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Le fonctionnalisme
Certains auteurs ont affirmé, parfois en s’inspirant des remarques de Wittgenstein
(1953) sur la signification comme usage dans un jeu de langage, que les concepts mentaux
pouvaient être définis en termes causaux, c’est-à-dire par les causes et les effets typiques des
phénomènes mentaux qu’ils décrivent (Lewis 1966). La douleur, par exemple, est une
expérience typiquement causée par des stimulis nocifs associés à un dommage corporel, et
elle cause typiquement un jugement du type « J’ai mal » et des comportements
caractéristiques comme retirer sa main du feu, gémir, se soigner. Certains philosophes (cf.
Braddon-Mitchell et Jackson 1966) considèrent que les définitions causales des concepts
mentaux peuvent être tirées a priori de la psychologie populaire, c’est-à-dire l’ensemble des
principes du sens commun que nous mobilisons pour donner un sens au comportement
d’autrui. De telles définitions impliquent une forme de holisme relatif à l’attribution des états
mentaux : l’attribution d’un état mental à un organisme suppose l’attribution au moins
implicite de beaucoup d’autres états mentaux causalement et fonctionnellement liés au
premier.
On appelle
fonctionnalisme la thèse selon laquelle les phénomènes mentaux sont
constitués par leur position relationnelle dans un réseau de relations causales entre des entrées
sensorielles, d’autres états mentaux et des sorties motrices. Le fonctionnalisme est souvent
associé à une théorie de l’identité-occurrence. Chaque occurrence d’état mental est identique à
une occurrence d’état physique (cérébral), mais un type d’état mental est identifié à une
propriété d’ordre supérieur : le rôle causal (ou fonctionnel) que jouent les occurrences de cet
état dans l’économie mentale du sujet. Un rôle causal déterminé peut être réalisé dans des cas
particuliers par des occurrences qui relèvent de types physiques divers ; l’objection du
chauvinisme est ainsi levée. Le fonctionnalisme est même compatible avec le dualisme des
substances, à condition que l’on puisse donner un sens à l’idée d’un état de la res cogitans qui
joue un rôle causal déterminé. Aux yeux du physicaliste, la force du fonctionnalisme réside
précisément dans le fait que les rôles fonctionnels n’ont pas besoin d’être remplis par les états
d’une substance immatérielle ; ils peuvent être occupés par des états physiques. Le
fonctionnalisme physicaliste identifie les types mentaux non pas directement à des types
physiques de premier ordre, mais à des types fonctionnels, intermédiaires entre le niveau
intentionnel proprement dit (auquel se place la psychologie populaire) et celui de la réalisation
physique des occurrences mentales.