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´
Etude qualitative pour suivi des troubles psychiatriques s´
ev`
eres 753
Introduction
Le mouvement de d´
esinstitutionalisation initi´
e dans les
ann´
ees 1960 par la cr´
eation des secteurs psychiatriques
s’acc´
el`
ere depuis une dizaine d’ann´
ees, renforc´
e par des
motifs ´
ethiques, cliniques et ´
economiques. Au niveau
´
ethique, les associations de patients et de proches et
l’´
evolution sociale ont favoris´
e un meilleur respect des
libert´
es individuelles et une appropriation du pouvoir par
les usagers au d´
epend du privil`
ege th´
erapeutique et du
contrˆ
ole social. La meilleure connaissance de leur ´
evolution
et de leur traitement, le d´
eveloppement des interventions
pr´
ecoces et de r´
ehabilitation ont am´
elior´
e le pronostic
et l’espoir d’int´
egration sociale de troubles psychiatriques
s´
ev`
eres tels que la schizophr´
enie ou les troubles bipolaires.
Enfin, la n´
ecessit´
e de contenir les coˆ
uts de la sant´
e limite
´
egalement le recours aux soins hospitaliers, sinon encou-
rage de d´
eveloppement d’alternatives ambulatoires aux
traitements. Apr`
es l’int´
egration hospitalo-ambulatoire par
la cr´
eation des secteurs psychiatriques, l’ouverture et la
coordination avec les services sociaux et les soins de premier
recours constitue un enjeu essentiel de sant´
e publique pour
assurer le traitement des troubles psychiatriques s´
ev`
eres
dans la communaut´
e.
Plusieurs pays ont envisag´
e la constitution de r´
eseaux de
soins pour organiser la collaboration entre les partenaires,
contrecarrer la duplication et la fragmentation des services,
am´
eliorer leur qualit´
e et leur acc`
es, avec l’espoir d’amener
ces am´
eliorations sans n´
ecessairement ajouter de nouvelles
ressources [8]. Selon l’Anaes, «un r´
eseau de sant´
e constitue
une forme organis´
ee d’action collective apport´
ee par des
professionnels en r´
eponse `
a un besoin de sant´
e[...] compos´
e
d’acteurs [...] du champ sanitaire et social [1]. La consti-
tution d’un r´
eseau de soins implique soit une int´
egration
structurelle dans une mˆ
eme organisation (int´
egration ver-
ticale), soit la cr´
eation de liens entre les acteurs et des
´
echanges r´
eciproques qui d´
epassent le simple passage du
client d’un intervenant `
a un autre (int´
egration virtuelle)
[7]. En psychiatrie, le mod`
ele de secteur a constitu´
e une
premi`
ere ´
etape d’int´
egration verticale des services hospi-
taliers et ambulatoires pour faciliter leur coordination et
rapprocher les soins de la communaut´
e. Ce mod`
ele a per-
mis d’accompagner le mouvement de d´
esinstitutionalisation
par le d´
eveloppement de centres de soins ambulatoires ou
interm´
ediaires sans d´
esorganiser les services. Le travail en
r´
eseau constitue une ´
etape suppl´
ementaire d’ouverture vers
la communaut´
e, en associant plus fortement les nombreux
autres partenaires impliqu´
es dans le suivi des troubles psy-
chiatriques s´
ev`
eres : les usagers eux-mˆ
emes, leurs proches,
les m´
edecins g´
en´
eralistes, les soins `
a domicile, les services
sociaux, la police, la justice de paix et d’autres encore.
Le r´
eseau implique d’aller `
a l’encontre d’un mod`
ele qui
identifie le d´
eveloppement de la sant´
e`
a la promotion de
la m´
edecine technique et limite la production de sant´
e`
a
la consommation de soins techniques et de concilier les
dimensions individuelles et collectives : la sant´
e n’est pas
seulement un ph´
enom`
ene biologique individuel, mais aussi
un ph´
enom`
ene social [12]. Pour les personnes qui souffrent
de troubles psychiatriques s´
ev`
eres, l’int´
egration d’un r´
eseau
de soins signifie aussi offrir un acc`
es `
a des services vari´
es
durant les p´
eriodes de crises aigu¨
es et au-del`
a et de ren-
forcer la solidarit´
e, l’assistance mutuelle et l’appropriation
du pouvoir dans la population [8]. Confront´
e`
alan
´
ecessit´
e
d’offrir des soins vari´
es et sp´
ecialis´
es tout en restant proche
de la communaut´
e, le secteur psychiatrique joue un rˆ
ole cl´
e
dans l’articulation avec le r´
eseau.
Toutefois, la mise en r´
eseau des diff´
erents acteurs des
soins ne peut pas simplement ˆ
etre impos´
ee d’en haut.
Dans ce cadre, les perceptions que les acteurs ont les
uns des autres jouent un rˆ
ole important dans la possibi-
lit´
ed’
´
etablir une coop´
eration saine et fructueuse, d’autant
que certains aspects sp´
ecifiques aux troubles psychiatriques
peuvent constituer des obstacles s´
erieux... Il s’agit aussi
d’introduire une culture et une pratique de l’organisation
du travail entre des professionnels tr`
es diff´
erents par leur
statut, leur formation, leurs r´
ef´
erences culturelles et leur
registre d’action [16]. Selon Gray [11], cette collaboration
entre diverses organisations d´
epend de trois conditions suc-
cessives :
•l’identification de probl`
emes communs et la reconnais-
sance d’une interd´
ependance ;
•la recherche d’objectifs communs ;
•la redistribution du pouvoir et l’implantation de pratiques
interorganisationnelles [9,11].
Ainsi, chaque réseau doit construire collectivement son
projet en tenant compte des aspirations de ses membres
et en prenant le temps de la négociation et d’un appren-
tissage [2]. L’Anaes souligne l’importance de ce temps
d’apprentissage et de négociation collective pour facili-
ter le travail ultérieur du montage du réseau, tout comme
l’importance d’associer le travail d’évaluation dès cette
première phase [2]. Par cette étude, nous souhaitons mettre
en évidence, par des méthodes de recherche qualitative, les
points de vue des différents acteurs du réseau sociosanitaire
de la région de Lausanne sur la coopération, les moyens mis
en œuvre et les problèmes rencontrés dans le suivi de per-
sonnes souffrant de troubles psychiatriques sévères dans un
contexte de désinstitutionalisation, en préalable à la mise
en place d’une collaboration de réseau.
M´
ethode
Notre ´
etude vise `
a produire des connaissances et `
a
r´
ealiser un objectif de changement sur le mod`
ele de la
recherche—action [15], en examinant les probl`
emes ren-
contr´
es par les acteurs du r´
eseau sociosanitaire de la
r´
egion de Lausanne dans le suivi des personnes souffrant
de troubles psychiatriques s´
ev`
eres. Les soins psychiatriques
de la r´
egion sont organis´
es en secteur pour une population
principalement urbaine de 240 000 habitants. Les services
psychiatriques adultes sont constitu´
es par un hˆ
opital de
107 lits aigus et des centres de consultation ambula-
toires en ville. Depuis 1998, ces services sont organis´
es en
fili`
eres sp´
ecialis´
ees par diagnostics, tout en gardant une
responsabilit´
e de secteur (troubles du spectre de la schizo-
phr´
enie, troubles de la personnalit´
e, troubles de l’humeur,
d´
ependances), avec un service d’urgences psychiatriques
ambulatoire, une unit´
e d’investigation et une unit´
e hos-
pitali`
ere d’admission. Cette organisation par sp´
ecialisation
des fili`
eres de soins a ´
et´
ed
´
ecrite pr´
ec´
edemment [4]. Elle a
´
et´
e accompagn´
ee d’une ouverture de l’hˆ
opital et d’une aug-