Proceedings chapter - Archive ouverte UNIGE

publicité
Proceedings Chapter
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique du
Nouveau Testament, à l'exemple de l'eschatologie paulinienne
DETTWILER, Andréas
Abstract
L'article tente de montrer, à l'exemple des représentations eschatologiques "étranges" du
christianisme naissant (1 Thessaloniciens 4,13-18) et à l'aide de l'herméneutique de Rudolf
Bultmann (démythologisation et interprétation existentiale), combien de telles représentations
peuvent être interprétées en situation de modernité qui reste profondément influencée par le
paradigme scientifique.
Reference
DETTWILER, Andréas. Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique du
Nouveau Testament, à l'exemple de l'eschatologie paulinienne. In: Dettwiler, A. & Karakash, C.
Mythe et sciences. Actes du colloque "Mythe et sciences" du 14 au 16 mars 2002
Neuchâtel, Suisse. Lausanne : Presses polytechniques et universitaires romandes, 2003. p.
145-155
Available at:
http://archive-ouverte.unige.ch/unige:39615
Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.
Exégèse scientifique et
interprétation du langage
mythologique du Nouveau
Testament, à l'exemple de
l'eschatologie paulinienne
ANDREAS DETIWILER
L E BUT MODESTE de la présente contribution est de montrer à un public non théologique les problèmes d'interprétations auxquels je suis
régulièrement confronté en tant qu'exégète des textes du Nouveau Testament. Afin d'être le plus concret possible, je propose de jeter un coup
d'œil sur un texte de l'apôtre Paul, dans lequel il développe sa vision
des événements à venir (son eschatologie). Le but ne sera pas de fourniJ::
une interprétation complète du passage, ni de proposer une solution
complète au problème de l'interprétation du langage mythologique qui
apparaît dans les textes bibliques. La référence au texte paulinien nous
aidera pourtant à clarifier le problème herméneutique. Comment un
exégète du XXIe siècle, qui est à la fois marqué par le paradigme scientifique de la modernité et par une longue tradition d'interprétation des
textes bibliques, traite-t-il des textes qui, par l'étrangeté des représenta• ·
tions utilisées, résistent à toute tentative d'appropriation hâtive?
Le texte de Paul qui constituera le point de référence de notre
flexion est 1Th 4,13-18 :
ré;.
·,.
13 Nous
ne voulons pas, frères, vous laisser dans l'ignorance au·
sujet des morts (m:pl ~:wv xoqlwt-tÉvwv), afin que vous ne soyez pas
dans la tristesse comme les autres, qui n'ont pas d'espérance. 14Si ·
en effet nous croyons que Jésus est mort et qu'il est ressuscité,
de même aussi, ceux qui sont morts, Dieu les ramènera par Jésus .
et avec lui. 15 Voici ce que nous disons, d'après une parole du
146
147
Andreas Dettwiler
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique
Seigneur (è:v ÀÔy<p xup(ou) : nous, les vivants, qui serons restés
jusqu'à la venue du Seigneur, nous ne devancerons pas du tout
ceux qui sont morts. 16Car lui-même, le Seigneur, au signal donné,
à la voix de l'archange et au son de la trompette de Dieu, descendra
du ciel: alors les morts en Christ ressusciteront d'abord; 17 ensuite
nous les vivants, qui serons restés, nous serons enlevés avec eux
sur les nuées, à la rencontre du Seigneur, dans les airs, et ainsi
nous serons toujours avec le Seigneur. 18 Réconfortez-vous donc
(wa-ce: mxpcxxcxÀe:î'-re:) les uns les autres par ces paroles.» 1
l'ignorance au sujet des morts [littéralement: 'des endormis']» et souligne, une première fois, l'intention générale de son discours : permettre
à la communauté destinataire de surmonter son ignorance et sa tristesse. Au v. 14, Paul donne un premier argument, se fondant sur un
credo christologique, connu et familier de la communauté destinataire :
la résurrection du Christ fonde l'espérance en l'accomplissement de
l'existence chrétienne dans l'avenir («Si nous croyons que Jésus est
mort et qu'il est ressuscité, de même aussi, ceux qui sont morts, Dieu les
ramènera par Jésus et avec lui»). Aux v. 15-17, Paul fournit un deuxième
.argument, en se référent à une «parole du Seigneur», comme ill' affirme.
Ces versets contiennent une sorte de «mini-apocalypse», entièrement
focalisée sur la Parousie du Christ. Leur fonction est de montrer que les
chrétiens récemment décédés ne sont pas défavorisés par rapport aux
chrétiens vivants; en effet, tous seront -les morts et les vivants - «avec
le Seigneur», comme le dit la fin du v. 17. Partant de ce constat, le v. 18
en tire les conséquences pratiques, en exhortant les destinataires à se
réconforte~ mutuellement par «ses paroles».
1
Le problème historique : le premier contexte de
communication
La première démarche consiste à clarifier le contexte de communication originaire du texte. Cette perspective historique s'impose naturellement, puisque ce texte fait partie d'une lettre de circonstance dans
laquelle apparaît une situation de communication spécifique. Quel est
le problème qui semble avoir perturbé la communauté destinataire? TI
peut être reconstruit de la manière suivante. Pour la jeune communauté
chrétienne de Thessalonique, au début des années 50 de notre ère, le
décès de quelques membres de ladite communauté créait un problème
de fond. Pourquoi? Parce que les chrétiens de Thessalonique vivaient
dans l'horizon de l'attente imminente du retour du Christ céleste sur
terre à la fin des temps (ce que les exégètes appellent l'attente de la parousie [du grec ncxpouo(cx] du Christ). lls sont apparemment convaincus
que la Parousie du Christ se déroulera de leur vivant. Le principal problème n'est donc pas l'expérience générale de la finitude de l'existence
humaine, rti la résurrection2, mais le décès de chrétiens avant la Parousie
du Christ céleste.
L'argumentation de Paul est construite de la manière suivante. Le
v. 13 expose la thématique («Nous ne voulons pas vous laisser dans
1
Traduction, légèrement modifiée, de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB),
1985. Dans la suite, nous abrégeons les livres bibliques selon les directives de la TOB.
2Voir, par ex., G. lliuFE, Der erste Brief des Paulus an die Thessalonicher (Theologischer
Handkommentar zum Neuen Testament 12/1), Leipzig, Evangelische Verlagsanstalt,
1999, p. 80 : «Deutlich ist [... ), dass nicht das Problem des Todes als solches zur
Diskussion steht, auch nicht das Problem der Auferstehung, sondem die spezielle
Frage nach der Teilnahme bereits Gestorbener an dem für bald erwarteten ParusieGeschehen. »
En analysant de plus près la stratégie argumentative adoptée par
Paul dans cette séquence textuelle, nous observons les éléments suivants:
(1) La mort de membres de la communauté avant la Parousie du
Christ est considérée comme problématique. Paul traite cette question
en se référant d'abord au credo christologique de la mort et de la résurrection du Christ. Autrement dit: l'espérance chrétienne est fondée dans·
l'acte de la foi. Paul mentionne explicitement cette dimension de la foi
au début du v. 14 (e:i yètp mcne:6op.e:v o-ct '11JOOUÇ &né'Ôcxve:v xcxl &véo-r1J x-cÀ.
- «Si en effet nous croyons que ... »). Notons encore que Paul partage
entièrement l'attente de l'imminence du retour du Christ.
·_,.
(2) Paul se sert, pour une bonne partie, du matériau traditionnel pour
développer son argumentation. Nous pouvons en effet distinguer deux
différents types de matériaux pré-pauliniens. D'une part, Paul reprend
au début du v. 14 une formule de foi axée sur les deux événements clefs
du message du christianisme primitif, à savoir la mort et la résurrection de Jésus («nous croyons que Jésus est mort et qu'il a été ressuscité
[par Dieu]»). Cette tradition est évidemment familière à la communauté"
destinataire. Paul se contente donc d'actualiser le système de conviction
religieuse qu'il partage avec ses destinataires. D'autre part, au début dU.
3 Le terme
fortern.
ltotpaxaÀe:i:v
peut signifier soit «exhorter, avertir», soit «consoler, récon•·
148
Andreas Dettwiler
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique
v. 15, Paul fait explicitement référence à une «parole du Seigneur» (ML'origine et la reconstruction exacte de cette tradition sont
disputées par la recherche. Nous pouvons supposer qu'elle comprend
l'essentiel des v. 16-17, c'est-à-dire la description détaillée des circonstances de la Parousie du Christ, de la résurrection des croyants morts
et de l'enlèvement au ciel des croyants encore vivants. Cette «miniapocalypse» provient probablement d'un milieu prophétique de type
judéo-chrétien4 .
prendre son statut et sa pertinence théologiques dahs l'ensemble de sa
théologie. Je me contente d'en souligner trois aspects 6 .
yoç xup(ou).
(1) Suivant le contexte de communication, le langage et les représentations eschatologiques utilisées varient considérablement. Paul n'a pas
présenté un système de représentations eschatologiques absolument homogènes. A l'observation de cette variabilité, voire de cette hétérogénéité,
s'ajoute un constat sur le caractère évolutif de la pensée de Paul : 1Th
constitue selon toute vraisemblance la lettre la plus ancienne de Paul.
La lettre adressée à la communauté de Rome, qui est la plus tardive
et la plus mûre théologiquement, développe la thématique de l'avenir
d'une manière sensiblement différente (cf. seulement Rm 8). Ainsi, une
conclusion s'impose concernant la pertinence théologique, plus précisément la pertinence eschatologique, de 1Th dans l'ensemble de l'œuvre
paulinienne : cette argumentation ne constitue que la première étape
dans son processus de réflexion sur les choses dernières. Elle ne peut
donc pas être considérée comme une proposition aboutie.
(3) Un rapprochement avec les textes juifs de l'époque intertestamentaire et néotestamentaire, permet de comprendre que les représentations utilisées aux v. 16-17 sont fortement imprégnées par la tradition apocalyptique. Pour cette raison, j'ai qualifié ces versets de «miniapocalypse». Une comparaison détaillée au niveau de l'histoire des
religion montre en fait que la quasi-totalité des images utilisées dans
ces versets est empruntée au courant apocalyptique juifS : l'expression
«ceux qui sont restés» au v. 15, la voix de l'archange, la trompette
de Dieu, la descente du ciel d'un être divin, l'idée de la résurrection
des morts à la fin des temps et enfin l'acte d'élévation sur les nuées.
La relative particularité de notre texte réside (a) dans la configuration
spécifique des différentes représentations apocalyptiques, (b) dans la
perspective christologique, à savoir l'identification de l'être céleste avec
le Christ et (c), last but not least, dans l'absence totale de la thématique
du jugement.
2
(2) La conviction que «le Seigneur est proche» est une constante de
l'eschatologie paulinienne (Ph 4,5; cf. aussi 1Th 4,17; Rm 13,11-14). Mais
force est de constater que cette conviction ne fait pas partie du credo
christologique, credo entièrement focalisé sur la mort et la résurrection
du Christ, interprétés comme événements absolument décisifs ou, si
l'on veut, «eschatologiques». Autrement dit: la parousie est attendue,
mais elle n'est pas l'objet de la foi au sens stricte7 • De manière générale,
nous pouvons dire que l'espérance n'est pas fondée sur l'attente immi-
Le problème théologique : constance et variabilité de
l'eschatologie paulinienne
Après avoir clarifié le contexte de communication historique et l'argumentation paulinienne, l'exégète s'efforce de mettre le petit texte de
1Th 4 en relation avec les autres lettres de Paul, afin de mieux corn4
Voir G. HAuFE, ap.cit., p. 79 «[ ... ] ein von Paulus bereits vorgefundenes Wort aus
der judenchristlich-prophetischen Gemeindetradition». n ne s'agit donc probablement
ni d'une parole qui remonterait au Jésus historique ni d'une parole du Christ élevé que
Paul aurait reçu lors d'une révélation.
5 Pour une analyse plus détaillée des liens entre 1Th 4,16-17 et le courant apocalyptique, voir les commentaires, par ex. T. HoLTZ, Der erste Brief an die Thessalonicher
(Evangelisch-Katholischer Kommentar zum Neuen Testament XIII), Zürich- Einsiedeln- Koln, Benziger- Neukirchener, 1986, p. 198-205, ou G. HAuFE, ap.cit., p. 84-86.
149
•-';
~
6
Concemant l'eschatologie de Paul, on consultera, par ex., les travaux suivants qui
proposent une vue d'ensemble sur la problématique (ordre chronologique): G. KLEIN,
Art. «Eschatologie. IV. Neues Testament», Theologische Realenzyklapiidie 10, 1982, p. 270299 (pour l'eschatologie de Paul et son école: p. 279-288); J. BECKER, Paul. L'apôtre des
nations (Théologies bibliques), trad. de l'allemand de J. Hoffmann, Paris- Montréal,
Cerf- Médiaspaul, 1995, p. 509-520; J.D.G. DuNN, The Theology ofPaul the Apostle, Grand
Rapids- Cambridge, Eerdmans, 1998, p. 294-315 [sur la Parousie du Christ] et p. 461498 [sur la tension eschatologique]; G. HAUFE, ap.cit., p. 87-88 [ «Exkurs : Kontinuitat
und Variabilitat in der paulinischen Eschatologie»]. Je me suis prononcé sur la question
de façon un peu plus détaillée dans mon article «La résurrection des croyants selon
l'Epître aux Colossiens», in: O. MAINVILLE et D. MARcuERAT (éd.), Résurrection. L'aprèsmort dans le monde ancien et le Nouveau Testament [Le Monde de la Bible 45], Genève Montréal, Labor et Fides - Médiaspaul, 2001, p. 307-320, en particulier les p. 309-312.
7
Voir H. CoNZELMANN, Grundriss der Theologie des Neuen Testaments, bearb. von
A. Lindemann (UiB 1446), Tübingen, Mohr, 19874 (1967), p. 348-349: «[ ... ] diese Überzeugung [l'attente de la Parousie] ist für ihn [i.e. pour Paul] kein Satz des Credo. Er
begründet die Hoffnung nicht mit dieser apokalyptischen Vorstellung, sondem mit
dem Credo, das von Tenninen unabhangig ist [... ]. Eschatologie ist von Anfang an
primar nicht apokalyptische Vorstellung, sondem Verstehen des Seins im Glauben. »
151
Andreas Dettwiler
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique
nente de la parousie du Christ céleste, mais sur la christologie, c.-à.-d.la
mort et la résurrection du Christ. Ou pour le dire dans une perspective
plutôt anthropologique : l'espérance en l'accomplissement de l'existence humaine dans le futur est enracinée dans l'expérience présente
d'une transformation radicale de l'existence croyante, transformation
qui, selon la conviction de Paul, s'opère par l'Esprit de Dieu.
il est tout d'abord clair que Paul, dans 1Th, attend le retour imminent
du Christ céleste. il partage donc l'opinion des destinataires. En effet,
l'épître ne contient aucun indice qui puisse contredire cette affirmation.
Ainsi, Paul et de nombreux chrétiens de la première génération se sont
trompés. Certes, il est juste d'insister sur le fait que le fameux retard de
la Parousie n'a pas déclenché la grande crise au sein du christianisme
primitif, crise que des exégètes modernes voulaient souvent percevoir
dans les textes néotestamentaires- prétendue crise seulement qui relève
plutôt d'un mythe de l'exégèse moderne que de la réalité historique! n
reste néanmoins le fait que Paul s'est trompé à ce sujet.
150
(3) Pour mieux saisir la structure fondamentale de la pensée de Paul
et, en particulier l'importance éminente de l'acte de la foi, nous pouvons nous orienter selon la triade spécifiquement paulinienne «foi amour- espérance» (1 Th 1,3; 5,8; 1Co 13,13; cf. 1Th 3,6). Cette triade
ne convient pas uniquement pour saisir la compréhension de l' existence croyante, mais reflète, en même temps, une structure temporelle
significative. D'abord lafoi (Jtfcr·nç), qui, dans les différentes formulations de Paul, apparaît toujours en première position. Dans l'acte de
la foi, l'être humain s'abandonne pour mettre sa confiance entièrement
dans le Dieu du Jésus crucifié. Dans l'acte de la foi, l'homme reconnaît
que Dieu fait revivre ce qui est apparemment voué à l'échec, que Dieu
attribue une valeur infinie à ce qui n'en a apparemment aucune. Dans
l'acte de la foi, l'être humain commence à comprendre que sa dignité ne
réside pas dans ses propres activités, mais à l'extérieur de lui-même, en
Dieu. L'acte de la foi est donc tout d'abord orienté vers un événement
du passé. L'amour (&y&Jt1]), par contre, est entièrement enraciné dans le
présent de la foi. Selon Paul, l'amour est comme «l'extériorisation» de
la foi. Quant à L'espérance (è:Àlt(ç), elle est l'expression de l'avenir de la
foi. La certitude de l'espérance s'enracine dans l'acte de la foi, comme je
l'ai déjà dit. Au niveau anthropologique, l'accentuation paulinienne de
l'avenir de la foi souligne le caractère inaccompli de l'existence humaine
et, en même temps, le caractère non-possessif de la foi.
3
Le problème herméneutique : l'interprétation adéquate
du langage apocalyptique
A ce stade de la réflexion exégétique, un soupçon herméneutique
pourrait s'installer. Mes considérations n'ont-elles pas l'intention d'affaiblir, voire de dissiper les spécificités du texte eschatologique de 1Th,
c'est-à-dire de marginaliser le langage apocalyptique afin de 'sauver'
la théologie paulinienne dans le contexte de la modernité? Face à cette
interrogation, je propose encore de se distancer du texte et de ses présupposés implicites.
"
'
.
.!
i
~ \
-~
il est ensuite à mon avis évident que Paul prenait pour vrai ce qu'il
dit. Même si la «mini-apocalypse» de 1Th 4,16-17 constitue une tradition antérieure à Paul, la reprise de cette tradition et son intégration
dans la lettre démontre que Paul adhère à cette tradition apocalyptique.
Aucun élément textuel ne permet d'affirmer que les événements eschatologiques décrits dans 1Th 4 doivent être interprétés de manière
figurative ou symbolique. Autrement dit : si nous respectons la pensée
de Paul, nous sommes contraints de constater que sa vision du monde
n'est plus la nôtre. Suite à ce constat, l'exégèse a souvent proposé deux
possibilités : Soit on force le lecteur de reprendre tel quel la vision du
monde à laquelle Paul appartenait, on invite le lecteur à «croire» (au
sens de : tenir pour vrai) aux représentations apocalyptiques que Paul
utilisait. Toutefois, un tel procédé n'est pas seulement de facto impossible, il est aussi théologiquement problématique. Rudolf Bultmann a
dit le nécessaire à ce sujetll. Soit le lecteur recourt abusivement à des
interprétations symboliques ou allégoriques afin de nier le problème
herméneutique. Seule la distinction herméneutique entre message et
représentations mythologiques me semble être la voie à suivre. Ainsi,
je me rallie, pour les grandes lignes, à Rudolf Bultmann et à son programme de démythologisation9 .
8
Voir, par ex., R. BULTMANN, Neues Testament und Mythologie. Das Problem der Entmythologisierung der neutestamentlichen Verkündigung. Nachdruck der 1941 erschienenen
Fassung, hg. von E. Jüngel (Beitrage zur evangelischen Theologie 96), München, Kaiser
Verlag, 1985, p. 13-20.
9
Pour un premier survol sur l'herméneutique de Bultmann, voir les remarques
introductives de Clairette l<ARAKASH, «Décision en situation d'incertitude: démythologisation et formalisation», p. 169-171, dans ce volume. Concernant la distinction entre
message et représentation mythologique, voir r.u. DALFERTH, «Von der Mythenkritik
zur Entmythologisierung. Eine Erinnerung an unverzichtbare Aufgaben der Theologie», in : V. HôRNER et M. LEINER (éd.), Die Wirklichkeit des Mythos. Eine theologische
Spurensuche, München- Gütersloh, Kaiser- Gütersloher, 1998, p. 79: «Son but n'est
pas l'adaptation [Anpassung] du message néotestamentaire à la vision moderne du
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique
Quelles en sont les conséquences pour l'interprétation de 1 Th 4,1318? TI s'agit donc de démythologiser le langage mythologique de Paul,
c'est-à-dire d'interpréter ce langage par l'analyse existentiale. Dans le
contexte argumentatif précis de 1Th, Paul s'efforce de montrer que les
«morts en Christ» ne sont pas dans une situation défavorables par rapport aux chrétiens vivants. En d'autres termes, la mort n'a pas la force de
séparer les chrétiens du Christ. Pour le dire avec Wùli Marxsen : La foi
10
en Christ, le ressuscité-crucifié, implique une espérance sans limite .
Dans d'autres contextes de communication ou culturels, le langage apocalyptique adopt~ par Paul dans 1Th peut être abandonné et remplacé
par d'autres types de langage, en l'occurrence le langage poétique. Paul
adopte d'ailleurs lui-même cette perspective dans ses autres lettres.
Pour donner un seul exemple: vers la fin de Rm 8, l'autre locus classicus
de l'eschatologie paulinienne, l'apôtre se sert d'un langage poétique
respectivement hymnique, quand il célèbre la certitude qu'engendre la
foi dans le Dieu de Jésus.
rigoureux. De façon synthétique, je distingue les étapes suivantes dans
le processus d'interprétation :
4
En guise de conclusion : la question de la foi
Mon survol fragmentaire avait pour but de montrer le problème
herméneutique, et ceci à travers la lecture d'un texte biblique qui, par
son étrangeté, met en évidence la nécessité d'un travail interprétatif
"'
153
Andreas Dettwiler
152
monde, comme on l'a souvent reproché à Bultmann, mais la distinction herméneutique entre message et modalité de représentation mythologique dans le Nouveau
Testament.» (trad. A. Dettwiler). Dans le cadre de cette contribution, il ne m'est pas
possible d'entrer en débat avec l'immense réception, tr~ controve_rsée, qu'a;ait ~é­
clenchée l'herméneutique bultmannienne. Des travaux swvants continuent la refleXIon
sur l'herméneutique théologique dans la ligne de Bultmann : H. WEDER, «Mythos und
Metapher. Überlegungen zur Sachinterpretation mythischen Redens im Neuen Testament», in : B. }ASPEIIT (éd.), Bibel und Mythos. Fünfzig Jahre nach Rudolf Bultmanns
Entmythologisierungsprogramm, Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991, p. 38-73;
I.U. DALFEKnl, art.cit., p. 57-81; E. }ÜNGEL, «Die Wahrheit des Mythos und die Notwendigkeit der Entmythologisierung», in : Indikative der Gnade- Imperative der Freiheit.
Theologische Erorterungen W, Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, 40-57; etc. D'aut:n:s voix
se prononcent de façon pettemppt olus critim1e yis-à-yis de BMl.tmann à mentionner
par ex. les travaux de K. HüBNER {Die Wahrheit des Mvt~s München. C.H. Beek. 19~;
«Mytbgs. I Philosophisch» Theo/ogische Realenzyklqpiidze 23, 1994, p. 597-608, en particulier p. 607; etc.).
10Voir W. MARxsEN, Der erste Brief an die Thessalonicher (Zürcher Bibelkommentare
NT 11/1), Zürich, Theologischer Verlag, 1979, p. 68, à propos de 1Th 4,13-18 : «Die
Aussage aber, dass da, wo wirk.lich geglaubt wird, solches Glauben immer grenzerùose
Hoffnung einschliesst, ist von den jeweiligen Vorstellungen unabhangig, darurn auch
von dem "lrrtum" des Paulus über die Nahe der Parusie.».
Dans un premier temps, la perspective historique s'est avérée indispensable pour saisir la problématique du texte à traiter. Dans notre
. cas précis, il s'agissait avant tout de clarifier le premier contexte de
communication et d'élucider la stratégie argumentative de Paul face
au problème de ses destinataires. Nous avons remarqué que les représentations mythologiques, empruntées au courant apocalyptique de
l'époque, ne peuvent être détachées de leur contexte argumenta tif précis. Elles sont, autrement dit, subordonnées à une argumentation théologique spécifique. Méthodologiquement, nous avons mis en lumière
la dimension de la pragmatique historique du texte. Ce procédé a créé
un premier effet de distanciation par rapport au texte biblique.
Dans un deuxième temps, nous avons adopté Une perspective résolument théologique, en mettant le texte de 1Th en relation avec l'eschatologique paulinienne. Nous avons constaté que la perspective eschatologique de 1Th 4 n'est qu'une voix parmi d'autres- et probablement
même pas la voix dominante - dans l'ensemble de la littérature paulinienne. Ce procédé de systématisation théologique a ainsi crée un
deuxième effet de distanciation, une sorte de relativisation par 'mise
en réseau' du texte biblique. Mais parallèlement, le parcours a aussi
eu un effet d'appropriation, car il a montré la possible pertinence de la
réflexion paulinienne concernant l'avenir.
Dans un troisième temps, nous avons essayé d'accentuer la perspective herméneutique en étant attentif au décalage entre le lecteur moderne
et le langage mythologique de Paul. Seule une lecture qui prend réellement au sérieux cette tension, en essayant d'opérer une distinction
herméneutique entre le message et la vision du monde de l'Antiquité
- en l'occurrence celle du courant apocalyptique - est à mon avis en
mesure de fournir une exégèse qui se veut intellectuellement honnête.
ll reste cependant une dernière interrogation en rapport avec le fondement de l'identité chrétienne. On pourrait prétendre que la perspective théologique même est mythique ou, pour le moins, empreinte d'un
langage mythologique11 . En effet, le 'noyau dur' de l'identité chrétienne,
11 Voir R. BuLTMANN, art.cit., p. 63: «Blieb ein mythologischer Rest? Wer es schon Mythologie nennt, wenn von Gottes Tun, von semem entscheidenden eschatologischen
Tun, die Rede ist, für den gewiss. Aber jedenfalls ist dann solche Mythologie nicht
mehr Mythologie im alten Sinne, die mit dem Untergang des mythischen Weltbildes
versunken ware. Denn das Heilsgeschehen, von dem wir reden, ist nicht ein mirakelhaftes, supranaturales Geschehen, sondem es ist geschichtliches Geschehen in Raum
154
Andreas Dettwiler
Exégèse scientifique et interprétation du langage mythologique
à savoir l'affirmation selon laquelle Dieu s'est déclaré solidaire avec un
Crucifié, révélant ainsi sa force entièrement créatrice et non destructive, force qui fait revivre ce qui est apparemment voué à l'échec, serait
'mythlque'.- Cette remarque critique a au moins le mérite de montrer
que le programme bultmannien de la démythologisation et, de manière
complémentaire, de l'interprétation existentiale, n'est pas une tentative
d'adaptation de la foi chrétienne à la vision moderne du monde (un
des reproches classiques adressés à Bultmann)12 . Au contraire : il s'agit
d'interpréter le message chrétien de façon à ce que le véritable scandale et la véritable interrogation de la foi chrétienne puissent apparaître
avec plus de clarté : la proclamation d'un Messie crucifié n'est-t-elle
qu'une aberration de l'imagination religieuse? l'acceptation inconditionnelle de l'être humain par le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob
qui se montre inconditionnellement solidaire avec un condamné à mort,
n'est-t-elle qu'une chimère théologique? une telle prétention insensée
a-t-elle encore un sens aujourd'hui? Une telle parole, à la fois critique et
libératrice, a-t-elle encore une force de persuasion pour une compréhen~
sion de l'existence humaine? Cette dernière réflexion nous montre que
la tâche de l'exégète n'est pas de proposer un parcours de compréhension accompli. Sa tâche est nettement plus modeste : dans le cas idéal,
il est en mesure d'amener au seuil de la compréhension théologique de
l'existence humaine. L'être humain y voit-il une parole de vie? Cette
question doit rester ouverte. Car ce n'est qu'au sein même de la vie,
dans la prise de position existentielle, que l'être humain y donne une
réponse. Mais là, nous entrons dans le domaine de l'acte de la foi. Et là,
il vaut mieux que l'exégète se taise.
CoNZELMANN H., Grundriss der Theologie des Neuen Testaments, bearb. von
A. Lindemann, Tübingen, Mohr [UTB 1446], 19874 (1967).
Bibliographie
BECKER J., Paul. L'apôtre des nations, Paris-Montréal, Cerf-Médiaspaul
[Théologies bibliques], 1995, trad. de l'allemand de J. Hoffmann.
BuLTMANN R., Neues Testament und Mythologie. Das Problem der Entmythologisierung der neutestamentlichen Verkündigung. Nachdruck der 1941
erschienenen Fassung, hg. von E. Jüngel, München, Kaiser Verlag
[Beitrage zur evangelischen Theologie 96], 1985.
und Zeit. Und indem wir es, das mythologische Gewand abstreifend, ais solches darstellten, meinten wir gerade der Intention des Neuen Testaments zu folgen und die
Paradoxie der neutestamentlichen Verkündigung zu ihrem vollen Recht zu bringen».
12
Cf. la remarque de I.U. Dalferth dans la note 9.
·1,.
155
DALFERTH I.U., «Von der Mythenkritik zur Entmythologisierung. Eine
Erinnerung an unverzichtbare Aufgaben der Theologie» in : V. HôRNER et M. LEINER (éd.), Die Wirklichkeit des Mythos. Eine theologische
Spurensuche, München- Gütersloh, Kaiser- Gütersloher, 1998, p. 5781.
DETIWILER A., «La résurrection des croyants selon l'Épître aux Colossiens», in: O. MAINVILLE et D MARGUERAT (éd.), Résurrection. L'aprèsmort dans le monde ancien et le Nouveau Testament, Genève- Montréal,
Labor et Fides- Médiaspaul [Le Monde de la Bible 45], 2001 p. 307320.
DuNN J.D.G., The Theology ofPaul the Apostle, Grand Rapids- Cambridge,
Eerdmans, 1998.
HAUFE G., Der erste Brief des Paulus an die Thessalonicher (Theologischer
Handkommentar zum Neuen Testament 12/1), Leipzig, Evangelische
Verlagsanstalt, 1999.
HoLTZ T., Der erste Brief an die Thessalonicher (Evangelisch-Katholischer
Kommentar zum Neuen Testament XIII), Zürich- Einsiedeln- Kôln,
Benziger-Neukirchener, 1986.
HüBNER K., Die Wahrheit des Mythos, München, C.H. Beek, 1985.
- «Mythos. I. Philosophisch», in: Theologische Realenzyklopiidie 23, 1994,
p. 597-608.
JüNGEL E., «Die Wahrheit des Mythos und die Notwendigkeit der Entmythologisieïung», in : Indikative der Gnade - Imperative der Freiheit.
Theologische Erorterungen IV, Tübingen, Mohr Siebeck, 2000, p. 40-57.
KLEIN G., «Eschatologie. IV. Neues Testament», in : Theologische Realenzyklopiidie 10, 1982, p. 270-299.
MARXSEN W., Der erste Brief an die Thessalonicher , Zürich, Theologischer
Verlag [Zürcher Bibelkommentare NT 11/1], 1979.
WEDER H., «Mythos und Metapher. Überlegungen zur Sachinterpretation mythischen Redens im Neuen Testament», in: B. }ASPERT (éd.),
Bibel und Mythos. Fünfzig Jahre nach Rudolf Bultmanns Entmythologisierungsprogramm, Gottingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1991, p. 38-73.
Andreas Dettwiler
Clairette Karakash (éd.)
Mythe & Science
Actes du colloque «Mythe et science»
du 14 au 16 mars 2002
Neuchâtel, Suisse
Téléchargement