Les relativités

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Les relativités
par M. Raymond BARO, membre associé libre
La théorie de la relativité d'Albert Einstein comporte deux parties
distinctes :
La relativité restreinte, conçue en 1905 et la relativité générale créée
en 1915 qui est une théorie de la gravitation remplaçant celle proposée par
Newton.
La relativité restreinte s'est imposée comme un nouveau cadre pour
décrire de façon cohérente les phénomènes physiques lorsque ceux-ci mettent en jeu des vitesses de translation proches de celle de la lumière.
Rappelons que la mécanique classique admet l'existence de repères dits
absolus ou relatifs. Les repères absolus sont définis par des axes dirigés
vers des étoiles fixes et sont dits de Newton. Les repères relatifs, appelés
de Galilée se déplacent par rapport aux repères absolus dans des mouvements de translation uniformes. Les vitesses par rapport à ces axes de
Galilée s'ajoutent algébriquement pour donner la vitesse absolue par rapport aux axes de Newton. La relativité restreinte remet en cause cette loi
classique dans le cas où les vitesses se rapprochent de celle de la lumière.
Les conséquences prévues par cette théorie ont été maintes fois démontrées, mais sont néanmoins sujettes à de nombreux malentendus.
Le but de cet exposé est de présenter sans mathématiques en quoi
cette théorie peut intervenir dans notre vie de tous les jours et quelles
influences elle peut avoir sur notre façon de penser.
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Au début du xx siècle la communauté scientifique était pratiquement
convaincue que la plupart des phénomènes physiques pouvait s'interpréter
grâce à la mécanique de Newton ou encore par l'électromagnétisme de
Maxwell. Les seuls problèmes qui restaient à résoudre étaient le mode de
propagation de la lumière dans le vide et l'explication du rayonnement
émis par la matière condensée. C'est le problème posé par la propagation
de la lumière qui est à l'origine de la théorie de la relativité d'Einstein.
Puisque les problèmes liés à la propagation du son étaient parfaitement
maîtrisés, il paraissait logique de transposer par analogie les mécanismes
mis en évidence pour la propagation du son à celle de la lumière. Pour cela
il semblait raisonnable de postuler l'existence d'un milieu appelé « Ether »
qui devait faire l'objet d'études expérimentales approfondies. C'est le cas
en particulier de l'expérience conçue en 1887 par Michelson et Morley qui
se proposaient de détecter le mouvement de la Terre par rapport à cet éther.
Cette expérience qui a été reprise de nombreuses fois a montré que la
simple loi d'addition des vitesses de la cinématique classique était mise en
défaut dans le cas où l'on considère l'addition des vitesses de la lumière et
celle de la Terre. Cette loi, fondamentale dans la mécanique classique de
Newton, permet par exemple de calculer la vitesse par rapport aux rails
d'un voyageur se déplaçant dans un train en ajoutant algébriquement les
vitesses relatives du train par rapport aux rails et celle du voyageur dans
ses couloirs. Cette loi était mise en défaut dans le cas où l'on considère la
vitesse de la lumière et celle de la Terre : c'est-à-dire que la vitesse de propagation d'un signal lumineux apparaissait comme indépendante de la
vitesse du référentiel, c'est-à-dire de la vitesse relative de l'instrument de
mesure.
Pour tenir compte de ce résultat, une solution avait été proposée en
1889 par Fitzgerald et Lorentz : ils proposaient de considérer que tout
corps se déplaçant dans l'éther était raccourci par un facteur qui augmentait avec sa vitesse « v ». Le cas extrême étant l'aplatissement total dans le
cas où la vitesse serait celle de la lumière « c ». De son côté, le mathématicien Henri Poincaré proposait au contraire que l'éther en mouvement relatif se modifiait de façon différente selon les différentes directions. Il suggéra même en 1904 qu'il faudrait concevoir une nouvelle mécanique dans
laquelle aucune vitesse ne pourrait dépasser celle de la lumière. Il donna
enfin en 1905 sa forme définitive aux formules exprimant le raccourcissement des longueurs dans le groupe mathématique des changements de
repère qu'il appela « Transformations de Lorentz ». C'est au cours de cette
même année 1905 qu'Albert Einstein proposa sa théorie nouvelle fondée
sur les deux postulats de la relativité restreinte :
Le premier postulat reprend le principe de relativité Galiléenne en
l'étendant à toute la physique et en particulier à l'électromagnétisme en
remettant en cause la notion de simultanéité et en imposant le temps
comme une quatrième dimension.
Le deuxième postulat spécifie que la vitesse de la lumière (c) est
indépendante de la vitesse de sa source dans tous les systèmes de référence. Il est donc en contradiction flagrante avec la loi de composition des
vitesses de la cinématique classique mais il résout les difficultés d'interprétation des expériences de Michelson et Morley en niant l'existence de
« l'Ether ».
Quelles sont les conséquences de ces postulats ? Une façon intéressante de montrer ce qui se passe est d'imaginer, comme le fit le physicien
Gamow, ce qui se passerait si la vitesse de la lumière était de 30 km/heure
au lieu de 300 000 km/s. Il créa un personnage, Mister Tompkins, qui
s'étant endormi pendant une conférence sur la relativité, rêva qu'il séjournait dans un monde où la vitesse de la lumière était de 30 km/heure : « Il
rêva qu'il était assis sur un banc public en face d'une horloge marquant
5 heures. Il vit passer un cycliste qui était incroyablement contracté dans la
direction de son mouvement comme s'il le voyait à travers une lentille
cylindrique. L'horloge sonna cinq coups et le cycliste - de toute évidence
en retard - appuya plus fort sur les pédales. M. Tompkins n'eut pas l'impression qu'il accélérait réellement, mais son effort eut pour résultat de le
contracter plus encore et en s'éloignant dans la rue, il donnait l'impression
d'être aussi plat qu'une carte à jouer ».
M. Tompkins comprit immédiatement ce qui arrivait au cycliste : il
s'agissait de la contraction des corps en mouvement dont il venait d'entendre parler. Il se sentit très satisfait de lui-même.
La vitesse limite de la nature doit être beaucoup plus basse ici,
conclut-il. J'estime qu'elle ne doit pas dépasser trente kilomètres à l'heure.
Ils n'ont pas besoin de radar dans cette ville.
De fait, l'ambulance qui passait à vive allure à cet instant n'allait
guère plus vite que le cycliste. Malgré ses gyrophares et la sirène hurlante !
elle se traînait.
(M. Tompkins décide alors de se lancer à la poursuite du cycliste en
empruntant une autre bicyclette.)
Il s'attendait à ce que son mouvement le contracte immédiatement et
cela ne lui déplaisait pas, car son embonpoint récent lui causait quelques
soucis. A sa grande surprise pourtant, rien ne se passa. Sa bicyclette et luimême conservaient la même taille et la même forme. En revanche, le décor
autour de lui avait complètement changé. Les rues avaient raccourci, les
vitrines des magasins étaient réduites à d'étroites meurtrières et les piétons
étaient les gens les plus maigres qu'il eût jamais rencontrés.
« Ah ! s'exclama M. Tompkins tout excité. Je comprends maintenant.
Voilà d'où vient le mot relativité. Tout ce qui se déplace relativement à
moi me paraît plus court, et cela ne dépend pas de celui qui pédale ! »...
(M. Tompkins regarda l'horloge de la poste, qui indiquait cinq heures
et demie. Il constata pourtant que sa montre-bracelet ne marquait que cinq
heures cinq, et en déduisit qu'il s'agissait certainement de la dilatation du
temps qui avait été évoquée dans la conférence.)
Au même instant, un homme élégamment vêtu sortit de la gare. Il
paraissait avoir une quarantaine d'années. Regardant autour de lui, il
reconnut une vieille dame qui attendait sur le bord du trottoir et il se dirigea vers elle pour la saluer. A la grande surprise de M. Tompkins, la vieille
dame accueillit le nouvel arrivant en l'appelant « cher grand-père ».
Comment cela était-il possible ? Comment cet homme-là pouvait-il être le
grand-père de la vieille dame ?
(Ce Monsieur expliqua à M. Tompkins qu'il voyageait beaucoup et
que par conséquent il vieillissait beaucoup plus lentement que ses parents
qui demeuraient ici... Il comprit aussi que c'était le fait de subir des accélérations qui provoquait la différence des vieillissements...)
La transposition effectuée par Gamow est parfaitement conforme à ce
que prévoit la théorie de la relativité restreinte compte tenu de l'hypothèse
de la vitesse la lumière ramenée à 30 km/heure. Les effets inhabituels
décrits par Gamow ne sont pourtant perceptibles que si les vitesses intervenant dans les phénomènes observés sont suffisamment proches de la vraie
vitesse de la lumière « c = 300000 km/s ». Le facteur correctif qui apparaît
dans les transformations de Lorentz est le suivant :
VI - P
2
avec p = l
C'est ainsi que la correction sur la contraction des distances ou la
dilatation des durées serait inférieure à 10~ si la vitesse de déplacement de
l'objet considéré était de 1000 km/s. En conséquence on peut affirmer,
qu'à moins de travailler dans un centre de recherches nucléaires ou un
observatoire d'astronomie, on peut toujours considérer la « correction relativiste » comme négligeable. Cela veut dire aussi qu'il est généralement
incorrect d'attribuer à la relativité tout effet constaté dans notre vie de tous
les jours, comme par exemple l'effet Doppler. C'est donc la réponse à la
question sur l'utilité de la théorie de la relativité que j'avais évoquée en
abordant cet exposé. Il n'en reste pas moins qu'il n'est pas inutile de se
poser la question de l'utilité de cette théorie pour comprendre notre façon
de raisonner et de nous fier aux idées reçues car elles sont le plus souvent
le reflet de notre paresse intellectuelle. Le grand mérite d'Einstein est
d'avoir mis en doute la validité de concepts qui étaient devenus des évidences dans la mesure où ils étaient directement l'héritage sacré et dogmatique de la mécanique de Newton. En affirmant la non-existence de l'éther
il dérangea le confort intellectuel de toute la communauté scientifique et il
est significatif que toute sa théorie fut très mal reçue, puisque la relativité
restreinte ne fut pratiquement pas enseignée en Université avant 1950. Le
prix Nobel fut attribué en 1922 à Einstein, mais pas pour ses travaux sur la
relativité. Il faut dire qu'il avait encore en quelque sorte aggravé son cas
en publiant en 1915 la théorie de la relativité généralisée dont on a affirmé
10
à sa parution qu'il n'y avait pas 10 personnes au monde susceptibles de
comprendre son contenu. La relativité restreinte était ainsi nommée parce
qu'elle s'applique aux mouvements de translation excluant les accélérations. La relativité généralisée consiste en une extension de la notion d'observateur libre. Cette extension est un problème dont la solution mathématique a demandé plusieurs années d'efforts à Einstein. La difficulté provient de l'existence des champs de gravitation qui conduit à la nécessité
d'introduire une structure non-euclidienne de l'espace-temps et une théorie
Riemannienne du champ de gravitation. La conséquence la plus notable est
qu'on est obligé de faire appel à la notion de « courbure de l'espace ».
On peut considérer que la remise en cause des fondements de la physique classique, d'une part par la relativité puis par la mécanique quantique a véritablement ébranlé les conceptions physiques du monde et les
Weltanschauungen qui avaient cours au début du xx siècle. En effet: Il
n'existait plus d'éther ni de temps absolu; la notion de simultanéité était
complètement remise en doute et même l'espace Euclidien était contesté
par la nécessité de faire appel à des espaces de plus de trois dimensions et
au concept nouveau et révolutionnaire d'espace courbe. C'est peut-être
dans cette obligation pour les physiciens de remettre en doute toutes leurs
confortables certitudes et leur arrogance tranquille que se situe le plus nettement l'importance des travaux d'Einstein et des pères de la mécanique
quantique. Un doute fécond s'est ainsi installé dans la communauté scientifique qui pourrait même à l'avenir s'accompagner de la tolérance qui permettrait d'abandonner l'oukase scientiste qui prétend que tout phénomène
qui ne peut se démontrer n'existe pas.
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BIBLIOGRAPHIE
MAVRIDÈS
(Stamatia), La Relativité, Collection « Que sais-je? », PUF,
2000.
EINSTEIN
(Albert), La Relativité, Petite Bibliothèque Payot, 2001.
GAMOW ( G . ) et STANNARD (R.), Le nouveau Monde de M. Tompkins,
Romans et Plus - Le Pommier, 2002.
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