement fait passer à côté de certaines choses. Il
faut bien avouer que bien mener un entretien demande une énergie énorme et je
me suis vu contraint d’en réaliser quatre dans la même journée. A postériori je le
regrette : dès le deuxième il m’a fallu constater que mon attention montrait déjà
quelques fléchissements. Cette conduite d’entretien fait donc partie des biais de
ce travail de recherche. Le fait d’avoir des difficultés à recentrer le sujet, de ne
pas relancer au bon moment, fait que je suis certainement passé à côté de
certains éléments qui auraient pu être importants.
Le second biais résiderait dans le choix des personnes interviewées. J’avoue
avoir délibérément choisi certaines personnes que je savais compétentes dans
le domaine de la communication et de la collaboration. Ça a été le cas notamment
pour deux entretiens. Pour les autres, les volontaires ne manquaient pas, seul le
temps m’a manqué.
Comme ce travail est une recherche qualitative, je ne peux tirer de généralité sur
ce qui va suivre du fait de la taille réduite de l’échantillon. Ce que ce mémoire est
voué à apporter, ce sont des pistes de réflexions, de se faire une idée de ce en
quoi la communication interdisciplinaire a de délicate. Je ne peux vous inviter
qu’à, si la lecture de ce travail vous intéresse, à vous tourner vers les quelques
ouvrages de la bibliographie, qui bien que je m’en sois largement inspiré,
comportent encore bien des éléments que je n’ai volontairement pas développé.
Cela m’amène, pour finir, aux grandes notions qui auraient peut-être méritées
d’être traitées dans le cadre conceptuel comme le positionnement professionnel,
l’affirmation de soi (même si à la lecture on devine comment s’en approcher), et
la notion de leadership.
Je m’avance peut être mais j’espère que ce mémoire pourra servir d’appui à
d’autres travaux sur la collaboration au bloc opératoire comme par exemple la
communication en situation d’urgence.
34
PARTIE III
ANALYSE
&
DISCUSSION
Dans cette troisième partie, je vais m’employer à étayer les grands concepts de
communication en utilisant l’expérience et le ressenti des professionnels de santé
que j’ai eu en entretien. Il résulte de ces entrevues de grands thèmes communs
à chaque spécialité du bloc opératoire avec tout de même des nuances de points
de vues et de priorités, ainsi que de profondes différences de ce qu’est la
communication et de son ampleur.
Je vais donc pour commencer parler d’organisation et de sécurité, qui restent les
rails communs du bloc opératoire, en confrontant les quelques différences en
fonction des corps de métier. Je ferai ensuite un point sur l’équilibre délicat entre
professionnalisme, affinité, collaboration et hiérarchie. Et pour finir, je parlerai des
potentiels axes d’améliorations de la communication interdisciplinaire au bloc
opératoire.
1. Organisation et sécurité du patient
La culture de la sécurité est l’élément phare d’un bloc opératoire. Les évolutions
technologiques de ces dernières années font que l’origine des problèmes est
rarement liée au matériel. Cette évolution est souvent mise en parallèle avec
l’aviation civile. En effet de nombreux articles et études traitant de la sécurité au
bloc opératoire incitent à calquer les mesures de sécurité de l’aviation.
Pour donner une idée, 70 à 80% des accidents d’avions récents sont liés à des
problèmes de communication. Nous pouvons retrouver des chiffres similaires en
ce qui concerne les événements indésirables liés aux soins (EIAS) où 27% sont
liés au travail en équipe dont 70% ont pour origines des problèmes de
communication (Haute Autorité de Santé, 2015).
38
39
Répartition des causes d’événements indésirables
Une étude menée
au centre hospitalier
universitaire
Genève
de
concorde
avec les données de
l’HAS. On constate
que les problèmes
d’organisation,
de
communication
et
de
devancent
de
loin
les
autres
facteurs
d’erreurs
comportement
(CHASSOT
&
CLAVADETSCHER, 2010).
Ces chiffres sont assez éloquents et il est par conséquent légitime de tendre vers
une politique plus sécuritaire. Le médecin, le chirurgien, et les paramédicaux ont
été formels lors de mes entretiens. Tous s’accordent à dire que la communication
au bloc opératoire est un élément essentiel à la sécurité du patient.
Cette sécurité débute néanmoins en amont de l’intervention. Pour les infirmiers
de bloc opératoire, ils gagneraient à être davantage informés sur les modalités
de l’intervention. « Bien qu’il y ait ce programme opératoire, on n’a pas forcément
les informations du chirurgien […]. On se fatigue à courir après et c’est source
d’erreurs, de stress, de perte de temps. » (IBODE 2). On devine ici une volonté
de fluidifier le travail par une recherche d’information auprès des collègues. La
complexité de certaines interventions demanderait certainement un travail de
transmission en amont de la part de l’équipe chirurgicale pour que tout soit prêt
le moment venu. Cela permettrait une meilleure organisation de travail, éviterait
les incompréhensions. « La veille on regarde le programme […] et on prépare le
matériel ensemble. » (IBODE 1). Cela est vrai aussi pour les infirmiers
anesthésistes et les médecins anesthésistes réanimateurs : « Le matin tu ne
peux pas ouvrir ta salle comme tu veux parce que tu n’as pas les informations. »
(IADE 2). Etre au courant au préalable qu’un patient est à risque d’intubation
difficile par exemple, permet d’anticiper un maximum et ainsi de s’organiser pour
assurer une prise en charge dans les meilleures conditions.
40
Force est de constater qu’en amont de l’intervention, le corps médical est
fortement impliqué. L’anesthésiste interviewé parle « d’asynchronisme » et
« d’incompréhension » (MAR 1). La programmation semble être un sujet
particulièrement sensible. « On a des programmes réglés qui sont assez lourd,
et il est parfois difficile d’intercaler une urgence avec l’anesthésiste » (Chir 1). Ce
problème tend à ressortir de manière assez récurrente dans les entretiens. C’est
visiblement une source de conflit majeur au sein du bloc opératoire qui amène
parfois les professionnels à adopter des formes de communication inadaptés, à
avoir une violence verbale (IBODE 2 et IADE 1 - 2), des comportements déviants,
proche du puérile dans certain cas (IADE 1).
On voit donc que les problèmes que l’on peut rencontrer en salle d’opération
trouvent parfois leurs origines bien plus tôt. La communication rencontre
malheureusement encore bien d’autres difficultés. L’une d’elle est d’ordre
géographique et démographique. Comme le dit l’IBODE 1, la multiplicité des sites
d’accueils de patient et des intervenants qui gravitent autour de celui-ci posent
souvent problème. Les pertes d’informations sont donc majorées. Ce ressenti
peut être modulé par la séparation en îlot qui permet de réduire le nombre
d’intervenants comme l’évoque l’IBODE 2 « Cette division en îlot aide à la
cohésion de groupe ». En revanche le
Diagramme de Reason
médecin anesthésiste m’a présenté un
point de vue intéressant dans le travail
d’équipe
et
la
prise
en
charge
pluridisciplinaire. « Je trouve que le
croisé de point de vue augmente la
qualité de prise en charge. […] Le
fameux gruyère. ». « Etre à 2 voire 3
personnes qui s’occupent d’un dossier
[…] impose un niveau de finalisation,
un niveau de décision qu’on aurait peut-être pas eu seul dans notre réflexion ».
C’est le modèle de Reason. Cette démarche de sécurité se retrouve aussi dans
l’entretien du chirurgien « Un geste qui peut paraître bénin peut rapidement mal
tourner », « Toujours prévenir l’anesthésiste » même pour un geste qui n’a
pourtant pas besoin d’anesthésie permet de rajouter une sécurité. (Chir 1).
41
Cela pourrait paraître une évidence mais pourtant c’est de là qu’est née la checklist. Et si cette dernière est devenue obligatoire c’est que ce verrouillage était loin
d’être acquis. Unanimement, la check-list apporte une réelle plus-value à la
sécurité du patient et amorce la communication, permet de formaliser les choses,
accorde ce temps de collaboration interdisciplinaire qui faisait défaut. Cependant,
tous s'accordent à dire que la réalisation est à parfaire et que l'implication des
personnes concernées, en particulier le corps médical, pourrait être améliorée.
On retrouve le même manque d’implication des médecins dans la réalisation de
la check-list que dans les résultats de la haute autorité de santé en 2009 lors du
lancement de cet outil. Il semblerait que les professions paramédicales s’y sont
pleinement investies. La check-list, pour qu’elle s’établisse au mieux, doit
bénéficier d’un appui légitimé par la hiérarchie, l’idéal étant un leadership
médical. Un(e) infirmier(e) au bloc opératoire ne peut se soustraire à cette
hiérarchie fonctionnelle d’autant plus que la responsabilité finale de la check-list
incombe au corps médical.
Lors du déroulement des temps spécifiques de chaque discipline, induction pour
l’anesthésie et temps opératoire pour la chirurgie, la communication semble se
faire de manière homogène. Les protagonistes communiqueraient volontiers
ensemble, partageraient les informations essentielles et signaleraient les
éventuelles changements ou imprévus de la prise en charge. Il faut cependant
souligner qu’en cas de problèmes, le personnel peut rapidement tomber dans un
excès de focalisation sur ses propres tâches à accomplir, occultant de ce fait tout
ce que qui se passe autour de lui. C’est ce qui est appelé dans la littérature, l’effet
tunnel. C’est un phénomène totalement inconscient et pourtant d’une dangerosité
incontestable. C’est ce que le médecin anesthésiste décrit dans son expérience
de simulation « Je me suis trouvé à la tête et je trouvais que j’étais bien », « Je
n’étais plus dans le présent », « j’étais resté sur une réanimation SMUR »,
« j’étais parti dans mon truc […] j’ai complètement zappé cette information. »
(MAR 1).
Une chose m’a interpellée durant l’analyse de mes entretiens, c’est que seul le
chirurgien et un infirmier de bloc opératoire ont évoqué le problème des heures
de remplacement comme source d’erreur. Il n’est pourtant pas rare que durant
les transmissions pour une relève de collègue, des informations se perdent. « Le
42
premier anesthésiste a passé le relais à son collègue de nuit […] et n’a pas
intégré la réelle mesure de la douleur de la dame » ; « C’est souvent à des
horaires de relève ou de changements d’équipe, un samedi à midi et demi,
personne n’est venu avant au moins dix minutes. » (Chir 1). « Le moment des
repas, ce n’est pas le même infirmier qui a accueilli le patient qui fait la relève à
l’infirmier de bloc et ne va pas en parler à l’IADE et inversement […] des fois on
entend des choses supplémentaires qui n’étaient pas notées dans le dossier. »
(IBODE 1). Le taux de perte d’informations lors des transmissions est de l’ordre
de 40% (CHASSOT & CLAVADETSCHER, 2010).
Derrière ce problème de transmission pourrait se cacher un phénomène
d’habitude, de routine, et que par conséquent, on ne va pas chercher plus loin
dans la passation d’informations. Il y a pourtant bien lieu de « se méfier de ce
que l’on croit être tacite. Il faut bien affirmer les choses » (MAR 1) comme le dit
l’anesthésiste.
« L’interprétation est mortelle » (IADE 1) et il ne faut donc pas lui céder de place.
C’est aussi une chose particulièrement dangereuse et pourtant souvent retrouver
dans des analyses de situations. L’anesthésiste évoque une situation d’urgence
avec l’injection d’une seringue non étiquetée qui, selon lui, ne pouvait contenir
que le produit dont il pensait (MAR 1). Parce que finalement la communication
au bloc opératoire passe aussi par l’identification claire des produits et aussi la
lisibilité des dossiers. Ces derniers, bien qu’informatisés, présentent encore un
bon nombre d’informations réduites à de simples acronymes non standardisés,
propres à chaque médecin, et donc incompréhensible des autres acteurs du bloc
opératoire (IBODE 1), (IADE 1). La gestion des dossiers occupe donc une part
importante dans la communication entre les équipes. J’y reviendrai dans les axes
d’améliorations.
Il existe un facteur qui semblerait être méconnu des personnes avec qui je me
suis entretenu. Les habitudes et le fait de connaître la personne avec qui on
travaille. Seul un infirmier anesthésiste a évoqué ce phénomène où les habitudes
peuvent être source de confusion ou d’erreur liée au fait que l’on est certain que
notre collègue, parce qu’il le fait toujours en temps normal, le fera forcément
chaque fois. « On peut parfois trop s’en remettre à son collègue. On pense qu’il
a déjà fait quelque chose alors qu’en réalité non. » (IADE 1). C’est l’impression
43
partagée avec l’IBODE 2 que le médecin « voudrait qu’on soit dans sa tête ». Je
comprends que cela peut être d’un « grand confort » comme le dit l’IADE 1 où
« chacun sait ce qu’il a à faire […] on va à l’essentiel. ». Ce mode de
communication semble en effet justifié par sa limitation du parasitage de
l’information (IADE 2), « Etre simple dans l’expression de nos demandes. Ne pas
demander n’importe quoi, dans n’importe quel ordre, dans une excitabilité
permanente. » (MAR 1), « Aller à l’essentiel, ça permet aussi de ne pas
embrouiller tout le monde par un surplus d’informations » (IADE 1).
Il est évident que de travailler toujours avec les mêmes personnes apporte un
certain confort et une cohésion de groupe importante. Cependant il faut trouver
un juste milieu entre professionnalisme et affinité entre collègues dans le respect
de l’Humain et de la hiérarchie.
2. Le positionnement professionnel : un équilibre délicat
Voilà un sujet des plus sensibles. Le positionnement professionnel est un concept
dont j'ai très souvent entendu parler durant ma formation d’infirmier, et encore
plus durant ma spécialisation d’infirmier anesthésiste, sans prendre la réelle
mesure de sa complexité. On peut se demander à juste titre quel est le lien avec
la communication. Celle-ci est en réalité étroitement liée au positionnement. Se
faire respecter en tant que collègue est, à mon sens, quelque chose de
particulièrement complexe. De solides connaissances et compétences, qui
permettent d’amener un climat de confiance, sont exigées.
Si celles-ci ne relèvent pas directement du champ de la communication, ma
manière de les exposer, le vocabulaire utilisé pour le faire, ma faculté à dialoguer
et à me remettre en question, la propension au calme ou à l'inverse, les
tendances agressives, sont en revanche en plein cœur du sujet.
Lors des entretiens, tous les infirmier(e)s s’accordent à dire qu’une période de
« mise à l’épreuve » est inéluctable lorsqu’un jeune diplômé arrive au bloc
opératoire. « J’ai pu vivre des périodes délicates au début parce qu’il faut faire
ses preuves » (IADE 2), « Il y a forcément une période de flottement au début »
44
(IBODE 2). Cette période existe aussi au sein de la discipline chirurgicale :
« Parfois, pour nous les plus jeunes, […] voir nos indications chirurgicales remise
en question par nos pairs ou par les anesthésistes, c’est parfois difficile » (Chir1).
Est-ce lié à d’anciens dogmes mandarinaux ? Il semblerait que les nouvelles
générations soient plus ouvertes au dialogue comme le jeune neurochirurgien
que j’ai eu en entretien qui use volontiers de « débriefing » et autres
« informations systématiques ». « Je ne connais pas, dans les nouvelles
générations,
de gens monstrueusement
détestables ou
enclins
à la
manipulation » (IADE 2).
Il persiste malgré tout un poids hiérarchique important au bloc opératoire avec
des personnes qui sont en permanence dans le « rapport de supériorité » voire
dans « l’écrasement de l’autre » (IADE 2), mais ce genre de mentalité tendrait à
disparaître. Le positionnement professionnel consisterait d’ailleurs, dans ces cas
particuliers, à user de stratégies de communication spécifiques basées sur la
psychologie de gestion des personnalités difficiles comme le décrit l’ouvrage
intitulé « Comment gérer les personnalités difficiles » (LELORD & ANDRE, 2000)
écrit par les psychiatre et psychothérapeute, auteurs notamment du fameux livre
« L’estime de soi ». En complémentarité, il paraît incontournable de se
rapprocher des mouvements de programmations neurolinguistiques qui donnent
d’excellentes pistes pour déceler le type de personnalité qui se trouve en face de
nous et permet de mieux appréhender les situations de communications difficiles
et la gestion des conflits. La programmation neurolinguistique (PNL) et son
dérivé, le Process Communication Management (PCM) s’avèrent être
d’excellents outils dans le positionnement professionnel car ils permettent
d’établir des stratégies adaptatives simples en fonction des personnalités
auxquelles nous sommes confrontés (DUSOLLIER, 2006), (SEIDL, 2010),
(BANDLER & GRINDER, 2005).
Malheureusement, le monde de la santé n’est sensibilisé qu’à la communication
avec le patient. Serait-ce là une lacune à combler ? C’est sans doute ce manque
qui a poussé les deux IADE à suivre une formation à la communication. Il y a
donc une véritable motivation personnelle à améliorer le travail en collaboration.
En effet, l’infirmier(e) occupe une place centrale. C’est ce qu’explique
implicitement l’IBODE 2 où il se voit collaborer avec l’équipe aide-soignante,
45
l’équipe d’anesthésie et l’équipe chirurgicale. Il est n’est donc pas illogique que
les paramédicaux s’investissent particulièrement dans la communication,
d’autant plus que « le relationnel est notre cœur de métier » (IADE 2).
Le bon positionnement professionnel doit se faire de manière naturelle. Il ne sert
à rien de forcer les choses par de « l’agressivité » ou de « l’excès de zèle » (IADE
2). Montrer de l’intérêt peut souvent être l’amorce de l’enrichissement d’une
relation. L’IADE 2 donne un exemple assez marquant où le chirurgien lui a dit
« Ah, un IADE qui s’intéresse à la chirurgie !» parce qu’il a remarqué la tête de
l’infirmier observant l’intervention par-dessus le champ opératoire. Il est facile
d’oublier qu’il y a quelqu’un derrière cette démarcation. Il suffit de quelques
signaux attentionnés, verbaux ou non verbaux, pour rappeler ma présence et
ainsi me montrer acteur, collaborateur de la relation et que je ne suis pas un
spectateur passif. Il ne coûte rien de demander si tout se passe bien, de
demander où en est le déroulement de l’intervention (IADE 2). Cela amène
souvent l’interlocuteur à verbaliser les choses, à vous prendre en considération
et par la suite, en cas de problème, vous fera part plus facilement de ses
difficultés et sans forcément avoir besoin de le demander (IADE 1 et 2). Le
positionnement passe donc par une communication et un intérêt sincère envers
son interlocuteur.
L’un des pièges du bloc opératoire est cette promiscuité que j’ai déjà décrite dans
le cadre conceptuel. Elle peut être à l’origine d’ambiguïtés au sein des relations
professionnelles. Il est légitime d’avoir des affinités avec certains collègues,
seulement comme le constate Marie-Christine Pouchelle dans son essai
anthropologique sur le bloc opératoire, il existe un bon nombre de propos qui ne
relèvent pas du registre professionnel. Ce problème dépend de plusieurs
facteurs. Le premier est une prise de position parent / enfant. Ce genre de relation
est, au sens strictement professionnel, inappropriée. Elle amène à rabaisser
systématiquement son interlocuteur en piochant volontiers dans un registre
inadapté au monde du travail. Cela va de la condescendance aux propos
volontairement blessants voire insultants, en passant par tout un registre affectif
et infantilisant, parfois sans justification particulière. « On est souvent amené à
se prendre les humeurs des chirurgiens de plein fouet » (IBODE 2). Le
neurochirurgien reconnaît même le « sale caractère » de ses confrères (Chir 1).
46
Le second facteur, pour reprendre les propos de l’IADE 2, est qu’à force d’être
confronter à l’urgence, au stress, à la fatigue, et au fait de ne pas avoir de suivi
dans le devenir des patients, le personnel se forge une carapace et en oublie
parfois les raisons pour lesquelles ils sont en salle. « Parler du week-end en salle
alors qu’on est en train d’endormir le patient, ce n’est pas de la communication »
(IADE 2). En somme, « il ne faut pas sur tout, n’importe quoi, et n’importe quand.
Il faut des thèmes et des méthodes » (MAR 1).
Le positionnement professionnel n’est donc pas une posture docile où l’on se
sentirait obligé de dire oui à tout. Le positionnement passe aussi par des refus
qui se doivent d’être présentés calmement et avec des arguments solides afin de
se montrer crédible. Le positionnement n’est pas de laisser libre court aux
comportements déviants. Il faut savoir parfois recadrer, rappeler et recentrer les
objectifs de l’équipe, savoir signaler le cas échéant.
Je vais donc maintenant pouvoir vous parler maintenant des moyens
d’amélioration de la communication entre les équipes du bloc opératoire.
3. Les axes d’amélioration potentiels
Cette partie du mémoire ne présente que des idées, des pistes éventuelles pour
des travaux futurs qui viendraient compléter et préciser des thèmes précis de ce
mémoire.
Le premier axe est un travail individuel. Les retranscriptions des entretiens des
deux IADE en est un exemple. Avant de prétendre savoir bien communiquer, il
est nécessaire de se connaître soi-même, de connaître ses qualités et ses
défauts, de connaître ses limites. Ce n’est qu’au prix de cette introspection qu’il
me sera possible de m’ouvrir plus facilement aux autres tout en me protégeant.
Cela m’aidera dans mon positionnement face à mon interlocuteur, d’avoir plus
d’assurance, de crédibilité, d’inspirer confiance et de me faire respecter. Se
connaître permet aussi de voir son interlocuteur de manière plus globale ; c’est
un être humain avec ses forces, ses faiblesses, son caractère, et je suis ainsi
plus en mesure de m’adapter à lui et vice-versa. Une communication efficace
47
n’est jamais à sens unique. Même en écoute, le récepteur influe sur l’émetteur.
Je me dois de connaître chaque aspect de la communication et ne doit en
négliger aucun.
Le second axe concerne la formation initiale à la communication en équipe.
Comme je le disais précédemment, les tendances actuelles d’apprentissage
visent de plus en plus la transversalité. Je pense que c’est une bonne chose dans
le sens où connaître les paradigmes des autres professions que je côtoie au
quotidien m’aide à mieux communiquer avec elles. C’est un point qui est soulevé
par les quatre infirmiers lors des entretiens : « avoir un vocabulaire commun »
pour que tout le monde se comprenne. Le nouveau référentiel IADE apporte
maintenant des travaux de groupes avec l’école d’infirmier(e)s de bloc opératoire
ou encore des interventions autour du management ou de la gestion des conflits.
Ce sont des expériences enrichissantes qui aideront certainement à faciliter la
communication et aplanir les quelques rivalités qui subsistent parfois encore
entre ces deux spécialisations. Dans cet apprentissage, il faut y inclure les bases
de la communication et être conscient que le moindre geste, la moindre parole
peuvent être mal interprétés voire pas entendus. A partir de là, il devient évident
que je dois faire un effort sur la formulation de mon message aussi bien dans le
contenu que dans la forme, que je choisisse le moment où mon interlocuteur sera
assez réceptif, et que je m’assure qu’il ait bien compris l’information transmise.
Par extension, le vocabulaire commun concerne aussi les informations écrites.
L’informatique a apporté une lisibilité indéniable des dossiers médicaux. Il ne faut
cependant
pas
oublier,
lorsque
l’utilisation
du
papier
manuscrit
est
incontournable, que ce que l’on écrit est fait pour être lu par quelqu’un. L’IADE 1
parle même de « parchemin ». Un effort doit être fait sur la lisibilité des écritures.
Par analogie, un système d’étiquetage des seringues a été vivement
recommandé par les sociétés savantes d’anesthésie. Il consiste en une étiquette
lisible avec un code couleur qui permet avant même de lire l’intitulé de savoir de
quelle famille de produit il s’agit, comme le rappelle le médecin anesthésiste en
fin d’entretien. C’est une déconvenue qu’encore aujourd’hui, dans certains
dossiers médicaux, même informatisés, de voir des acronymes inconnus de tous
sauf pour celui l’ayant inscrit. Une anecdote de l’IADE 1 parle d’une de ces
abréviations « DT2 ». Il s’agissait en fait d’un diabète de type 2, alors que
48
l’abréviation officielle est DNID pour diabète non insulinodépendant. De même
l’IBODE 2 parle d’un antécédent « CV » : même la patiente ne savait pas dire ce
que ça pouvait être. Parler un langage commun est vraiment un élément clef de
la communication interdisciplinaire.
Le troisième axe est une volonté d’équipe. Bien sûr, même si seul je peux
parvenir à un certain degré de résultat de par mon positionnement, il est
nécessaire que l’ensemble de l’équipe partage cette même volonté de
communication. Cet élan peut être insufflé par le chef de service, le cadre ou
encore faire l’objet d’un projet de service. C’est le cas au centre hospitalier
universitaire de Besançon avec un projet de démocratisation de la
communication thérapeutique chez les professionnels et à terme, faire de
l’hypnose au bloc opératoire. Il serait de bon augure de plébisciter un peu plus
les formations aux compétences non techniques et de les étendre au corps
médical.
Le quatrième axe est un développement de la culture de déclaration des
événements indésirables. Il ne faut pas hésiter à faire des débriefings avec les
personnes concernées après une situation délicate et d’en faire une déclaration.
Reprendre les choses « à froid » permet de retrouver une objectivité nécessaire
à la résolution de situation complexe. IADE, anesthésiste et chirurgien, dans mes
entretiens, semblent être très enclins à ces pratiques. C’est encore une
adaptation d’un système largement répandu dans l’aviation civile avec les Crew
Resource Management (CRM) (CHASSOT & CLAVADETSCHER, 2010, p. 21).
Elles ont pour objectifs d’analyser en profondeur un incident afin de mettre en
évidence la ou les causes et d’y remédier pour que cet événement ne se
reproduise plus. C’est une culture d’analyse d’erreur non punitive car le but n’est
pas de trouver et d’incriminer le responsable. C’est d’autant plus vrai que l’on
sait, par le modèle de Reason, qu’un incident naît d’une accumulation d’erreur,
ce qu’ont évoqué l’anesthésiste et l’IBODE 1 lors de leurs entretiens. Dans cette
démocratisation des événements indésirables, il est nécessaire d’y faire figurer
les comportements déviants qui peuvent avoir lieu au bloc opératoire. Certaines
personnalités sont connues pour leurs agissements ou langages peu
professionnel et malgré cela les équipes, par crainte, n’osent déclarer ces
déviances.
49
Le cinquième axe est un recentrement sur l’objectif basal des professions de
santé : le patient. Si l’ensemble de l’équipe se rejoint autour de ce même sujet,
la communication et la collaboration ne pourra que mieux se faire. Comme le dit
l’IADE 2, « Si chacun est dans la bienveillance autour du patient, tout se passe
bien ». On évitera ainsi les débordements de discussion en présence du patient
une fois celui-ci en salle, chacun s’en préoccupera d’avantage et passera avant
tout à sa sécurité avant tout. Et il suffit d’un rien pour recentrer l’équipe sur le
patient. Il est possible d’en faire l’expérience quotidiennement au bloc opératoire
au moment de l’induction. « Si tu t’intéresses au patient, sincèrement,
complètement, que tu lui parles, les gens autour vont écouter cette conversation
et ne seront plus centrés sur eux-mêmes mais sur le patient […] même le
médecin anesthésiste constatera que j’ai la place privilégiée dans la relation et
me laissera continuer dans ma communication » (IADE 2).
Le sixième point, non des moindres, concerne la programmation opératoire. Il est
évident, suite à l’analyse des entretiens que celle-ci est une source importante
de conflit (IADE 1 & 2, MAR 1, Chir 1). Le manque de communication autour de
la planification des interventions génère souvent des incompréhensions au sein
des équipes. De plus, ne pas connaître les détails d’une intervention ne permet
pas d’anticiper la préparation de la salle et en découle donc une perte de temps
et parfois une prise de risque par un manque de matériel. Ce surcroît de stress
dégrade fortement la qualité de la communication par des stratégies inadaptées
basées sur des postures défensives et agressives. L’ajout d’impondérables dans
le programme opératoire est aussi un facteur mettant en évidence les carences
de communication.
Pour finir le septième et dernier axe est le développement des centres de
simulations. Je termine par ce sujet car il reprend l’ensemble des points sus cités
tant l’expérience est riche. Tous les entretiens unanimes, même si leur première
expérience en simulation n’a pas toujours été très heureuse, l’ensemble des
professionnels interrogés ont apprécié la somme d’éléments que révèlent ces
mises en situation. Comme le dit l’anesthésiste « Etre confronté à son propre mal
être est forcément interpellant », propos corroborés par le neurochirurgien qui
s’est rendu compte qu’il ne savait plus ni intuber ni gérer un défibrillateur. La
simulation présente énormément d’avantages. Elle permet, en plus d’évaluer les
50
compétences techniques, de mettre en relation des personnes et de les voir
évoluer dans une situation complexe, d’observer leurs interactions. C’est un outil
extrêmement intéressant qui permet d’étudier le comportement de chacun. On y
retrouve celui qui va prendre la tête des opérations et de la manière dont il le fait,
comment il répartit les tâches et priorise les actions en fonction des personnes
dont il dispose. On y observe aussi ceux que l’on pourrait qualifier d’exécutants
mais qui peuvent avoir aussi un avis pertinent sur la situation. Il est intéressant
de constater que souvent, une fois qu’une personne a pris les commandes, de
voir les autres acteurs complètement inhibés et n’osant pas ajouter d’éléments
supplémentaires en cas de leadership trop autoritaire et directif. L’inverse peut
être vrai aussi où, dans un groupe, personne n’a l’aplomb nécessaire à la
direction des opérations, tout le monde prend la parole ou agit dans son coin
sans se préoccuper de l’autre et cela abouti à une prise en charge totalement
anarchique. Le médecin anesthésiste décrit bien le phénomène de l’effet tunnel.
Il s’est retrouvé à ventiler le patient tout en dirigeant les autres et il ne s’est pas
rendu compte par conséquent de l’inefficacité, révélée par la capnographie, du
massage cardiaque et de sa ventilation. On voit donc bien ici l’importance du
positionnement, de connaître les compétences de chacun, de la nécessité de
prendre du recul, de faire passer des messages clairs, et d’attendre la
confirmation que le message est bien passé et exécuté. Je ne vais pas m’étendre
davantage sur la simulation car cela pourrait faire l’objet d’un mémoire complet
mais, dans l’avenir, cet outil d’entraînement devrait prendre une part
considérable dans l’apprentissage et la remise à niveau des professionnels tant
pour les compétences techniques que non techniques.
Je crains que ce mémoire n’apporte d’avantage de questions que de solutions,
mais je suis persuadé qu’il pourra donner suite à d’autres travaux de recherches
plus ciblés comme la communication en situation d’urgence, la simulation, ou
encore la gestion des conflits qui, pour ce dernier, serait plus un travail
d’encadrement.
51
Conclusion
La communication est un art délicat en soi, et mettre en collaboration des
professions aussi différentes mais pourtant totalement complémentaires est un
défi difficile à relever. Les défauts de communication sont la première cause de
friction et l’élément le plus récurent dans les incidents qui surviennent en salle
d’opération. Un message inaudible, un moment mal choisi, un contenu mal défini,
inutile ou une formulation incohérente, des omissions lors des transmissions
majorées par les intermédiaires, le stress, les vociférations en sont des
exemples.
Il suffit de regarder les chiffres éloquents des diverses recherches touchant aux
erreurs de communication pour se rendre compte qu’il s’agit d’un domaine où les
équipes des blocs opératoire ont beaucoup à progresser afin d’améliorer la
sécurité des patients.
La communication doit être améliorée dès la programmation des interventions.
Chaque spécialité doit pouvoir bénéficier de l’ensemble des informations afin de
se préparer au mieux à l’accueil du patient et ainsi de pour se consacrer à
l’anticipation des éventuels aléas tout au long de la prise charge.
Les outils existants, tel que la check-list, mériteraient eux aussi davantage
d’investissement de la part des professionnels.
Chacun doit se montrer acteur de cette collaboration interdisciplinaire. Une
communication efficace ne peut être à sens unique. Il faut être conscient de ces
différents biais afin d’affiner, d’adapter notre message et notre formulation en
fonction de notre environnement et de notre interlocuteur.
In fine, la communication interdisciplinaire au bloc opératoire est une
communication de professionnel à professionnel. Elle doit être claire, fiable,
adaptée aux circonstances, loyale, avec pour seule motivation la sécurité du
patient. Elle requiert des personnes communicantes avec une grande
connaissance de soi et de leurs champs de compétences ainsi que des
paradigmes des collaborateurs pour s’assurer que chacun se comprenne.
53
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58
Annexes
ANNEXE 1 – Grille d’entretien
LES SUJETS A ABORDER
Présentation projet de mémoire
La communication au bloc opératoire
-
Comment se déroule-t-elle.
Avec quels professionnels estelle prédominante.
Fréquence et qualité des
échanges.
Les thèmes et circonstances des
défauts de communication.
-
-
-
Les freins à la communication
Les axes d’amélioration ou d’effort
COMMENT LES AMENER / RELANCES
En quelques mots se présenter et définir le projet
de mémoire, cadré la durée de l’entretien,
autorisation
d’enregistrement,
et
son
anonymisation
Demander à la personne de se présenter
Durant une intervention chirurgicale, vous êtesvous déjà senti mal à l'aise ou inconfortable en
raison d'un problème de communication?
Homogénéité entre les différents acteurs ?
Situation avec communication s’est révélée
insuffisante ou inefficace ?
IBODE ↔ CHIR / IADE ↔ MAR / anesthésie ↔
chirurgie ?
Pourquoi ? A cause de cause quoi ?
Avez conscience des parasites de communication
o Excès de focalisation
o Bruit et ambiance général
o Les
différentes
formes
de
communications
o Les liens et affinités entre collègue ou
non
Connaissances des paradigmes de chaque
protagoniste du bloc opératoire ?
Si situation(s) rencontrée(s) : avez-vous mis en
place des actions de votre côté ou avec l’équipe ?
62
Centre Hospitalier Régional Universitaire de Besançon
I.F.P.S. – Formation infirmier anesthésiste
44, chemin du sanatorium 25030 Besançon cedex
La communication interdisciplinaire au bloc opératoire
Antoine AUDEBERT
Promotion 2013 - 2015
Résumé : La communication est d’une complexité rare. Les analyses récentes
détectent que de nombreux incidents au bloc opératoire ont pour origine un
défaut de communication entre les différentes spécialités. La communication
interdisciplinaire se révèle donc comme un défi des plus difficiles à relever pour
les acteurs du bloc opératoire.
En ces temps de gestions des risques, la communication représente l’un des
principaux axes de progression dans l’amélioration de la sécurité des patients au
bloc opératoire où chaque professionnel à son rôle à jouer.
Mots clefs : communication, interdisciplinarité, gestion des risques, incidents,
gestion des conflits, check-list, évènements indésirables, sécurité, simulation.
Abstract : Communication is an extraordinarily complex system. Recent studies
indicate that communication failures between the various medical specialties are
a leading factor in adverse events in the operating room. Therefore, one of the
key challenges for the users of the operating room is the interdisciplinary
communication.
As part as risk management strategies, communication is one of the main route
of improvement for the patient safety in the operating theatre where each
healthcare professionals have a role to play.
Keywords :
communication,
interdisciplinarity,
adverse
events,
risk
management, safety, conflict management, checklist, simulation.
Antoine
AUDEBERT
Signature numérique de Antoine
AUDEBERT
DN : cn=Antoine AUDEBERT, o, ou,
[email protected],
c=FR
Date : 2015.08.15 18:02:11 +02'00'
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